26 décembre 2006

S'il vous plait, dessine-moi un pôle...



Les hôpitaux sont sous le coup d'une singulière réforme. On l'appelle la "Nouvelle Gouvernance". Elle restructure pour la nième fois l'organisation interne des établissements en les contraignant cette fois-ci à regrouper les traditionnels services en "pôles". Au surplus, elle crée quantité de commissions, conseils et autres instances "stratégiques" ou "exécutives" et assujettit l'esemble à une gestion financière "à l'activité" dite T2A ("Tarification à l'activité").
Si l'intention est sûrement excellente, tout cela semble hélas bien bancal et surtout d'une incroyable complexité, car comme de bien entendu toutes les strates de ce qui faisait l'organisation ancienne restent en place !
Voici la vision que pourrait en avoir un Petit Prince, candide mais à l'esprit pratique, s'il arrivait impromptu dans cet univers :


"Si le Petit Prince débarquait sur la planète hospitalière il aurait sûrement une foule de questions à poser. Probablement, une des premières toucherait au chambardement qui remue actuellement ce vibrionnant microcosme : la nouvelle organisation en pôles d'activité ou Grande Pôlinisation comme l'appelle un de mes amis.

Mais s'il fallait dire à ce gentil candide de l'astéroïde B612, en quelques mots ce qu'est ou sera un pôle, on éprouverait à l'image des innombrables formateurs, informateurs, conseilleurs, manageurs, pourtant bien intentionnés et volontaires quelques difficultés.
Alors on commencerait peut-être par évoquer ce que ça n'est pas. Ça serait toujours autant de temps de gagné... Sans compter qu'il ne faut pas faire naître trop d'illusions. Un petit extra-terrestre candide pourrait en effet imaginer des choses trop simples. Par exemple qu'il s'agisse d'une notion commode permettant de réunir quelques entités un peu égarées en quête d'unité. D'autant qu'il y en aurait parfois besoin dans certains endroits...

On pourrait imaginer par exemple rassembler des services aussi proches conceptuellement que le SAMU, les Urgences et la Réanimation, ou encore la Maternité, la Pédiatrie et la Néonatalogie, ou bien la Cardiologie et la Pneumologie etc... Mais il faut se rendre à l'avis des experts : ce serait une erreur tant la spécialisation tend à les éloigner les uns des autres, à la manière des galaxies propulsées par l'inexorable expansion de l'univers. Même les établissements qui avaient construit il y a quelques années des pavillons consacrés aux Urgences ou à la Femme et à l'Enfant se posent désormais des questions. Les équipes communes prennent leur autonomie, les listes de gardes s'individualisent, et plus généralement pour le personnel, le jeu des vases communicants inter-services se réduit de plus en plus.
Et puis nombre de médecins l'affirment, ces spécialités c'est certain, doivent désormais se concevoir davantage comme des filières « territoriales » spécifiques que comme des agrégats internes hétéroclites. Pour le SAMU c'est consubstantiel à sa nature. Pour les Urgences c'est devenu naturel de raisonner « en réseau » reliant les SAU (Services d'Accueil et d'Urgences) aux UPATOU (Unités de Proximité d'accueil, de Tri et d'Orientation des Urgences). Quant à la Réanimation, sa mission sectorielle est même inscrite dans le SROS (Schéma Régional d'Organisation Sanitaire) ! On pourrait décliner le raisonnement discipline par discipline et ça aurait même un nom : le Projet Médical de Territoire !
L'ennui, c'est que la Loi sur les pôles n'a tout bonnement pas prévu ce type de fonctionnement. Des pôles de territoires, cher Petit Prince ça n'existe pas !
Évidemment, vu le tourbillon concentrationnaire asphyxiant progressivement les petites structures, il est probable que dans quelques années l'emblématique réseau territorial se résume à un seul établissement. Dans ce cas tout redeviendrait envisageable, mais n'anticipons pas, c'est déjà assez compliqué comme ça !

Pour résumer la situation, un pôle ça n'est pas vraiment fait pour réunir de manière cohérente les services. De toute manière, s'il s'agissait de cela on l'aurait déjà fait puisque les outils gestionnaires adéquats existent depuis belle lurette : les fédérations ou mieux encore, les départements !
Un pôle, entend-on parfois, c'est une « entité de gestion ». Mais si on explique cela aussi crûment au Petit Prince, il chercherait aussitôt à savoir ce qu'est concrètement une entité de gestion et à quoi ça sert. Il faudrait alors lui expliquer que c'est quelque chose qui permet « de mettre en oeuvre la contractualisation interne » et « d'optimiser la tarification à l'activité ».
Il se croirait alors à coup sûr de retour sur la planète du businessman et voudrait sans doute obtenir des précisions sur la nature de ces fameux contrats et sur les millions de la T2A.

Allez donc éclairer sa lanterne ! Faudrait-il lui révéler que la contractualisation est inscrite dans le grand livre de la loi depuis 15 ans mais que personne ne l'a encore vue de près ? Qu'il s'agit maintenant de faire confiance aux pôles qui ne disent rien de plus précis sur le sujet ?
Quant à la T2A si on lui explique qu'elle sert à additionner les millions mais que plus il y en a, moins il ont de valeur, il trouverait le jeu un peu bizarre. Comme de compter les étoiles et de se figurer qu'on les possède après avoir inscrit leur nombre sur un papier soigneusement rangé sous clef...
Bref, on aurait du mal à le convaincre de l'efficacité des pôles en terme de gestion.

Alors il reste bien une hypothèse. Celle postulant que les pôles puissent servir à donner aux hôpitaux davantage de cohérence vu de l'extérieur. Que le méli-mélo des unités fonctionnelles, des services, des « centres de responsabilités » qu'on appelle « fichier de structure » se simplifie et procure aux béotiens une meilleure lisibilité.

Mais il ne faut pas rêver. Toutes les entités existantes subsistent et aucune méthode reproductible ne guide comme on l'a vu plus haut la conception des pôles. Encore plus que les moutons, il y a mille et une façons de dessiner ces machins. On pourrait par exemple concevoir - si l'on dispose évidemment d'un nombre suffisant de directeurs - un pôle par service, ce qui aurait l'avantage de superposer parfaitement les deux notions, donc de faire de substantielles économies en terme de restructurations. A l'inverse un seul pôle regroupant l'ensemble des unités est tout aussi plausible. En tant que DIM (Département d'Information Médicale) cette dernière option ferait bien mon affaire d'ailleurs. Je songe souvent à un monde dans lequel il ne serait plus nécessaire de débiter les RSS (Résumé Standardisé de Séjour) en tranches de RUM (Résumé d'Unité Médicale), de coder et d'analyser tout ça séparément, et de dépenser des kilos de salive pour tenter d'expliquer la différence subtile entre ces notions ou d'extrapoler de saugrenus et virtuels budgets de services. Pour le Bureau des Mouvements ça serait le bonheur aussi...

Entre ces extrêmes, gageons que les hôpitaux ne manqueront ni d'imagination ni de fantaisie pour inscrire leur schéma personnalisé. Ils resteront donc aussi complexes, aussi impénétrables, aussi incomparables qu'avant et les pôles seront sans doute de gros monstres de papier générant beaucoup de réunions, de conseils, de projets, d'objectifs, de chefs, de sous-chefs. Bref la routine quoi...

En somme le Petit Prince s'il nous rendait visite, repartirait un peu dubitatif, pensant que la réforme des pôles, « c'est amusant, c'est assez poétique, mais ce n'est pas très sérieux. »

Publié dans DH Magazine No109, Oct-Déc 2006

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