25 juillet 2011

Ô Mânes d'Athènes et de Missolonghi

Il fut une époque où la Grèce était rayonnante. Ce passé bien lointain servit de berceau à la grande idée démocratique.
Portée par la puissance souveraine de la Ligue de Délos, elle culmina dans ce qu'il est convenu d'appeler le siècle de Périclès. Malheureusement, cette ère porteuse de progrès et d'espoir, s'effrita tragiquement dans la calamiteuse guerre du Péloponnèse. Celle-ci déchira la belle unité attique, et plongea le monde dans des siècles d'obscurantisme, peuplés de monarchies rétrogrades et de nationalismes chauvins.
Après une longue errance, l'idéal de liberté et le paradigme de société ouverte revinrent heureusement par une nouvelle Athènes, sise cette fois sur les rives occidentales de l'Atlantique. En 1789, tandis que quelques sans-culotte décérébrés se livraient à d'affligeantes exactions dans Paris, 13 états libérés de la tutelle britannique, fédérés à la manière des cités égéennes, promulguaient la Constitution des Etats-Unis d'Amérique, pour "au moins mille ans", selon le voeu du poète Walt Whitman.
En quelques deux siècles, ce nouveau phare apporta la lumière de l'émancipation à de nombreuses nations, même si à l'Est, un rideau de fer refusa longtemps de la laisser passer, enfermant des millions d'êtres humains dans le plus effroyable des totalitarismes.
Aujourd'hui, tandis que le Monde semble enfin finir de s'ouvrir dans une grande déflagration, tandis que des peuples trop longtemps opprimés se réveillent au soleil de la liberté, d'autres semblent paradoxalement s'enfoncer dans une tiède pénombre crépusculaire.
L'Occident des Lumières est-il en train de s'évanouir dans l'émolliente certitude de la prospérité, de la facilité, et des avantages acquis ?
Par excès de confiance en soi, a-t-il surestimé ses forces ? Est-il en train de tuer la poule aux oeufs d'or d'un modèle auquel il ne semble plus croire, ni être vraiment attaché ?

Devenue fille, un peu frivole, de l'Europe, la Grèce moderne, qui conservait dans ses ruines incandescentes le souvenir d'une épopée glorieuse, incarne aujourd'hui avec une cruelle acuité ce mou désastre contemporain. Cigale de l'Europe, elle apparaît tout à coup exsangue et sans ressort. Et le Parthenon lui-même semble un vestige insignifiant, tout juste digne d'illustrer les cartes postales. Sans âme et à la merci paraît-il des nouveaux prédateurs de la Finance Internationale.

Pourtant la Grèce fut, il n'y a pas si longtemps, menacée d'anéantissement par des périls plus terribles. Entre 1822 et 1830, elle sut trouver sur l'emblématique champ de bataille de Missolonghi, l'énergie du désespoir pour gagner son indépendance. Des poètes fameux, mêlant audace et lyrisme accoururent pour la secourir, en souvenir de son magnifique passé. Lord Byron (1788-1824) y perdit même la vie. L'Europe émue apporta comme un seul homme son aide désintéressée. Et la Grèce, pour un temps, redevint la Grèce...

Aujourd'hui l'Histoire se répète, même si le fracas des armes a laissé place aux turbulences monétaires.
La Grèce contemporaine saura-t-elle résister aux nouveaux démons qui menacent à nouveau son intégrité ?
Sans doute, à condition qu'elle affronte l'ennemi là où il est, et qu'elle le combatte avec autant de courage et de détermination qu'au moment du siège de Missolonghi.
Cette fois les vrais ennemis sont en elle. Et ils sont dans la place depuis longtemps, comme les métastases rampantes d'un mal invisible, minant la société dans son ensemble. La laxité des principes, la pléthore bureaucratique, la démagogie ruisselante, l'abandon progressif des vraies libertés minent les fondations d'un système qui se fissure dangereusement. La dette publique, accumulée avec insouciance, masquée par lâcheté, sous-estimée pour ne pas déplaire au peuple, a envahi toutes les institutions, le coeur même de la nation, qui risque de s'étioler irrémédiablement.

Hélas, beaucoup d'augures semblent atteints d'une étrange myopie par les temps qui courent. Ils voient autour de ce grand corps malade des signes qu'ils interprètent comme la cause du fléau, alors qu'ils n'en sont que la conséquence. Voudraient-ils donc nous faire croire que les vautours sont la cause des charniers au dessus desquels ils tournoient lugubrement ? Ou bien que les mouches sont responsables de l'agonie des mourants dont elles convoitent la chair afin de nourrir leur progéniture ?

Encore une fois l'Europe se presse au chevet du moribond. C'est la moindre des choses, mais elle-même est hélas contaminée largement par les mêmes pestes. Tous ses membres ressentent peu ou prou les mêmes symptômes. Médecins d'eux mêmes par la force des choses, ils proposent jusqu'à présent, en guise de remèdes, surtout des expédients, allant jusqu'à soigner le mal par le mal. 
L'aimable communauté veut éteindre la dette avec de la dette ! Elle prétend boucher un trou en approfondissant les autres .
C'est pourtant la tentative de la dernière chance nous dit-on. Nous n'avons "plus le droit à l'échec" clame Nicolas Sarkozy. Mais pourra-t-on sortir de cette spirale en se contentant de bonnes paroles et de cataplasmes lénifiants. Pourra-t-on guérir sans souffrir un peu, sans affronter la dureté des réalités, sans les dire comme elles s'imposent, sans faux-semblant, ni manoeuvre dilatoire ? Et in fine sans opter enfin pour une vraie fédération forte, unie et rigoureuse, gage de puissance et de prospérité. Le doute m'étreint.

Il n'y a pas de fatalité. A la fin de la seconde guerre mondiale, la Corée était un des pays les plus pauvres de la planète. Quelques décennies plus tard, même réduite d'une moitié elle figure parmi les plus dynamiques et florissantes, sans avoir abandonné son âme...
O mânes d'Athènes et de Missolonghi, donnez à la Grèce et aux Européens, l'énergie du désespoir et la force de revivifier l'avenir...

Illustration : La Grèce sur les ruines de Missolonghi par E. Delacroix

24 juillet 2011

Une voix perdue


Réédition du billet du 15/02/08


Ange vivant du Jazz, fine fleur du Blues, âme damnée de la Soul, Amy Winehouse est un peu tout cela en même temps.
Faisons le point : elle débarque d'un monde étrange, hallucinée, incertaine comme une comète inattendue, et des vapeurs black and blue flottent autour d'elle comme une aura scintillante.
Quel est ce mystère ? Elle est lumière et pourtant la lumière s'engloutit en elle.
De méchants papillons noirs se collent à sa peau imprimant sur ses bras décharnés, des tatouages bizarres.
Elle promène un peu hâbleuse, une dégaine improbable, à la fois très étudiée et très « laisser faire » : une silhouette efflanquée, presque titubante, enveloppée dans une robe en chiffon d'où sortent deux cannes fuselées, longues comme l'attente des jours heureux.
Ses cheveux sont un torrent dégringolant d'un obscur tumulus, et ses yeux tirés vers ce chignon catastrophique, forment en se prolongeant indéfiniment, des sortes d'hyperboles narquoises, outrancières.
Elle se déhanche sur scène avec une allure étrange, mariant le mauvais goût sublime à une grâce délicieusement obscène.
Mais quand elle se met à chanter, le regard perdu dans le vide, sa voix qui s'élève aiguë et déchirante, chaude comme une braise, agit sur la foule à la manière d'un baume souverain. Back to black. Le charme opère immédiatement, et la mélodie en retombant sur les têtes est comme une pluie brillante dont chacun cherche à s'imprégner goulûment.
Derrière elle, l'orchestre est un velours idéal. Sa rythmique limpide et cuivrée, noyée dans un écrin de couleurs chatoyantes, aplanit toute angoisse et se fond avec le chant pour transformer la souffrance en beauté pure. La réalité s'efface et cette indicible présence devient une évidence obsédante. On ne s'en détache qu'à grand peine.

Pauvre ange, tiendras-tu longtemps en équilibre, ainsi juchée si haut, dans de si périlleuses sphères ? Sauras-tu prolonger ces extases en dominant ton être qui paraît si fragile et instable ?
C'est l'espoir un peu fou qui s'insinue en soi dès que les feux de la rampe s'éteignent et qu'on se retrouve seul et stupide, face à la trivialité du monde...
DVD : Live in London. 2007

19 juillet 2011

Jour de fête

L'épisode pourrait prêter à rire. Peut-être restera-t-il dans les annales politiques françaises, tant il est grotesque et déconnecté des réalités.
La contestation soudaine du bien fondé des festivités militaires du 14 juillet par Eva Joly, candidate fraîchement désignée par la nébuleuse écologiste à l'élection présidentielle (Europe Ecologie Les Verts), est si l'on peut dire "la cerise sur le gâteau" du consternant débat politique actuel.
La polémique qui s'en est suivie est révélatrice de l'absurdité de l'époque. Le fait que le premier Ministre ait cru bon de réagir à une telle ineptie est déjà un sujet d'étonnement, bien que ses propos au demeurant, n'avaient assurément rien de choquant ni d'incongru. C'est vraiment méconnaître en profondeur l'esprit français que de remettre en cause le 14 juillet, symbole s'il en est, d'une nation imprégnée autant du mythe révolutionnaire que du culte des traditions.
En rétorquant à François Fillon qu'elle connaît ce pays puisqu'elle y vit "depuis 50 ans", madame Joly n'arrange pas son cas, car non seulement elle ne convainc pas ("le temps n'fait rien à l'affaire" disait Brassens...), mais elle révèle pour ceux qui ne s'en seraient pas aperçu, qu'elle n'est pas une candidate de première fraîcheur. Mais peu importe, car il y a vraiment peu de risques qu'elle accède à la magistrature suprême.
S'agissant des Socialistes, ils ont une fois de plus raflé haut a main, la palme de l'imbécillité arrogante. Alors qu'ils désapprouvaient à l'évidence peu ou prou la suggestion évanescente, ils se sont crus obligés de se livrer à une affligeante charge contre le chef du gouvernement, accusé selon les mots de Martine Aubry de "bafouer les fondements et les valeurs de notre République". Non contente de cette énormité, cette dernière surenchérit même en affirmant que "si elle avait été présidente, elle aurait demandé au premier ministre de partir". De son côté le décidément très versatile Manuel Valls s'insurgeait contre des propos qui "puent la xénophobie..."
Faut-il que ces gens soient dépassés et totalement dépourvus de perspectives, pour focaliser leur "indignation" sur de telles peccadilles, tandis que tant d’événements graves secouent le quotidien !

Quant à la fête nationale, peuplée de drapeaux et de cocardes, de défilés martiaux, de bals populaires et de feux d'artifice, que signifie-t-elle au fond ? On ne sait pas même ce que ce jour commémore. De toute façon, qu'il s'agisse de la prise de la Bastille, marquant le début d'une sanglante anarchie, ou bien de l'insignifiante fête de la Fédération, il est bien difficile d'y voir quoi que ce soit de fondateur. La France n'a pas commencé en 1789 que diable. Faut-il ajouter qu'en à peine plus de deux siècles, malgré pas moins de 4 révolutions, 2 retours à la royauté, 2 empires, et 5 républiques, elle n'a toujours pas trouvé satisfaction ! Y a-t-il vraiment dans cette succession, de quoi être fier ?

12 juillet 2011

Crise : de Charybde en Scylla


Le dernier vol de la navette spatiale américaine s'inscrit dans l'actualité comme une sorte de majestueux point d'orgue, au terme d'une époque d'aventures, de conquêtes et de rêves. Mais son panache de fumée blanche prend aussi en quelque sorte la forme d'un gigantesque point d'interrogation sur l'avenir.
La Crise économique n'en finit pas d'empoisonner depuis quelques années maintenant le cours du Monde. Et en dépit d'embellies passagères, les perspectives restent plutôt sombres, hélas.

Les Etats-Unis sont dans une situation critique. Si une solution n'est pas trouvée avant le mois d'août prochain, l'Etat Fédéral ne pourra plus emprunter, et certains services publics pourraient cesser de fonctionner...
Il faut dire que la dette, galopante, vient de dépasser à ce jour la somme astronomique de 14.000 milliards de dollars, avoisinant la valeur du PIB, et que rien ne semble pouvoir enrayer sa progression vertigineuse. La politique de relance massive d'inspiration keynésienne entreprise par le président Obama a littéralement fait exploser les dépenses publiques. Alors que leur niveau se situait déjà depuis plusieurs années en dessus de celui des recettes, les courbes s'écartent de plus en plus.
Pour l'heure, le système de contre-pouvoirs dont est doté le pays réagit abruptement, et l'opposition républicaine, forte de sa majorité à la Chambre des Représentants interdit purement et simplement toute dépense supplémentaire, en l'absence d'un vrai programme d'économies de la part du gouvernement fédéral.
Déjà dans le Minnesota l'impasse budgétaire manifeste ses premiers effets : certaines administrations sont fermées et des fonctionnaires ne sont plus payés (Economist).

En Europe, la situation n'est pas meilleure. C'est même un inexorable tourbillon qui semble devoir entraîner vers l'abîme, les unes après les autres toutes les économies. Alors que le problème grec est loin d'être résolu, l'incendie continue de se propager. Irlande, Portugal, Espagne et maintenant Italie donnent d'inquiétants signes de faiblesse. Avec 1900 milliards d'euros d'endettement, ce qui représente 120% du PIB, cette dernière est en passe d'ajouter un nouveau fardeau, peut-être insupportable, à la Communauté Européenne. La capacité de remboursement de l'Etat est quasi dépassée (le gouvernement italien ne projetait cette année de combler le gouffre, qu'à hauteur de 80 petits milliards d'euros). Corollaire inéluctable, la confiance est en train de s'effriter...
Les plans de sauvetage se suivent, mais la valse des milliards d'euros semble vaine dans un tel chaos. Aucun pays n'étant excédentaire à ce jour, ces ressources sont d'ailleurs virtuelles et ne font au mieux que répartir la charge, qui plombe non seulement le présent, mais plus encore, l'avenir.
On voit mal comment pourrait s'améliorer le sort de notre pays dans un tel contexte, sachant qu'à ce jour sa dette est de plus 1600 milliards d'euros, soit 84% du PIB, et que loin de diminuer elle ne cesse de grimper à la vitesse du déficit budgétaire, qui se situe autour de 7% du PIB, largement au dessus des 3% autorisés par le traité de Maastricht. Facteur aggravant, le déficit commercial ne cesse de s'approfondir et atteindra probablement 70 milliards d'euros en 2011.

En Europe, et notamment en France, il n'y a guère de contre pouvoir. Aux Etats-Unis, Barack Obama est en train de revenir à plus de réalisme, au risque de manger le chapeau de ses mirobolantes promesses.
Au contraire chez nous, depuis le début de la crise, le seul son de cloche qu'on entende est celui qui préconise l'augmentation indéfinie des dépenses publiques et la mise en œuvre de coûteux plans de relance, de "grands emprunts", avec pour faire "bonne mesure", des pluies de taxations nouvelles. Même un gouvernement taxé d'ultra-libéralisme comme celui de Nicolas Sarkozy, se range avec fatalisme à ces credo. Non content de ce navrant conformisme, il ajoute sans cesse de nouvelles mesures sociales compassionnelles. Entre autres, le fameux revenu de solidarité active (RSA), aussi chimérique que le défunt RMI mais encore plus compliqué et ruineux ; l'ineffable prime que les entreprises de plus de 50 salariés auront l'obligation de verser à leurs employés, le train de mesures destinées à contraindre un peu plus l'industrie pharmaceutique, en punition de l'affaire du Mediator...
Non seulement ces ersatz démagogiques pénalisent le dynamisme et font flamber la dette, mais ils s'avèrent assez remarquablement inefficaces sur les causes mêmes du problème, et donc sur ses conséquences. Les difficultés sociales sont inchangées voire aggravées, le chômage reste à un haut niveau, la croissance est toujours en berne, et pour couronner le tout les Gouvernants ne font que récolter l'impopularité !
Peut-être est-ce en partie parce qu'il apparaît clairement qu'ils ne croient pas eux-mêmes à leur politique de gribouille. Par exemple, tout en vantant le vertueux projet sur lequel le gouvernement est en train de plancher, consistant à plafonner les hauts salaires, M. Bertrand avoue qu'il ne répond à aucun impératif pratique. Dans le Figaro du 27/06, il a expliqué qu'il s'agissait d'une "question de principe", dans la mesure où "ce n'est pas parce que vous donnerez moins aux grands patrons, que vous donnerez plus aux petits salariés..." CQFD.
 
Plus grave encore, alors qu'on entendait réclamer davantage de régulations et de contrôles, les pouvoirs Publics fulminent contre les Agences de Notation qui sanctionnent sans état d'âme les dérives budgétaires. Alors que la note du Portugal vient encore d'être abaissée, on assiste à un vrai tollé (Figaro 11/07). Comme le titre de son côté Le Monde, "Bruxelles veut interdire les notations de pays bénéficiant d'un plan d'aide". 
En première ligne de cette rébellion, notre nouveau ministre de l'économie François Baroin, déclare que "Ce n'est pas le regard d'une agence de notation qui va régler l'affaire de la tension des dettes souveraines et de la crise budgétaire" .
Pourtant, ces agences ne font qu'un diagnostic et par expérience, si elles risquent de pêcher, ce serait plutôt par faiblesse que par excès de sévérité. Autant casser le thermomètre lorsque la fièvre résiste au traitement...

Force est de constater comme le faisait le président Reagan, que le problème c'est donc bien l'Etat...
D'ailleurs face à cette incurie, et en dépit de taxations quasi confiscatoires, et de contraintes réglementaires ubuesques, les entreprises se portent plutôt bien. Les banques ont effacé leurs dettes, l'industrie automobile fait des bénéfices. La production industrielle a progressé de 2% en mai, après une stagnation en avril, selon l'Insee. La quasi-totalité des secteurs sont en hausse.
Il ne faudrait peut-être pas grand chose pour inverser la tendance. Juste inverser les mentalités...

06 juillet 2011

l'ouverture du Monde II

S'agissant du marché de l'emploi, la mondialisation ne doit pas être considérée, comme irrémédiablement néfaste. Si les pays occidentaux traversent des difficultés conjoncturelles, le solde général à l'échelle de la planète est largement positif, eu égard au boom que connaissent nombre de pays émergents.
Il ne s'agit rien de moins que du principe des vases communicants, qui à la faveur de l'ouverture des frontières, s'exerce logiquement au profit de nations capables de fournir en abondance une main d'oeuvre bon marché. Dans cette nouvelle forme de compétition, les pays développés, comme le remarque judicieusement Thomas Friedman, ont tout intérêt à privilégier les emplois hautement qualifiés, et donc un haut niveau d'éducation et de formation professionnelle.
Au lieu de ça, nombre de pays dont la France, semblent s'abandonner à un marasme inquiétant. Le désastre de l'Education Nationale concerne une frange de plus en plus nombreuse de la population qu'elle laisse par une étrange résignation, littéralement à l'abandon. Parallèlement la Recherche et l'Innovation patinent, tant dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, la foi dans le mythe de l'Etat omnipotent s'impose, au détriment des initiatives privées.
A ce sujet Friedman évoque ce qu'il appelle un peu bizarrement le coefficient de platitude: "Moins une nation ou une entreprise a de ressources naturelles, plus elle recourt à l'innovation pour survivre". Il faut reconnaître qu'appliqué à la plupart des pays européens qui ne disposent ni de gisements d'emplois facilement mobilisables, ni d'abondantes ressources naturelles, le concept fait mouche...

Comme l'avait prévu Schumpeter (1883-1950) dans ses sombres prévisions concernant le capitalisme, ces phénomènes sont aggravés, par le poids croissant que font peser les acquis sociaux dans les pays riches. Plombés par un droit du travail et des législations de plus en plus contraignants, asphyxiés par des systèmes de taxation étouffants et une dette étatique bientôt incommensurable, leur dynamisme s'essouffle inexorablement. Avec raison Friedman déplore "la sur-réglementation [qui] s'avère néfaste pour les gens qu'elle est censée protéger, et ouvre la porte à la corruption des bureaucrates"
Au lieu de faire preuve de réactivité, la combativité face à la crise paraît s'émousser tandis qu'on sent monter une agressivité contre le reste du Monde. La morosité, voire une certaine tendance à la sinistrose font tache d'huile, attisées par des médias irresponsables. Une bonne partie de la population rechigne à voir fondre certains avantages que des politiciens sans scrupule leur ont présenté depuis des années comme définitifs.
Résultat, tandis que les plus fortunés, mais aussi les jeunes les plus hardis et déterminés préfèrent s'enfuir vers des contrées plus porteuses de perspectives d'avenir, on continue d'entretenir les mythes bien intentionnés des bienfaits d'une immigration incontrôlée, de la retraite à 60 ans, des 35 heures, de l'interdiction de licencier...
De ce point de vue, selon Friedman, les USA gardent encore quelques atouts (jugés paradoxalement avec sévérité en Europe), notamment le fait "qu'aucun pays ne protège mieux la propriété intellectuelle", et "qu'ils disposent d'une des législations les plus souples en matière de droit du travail. Plus il est facile de licencier dans un secteur en déclin, plus il est facile d'embaucher dans un secteur en plein essor..."

Face à la montée des périls Friedman soutient que le discours politique devrait vanter l'effort et le courage plutôt que les remèdes lénifiants et se référer à l'esprit pratique plutôt qu'au catalogue des vœux pieux.
Bien que son pays soit pour l'heure moins touché par les effets indésirables des mesures de "justice sociale" que la plupart des nations européennes, il constate toutefois avec amertume "qu'il y a bien longtemps que les dirigeants américains ne demandent plus aucun sacrifice à la population".
Pire, L'Amérique lui rappelle "le parcours classique de ces familles riches qui commencent à gaspiller leur fortune à la troisième génération" et il la compare à "un homme endormi sur un matelas gonflable qui se vide lentement de son air..."
Au sujet de l'Europe, il évoque le diagnostic inquiétant fait par Steven Pearlstein dans le Washington Post, sur le rideau du capitalisme qui la divise aujourd'hui : "d'un côté, l'espoir, l'optimisme, la liberté et la perspective d'une vie meilleure, de l'autre, la crainte, le pessimisme, une réglementation étouffante et l'impression que le bon vieux temps ne reviendra plus..."
A ceux qui croient encore à l'idéal socialiste, Friedman rappelle au passage que "le communisme excellait dans l'art de rendre tous les hommes également pauvres, alors que le capitalisme rend les hommes inégalement riches".

Il rappelle au passage quelques principes que n'auraient pas désavoués son homonyme Milton Friedman :
Par exemple au sujet des bulles spéculatives, il évoque Bill Gates qui faisait remarquer, que lors de la ruée vers l'or, "la vente de pics, de pioches, de jeans, et de chambres d'hôtel aux chercheurs a rapporté plus que l'or dégagé du sol." D'où il déduit que "les booms et les bulles peuvent être économiquement dangereux, ils peuvent entraîner la ruine de beaucoup de gens, mais ils peuvent aussi accélérer l'innovation." CQFD

Évoquant le pouvoir et la responsabilité souvent sous estimés des citoyens dans les régimes démocratiques, il avertit que "les partisans de la compassion doivent apprendre aux consommateurs que leur pouvoir d'achat est une force politique". Car toujours selon son opinion, "un chef d'entreprise pas plus qu'un délégué syndical ne peut promettre un emploi. Seul le client peut le faire..." Simple réminiscence en somme, du vieil adage qui stipule que "le Client est roi."

Toujours à propos de la responsabilité citoyenne, il introduit assez opportunément la notion de téléchargement vers l'amont qui constitue selon lui une vraie révolution, notamment sur Internet. Souvent négligé ou méprisé par les Pouvoirs Publics ou les Médias classiques usant et abusant de leur position dominante, il rassemble un nombre croissant d'initiatives dont les caractéristiques sont l'ouverture, la liberté et le partage d'informations et de connaissances. On peut citer entre autres, l'encyclopédie Wikipedia, le système d'exploitation Linux, le serveur Apache, les logiciels dits opensource comme la célèbre suite logicielle OpenOffice, et plus généralement les Blogs, les communautés de chercheurs, et bien sûr les réseaux sociaux, qui désormais, "permettent aux gens d'avoir leur mot à dire" et constituent "une sorte de cinquième pouvoir."
Ces outils évoluent à la vitesse de l'éclair et font que de plus en plus souvent, "les amateurs deviennent plus performants que des professionnels". Bien qu'ils ne soient évidemment pas dénués de danger, les bénéfices l'emportent largement notamment en matière de démocratie locale ou "participative", surtout si les responsables politiques parviennent à en tirer profit : "si un maire demandait à ses administrés de photographier chaque nid de poule, vous seriez étonnés par le résultat".

Fustigeant le mouvement anti-mondialisation, Friedman analyse avec justesse les causes qui mènent à cette rancœur destructrice, dont les anathèmes fleurissent un peu partout et dont on entend monter en un concert assourdissant la clameur revancharde.
Il cite notamment la mauvaise conscience suicidaire des sociétés occidentales, la poussée d'arrière-garde de la vieille gauche espérant ressusciter une certaine forme de socialisme, la protestation devant la vitesse des transformations et enfin last but not least, l'anti-américanisme.
Il affirme, à l'inverse des rengaines cent fois rabâchées, que "les pauvres du monde ne détestent pas les riches, contrairement à ce que voudraient faire croire les partis de gauche du monde développé. Ce qu'ils détestent c'est de ne pas pouvoir accéder à la richesse, de ne pas pouvoir rejoindre le monde plat et la classe moyenne."

Dommage qu'en terminant son ouvrage, comme pour rappeler son appartenance à la mouvance progressiste du New York Times, il se croit obligé de se délester d'un couplet puisé au même tonneau de remords et de mauvaise conscience que celui dont il s'est appliqué à dénoncer les effets pervers.
Ainsi, faisant une sorte de clin d'oeil à notre pays, il affirme benoîtement que "la Sécurité Sociale c'est de la bonne graisse à garder".
De même, après avoir vanté le rôle bénéfique des échanges marchands en matière de prospérité et de niveau de vie, il fait le constat désabusé que "le commerce crée des gagnants et des perdants" et qu'il faut donc chercher à mettre en œuvre "des mécanismes de compensation". Il propose même, sans préciser comment la financer, l'instauration d'une étrange "assurance salaire" destinée à combler le manque à gagner enduré lorsque, après avoir perdu son emploi (pour cause de délocalisation, restructuration...) on en retrouve un autre moins lucratif...
Au plan purement politique, bien que s'exprimant la plupart du temps comme un sympathisant du parti républicain, il donne à ses concitoyens le curieux conseil suivant : "Si vous voulez vivre comme un Républicain, votez comme un Démocrate".
Et pis que tout, il se laisse aller à la traditionnelle diatribe anti-Bush.
Après avoir consacré un chapitre aux dangers de l'islamo-fascisme, dénoncé la nature irrationnelle des rumeurs et prétendus complots propagés par l'internet, approuvé l'intervention en Irak en 2003, il prétend tout à coup que les "les USA ont cessé d'exporter l'espoir pour exporter la peur".
Et bien qu'il préconise in fine un programme politique proche de celui de George W. Bush, il lui donne le coup de pied de l'âne en affirmant "qu'il s'est servi des émotions du 11/09 pour imposer son programme concernant la fiscalité, l'environnement, les questions sociales... et divisé les américains entre eux, les a séparés du reste du monde, et coupé l'Amérique de sa propre identité..."

La Terre est Plate, qui part donc d'observations perspicaces pour en déduire un postulat douteux, s'achève en grotesque palinodie. Décidément rien n'est vraiment simple...