23 octobre 2007

Aux fanatiques de la Vertu


En ces temps de déraison, où le désir morbide de repentance côtoie la mauvaise foi et le sectarisme, où certaines commémorations pathétiques éclipsent la mémoire de tant d’injustices, et où la récupération politique du passé devient le sport favori de gnomes ivres de surenchères verbales, mais incapables d’exister par eux-mêmes ; en ces temps médiocres et arides, qu’il soit permis d’évoquer le souvenir d’un doux poète, qui mourut innocent sous la hache féroce de ceux qui prétendaient fonder la plus belle et la plus vertueuse des républiques.
Celui qui n’avait d’autre passion que l’amour de la Beauté, et qui voulait donner aux idées neuves de Bonheur et de Liberté, l’écrin de la perfection antique, périt d’avoir osé dire leurs vérités aux zélateurs bornés et fanatiques de la Révolution.Du fond de l’infâme cachot où il fut jeté sans raison, et dont il ne sortit que pour monter sur l’échafaud, il eut la force de chanter dans des ïambes sublimes le drame indicible qui à travers lui, dévastait un pays pourtant si orgueilleux d’avoir avec emphase déclaré au Monde, les « Droits de l’Homme et du Citoyen».

André Chénier, que les tyrans sans-culotte décrivirent comme un « prosateur stérile » et que Victor Hugo considéra lui, comme un génie « romantique parmi les classiques » mourut sacrifié au nom de trop belles idées, trop bien appliquées.
Ses vers désespérés rappellent aujourd’hui la nécessité d’être humble, surtout quand on se targue de manier les grands principes. Si d’aucuns refusent de lire la lettre de Guy Môquet, pourquoi ne retourneraient-ils pas à la source de cette poésie si poignante, qu’il faudrait ne jamais oublier ?
Vienne, vienne la mort! Que la mort me délivre!
Ainsi donc à mon cœur abattu
Cède aux poids de ses maux? Non, non. Puisse-je vivre!
Ma vie importe à la vertu.
Car l'honnête homme enfin, victime de l'outrage,
Dans les cachots, près du cercueil,
Relève plus altier son front et son langage,
Brillants d'un généreux orgueil.
S'il est écrit aux cieux que jamais une épée
N'étincellera dans mes mains;
Dans l'encre et l'amertume une autre arme trempée
Peut encor servir les humains.
Justice. Vérité, si ma main, si ma bouche,
Si mes pensers les plus secrets
Ne froncèrent jamais votre sourcil farouche,
Et si les infâmes progrès,
Si la risée atroce, ou, plus atroce injure,
L'encens de hideux scélérats
Ont pénétré vos cœurs d'une longue blessure;
Sauvez-moi. Conservez un bras
Qui lance votre foudre, un amant qui vous venge.
Mourir sans vider mon carquois
Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange
Ces bourreaux barbouilleurs de lois!
Ces vers cadavéreux de la France asservie,
Egorgée! O mon cher trésor,
O ma plume! Fiel, bile, horreur. Dieux de ma vie!
Par vous seul je respire encor…

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