17 février 2010

De la génération spontanée de l'argent (1)


A l'occasion de la crise économique actuelle, on prend conscience tout à coup de la profondeur de l'endettement des Etats.
Étrangement, rares sont ceux qui leur en font le reproche. Nombre de gens y voient au contraire l'effet pervers du « capitalisme » et de « l'absence de régulations ». Ils préfèrent accuser en bloc « le Monde de la Finance » d'avoir causé cet état de fait.
Des économistes très en vue, tel Jean-Paul Fitoussi minimisent le phénomène en le qualifiant de normal en période de crise : il s'agirait d'un « stabilisateur automatique »...
Il n'hésite pas à affirmer par exemple , «
qu'en soi le problème grec n'est pas très grave".
D'autres, plus téméraires, nient carrément la dette et voudraient que l'Etat ignore tout simplement ses créanciers, et surtout les banques, réputées par nature malfaisantes. In fine, ils réclament même le droit pour le Gouvernement d'être son propre banquier et de pouvoir «
créer l'argent », en fonction de ses besoins.
Lumineuse idée ! Du coup, évidemment plus besoin d'emprunter et donc plus de dette ! On se demande comment on n'y avait pas pensé plus tôt.
Ce qui est sidérant avec nombre de ces théories, échafaudées en dépit du bon sens le plus élémentaire, et comme pour transformer les désirs en réalité, c'est la facilité avec laquelle elles se propagent, et l'enthousiasme avec lequel elles sont souvent accueillies. Probablement parce qu'on voudrait tous croire qu'il existe quelque part une corne d'abondance sur laquelle il suffirait de tirer pour résoudre tous les problèmes. De là à affirmer qu'on puisse effacer les dettes, fussent-elles d'Etat, comme par enchantement, il y a un abime...
Aujourd'hui, sur la théorie de l'argent, on peut dire tout et son contraire. Et les faits parfois semblent donner raison à cette déraison. Par quelle magie par exemple, l'Etat, endetté jusqu'au cou est-il parvenu à prêter de l'argent, précisément... aux banques, qui détiennent une partie de sa créance ? Mystère...
A tous ceux qui s'y perdent, on ne saurait trop conseiller le retour aux grands classiques. Par un paradoxe troublant, la France a engendré quelques uns des plus brillants économistes. Et tandis que le monde nous les envie, nous méconnaissons et méprisons opiniâtrement leur enseignement.
Il en est ainsi de
Jean-Baptiste Say (1767-1832).
On trouve dans son Traité d'Economie, quantité de règles simples, toujours valables, même en système mondialisé. Il y expose notamment « la manière dont se forment se distribuent et se consomment les richesses », et c'est aussi évident que les démonstrations d'Archimède ou de Newton.
En premier lieu, il pose que l'argent n'a pas de valeur en soi, et n'est qu'un instrument destiné à faciliter les échanges : "la quantité de monnaie dont un pays a besoin est déterminée par la somme des échanges que les richesses de ce pays et l'activité de son industrie entraînent nécessairement."
En d'autres termes, si personne n'a de richesses à échanger ou si personne ne ressent le besoin d'en faire l'échange contre d'autres, l'argent est inutile.

"Ce n'est donc pas la somme des monnaies qui détermine le nombre et l'importance
des échanges ; c'est le nombre et l'importance des échanges qui déterminent la somme de monnaie dont on a besoin.
De cette nature des choses il résulte que
la valeur de la monnaie décline d'autant plus qu'on en verse davantage dans la circulation..."
S'il est toutefois naturel que l'Etat contrôle la production de l'argent et qu'il en garantisse par son sceau l'authenticité, il est en revanche, incapable de lui conférer la moindre valeur. Le tenterait-il qu'il ne ferait que détruire les fondements même du système : "Les droits de fabrication, les droits de seigneuriage, dont on a tant discouru, sont absolument illusoires, et les gouvernements ne peuvent, avec des ordonnances, déterminer le bénéfice qu'ils feront sur les monnaies.../...
Du droit attribué au gouvernement seul de fabriquer la monnaie, on a fait dériver
le droit d'en déterminer la valeur. Nous avons vu combien est vaine une semblable prétention, la valeur de l'unité monétaire étant déterminée uniquement par l'achat et la vente, qui sont nécessairement libres.../...
Ainsi, quand Philippe 1er, roi de France, mêla un tiers d'alliage dans la livre d'argent de Charlemagne, qui pesait 12 onces d'argent, et qu'il appela du même nom de livre un poids de 8 onces d'argent fin seulement, il crut que sa livre valait autant que celle de ses prédécesseurs. Elle ne valut cependant que les deux tiers de la livre de Charlemagne. Pour une livre de monnaie, on ne trouva plus à acheter que les deux tiers de la quantité de marchandise que l'on avait auparavant pour une livre. Les créanciers du roi et ceux des particuliers ne retirèrent plus de leurs créances que les deux tiers de ce qu'ils devaient en retirer ; les loyers ne rendirent plus aux propriétaires que les deux tiers de leur précédent revenu, jusqu'à ce
que de nouveaux contrats remissent les choses sur un pied plus équitable. On commit et l'on autorisa, comme on voit, bien des injustices ; mais on ne fit pas valoir une livre de 8 onces d'argent pour autant qu'une livre de 12 onces.../...
L'argent, de quelque matière qu'il soit composé, n'est qu'une
marchandise dont la valeur est variable, comme celle de toutes les marchandises, et se règle à chaque marché qu'on fait, par un accord entre le vendeur et l'acheteur."
Enfin, l'Etat en tant que producteur et acheteur de biens peut se trouver en déficit, accumuler des dettes et même se trouver en cessation de paiement : "Une entreprise industrielle quelconque donne de la perte, lorsque les valeurs consommées pour la production excèdent la valeur des produits. Que ce soient les particuliers ou bien le gouvernement qui fasse cette perte, elle n'en est pas moins réelle pour la nation ; c'est une valeur qui se trouve de moins dans le pays."
Autrement dit la gratuité des services publics est un leurre. Tout doit se payer, à son juste prix. Les impôts et les taxes sont là pour répartir de manière équitable sur le peuple les dépenses relatives au bien commun. Ils ne peuvent avoir pour vocation de combler les trous causés par l'irresponsabilité ou la négligence, ni même prétendre à redistribuer les richesses. Lorsque la moitié de la richesse nationale est engloutie par l'impôt et les taxes, il est temps de s'alarmer. Et si l'Etat s'empruntait à lui-même, il ne ferait qu'emprunter à la Nation, qui aurait les mêmes exigences que n'importe quelle banque...
Le rôle du gouvernement est donc avant tout de veiller au grain. Il garantit la qualité de l'argent et contrôle le respect des règles de son bon usage. C'est ainsi qu'il permet à la confiance de s'installer et de perdurer : "De tous les moyens qu'ont les gouvernements de favoriser la production, le plus puissant, c'est de pourvoir à la sûreté des personnes et des propriétés, surtout quand ils les garantissent même des atteintes du pouvoir arbitraire. Cette seule protection est plus favorable à la prospérité générale que toutes les entraves inventées jusqu'à ce jour ne lui ont été contraires. Les entraves compriment l'essor de la production ; le défaut de sûreté la supprime tout à fait."
En définitive, l'Etat ne peut se soustraire aux règles dont il est le garant, et ne peut ni créer de l'argent, ni en fixer la valeur, et pas davantage déterminer les prix des biens.

2 commentaires:

Johan Rivalland a dit…

Magnifique site. Félicitations !
Beaucoup de bon sens dans ce "papier", comme dans l'ensemble de ce blog, qui est très bien conçu et au menu alléchant.

Amoureux de la liberté, j'en suis. Je ne pouvais donc que glisser ce blog dans "mes favoris", pour pouvoir plus facilement venir y jeter un coup d'oeil de temps à autres.

Bonne continuation et à très bientôt sur Amazon !

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Soyez le bienvenu ici cher Johan.
Et merci pour vos encouragements et votre appréciation élogieuse. Puissé-je la mériter durablement...