16 octobre 2010

Quelqu'un de bien

S'agissant de Tony Blair, une chose est sûre : il a l'art de prendre les gens par les sentiments. Qu'on en juge par la manière dont il introduit ses mémoires pour le public français : "J'adore la France. Et plus surprenant peut-être pour un Britannique, j'aime les Français..."
Évidemment, ces exquises politesses ne suffiraient pas à donner une vraie crédibilité à un homme politique, même s'il les traduit en action en parlant français à chaque fois qu'on l'invite sur les plateaux télés. Mais, voilà, il a bien d'autres choses à proposer, et c'est bien là ce qui constitue sa vraie originalité.
Oublions donc un instant ce charisme quasi irrésistible, ce regard intense avec lequel il avale goulument ses interlocuteurs, ce sourire dévastateur qui désarme par avance les questions pernicieuses, cette silhouette agile et élégante qui lui donne l'air de voler au dessus des miasmes, et ce parler direct, clair et simple que chacun comprend aisément.

Car il écrit aussi. Et plutôt bien si l'on en juge par les près de 800 pages dans lesquelles il raconte la fabuleuse épopée que fut son parcours politique, de la conquête du Labour à la tête de la Grande Bretagne.
Ce livre interpelle, tant on est habitué dans le genre, à tomber sur des récits amidonnés par la langue de bois et assaisonnés de mélasse démagogique, dont la seule fin est de glorifier leur auteur.
Rien de cela dans ces confessions, quoiqu'au bout du compte, l'image de l'ancien premier ministre anglais n'en sorte assurément pas moins magnifiée. Le style est libre, l'expression concise, et le ton familier. On croirait presque lire les aventures d'un ami, tant il est économe d'artifices pour livrer à chaque instant le fond de sa pensée et ses sentiments d'être humain. Il sait dire aussi avec des mots simples et vrais, comment l'affection qui le lie à son épouse et à sa famille le soutient dans les épreuves.
Tony Blair parle sans détour des gens qu'il a côtoyé, de ses compagnons, de ses adversaires. Jamais il n'emploie l'invective, ou le mépris. Il aborde sans tabou les choix qu'il fit ou préconisa, en expliquant de manière posée et très convaincante, les arguments qui ont pesé pour lui dans la balance. Il n'élude aucune question, pas même celles qui sont les plus sujettes à polémique. On n'est pas obligé d'approuver mais on comprend ses motivations et le mécanisme qui aboutit aux décisions.

Premier tour de force : celui d'avoir réussi à transformer en profondeur le Parti Travailliste, totalement sclérosé et abonné aux échecs électoraux durant 18 années ! Il faut dire qu'à l'époque, au début des années 90, alors que tombait en poussière l'Union Soviétique, les statuts du parti travailliste continuaient par exemple, d'intégrer l'incroyable clause IV, faisant de la collectivisation complète de l'économie, un impératif incontournable ! A peu près le niveau d'arriération où se situe à l'instant présent notre vieille Gauche hétéroclite...

La remontée de ce courant passéiste, qui charriait des tonnes de rancœur et de nostalgie du Grand Soir lui prit quelques années, mais à leur terme, le parti avait fait peau neuve sous l'appellation de New Labour. Durant ce temps, il avait appris à utiliser en toutes circonstances son charisme naturel. Mais s'il avait aussi engrangé une foule de connaissances sur les jeux de pouvoir, il ne savait pas grand chose sur l'art de gouverner.
Aussi quand ses efforts furent couronnés par le magnifique succès électoral de 1997, qui lui permit d'accéder à la fonction de Premier Ministre, il était comme qui dirait, dans ses petits souliers. Son apparente décontraction cachait en fait une vraie appréhension des terribles responsabilités qui venaient d'échoir sur ses épaules.
La suite de l'histoire on la connaît certes, car elle s'est déroulée sous les yeux du monde jusqu'en 2007. Bien des gens, gênés par les œillères idéologiques qu'ils s'imposent en permanence, ne virent pourtant de sa politique que le petit côté, ou bien l'ombre d'invraisemblables complots, mais jamais le dessein qui s'étalait en pleine lumière sous leurs yeux.
Sans renier les acquis des Tories, lorsqu'il les jugeait avec pragmatisme, bons pour son pays, il réforma un certain nombre d'institutions du secteur public. Le NHS (National Health System), entre autres, que même madame Thatcher n'avait pu faire évoluer, a considérablement amélioré son efficience. Cela ne l'empêcha pas de veiller à moderniser le secteur privé, persuadé qu'"il ne faut pas donner trop de pouvoir à l'Etat".
Une des actions de politique intérieure dont il se dit le plus fier reste la paix en Irlande du Nord.
On entend parfois dire que Tony Blair serait un homme belliqueux adorant les guerres. C'est en l'occurrence faire peu de cas des très périlleuses négociations qu'il mena dans un contexte extraordinairement complexe et douloureux, pour aboutir à cette paix civile.
En politique étrangère, il a toujours été partisan d'une attitude très active. Échaudé par les calamiteuses expériences du passé, lors de la montée du Nazisme et du Communisme, et par la coupable inaction des Nations Unies devant de nombreux drames humains, il préconisa l'intervention armée au Kosovo. Devant l'apathie de ses alliés européens, dont hélas la France, il usa beaucoup d'énergie pour convaincre les Etats-Unis et Bill Clinton, d'entrer dans la bataille. Qu'on le veuille ou non l'intervention musclée de l'OTAN a permis de solutionner le problème et de mettre hors d'état de nuire le tyran Milosevic.

D'une manière générale, Tony Blair, que certains traitent avec une ignorance méprisante de "caniche de l'Amérique", explique pourquoi il fut toujours un fervent défenseur de l'alliance transatlantique, qu'il estime  plus que jamais indispensable, face aux défis du monde actuel. Faut-il être ennemi de l'idéal démocratique, et du modèle de société ouverte, ou bien porté aux tendances suicidaires, pour lui reprocher cette position, frappée au coin du bon sens.
C'est en vertu de cette conviction qu'il se déclara totalement solidaire des USA lors des monstrueux attentats du 11 septembre 2001. Et qu'il le démontra avec détermination et courage, même dans les moments les plus difficiles.
C'est pourquoi il fit cause commune avec George W. Bush pour intervenir militairement en Afghanistan puis en Irak.
Avec humilité il accepte d'être remis en question. Avec une patience angélique il accepte toutes les questions sur le sujet, même les plus virulentes, et même si elles lui ont déjà été posées mille fois... Avec modestie, il assure respecter les avis contraires au sien et affirme qu'aujourd'hui encore, il n'est pas certain d'avoir eu raison.
Attitude à mille lieues de celle du camp d'en face, qui semble vouloir le poursuivre de sa vindicte jusqu'à la fin de temps, sans jamais esquisser la moindre nuance, ni le moindre questionnement, et bien sûr sans se donner la peine d'évoquer de solution alternative aux problèmes terribles qui se posaient alors au Monde Libre.

Rarement un homme politique aura cherché à expliquer avec autant de clarté et de patience, et aussi peu de faux semblants, les ressorts de son action. Cela n'empêche pas certains obtus, qui probablement n'écoutent pas ce qu'il dit et ne lisent pas ce qu'il écrit, de répéter inlassablement les mêmes apostrophes haineuses à propos de ses mensonges, de ses arrières pensées, voire de sa collusion supposée avec la CIA...
Tony Blair est au dessus de ces attaques incessantes. Avec une sérénité déconcertante, il continue d'expliquer à ces dénigreurs grégaires et sans beaucoup de cervelle, comment il affronta les responsabilités qu'il avait choisi d'endosser, et ce, sans jamais montrer d'énervement, ni d'abattement, ni d'aigreur.
Peut-être in petto, se répète-t-il le bon vieil adage : "les chiens aboient, mais la caravane passe..."

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