31 décembre 2008

Pour finir en beauté...


Juste avant d'aborder la fin de l'année, au moment où souvent virevolte immaculée, la neige dans l'air hivernal, un clin d'oeil à un peintre qui sut comme nul autre transcender la réalité, en lui donnant les ailes de la liberté et l'éclat de la beauté.

A travers la danse, Edgar Degas (1834-1917) ouvre une brèche dans le mur froid et laid qui donne parfois l'impression de cerner l'existence.
Dans la représentation qu'il en donne, le maitre de ballets est gris comme la banalité du quotidien. Cloué au sol, il évoque la pesanteur d'une vie médiocre et routinière, coincée entre habitudes, chagrins et désillusions. Mais c'est par lui qu'émane toute la grâce, l'élégance et la légèreté qui animent ces tutus vaporeux, suspendus en poses éthérées, comme en apesanteur. C'est au rythme de son bâton, plus froid et sévère que le tic-tac d'une vieille horloge, que s'exprime l'indicible chant de l'être, une jouissance intense faite à la fois de chair et d'esprit.
Comme par un effet de la magie, si la danse sous sa férule obéit à des règles strictes, on ne les voit pas, on n'en ressent aucune contrainte en voyant le spectacle des ballerines. Il paraît libre et impalpable comme l'air !

Le peintre est un peu comme le vieux professeur de danse. Ses pinceaux capturent une partie de la magnificence invisible du monde, qui vient se poser délicatement sur la toile comme une transfiguration subtilement colorée, que chacun tout à coup peut commencer de comprendre.

Edgar Degas fut l'auteur d'un voeu magnifique, l'un des plus beaux qu'on puisse oser émettre si l'on espère donner un sens à sa vie : « Je voudrais être illustre et inconnu ». Fasse que ce voeu, plein d'orgueil et d'humilité, de désir et de retenue, donne au seuil d'une nouvelle année, une espérance à tous les gens de bonne volonté...

27 décembre 2008

L'argent brouille


Un petit film d'animation (52 min quand même...), fait le buzz depuis quelques semaines sur le web. Réalisé en 2006 par Paul Grignon, un graphiste et vidéaste canadien, il profite pleinement de la crise économique et de l'effet démultiplicateur de l'internet pour conquérir facilement une vaste audience. Très séduisant au premier abord, il donne en effet au spectateur, sur un ton qui se veut à la fois ludique et pédagogique, l'impression de comprendre comme par enchantement les ressorts réputés complexes de l'économie, les arcanes du fonctionnement des banques, et in fine la crise actuelle, en même temps qu'il désigne certains responsables à la vindicte populaire et propose des solutions innovantes.

Cette emballage aguichant cache toutefois un imbroglio de pièges, et d'illusions en tous genres qui le réduisent plutôt à une caricature partisane dangereuse.
Le propos, récité benoitement par une charmante voix féminine, ne relève ni de la pédagogie, ni de la vulgarisation :
- Il fourmille d'erreurs ou d'approximations historiques, à commencer par l'origine de l'argent , attribuée aux orfèvres vénitiens ! (lesquels orfèvres sont rapidement assimilés à des banquiers aux méthodes douteuses - flanqués de garde du corps patibulaires - qui s'enrichissent grâce à l'exploitation frauduleuse des richesses entreposées chez eux).
-il tire une bonne partie de son argumentation d'insinuations grotesques, relatives au secret dont « on » couvrirait sciemment la théorie monétaire : « elle n'est presque jamais mentionnée dans les écoles », « n'a jamais inspiré de film à grand succès» ce qui d'après l'auteur, « n'a rien d'étonnant ».
-il décrit la réalité en terme de schémas fallacieux, réduisant notamment l'argent aux seules dettes contractées par ceux qui empruntent aux banques, ce qui lui donne d'ailleurs son titre suggestif :
l'argent-dette.
-Tout ça pour finir comme par hasard, dans une sorte d'apothéose à la gloire d'une gestion étatique monopolistique des richesses, conduisant à créer l'argent en fonction des besoins, à permettre la souscription de prêts sans intérêt, à faire disparaître purement et simplement la notion même de dette et à projeter le monde dans un idéal de croissance économique plate. En bref, comme il est stipulé : « pour fonder une économie sur de l'argent permanent et libre d'intérêt, il suffirait que le gouvernement crée de l'argent et le dépense dans l'économie, de préférence dans des infrastructures durables : routes, chemins de fer, ponts, ports et marchés publics. Ce serait de l'argent valeur et non de l'argent dette. »

Pour être juste, une chose est à peu près exacte dans ce galimatias racoleur, à savoir l'observation attribuée au cerveau génial du « vieil orfèvre » : « Les déposants retirent rarement leur argent de la banque et ils ne le retirent jamais tous ensemble » (au passage, on confond tout de même déposants et épargnants...). C'est précisément ce principe fondamental qui permet de faire travailler les biens pour l'économie générale et de catalyser la fabrication de nouvelles richesses, tout en rémunérant les prêteurs qui y contribuent. Il faut rappeler qu'un principe analogue régit les assurances : les clients déclarent rarement un sinistre, et en règle jamais tous ensemble, ce qui permet de mutualiser les risques, au moyen d'une cotisation individuelle modique et la prise en charge intégrale ou quasi, des frais occasionnés en cas d'accident.

L'ennui, est qu'à partir de ce constat, Mr Grignon se livre hélas à toutes sortes de déductions hasardeuses, et surtout, qu'il en fasse la source de turpitudes occultes destinées à enrichir les seuls banquiers au détriment de l'ensemble de la société !
Il décrète par exemple, qu'en accordant un prêt, une banque crée ex-nihilo la somme requise par des dispositions qui s'apparentent à un tour de passe-passe.
Même si on peut parfois mettre en cause la rigueur des banquiers et la pertinence de leurs simulations, même si l'on peut effectivement douter que les sommes prêtées existent réellement en espèces trébuchantes dans les caisses, il ne faut pas négliger le fait qu'elles sont normalement gagées par les actifs de l'emprunteur. Et ne pas occulter le but même du prêt qui est d'anticiper l'acquisition d'un bien, contre remboursement de mensualités, conduisant de fait à l'extinction progressive de la dette, donc à la disparition de ce fameux argent-dette...
Dans un système communicant, il n'est d'ailleurs pas nécessaire que les fonds empruntés soient disponibles précisément dans l'organisme auquel s'adresse l'emprunteur, la dette pouvant être convertie en titres, répartis sur plusieurs organismes. En mutualisant ainsi les richesses inactives possédées par un grand nombre de gens, le système bancaire peut consentir des prêts à d'autres, qui en ont besoin.
Et les intérêts, présentés dans le documentaire comme un système pervers, servent à couvrir les frais de fonctionnement du système, ainsi que ceux découlant de l'inflation, tout en rémunérant le risque encouru et l'immobilisation des capitaux prêtés.

Contrairement au propos du film, sans endettement ni les entreprises, ni les particuliers, ni même les gouvernements ne pourraient mener de grands projets d'investissement. Le seul vrai souci est de ne pas s'endetter trop et de ne pas prendre un risque inconsidéré menaçant l'engagement de remboursement en cas de difficulté imprévue.
Car si le volume global de l'argent prêté n'est plus en corrélation avec la valeur des biens ou s'il est prêté à des emprunteurs incapables de rembourser leur dette, le système tôt ou tard est condamné à la faillite. Tout comme une assurance dont les cotisants deviendraient de moins en moins nombreux à mesure que les risques couverts seraient de plus en plus souvent réalisés...

En définitive l'argent est une vue de l'esprit. Il s'agit d'un symbole permettant de standardiser la valeur des richesses pour en faciliter les échanges. Les richesses quant à elles dérivent toutes peu ou prou du travail. Tant qu'il y a adéquation entre les deux, le système tourne normalement et le crédit qui anticipe les richesses à venir est bénéfique puisqu'il agit comme catalyseur.
D'une manière générale, il y a problème lorsque les richesses existantes ou potentielles sont surévaluées par rapport à l'argent qui les représente, que la production d'argent croit plus vite que les biens eux-mêmes, ou encore lorsque l'endettement est disproportionné par rapport aux ressources et ne repose plus sur des garanties réelles. Le système des subprime cumulait plusieurs de ces tares.
On qualifie en l'occurrence de crise, ce qui n'est qu'un réajustement face à des dérives, pas forcément causées par la seule malhonnêteté ou la duplicité des banquiers.

En dépit de son imperfection, le système économique sur lequel repose la société, n'est pas comme le sous-entend bruyamment Mr Grignon un complot ourdi par une quelconque pieuvre bancaire maléfique. Et le recours systématique à l'Etat, tel qu'il est préconisé dans le film, n'offre aucune garantie supplémentaire.
Mr Grignon s'interroge gravement : « Pourquoi les gouvernements choisissent-ils d'emprunter de l'argent aux banques privées avec intérêt, quand ils pourraient créer tout l'argent qu'il leur faut, sans intérêt ? » Et sa réponse fait frémir : « Sans la concurrence des dettes privées, les gouvernements auraient le contrôle des réserves de l'argent de la nation. »

Si un gouvernement, s'affranchissant des règles économiques de base, s'avisait de créer de l'argent en fonction de ses besoins, nul doute qu'il en abuserait tôt ou tard tant ils sont immenses. Cela conduirait inévitablement à une dévalorisation de l'argent donc à un appauvrissement de tous ceux qui en possèdent un tant soit peu... La situation actuelle du Zimbabwé relève ni plus ni moins de cette logique.
Quant aux prêts consentis par l'Etat, ils ne sont pas plus sûrs que les autres lorsqu'on sait qu'il est lui-même fort endetté et qu'il fait reposer en toute impunité et liberté sa garantie sur les ressources des contribuables déjà passablement essorés ! Son propre endettement, qui notamment en France ne cesse de grandir, devient très dangereux lorsqu'il est causé par des dépenses structurelles, pérennes, souvent d'ordre social, ne laissant guère espérer de retour sur investissement...

Au total cette analyse brillante mais lacunaire, à partir de quelques idées vraies mais plus ou moins détournées ou déformées, farcie de raccourcis trompeurs, de citations tronquées ou sorties de leur contexte, fait fausse route. Plus grave, elle inscrit ses pseudo-démonstrations dans le bon vieux cadre de la théorie du complot, qui fait toujours florès dans l'Opinion Publique. Sa conclusion, évoquant un prétendu « Pouvoir Invisible », est de ce point de vue édifiante : « On nous a trompés : ce qu'on appelle démocratie et liberté sont devenus en réalité une forme ingénieuse et invisible de dictature économique. »
Au bout du compte, le commentaire lénifiant, ne préconise rien d'autre que la production et la répartition égale des richesses par le Gouvernement tout puissant, et un système malthusien rétrograde abolissant, au motif qu'elle est « incompatible avec une économie durable », la notion de croissance, c'est à dire renonçant tout simplement à ce qui fait la richesse des nations.

L'histoire ne dit pas qui est vraiment Paul Grignon. Un fait certain est qu'il n'a rien d'un économiste. Plutôt un artiste aux préoccupations un tantinet écologistes.
Plus troublant, il est l’auteur, avec William Thomas (un "journaliste alternatif"), de
Chemtrails - Mystery Lines in the Sky, un film qui dénonce un complot climatique mondial. Pour Thomas et Grignon, certaines chemtrails (ces trainées laissées par les avions dans le ciel) sont des produits plus ou moins toxiques lâchés par les pouvoirs politiques pour des raisons secrètes.... CQFD

PS : Curieusement je m'étais interrogé cet été sur ces chemtrails, sans connaître à l'époque les hypothèses qui les sous tendent. Suis-je naïf ?

20 décembre 2008

Une mécanique corrompue


La crise qui perdure et qui étend progressivement son spectre hideux sur le monde entier, suscite un sentiment désagréable, mélange d'impatience, de colère et d'écœurement. Quand donc, et comment tout cela finira-t-il ?

Chaque jour apporte son lot de nouvelles moroses, et tout le système est parcouru de craquements sinistres. La quasi faillite des géants américains de l'automobile et les difficultés de nombreux autres constructeurs à leur suite font frémir. Comment diable ces firmes qui paraît-il travaillaient à flux tendus ont-elles pu se laisser aller à accumuler autant de stocks sans réagir ? Toutes ces entreprises bourrées de statisticiens, et de consultants chargés de décortiquer « en temps réel » et sous tous les angles les tendances du marché ont donc été victimes d'une incroyable myopie.

Dans un univers cerné par une armée de contrôleurs et par une nuée de plus en plus opaque de réglementations, les irrégularités qui éclatent soudain un peu partout, laissent pantois. Après les scandales des sub-prime et des titrisations de dettes, les tripatouillages hasardeux des traders façon Jérôme Kerviel, la gigantesque fraude « pyramidale » de Bernard Madoff, portant sur 50 milliards de dollars donne des sueurs froides. Comment donc de telles machinations ont-t-elles pu être ourdies en toute tranquillité, voire parfois encouragées par les Pouvoirs Publics ? Comment accepter l'idée que tous les organismes de contrôle, toutes le agences de notation , d'accréditation et d'évaluation, tous les spécialistes et experts aient pu se laisser berner de manière aussi vertigineuse ? A l'évidence, nous ne souffrons pas d'un manque de réglementations mais d'une pléthore, hélas inefficiente...

L'explication facile que s'empressent de donner de ces évènements dramatiques la noria revancharde de vieux archéo-marxistes et autres dévots nostalgiques de la bureaucratie étatique n'est à l'évidence qu'un trompeur pis-aller. Les catastrophes mortelles dans lesquelles se sont abimés leurs espoirs chimériques d'égalitarisme social en forme de holisme plus ou moins soviétoïde, pourrait les inciter à un minimum de modestie. Hélas, ces incurables agitent à nouveau le spectre du Grand Soir du Capitalisme !
En réalité, cette peste qu'on nomme crise, a des causes complexes et transcende largement les régimes politiques, touchant autant l'Amérique libérale que la Chine communiste, La Russie que le Japon, l'Islande que l'Afrique du Sud. Pour paraphraser la Fontaine, « ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient atteints.. »

Voilà des années que s'est installée insidieusement une sorte de maladie étrange, qui progressivement ronge la belle mécanique du Monde, tendant à la transformer en une sorte de spirale mécaniste aveugle et aléatoire. Cette monstruosité molle, bien intentionnée se répand comme une tache d'huile et imprègne tous les rouages de la société. Elle a commencé par dénaturer la substance du langage, changeant l'art de la sémantique en palilalie jargonnante. Pétri d'une syntaxe pédante et hermétique, cet embrouillamini quasi permanent interdit d'appeler les choses par leur nom et réduit l'expression comme une peau de chagrin, stérilisant par la même, l'esprit critique et le bon sens. Ses effets pervers tuent le débat et gangrènent les principes élémentaires d'une bonne gestion, amenant littéralement à prendre des vessies pour des lanternes, et confondant souvent la fin et les moyens.
Résultat on assiste à l'émergence de croyances irrationnelles, contredisant souvent des évidences criantes. Propulsées par les nouveaux ressorts de la communication, des opinions non fondées ou des rumeurs insanes se propagent à la vitesse de l'éclair contaminant des foules crédules qui se les approprient comme des faits acquis. Triste conséquence de la démocratie, le règne du consensus s'impose de manière imbécile, donnant trop systématiquement raison aux majorités et tort aux minorités. Le souci républicain d'égalité qui par retour de balancier contraint les pouvoirs Publics à des mesures de « discrimination positive » n'arrangent rien, bien au contraire. Surgissent un peu partout des seuils ou des quotas fondés sur des a priori bien intentionnés mais vains.

Plus grave, les dirigeants et décideurs semblent eux-mêmes avoir perdu la raison. Ils s'en remettent à de prétendus experts dont l'irresponsabilité n'a d'égale que l'arrogance pour les guider dans leur mission, et tâtonnent au gré du vent de l'actualité, prenant pour cap des principes dénués de vrais fondements. La dérive actuelle en matière de gestion, souvent sous l'influence de consultants irresponsables et de normes trop formalisées "de qualité", conduit les entreprises, privées comme publiques, à des évaluations fallacieuses ou approximatives des mérites de leur personnel, de la qualité réelle des prestations, et de la satisfaction de leur clientèle. La fameuse "écoute" n'entend rien et la dépersonnalisation devient la règle. Les êtres, dans cette logique déshumanisée, deviennent de simples ressources humaines, coincés entre le maketing et les produits...
Associées à l'appât du gain immédiat, et à la centralisation productiviste, ces tares d'essence technocratique expliquent probablement en grande partie la crise actuelle. Mais à l'image de la poule et de l'oeuf, il est impossible de déterminer qui des consommateurs ou des entreprises portent la lourde responsabilité de ce cercle infernal. Sont-ce les premiers qui ne voulant plus rien payer à sa juste valeur et s'entichant de médiocrité matérielle poussent à un productivisme effréné, ou bien les secondes qui aiguillonnées par une concurrence absurde et par l'obsession du profit, se livrent sans frein au racolage et à la démesure ?

Sous ces effets conjugués la société humaine s'essouffle, trébuche et perd à la fois ses repères et son sens. Les marchés saturés et exténués s'affaissent conduisant à la récession et son cortège de plaies sociales. La pensée unique pasteurisée insinue partout ses mornes credo, sa tolérance veule, et sa pseudo rationalité narcissique. Tout est interprété en terme de dividendes égoïstes, de gains potentiels, d'acquis corporatistes. Même la Charité devient un business racoleur dont l'avidité étouffe l'élan altruiste et masque le manque de pragmatisme.
Ce voile nébuleux de bonnes intentions et de vœux pieux se déchire parfois brutalement sous la griffe terrifiante du monstre terroriste. Son empreinte sanglante affole un court moment mais la chape de bien-pensance recouvre vite ces carnages odieux, minimisant leur portée. Pire, l'opinion publique est tellement pervertie qu'elle a tendance à confondre avec le mal, ceux qui tentent sans détour de s'y attaquer, les accusant parfois même de l'avoir provoqué !
La Liberté, défigurée par ses ennemis, qu'ils soient violents ou non, parfaitement clairvoyants ou amblyopes, initiés ou ignorants, perd peu à peu du terrain et se recroqueville en se desséchant comme une vieille enveloppe sans substance.

Une chose est certaine toutefois. Tous ces maux ne sont pas occasionnés par la Liberté bien sûr mais par le mauvais usage qu'on en fait... Fort heureusement la crise actuelle n'est pas la conséquence de guerres, de tyrannies, de massacres, d'épidémies, ou de famines comme celles qui décimaient périodiquement le monde autrefois.
Avec un peu de raison, nul doute qu'il devrait être possible de la surmonter à condition que chacun en soit convaincu, et use de sa citoyenneté de personne libre avec responsabilité. Il faut donner à la Liberté tout son sens et lui permettre notamment de se nourrir avant tout du principe d'humanité.

NB : Illustration de William Blake, pour l'Enfer de Dante

19 décembre 2008

Les chaussures comme le débat, volent bas


Épatant ce lancer de chaussures sur le président américain !

Tout d'abord il révèle d'excellents réflexes de la part de George Bush car les projectiles étaient parfaitement ajustés. Il donne également l'occasion de tester son sens de l'humour et de la répartie, intacts après huit années de critiques et d'insultes tous azimuts : « Je n'ai pas bien compris ce que ce gars disait, ce que je peux vous dire c'est que c'était du 43 ! » s'est-il exclamé sans perdre un instant son sang froid.

Enfin et surtout, il administre de manière spectaculaire la preuve que des progrès fabuleux ont été obtenus en Irak en matière de liberté d'expression;
On peut regretter qu'un certain nombre d'Irakiens, particulièrement de journalistes supposés enrichir le débat, ne trouvent rien de mieux à en faire que ce genre de pitreries. Il se peut que ce monsieur regrette le temps de Saddam où un tel geste si tant est qu'il ait eu l'occasion de le commettre, l'eut renvoyé
ad patres.

Globalement c'est tout de même assez navrant. Tout comme le sont les réactions des moutons de Panurge qui s'ensuivirent. La bêtise des hordes anti-Bush donne la mesure de celle qui caractérise nos sociétés occidentales décervelées. Plus le moindre esprit critique, toujours les mêmes poncifs ânonnés inlassablement, et surtout plus la moindre foi en la Liberté. Le lancer de chaussure devient le mode d'expression du débat, bravo ! On se croirait revenu au temps de Khrouchtchev.

En définitive, George Bush ne restera le plus mauvais président que pour les imbéciles confits dans la haine de l'Amérique. Pour l'Histoire, il sera quand même celui qui a permis à 2 peuples opprimés d'accéder au statut de nations libres. Charge à elles de donner un sens à ce résultat et à la Communauté Internationale de les aider à maintenir l'acquis. C'est bien le moindre hommage qu'on puisse rendre aux soldats qui l'ont payé avec leur chair...

Et pour finir sur un note légère, rien de mieux que de céder à nouveau la parole au président américain qui redonne à l'incident de justes proportions : "Ce type voulait passer à la télévision, il l'a fait. Je ne sais pas pourquoi il râle, mais quoi qu'il en soit, je suis sûr que quelqu'un l'entendra..."

14 décembre 2008

Ruineux principe de précaution


La France vient d'être condamnée par la Cour de Justice des Communautés Européennes à une amende de 10 millions d'euros pour avoir tardé à transposer chez elle les consignes de la directive 2001/18/CE, relative aux OGM.
Datant de Mars 2001, avec des délais d'application fixés à 2002, elle ne le fut en France, et encore incomplètement, qu'en 2007, par décret !
Craignant les réactions violentes du lobby anti-OGM en France, et les affres d'un débat au Parlement sur le sujet, Jacques Chirac avait en effet retardé sa transposition, l'assujettissant à un ambitieux programme de lois sur les biotechnologies, qui ne vit jamais le jour...
Résultat, notre pays fit l'objet de poursuites réitérées, aboutissant à une première condamnation sans frais en 2004. Eu égard à l'absence de réaction suite à la sentence, la Commission de Bruxelles demandait en 2006 des sanctions à hauteur de 38 millions d'euros vu le caractère récidivant des manquements.
Ce ne fut qu'au printemps 2008 que le projet de loi intégrant la transposition de cette directive arriva à l'Assemblée Nationale, dans la vague du fameux « Grenelle de l'Environnement ». Il fit l'objet d'un absurde retoquage, pour un mot mal placé, et à la faveur d'une session à laquelle une bonne partie les députés de la majorité avaient cru bon de ne pas assister...
Ce splendide ratage, bien à l'image des atermoiements et complications dont la France est coutumière, est d'autant plus stupide qu'il concerne un texte censé apporter plus de sécurité à la culture et au commerce des OGM. La Cour rappelle en effet que ladite directive est destinée à "protéger la santé humaine et l'environnement ainsi qu'à faciliter la libre circulation des marchandises".
Elle introduit notamment les obligations d'étiquetage des produits, et selon le jargon technique, de « traçabilité » de toutes les étapes de mise sur le marché. Elle limite à 10 ans la période de première autorisation de dissémination des produits et comporte d'autres mesures destinées à mieux informer le public et à faciliter les inspections et les contrôles après commercialisation...
Évidemment, après tant d'inconséquences, il ne reste plus que les yeux pour pleurer. N'y aurait-il pas eu mille occasions de dépenser mieux ces 10 millions d'euros en période de crise ?

06 décembre 2008

Hymne à la nuit


Lorsqu'on pénètre dans la nuit, on éprouve un étrange sentiment, mélange d'abandon, de solitude et de sérénité. L'apaisement qui vient après les turbulences du jour se mêle à une inquiétude diffuse. La nuit c'est un peu l'inconnu, et le sommeil qui monte irrésistiblement au creux de l'être lorsque le jour s'enfuit, provoque une sorte de détachement. Une petite mort en somme...

Les artistes et les poètes ont souvent été fascinés par ce mystère. l'un de ces derniers, l'a littéralement idéalisé et transfiguré : Novalis.
Derrière ce nom superbe se cachait le baron Friedrich Von Hardenberg (1772-1801), météore romantique qui n'atteignit pas la trentaine, mais qui laissa comme une trace singulière irradiant une sombre incandescence, les Hymnes à la Nuit.
Un petit volume en vers libres de quelques pages à peine, mais dans lequel est contenue l'indicible espérance qui l'accompagna jusqu'au seuil du tombeau.
La nuit de Novalis, n'a rien d'inquiétant, ni de ténébreux. Elle est douce, limpide, émerveillée. Dans son obscurité insondable elle réunit en un panthéisme apaisé et confiant, l'idée de Dieu et celle de la béatitude infinie.
Par un paradoxe étonnant, il ouvre son chant avec une célébration de la clarté qui pourrait faire songer au rêve prométhéen de son frère en poésie que fut Shelley : « Quel être doué d'intelligence n'aime avant tout la lumière, merveille des merveilles de l'espace qui l'entoure ? Source rayonnante de joie, onde irisée, omniprésente et douce à l'éveil du jour ! »
Mais c'est pour mieux établir le contraste avec l'obscurité qui l'attire, dans laquelle il plonge avec délectation : « Je me tourne vers l'ineffable, vers la sainte et mystérieuse Nuit », et à l'emprise exquise de laquelle il associe la douce ivresse de l'hypnose opiacée : « Un baume suave s'égoutte de la gerbe de pavots que tu tiens dans la main. »
Et cette Nuit n'est en rien l'abolition de la conscience mais au contraire le moyen d'accéder à une extase extra-lucide : « Les yeux infinis que la Nuit ouvre en nous paraissent plus célestes que ces étoiles scintillantes et leur regard porte plus loin... » Elle ne connaît d'ailleurs pas de limites ni spatiales ni temporelles contrairement à la Lumière : « La durée fut impartie à la Lumière, mais le royaume de la Nuit existe hors du temps et de l'espace. »
Et la clé de ce royaume indicible c'est le sommeil qui la fournit. C'est une source de pur bonheur teinté d'une connotation érotique assez audacieuse : « C'est toi [sommeil] qui enveloppes le sein délicat de la jeune fille et fais de son flanc un paradis, c'est toi ô sommeil qui surgis du fond des légendes et détiens la clé ouvrant aux demeures des bienheureux, messager silencieux de mystères sans fin. »

En définitive, Novalis attend la fin du jour comme une libération :
« Je vis chaque jour
De foi et de courage
Et je meurs chaque nuit
Du feu de l'extase. »
Tous les proches du poètes témoignèrent de sa tranquille assurance face à la mort. De fait, rongé par la tuberculose, il s'éteignit sans heurt, sans révolte, sans douleur, avec au coeur un sentiment confiant face à l'éternité dans laquelle basculait son être à peine sorti de l'enfance. Lui qui se lamentait : « Faut-il toujours que le matin revienne ? », trouvait enfin un sublime exutoire à sa peine...

On beaucoup glosé sur l'idéalisme de Novalis qu'on a tenté de rapprocher des théories philosophiques de Fichte ou de Hegel. En réalité, il était une sorte d'existentialiste épris d'un absolu de beauté. Au plan pictural, c'est dans les toiles de Caspar David Friedreich (1774-1840) qu'on serait tenté de voir la concrétisation de sa démarche spirituelle
Toutefois, sa pensée rapide comme l'éclair et profonde comme la nuit, s'intéressait autant aux entités mystiques qu'à la connaissance objective, notamment scientifique. Il fut dans l'esprit, assez proche de Schelling (1775-1854) dont l'objectif fut de concilier idéalisme et réalisme.
Par certains aspects, sa vision est étonnamment moderne. Il y fort à parier qu'il se passionnerait pour les interrogations fascinantes que suscite la mécanique quantique. Et sa conception de l'infini nocturne rejoint par exemple étrangement certaines hypothèses scientifiques récentes faisant de la matière noire l'essentiel de la substance de l'Univers.
En somme, il incarne bien cette citation étincelante de Schelling : « A travers l'homme la Nature ouvre les yeux et s'aperçoit qu'elle existe... »