22 février 2010

Simple traversée des apparences


Entendu mercredi matin 17/02, sur France Inter, lors de l'émission animée par Nicolas Demorand : Laurent Fabius s'inquiéte que M. Axel Weber, président de la Deutsche Bundesbank, puisse remplacer prochainement M. Trichet à la tête de la BCE. Non pas parce qu'il est allemand s'empresse-t-il de préciser, mais parce qu'il s'agit d'un «Orthodoxe absolu» et qu'avec lui ce serait l'horreur, à savoir : « rigueur, rigueur, les traités, la BCE en première ligne... et le gouvernement économique je ne veux pas en entendre parler. »
M. Fabius souhaite à l'évidence plus de souplesse, plus de liberté pour les Etats et il termine son réquisitoire en clamant haut et fort que « La banque centrale doit être responsable devant les autorités politiques »
A ses yeux, quelqu'un qui souhaite appliquer les règles avalisées et votées par les membres de la Communauté Européenne est donc par nature, néfaste. Très étrange tout de même, surtout dans la bouche d'un ancien ministre de l'économie et premier ministre, qui avec tant d'autres déplore le manque de sérieux des marchés et réclame régulièrement à grands cris « plus de régulations, plus de réglementations et de contrôles » !
Quelques instants plus tard M. Fabius, très en verve s'avance encore plus loin dans l'absurdité en soutenant que « personne de sensé aujourd'hui ne pourrait soutenir qu'il faille une économie qui réponde à la concurrence libre et non faussée. »
Ah bon ? Faut-il comprendre qu'il appelle donc de ses vœux, une concurrence biaisée, et asphyxiée dans les contraintes ! Décidément les Socialistes étonneront toujours, par leur inconséquence et par le refus de voir la réalité en face, ou plutôt par leur désinvolture pour s'en accommoder en l'occultant quand elle les dérange...
Peu avant, dans sa revue de presse très subjective, le chroniqueur Bruno Duvic faisait état de la montée de la violence dans les collèges et les lycées, et s'alarmait du jeune âge des délinquants et de la brutalité des actes, dépassant semble-t-il largement le stade des « incivilités ».
Citant par exemple une enquête de l'Express titrée : "Violence : l'école désarmée", il citait pêle-mêle : « le quotidien, qui mine la vie des profs : les crachats, les pneus crevés, les bousculades, les doigts d'honneur, la peur de tourner le dos à la classe... »
Reprenant les propos du magazine, il évoquait ensuite "La violence qui change". "Elle est plus collective : des groupes s'attaquent à un individu. Du coup, les dégâts sont plus importants car à plusieurs on ose davantage. Autre particularité : on s'en prend de plus en plus aux institutions (l'école et ses représentants). Colère de personnes qui ne se sentent pas 'intégrées au système' (entre guillemets").

Puis, tout à coup, il changeait de cap « sans transition », se mettant avec force références sarcastiques, à évoquer le nombre croissant de gardes à vue, ébauchant une critique guère voilée de la « politique du chiffre ». Dans le même temps, comme pour enfoncer le clou, il insistait sur le jeune âge des personnes concernées : «
Ce qui est en débat notamment, c'est le placement en garde à vue d'adolescents de plus en plus jeunes. » Pour alléger le climat, il citait alors le dessin de Pancho, à la Une du Canard Enchaîné cette semaine : Une maman promène son bébé dans une poussette. Elle croise une autre dame, qui se penche sur la poussette : "Oh qu'il est mignon ! Est-ce qu'il a déjà fait de la garde à vue ?"
Mais à aucun moment il ne fit le rapprochement pourtant logique, entre une délinquance juvénile en hausse permanente, au point de faire quasi quotidiennement les titres des quotidiens, et l'augmentation des interpellations policières « d'adultes de plus en plus jeunes et d'adolescents ».
Les gardes à vue ne constituent sûrement pas la solution au problème de la délinquance puisqu'elles n'en sont qu'une des conséquences, mais peut-être faudrait-il enfin se donner les moyens de restaurer l'autorité dans les écoles, dans les familles et d'une manière générale dans la société... Ni le laxisme lénifiant des théories de la prévention, ni la manie très actuelle de créer à tout bout de champ des régulations et des lois ne sauraient suffire à endiguer ce fléau croissant. Pour éviter une répression brutale qui serait le terme inévitable de la spirale, peut-être faudrait-il envisager de restaurer avec pragmatisme, le sens des responsabilités...

19 février 2010

De la génération spontanée de l'argent (2)


Un des risques engendrés par la démonétisation de l'argent, c'est à dire par son découplage d'avec les métaux précieux, c'est de lui faire perdre, par négligence ou excès de spéculation, toute valeur.
Tant que l'argent était échangeable contre de l'or (et à plus forte raison s'il était constitué de pièces d'or), il ne pouvait comme l'a démontré Jean-Baptiste Say, tomber en dessous de la valeur intrinsèque du métal. Même en cas de crise de confiance, il restait possible d'échanger ce dernier contre des biens de consommation.
En revanche, le papier dont sont faits les billets de banque n'a aucune valeur en soi, et la monnaie totalement dématérialisée, dite « scripturale » pas davantage. Leur valeur est fondée sur la confiance qu'on a de pouvoir les échanger contre des biens. Si cette confiance vient à s'altérer, la valeur peut donc s'amoindrir jusqu'à devenir nulle.
Un retour vers le passé montre que ce genre de mésaventure n'est pas qu'un risque théorique, et l'histoire fabuleuse de John Law de Lauriston (1671-1729) est de ce point de vue édifiante.
Cet aventurier d'origine écossaise, homme d'affaires audacieux, communicant génial et spéculateur inspiré, débarqua en France au début du XVIIIè siècle, alors qu'il fuyait son pays où il avait été condamné à mort pour avoir tué un rival amoureux en duel.
A la fin du règne de Louis XIV, l'économie était quasi exsangue, cumulant les tares en tous genres :
délabrement des finances publiques et du change, rendement des impôts réduit de près du tiers, taux d’intérêt élevé, pénurie de monnaie, arrêt des activités, misère... La dette publique s’élevait fin 1715 à 2 milliards de livres. La seule charge annuelle de remboursement de la dette atteignait 165 millions de livres alors que les recettes fiscales ordinaires ne dépassaient pas 69 millions de livres !
C'est dans ce contexte climatérique, qu'il parvint à s'introduire dans l'entourage du Régent Philippe d'Orléans et à gagner sa confiance, avant de lui proposer une idée de réforme monétaire qui lui tenait à cœur depuis plusieurs années.
Le plan se déroula en deux étapes.
Law obtint dès 1716, dans le but de relancer le commerce, l'autorisation de créer une banque privée dont l'originalité était à partir d'un capital au départ assez modeste, de fabriquer des actions et du papier monnaie. Les billets de la banque étaient gagés par de l'or qu'elle s'engageait à restituer rubis sur l'ongle à tout moment aux déposants, ainsi qu'il était stipulé noir sur blanc :
« La banque promet de payer au porteur à vue livres, en monnaie DE MÊME POIDS ET AU MÊME TITRE que la monnaie de ce jour, valeur reçue, à Paris, etc.»
Le succès de l'entreprise fut immédiat, la confiance s'établit facilement, d'autant plus que les billets étaient acceptés pour l'acquittement des impôts, et les échanges commerciaux s'enflammèrent promptement. Soutenue par la spéculation sur les ressources d'Amérique que promettait de mettre en valeur la Compagnie du Mississippi rachetée par Law, la reprise économique fut bientôt réelle, et l'Etat put commencer à remplir à nouveau ses caisses.
Law fut bientôt nommé Contrôleur puis Surintendant Général des Finances, et tout se passait merveilleusement bien jusqu'au moment où le Régent ordonna la création d'une Banque d'Etat en 1719. Parallèlement plusieurs compagnies faisant commerce avec les colonies et l'étranger (Sénégal, Chine, Indes orientales) fusionnèrent pour devenir la fameuse Compagnie des Indes. La souveraineté que cette dernière avait acquise sur le port de Lorient en fit une place économique de premier plan.
Mais la nouvelle banque avait toutefois introduit un changement assez fondamental, quoique d'apparence anodin, dans sa manière de procéder. Les billets n'étaient plus échangeables contre de l'or dont le titre était garanti mais contre une autre espèce, de valeur beaucoup plus aléatoire. C'étaient encore des livres mais on ne savait pas de quoi elles seraient faites. Les billets « de confiance » portaient de fait la mention :
« La banque promet de payer au porteur à vue... livres, EN ESPÈCES D'ARGENT, valeur reçue, à Paris, etc. »
Law s'opposa semble-t-il énergiquement mais en vain, à ce changement. Il avait probablement pressenti ce qui allait arriver. Plus aucune limite ne s'opposait en effet à la fabrication de monnaie. La banque avait le monopole de l’émission des billets, et finançait l’État. Jusqu’à fin octobre 1720, Law émit près de 2,8 milliards de livres de billets, surtout des grosses coupures supérieures à 1000 livres.
A partir de 1719, les prix se mirent à flamber jusqu'à doubler et même à tripler. Law, fit dans un premier temps l’éloge de l’inflation. Mais preuve qu'il n'était pas dupe, il essaya de limiter la masse monétaire, et parvint à retirer de la circulation environ 1,5 milliards de livres.
Le cours des évènements était devenu hélas irréversible. Le doute se répandit rapidement, puis la confiance s'altéra. Ceux qui avaient le plus spéculé furent aussi les premiers à vouloir retirer leurs billes du jeu, provoquant une panique en chaine. Le 17 juillet 1720, ce fut le jour de la banqueroute définitive : après une semaine d’émeutes, et des morts, la banque avait renoncé à payer ses billets à ses guichets.
Au total, cette réforme monétaire fondée sur une monnaie d'utilisation aisée, eut le mérite initial, de relancer l'économie. Tant qu'elle resta inscrite dans des règles du bon sens et de la pondération, tout se passa bien. Malheureusement l'ivresse de l'argent facile qui avait gagné les mentalités jusqu'au sommet de l'État, le goût du lucre et de la spéculation, la firent déraper et franchir les garde-fous.
En définitive elle fut comme un feu de paille, spectaculaire mais très éphémère, faute d'avoir été assuré dans la durée par des bûches plus consistantes. Elle fut une amorce ou un catalyseur mais pas plus...
Si elle permit malgré tout d'éponger une partie de la dette d'État, ce fut en la transférant sur des intérêts privés et en ruinant de nombreux épargnants.
Et elle fit perdre durablement la confiance dans le papier-monnaie et dans l'État.
L'expérience pourtant ne servit pas de vaccination. La même erreur se renouvela au moment de la Révolution avec l'épisode désastreux des assignats. Il est donc décidément impossible de créer de l'argent à partir de rien...
Une fois encore, la morale de l'histoire peut être fournie par Jean-Baptiste Say : « Le vice de la monnaie de papier n'est pas dans la matière dont elle est faite ; car la monnaie ne nous servant pas en vertu de ses qualités physiques, mais en vertu d'une qualité morale qui est sa valeur, elle peut être indifféremment composée de toute espèce de matière, pourvu qu'on réussisse à lui donner de la valeur. Si cette valeur s'altère promptement, c'est à cause de l'abus qu'il est facile de faire d'une marchandise qui ne coûte presque point de frais de production, et qu'on peut en conséquence multiplier au point de l'avilir complètement. »

17 février 2010

De la génération spontanée de l'argent (1)


A l'occasion de la crise économique actuelle, on prend conscience tout à coup de la profondeur de l'endettement des Etats.
Étrangement, rares sont ceux qui leur en font le reproche. Nombre de gens y voient au contraire l'effet pervers du « capitalisme » et de « l'absence de régulations ». Ils préfèrent accuser en bloc « le Monde de la Finance » d'avoir causé cet état de fait.
Des économistes très en vue, tel Jean-Paul Fitoussi minimisent le phénomène en le qualifiant de normal en période de crise : il s'agirait d'un « stabilisateur automatique »...
Il n'hésite pas à affirmer par exemple , «
qu'en soi le problème grec n'est pas très grave".
D'autres, plus téméraires, nient carrément la dette et voudraient que l'Etat ignore tout simplement ses créanciers, et surtout les banques, réputées par nature malfaisantes. In fine, ils réclament même le droit pour le Gouvernement d'être son propre banquier et de pouvoir «
créer l'argent », en fonction de ses besoins.
Lumineuse idée ! Du coup, évidemment plus besoin d'emprunter et donc plus de dette ! On se demande comment on n'y avait pas pensé plus tôt.
Ce qui est sidérant avec nombre de ces théories, échafaudées en dépit du bon sens le plus élémentaire, et comme pour transformer les désirs en réalité, c'est la facilité avec laquelle elles se propagent, et l'enthousiasme avec lequel elles sont souvent accueillies. Probablement parce qu'on voudrait tous croire qu'il existe quelque part une corne d'abondance sur laquelle il suffirait de tirer pour résoudre tous les problèmes. De là à affirmer qu'on puisse effacer les dettes, fussent-elles d'Etat, comme par enchantement, il y a un abime...
Aujourd'hui, sur la théorie de l'argent, on peut dire tout et son contraire. Et les faits parfois semblent donner raison à cette déraison. Par quelle magie par exemple, l'Etat, endetté jusqu'au cou est-il parvenu à prêter de l'argent, précisément... aux banques, qui détiennent une partie de sa créance ? Mystère...
A tous ceux qui s'y perdent, on ne saurait trop conseiller le retour aux grands classiques. Par un paradoxe troublant, la France a engendré quelques uns des plus brillants économistes. Et tandis que le monde nous les envie, nous méconnaissons et méprisons opiniâtrement leur enseignement.
Il en est ainsi de
Jean-Baptiste Say (1767-1832).
On trouve dans son Traité d'Economie, quantité de règles simples, toujours valables, même en système mondialisé. Il y expose notamment « la manière dont se forment se distribuent et se consomment les richesses », et c'est aussi évident que les démonstrations d'Archimède ou de Newton.
En premier lieu, il pose que l'argent n'a pas de valeur en soi, et n'est qu'un instrument destiné à faciliter les échanges : "la quantité de monnaie dont un pays a besoin est déterminée par la somme des échanges que les richesses de ce pays et l'activité de son industrie entraînent nécessairement."
En d'autres termes, si personne n'a de richesses à échanger ou si personne ne ressent le besoin d'en faire l'échange contre d'autres, l'argent est inutile.

"Ce n'est donc pas la somme des monnaies qui détermine le nombre et l'importance
des échanges ; c'est le nombre et l'importance des échanges qui déterminent la somme de monnaie dont on a besoin.
De cette nature des choses il résulte que
la valeur de la monnaie décline d'autant plus qu'on en verse davantage dans la circulation..."
S'il est toutefois naturel que l'Etat contrôle la production de l'argent et qu'il en garantisse par son sceau l'authenticité, il est en revanche, incapable de lui conférer la moindre valeur. Le tenterait-il qu'il ne ferait que détruire les fondements même du système : "Les droits de fabrication, les droits de seigneuriage, dont on a tant discouru, sont absolument illusoires, et les gouvernements ne peuvent, avec des ordonnances, déterminer le bénéfice qu'ils feront sur les monnaies.../...
Du droit attribué au gouvernement seul de fabriquer la monnaie, on a fait dériver
le droit d'en déterminer la valeur. Nous avons vu combien est vaine une semblable prétention, la valeur de l'unité monétaire étant déterminée uniquement par l'achat et la vente, qui sont nécessairement libres.../...
Ainsi, quand Philippe 1er, roi de France, mêla un tiers d'alliage dans la livre d'argent de Charlemagne, qui pesait 12 onces d'argent, et qu'il appela du même nom de livre un poids de 8 onces d'argent fin seulement, il crut que sa livre valait autant que celle de ses prédécesseurs. Elle ne valut cependant que les deux tiers de la livre de Charlemagne. Pour une livre de monnaie, on ne trouva plus à acheter que les deux tiers de la quantité de marchandise que l'on avait auparavant pour une livre. Les créanciers du roi et ceux des particuliers ne retirèrent plus de leurs créances que les deux tiers de ce qu'ils devaient en retirer ; les loyers ne rendirent plus aux propriétaires que les deux tiers de leur précédent revenu, jusqu'à ce
que de nouveaux contrats remissent les choses sur un pied plus équitable. On commit et l'on autorisa, comme on voit, bien des injustices ; mais on ne fit pas valoir une livre de 8 onces d'argent pour autant qu'une livre de 12 onces.../...
L'argent, de quelque matière qu'il soit composé, n'est qu'une
marchandise dont la valeur est variable, comme celle de toutes les marchandises, et se règle à chaque marché qu'on fait, par un accord entre le vendeur et l'acheteur."
Enfin, l'Etat en tant que producteur et acheteur de biens peut se trouver en déficit, accumuler des dettes et même se trouver en cessation de paiement : "Une entreprise industrielle quelconque donne de la perte, lorsque les valeurs consommées pour la production excèdent la valeur des produits. Que ce soient les particuliers ou bien le gouvernement qui fasse cette perte, elle n'en est pas moins réelle pour la nation ; c'est une valeur qui se trouve de moins dans le pays."
Autrement dit la gratuité des services publics est un leurre. Tout doit se payer, à son juste prix. Les impôts et les taxes sont là pour répartir de manière équitable sur le peuple les dépenses relatives au bien commun. Ils ne peuvent avoir pour vocation de combler les trous causés par l'irresponsabilité ou la négligence, ni même prétendre à redistribuer les richesses. Lorsque la moitié de la richesse nationale est engloutie par l'impôt et les taxes, il est temps de s'alarmer. Et si l'Etat s'empruntait à lui-même, il ne ferait qu'emprunter à la Nation, qui aurait les mêmes exigences que n'importe quelle banque...
Le rôle du gouvernement est donc avant tout de veiller au grain. Il garantit la qualité de l'argent et contrôle le respect des règles de son bon usage. C'est ainsi qu'il permet à la confiance de s'installer et de perdurer : "De tous les moyens qu'ont les gouvernements de favoriser la production, le plus puissant, c'est de pourvoir à la sûreté des personnes et des propriétés, surtout quand ils les garantissent même des atteintes du pouvoir arbitraire. Cette seule protection est plus favorable à la prospérité générale que toutes les entraves inventées jusqu'à ce jour ne lui ont été contraires. Les entraves compriment l'essor de la production ; le défaut de sûreté la supprime tout à fait."
En définitive, l'Etat ne peut se soustraire aux règles dont il est le garant, et ne peut ni créer de l'argent, ni en fixer la valeur, et pas davantage déterminer les prix des biens.

08 février 2010

Tea Party


Ce que j'aime par dessus tout dans la Démocratie américaine, c'est sa capacité extraordinaire à se renouveler, à se régénérer, à entretenir sur elle-même un débat permanent, tout en restant fidèle aux principes qui l'ont fondée.
Depuis maintenant plus de deux siècles, le régime est assis sur une seule et même Constitution. Quelques amendements ont certes été nécessaires mais la base reste absolument intacte, aussi pure et brillante qu'un diamant.
Le poète Walt Whitman pensait qu'elle était faite pour durer au moins mille ans. En dépit des oiseaux de mauvais augure qui ne cessent de prophétiser « le déclin américain », « la fin de l'empire », elle tient vaillamment le coup, en même temps qu'elle diffuse sur le monde le bel idéal de la Liberté et de la poursuite du bonheur (life, liberty, and the pursuit of happiness).
L'élection de Barack Obama fut une nouvelle preuve de l'audace de cette Nation, de sa détermination à s'affranchir des tabous dans lesquels d'autres pays notamment européens, restent envers et contre tout englués.
Mais ce peuple étonnant n'a pas donné pour autant quitus au nouveau président, pour défaire l'édifice construit avec une infinie sagesse par les Pères Fondateurs. Pas plus qu'il ne pourrait tolérer qu'on en corrompit l'esprit.
Or depuis cette élection, et même un peu avant il faut le reconnaître, un certain nombre d'Américains s'inquiètent de la montée en puissance de l'Etat Fédéral, au détriment des instances régionales et locales. Ils sont effarés par l'ampleur croissante des déficits et par la centralisation bureaucratique qui gagne du terrain dans le monde des entreprises aussi bien qu'au sein de l'Etat.
Il faut dire que la démocratie qui s'est construite de bas en haut, a depuis ses débuts, habitué les individus à se gouverner eux-mêmes, sans attendre comme chez nous, tout du Gouvernement. Depuis longtemps bien sûr, ils sont acquis à la nécessité d'avoir un Etat qui rassemble leurs intérêts sous un seul étendard, mais ils ne veulent pas qu'il outrepasse les prérogatives qu'ils ont bien voulu lui conférer.
Dès les premières années de l'histoire des Etats-Unis, des débats acharnés firent rage entre les partisans d'un Etat fort, rangés derrière la bannière d'Alexander Hamilton, et ceux prônant au contraire un pouvoir décentralisé, à la tête desquels se trouvait Thomas Jefferson.
L'intelligence et l'honnêteté intellectuelle dont surent faire preuve ces deux hommes exceptionnels contribuèrent grandement à proposer en définitive, une répartition équilibrée. Et Hamilton qui n'était pas rancunier soutint même son rival lors de l'élection présidentielle de 1801.
C'est grâce à des hommes pareils qu'aux Etats-Unis, plus que nulle part ailleurs, est en vigueur le principe souverain d'une vraie démocratie, qui s'inscrit dans la belle formule de Karl Popper : « Nous avons besoin de liberté pour empêcher l’Etat d’abuser de son pouvoir et nous avons besoin de l’Etat pour empêcher l’abus de liberté »
Aujourd'hui, des groupes de pression d'un nouveau genre naissent un peu partout sur le territoire américain animés par un mécontentement commun vis à vis de l'emprise excessive de l'Etat Fédéral. Ils n'obéissent pour l'heure à aucun mot d'ordre national et recrutent dans les deux principaux camps politiques, républicain et démocrate (les premiers étant toutefois à ce jour plus nombreux).
Ils se reconnaissent sous le nom de Tea Party Groups, en mémoire de l'insurrection de 1773, contre les abus de pouvoir du gouvernement britannique. Cette rébellion qui consista pour les insurgés déguisés en Indiens, à jeter à la mer des cargaisons de thé fraichement arrivées dans le port de Boston, fut le coup d'envoi historique de la guerre d'indépendance.
Par une troublante coïncidence la manifestation la plus récente du mouvement actuel vient de conduire plus ou moins directement le parti du Président Obama à perdre le siège de sénateur du Massachusetts, dont la capitale est précisément Boston !
S'agit-il d'une vague de fond ? S'agit-il d'un puissant retour aux sources ? Ou bien comme certains le prétendent d'un simple mouvement populiste sans lendemain ?
Toujours est-il que ces gens paraissent bien décidés à faire reculer le Gouvernement dans ses projets pharaoniques de prise de contrôle, d'aide massive et de relance tous azimuts, motivés par « l'urgence de la crise ». Ils semblent également déterminés à le faire plier dans sa tentative d'étatiser davantage le système de santé et d'alourdir le poids de l'impôt et des taxes.
Tout ça est peut-être sans lendemain ou bien sera récupéré un jour ou l'autre par les partis classiques. Certains politiciens essayent déjà de surfer sur cette vague, telle Sarah Palin. D'autres soutiennent depuis quelques années déjà, des initiatives assez proches comme Newt Gingrich et ses
American Solutions. Même Obama lui-même semble avoir pris conscience du phénomène, et paraît vouloir infléchir quelque peu sa politique, notamment au sujet des banques...
L'avenir dira ce qu'il en est réellement mais nul doute qu'une fois encore l'Amérique saura montrer ce qu'elle a dans le ventre, et surtout qu'elle sait défendre ses convictions essentielles.

02 février 2010

A l'Histoire de juger...


Quoi de commun entre Dominique de Villepin et Tony Blair ?

Ils sont tous les deux nés la même année 1953, et ont tous les deux embrassé la carrière politique, qu'ils ont menée très haut, avant de la quitter sans gloire, pratiquement au même moment en 2007.
Par le fait du hasard, l'actualité rapproche à nouveau leurs destins.
ils sont tous les deux contraints de se justifier publiquement pour leur rôle dans des évènements assez anciens et quasi contemporains, quoique très différents : la ténébreuse affaire Clearstream pour Villepin, et la décision d'intervenir aux côtés des Etats-Unis en Irak pour Blair.

Et c'est là qu'éclatent toutes les différences caractérisant leurs manières respectives de concevoir l'exercice du pouvoir et surtout des responsabilités.
Dans l'affaire Clearstream, Villepin est suspecté d'avoir joué un rôle occulte visant à déstabiliser voire à évincer du jeu politicien son rival Nicolas Sarkozy. Non seulement il a nié, mais il a laissé entendre que le dindon de la farce n'était pas ce dernier mais... lui-même. Plus fort il a prétendu que sa présence sur le banc des accusés résultait de « l'acharnement » et de « la volonté d'un homme » à savoir le président en personne ! De l'art de retourner les situations...
Le procès a pourtant confirmé clairement qu'il y eut bel et bien une manipulation. Il aboutit d'ailleurs à condamner sévèrement plusieurs personnes impliquées, mais à relaxer curieusement le principal intéressé. Celui précisément à qui le complot eut le plus profité s'il avait réussi, et qui était le mieux placé pour le téléguider et l'organiser... Comme si selon la bonne vieille tradition, on se contentait de faire payer les lampistes.
Dès l'annonce du verdict, Villepin tout fringant, afficha sa satisfaction devant une forêt de micros opportunément tendus, allant jusqu'à féliciter de manière indécente le Juge pour son indépendance...
Las, deux jours à peine s'étaient écoulés qu'on apprenait que le Parquet décidait de faire appel de la décision de justice, remettant ainsi tout en cause !
Villepin, parcourant alors les plateaux télés, fort de sa verve bravache qui est sa marque, fulmina, mais toujours sans l'ombre d'une preuve, qu'une décision si hostile ne pouvait venir que de l'Elysée !
Voilà l'homme. Tout en aplomb et en infatuation, et tout en mépris hautain pour ceux qui se trouvent en travers de son chemin empanaché.
En la circonstance, ce qu'on peut lui reprocher, ce n'est pas tant sa position, qui consiste à plaider son innocence, assez naturelle en somme. Ce qui est inacceptable, c'est sa façon de porter des accusations gratuites et de les envelopper dans une emphase lyrique de mauvais goût, dès qu'il est mis en cause.
C'est avec la même outrecuidance qu'il trouva très inspiré de ridiculiser à l'ONU le gouvernement américain, qui demandait la mise sur pied d'une coalition internationale pour intervenir en Irak en 2003. Il ne lui suffisait pas alors, de donner la position de son pays (alors minoritaire au sein de l'Europe). Il fallait aussi que cela fut l'occasion de briller, en faisant étalage de sa rhétorique prétentieuse, arrogante, démagogue, et finalement très munichoise.
Il y a peu de chance qu'on lui reproche avant longtemps, d'avoir adopté cette attitude qui sans doute a compliqué la tâche de la coalition, et donné plus qu'un début d'encouragement au terrorisme et à la violence anti-occidentale...
Tony Blair est à l'opposé de ce parcours et de cette posture.
Il fut certes tentant d'attribuer son ascension rapide, avant tout à un charisme, non dénué de populisme. Mais lorsqu'il occupa le poste de premier ministre, ce fut un véritable homme d'état qui se révéla.
Avec une rare force de persuasion, il parvint tout d'abord à débarrasser l'image du parti auquel il appartenait, de toute la poussière idéologique accumulée depuis des décennies. Aucun homme politique n'avait depuis longtemps effectué un tel revirement, non pas dicté par les circonstances ou des intérêts personnels, mais par une vraie prise de conscience et des convictions sincères et pragmatiques.
Il est possible naturellement de contester le bien fondé de certains de ses choix et même de sa politique d'inspiration résolument libérale. Mais il est difficile de nier son sang froid, son courage, sa détermination et notamment sa capacité à résister à la pression populaire, lorsqu'une décision s'imposait à lui au nom du bien commun (I did what I thought was right...).
Son choix le plus controversé fut celui de soutenir la position américaine lors de l'affaire irakienne, et de s'associer pleinement à l'intervention militaire. A l'inverse des dirigeants français, il préféra rester fidèle à ses alliés naturels dans la tourmente. Il n'eut sans doute pas trop à contrarier sa nature. Sa conviction, qu'il fallait empêcher Saddam Hussein de nuire davantage, était à l'évidence chevillée en lui au moins autant qu'en George W. Bush. Et c'était bien son droit après tout.
Aujourd'hui, il doit à nouveau se justifier pour ce choix, pourtant fait en toute transparence et qui permit qu'on le veuille ou non, de donner la liberté à un peuple qui en était douloureusement privé.
Tony Blair affronte donc à nouveau ses juges, mais à l'inverse de Villepin, sans le moindre écart de langage, sans la moindre insinuation quant à leur légitimité. Il s'efforce avec patience de défaire l'argumentation de ses adversaires arc-boutés depuis 7 ans, sur le prétendu mensonge des armes de destruction massive.
Il ne se défend pourtant pas dans une sordide affaire de tripatouillage politicien, mais pour des choix stratégiques qui relevaient de son autorité et dont l'objectif n'avait vraiment rien de honteux.
Il peut donc s'interroger en son for intérieur sur la raison de ce débat interminable, remis sur le tapis alors que l'Irak devenu démocratique semble enfin sortir de la nuit dans laquelle il était plongé depuis un bon quart de siècle. Sur l'acharnement à ergoter au sujet des moyens mis en oeuvre par l'ancien dictateur pour massacrer durant des décennies des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants. Sur la mauvaise foi qui consiste à occulter les déclarations répétées à maintes reprises du même dictateur, affirmant haut et fort qu'il possédait ces fameuses armes de destruction massive, et que son intention était de s'en servir. Sur le fait même que tous les gens sensés reconnaissaient à l'époque que Saddam était maléfique et dangereux, même si rares étaient ceux qui étaient prêts à en tirer les conséquences.
Peu importe après tout. Tony Blair dans ce vrai procès en sorcellerie, reste égal à lui-même : digne et droit, sans effet de manche, sans fioriture inutile ; il plaide non pas pour sa personne mais pour l'Histoire, qui en définitive sera seule à pouvoir montrer s'il fit une erreur ou non.
Pour conclure, les deux hommes possèdent à part égale l'éloquence qui leur permet de donner du lustre à l'expression de leurs idées.
Quant à la forme je préfère évidemment au style boursouflé et nébuleux de Villepin, les phrases courtes incisives, directes et précises de Blair.
Mais sur le fond je n'ai aucun doute : c'est Tartarin contre Churchill... Dommage que l'un soit français et l'autre anglais !