01 décembre 2009

L'introuvable réforme de la santé


En France, on s'extasie volontiers et par avance, sur les vertus supposées du projet de réforme du système de santé proposé par le président Obama. Pensez-donc ! Il va enfin offrir une couverture maladie à 46 millions d'Américains qui en sont à ce jour scandaleusement dépourvus.
Et il est de bon ton de fustiger au passage l'abominable système ultra-libéral en vigueur là bas, qui empêche paraît-il les pauvres gens de se soigner, et de condamner vigoureusement le lobbying forcené et forcément très « réactionnaire » qui s'oppose au noble dessein présidentiel.
UN DEBAT SOUVENT TRONQUE
Il n'est pourtant pas besoin de parcourir très longtemps la presse américaine, pour se rendre compte qu'en réalité le débat est beaucoup plus complexe qu'on ne le présente habituellement, et surtout moins imprégné des clichés idéologiques dans lesquels certains tentent plus ou moins consciemment de l'enfermer.
Je ne me souviens plus comment j'ai échoué dans mes pérégrinations à travers le Web, sur un article du Pr Jeffrey Flier, doyen médical de la prestigieuse Harvard School. J'ignore en tout cas totalement de quel côté politique il penche, et le Journal of Clinical Investigation dans lequel il s'exprime, n'est pas connu pour le caractère partisan de ses prises de position. Mais le fait est qu'il donne en la circonstance, un point de vue plutôt décapant sur la question.
A partir de ce fil conducteur, j'ai découvert et pas par les traditionnels canaux néo-conservateurs si honnis, que nombre de voix s'élevaient pour dénoncer sans tabou, et avec force argumentation, les tares du système de santé actuel en proposant des solutions assez éloignées du projet « obamanien »,.
Je serai sans doute accusé de prendre un parti sectaire puisque mon propos, à la lumière de ces derniers, s'inscrit dans la réticence vis à vis de cette initiative louée presque unanimement dans l'Hexagone, et pour laquelle le Sénat US après beaucoup de tergiversations, vient d'ouvrir le débat. Tant pis.
UN CONSTAT CONSENSUEL
S'agissant des défis auxquels sont confrontés les pays développés, tout le monde est pourtant à peu près d'accord. Il faut dire qu'ils relèvent de l'évidence et n'épargnent aucune nation. Ils se concentrent schématiquement autour de trois constats : l'inflation vertigineuses des dépenses de santé, les difficultés croissantes pour pérenniser des systèmes d'assurances abordables pour tous, et les disparités de plus en plus flagrantes entre le coût et la qualité des soins.
Aux USA, les dépenses de santé, qui représentaient 5% du PIB en 1960, ont atteint 16% en 2007 selon l'OCDE, et les projections les fixent à 37% pour 2040. La part des fonds publics dans ces dépenses ne cesse de croitre. Les deux grands programmes Medicaid et Medicare, pour les personnes les plus démunies d'une part et âgées de l'autre, auxquels le gouvernement fédéral consacrait 1% de son budget en 1966, en absorbent désormais plus de 20.
La France est dans la même logique. Avec 11% du PIB, elle s'inscrit désormais dans les statistiques de l'OCDE, en deuxième position des nations les plus dépensières au monde.
DERIVES ASSURANTIELLES
Parallèlement, les systèmes d'assurance maladie sont de plus en plus dépassés par l'inflation de la demande de soins. Comme chacun sait, aux Etats-Unis, une frange croissante de la population vit plus ou moins durablement sans vraie couverture. Il faut toutefois préciser qu'elle n'est pas obligatoire et qu'un bon tiers des personnes concernées, souvent jeunes et en bonne santé, auraient les moyens de s'offrir cette protection mais font le choix d'y surseoir.
En France, le régime de l'Assurance Maladie obligatoire, couvre la majeure partie des frais de santé, mais son périmètre a tendance à se restreindre, en laissant un pan grandissant aux Assurances Privées, auxquelles il n'est pas non plus obligatoire d'adhérer. Pourtant, en dépit de la hausse régulière des cotisations et du désengagement ou du déremboursement d'un nombre croissant de prestations et de médicaments, la Sécurité Sociale patine de plus en plus dans les déficits.
Pour tenter d'endiguer ces dérives, l'Etat un peu partout, croit bon de s'immiscer toujours davantage, dans l'organisation et la prise en charge des soins. La composante publique dans les dépenses de santé représentait déjà 60,5% en moyenne pour les pays de l'OCDE en 1960. En 2007, elle s'établissait à près de 72% (passant de 23,2 à 45,4% pour les USA, de 62,4 à 79% pour la France). En France, avec la dernière réforme dite HPST, c'est un réseau quasi soviétique, que l'Etat met sur pied pour quadriller sous sa tutelle, le secteur de la santé. Les réglementations pleuvent et la bureaucratie est devenue pléthorique. Même si cette tendance est moindre aux Etats-Unis, la régulation gouvernementale n'a jamais cessé de s'accentuer depuis le New Deal de Roosevelt. Un récent article paru dans le magazine The Atlantic Monthly révélait que l'administration de la santé employait à ce jour une personne pour deux médecins !
DES RISQUES NON REEVALUES
Parmi les principales causes identifiées par les quelques observateurs dont j'ai lu les analyses, figure avant tout le caractère pervers de l'organisation du système d'assurance maladie.
Tout d'abord, on assiste à un dévoiement pur et simple du principe même, de l'assurance. Celle-ci pour bien fonctionner, doit couvrir un risque dont la probabilité de réalisation pour l'individu est faible mais dont le coût de réparation est très élevé. La mutualisation raisonnée de ce risque permet à l'assureur de ne demander à tous ses clients que des cotisations modestes, pour couvrir les frais énormes, destinés à indemniser les quelques victimes de sinistres.
Hélas, en matière de santé, la définition du risque a considérablement évolué au fil des ans. L'extension par l'OMS du domaine caractérisant la « bonne santé », à celui du « bien être total et permanent », et le consumérisme galopant, conduisent à recourir de plus en plus facilement aux services des prestataires de santé.
Chacun estimant de son bon droit de se faire rembourser les frais liés à des soins, en règle courants, et qu'il aurait le plus souvent les moyens de payer, le système confine à l'absurde. Les assurances n'ont pas d'autre choix que d'augmenter drastiquement les cotisations ou bien de devenir déficitaires. Imaginez, écrit David Goldhill, que nous demandions à notre assurance auto de prendre en charge l'entretien courant du véhicule et le carburant qu'on met dedans !
TROP D'INTERMEDIAIRES
Le principe, habituel aux USA comme en France, qui consiste à interposer l'employeur entre l'assureur et l'assuré aggrave encore cet effet. Puisque le salarié ne paie, quoi qu'il arrive, qu'une faible partie de la cotisation, il ignore bien souvent le prix réel de la protection dont il bénéficie (au point parfois de croire qu'elle est gratuite...). Par voie de conséquence, il ne mesure pas vraiment l'ampleur des dépenses qu'elle couvre. Au surplus, il n'a en réalité pas le libre choix de son assureur, ce qui nuit à l'émulation et à la maitrise des coûts. On sait qu'entre les entreprises et les compagnies d'assurances la concurrence est assez limitée, particulièrement en France où la Sécurité Sociale jouit d'un quasi monopole.
Dernier avatar de ce système, il est susceptible de laisser des vides dangereux lorsque un salarié est amené à changer d'emploi, et se volatilise en cas de chômage.
Le fait de disposer d'une assurance couvrant la presque totalité des frais de santé, entraine une conséquence souvent fâcheuse. Puisque les débours occasionnés par les soins sont pris en charge par l'assurance, le client face aux prestataires de soins, n'est pas le patient lui-même, mais son assureur. La négociation du prix des soins est donc quasi inexistante ou bien très indirecte. Jamais un médecin ne s'entend dire par son malade : « Docteur soignez-moi bien, mais au meilleur compte ».
Les Assurances ont la tentation naturelle de réagir à cet état de fait en instituant un contrôle a priori des prix des prestations, qui se révèle à l'usage très contraignant et assez inefficace. Par exemple, en diminuant le remboursement de certains médicaments, elles poussent en effet mécaniquement les médecins, sous la pression conjointe des patients, et souvent des publicités de l'industrie pharmaceutique, non pas à diminuer les prescriptions mais à proposer les mieux remboursées donc les plus onéreuses... La promotion de génériques, s'avère quant à elle souvent un frein à l'innovation et à la concurrence.
D'une manière générale, on constate sans surprise aux Etats-unis, que pour des soins courants, les patients non assurés ou assurés à titre individuel (souvent avec une franchise), dépensent significativement moins que les autres. En France on observe que les patients sans mutuelle complémentaire dépensent moins que ceux qui en disposent et qu'à l'inverse, les patients pris en charge à 100%, notamment les bénéficiaires de la CMU, dépensent plus que les autres. Ces observations peuvent faire sourire car elles suggèrent qu'il est plus économique de ne pas être soigné, tant on a tendance à confondre absence d'assurance avec absence de soins. Elles objectivent pourtant l'intérêt qu'il y aurait de responsabiliser aussi bien les patients que les prestataires de soins, dans la démarche de maitrise des coûts de santé.
UNE REFORME EN SURFACE
Le projet de loi de Barack Obama, qui étend le champ de la couverture maladie sans en réformer en profondeur l'organisation, pour bien intentionné qu'il soit, ne peut pour nombre d'observateurs, qu'aggraver les maux dont le système souffre aujourd'hui.
Premier d'entre eux, la bureaucratie est condamnée à enfler encore. Rien que le texte préparatoire fait à ce jour 2074 pages !
Son application va mécaniquement augmenter les dépenses pesant sur l'Etat Fédéral, puisque le nouveau plan sera en très grande partie à sa charge. Mille milliards de dollars constituent le surcoût annoncé par les promoteurs de la loi eux-mêmes. Nul doute qu'il sera supérieur si l'on se souvient des prévisions largement dépassées des programmes Medicare et Medicaid. Selon David Goldhill, étendre la couverture tout en contraignant les remboursements, équivaut à gonfler un ballon tout en le comprimant tant bien que mal : il grossit quand même mais avec une forme de plus plus biscornue...
Parallèlement, même si tout le monde ou presque sera assuré, rien ne permet d'affirmer objectivement que la qualité des soins sera meilleure. L'absence de corrélation entre les dépenses de santé et la plupart des indicateurs de « bonne santé » est assez bien établie.
Plus inquiétant encore, ce projet a déjà été expérimenté sous une forme très proche, dans le Massachusetts en 2006. A cette époque, environ un demi million de personnes étaient sans assurance maladie. La nouvelle loi a entériné le principe de l'obligation, sous peine d'amende, et institué des subventions pour permettre aux personnes les plus démunies, de souscrire un contrat, le plus souvent privé.
Or selon un article du Boston Globe, ce plan est un échec. Trois ans après son application, il reste encore plus de 200.000 personnes non assurées. Les dépenses de l'état affectées à la santé ont fait un bond, passant de 1,4 milliards de dollars en 2006 à plus de 2 milliards prévus en 2009. En moyenne le coût moyen des cotisations pour une famille à augmenté de 12% entre 2006 et 2008. Un certain nombre de personnes, pas assez pauvres pour bénéficier de subventions, peinent à s'affranchir du coût élevé des contrats proposés. Il en est de même pour les petites entreprises qui doivent supporter cette charge nouvelle.
Au total, si l'inflation des dépenses de santé s'avère un défi commun à toutes les nations développées, les solutions achoppent peu ou prou sur les mêmes obstacles. Peut-être en partie, pour reprendre l'argumentation du Pr Flier, parce qu'elles s'attaquent prioritairement aux symptômes plutôt qu'à la cause du problème.
Le paradigme de l'assurance « de papa » a vécu, dans le domaine de la santé. La préoccupation n'est donc pas tant d'élargir la couverture que de la responsabiliser et de l'adapter au nouveau contexte. De ce simple changement de cap, devrait s'ensuivre une réduction raisonnée de la demande de prise en charge financière, et une limitation des soins, basée sur une vraie réflexion coût-efficacité. Aujourd'hui on peut certes encore mourir faute de soins, mais aussi sans nul doute d'excès.
Exiger comme on l'entend souvent que la santé soit gratuite, est plus que jamais irresponsable, et fait courir le danger de terribles désillusions. Les acquis sociaux soi-disant garantis par l'Etat semblent solides mais ils cachent de grandes failles et s'ils venaient à péricliter, la chute serait plus cruelle que tout. Il ne resterait plus de toute manière qu'une solution, qu'on veut pourtant éviter à tout prix : la maitrise comptable pure et dure...
REFERENCES
Health care reform: without a correct diagnosis, there is no cure. Jeffrey S. Flier. Journal Of Clinical Investigation. Vol 119, no10, 1/10/09
Health Reform Gets a Failing Grade . Jeffrey Flier Wall Street Journal 17/11/2009
How american health care killed my father. David Goldhill. The Atlantic. September 2009
Obama's unhealthy reform. Robert J. Samuelson. Newsweek. 15/06/2009
Insurance required Laurie Rubiner The Atlantic Janvier 2004
OCDE Eco-Santé 2009, Données fréquemment demandées
Massachusetts health care reform is failing us. Suzanne L. King. Boston Globe 02/03/2009
Massachusetts plan vs Obama plan New York Times. 29/03/09
Commonwealth Care Program guide Guide du nouveau programme santé du Massachusets
Massachusetts Health Care Reform — Near-Universal Coverage at What Cost? Joel S. Weissman, Judy Ann Bigby. New England Journal of medicine 21/10/09

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