16 mars 2012

Matisse, pour les yeux, et pour le coeur


Deux choses définissent à mes yeux l'art de Henri Matisse (1869-1954): la couleur et les formes.
En peinture, c'est bien là l'essentiel. C'est même, pourrait-on dire, la quintessence de l'expression picturale.
De là sans doute ce pouvoir étrange d'attraction qu'ont ces paysages, ces portraits et ces natures mortes, en apparence si simples et pourtant si difficiles à imiter ou à égaler. En dépit de leur désarmant dépouillement, on a le sentiment qu'on n'avait rien vu de tel avant, et qu'après, il n'y a plus rien à ajouter...
D'emblée l'artiste manifesta une audace et une force sauvages. Révélées en premier lieu dans l'effervescence du courant fauviste, elles évoluèrent au gré de puissantes compositions dans lesquelles le jaillissement des couleurs semble écraser les canons classiques du dessin, abolissant notamment la profondeur de champ et la gravité.
Pour aboutir aux silhouettes monochromes, aux épures délicatement contrastées, produites durant les dernières années de sa vie, l'artiste parcourut un long chemin. Mais le fait est que Matisse qui vécut 85 ans, fut un créateur inspiré jusqu'au bout. Et d'une étonnante fraîcheur. D'une vitalité inépuisable.

Il suffit pour s'en convaincre, de s'arrêter devant une de ses dernières œuvres : La Tristesse Du Roi. Quelle merveilleuse simplicité ! Quelle grâce, quelle élégance et paradoxalement, quelle magnifique joie dans l'affliction !
Dans ce qui est qualifié d'autoportrait, l'artiste, réduit à l'état de symbole, n'est plus qu'une ombre obscure, une sorte de trou noir central d'où s'échappent des mains blanches et une guitare. Autour, vibrionnent des taches de couleurs avec légèreté et apparente insouciance. Une silhouette probablement féminine semble saluer celui qui s'engloutit dans la nuit. Tandis que de l'autre côté, une forme galbée paraît danser avec des bras s'élevant vers les cieux comme des oiseaux. Le tout baigne dans une ambiance peuplée d'étoiles et de fleurs.

A ce doux adieu à la vie, à cette entrée sereine dans l'au delà, les vitraux de la Chapelle du Rosaire de Vence donnent un écho mystique. Les arabesques bleues découpent la lumière en douces flaques, qui créent une atmosphère mêlant une intense modernité à un ineffable mysticisme.

Le vrai mystère est qu'avec un art aussi humble, aussi simple, Matisse parle autant aux yeux qu'au cœur. Dans chaque tableau il y a quelque chose qui vous interpelle. Un mur se confond avec le ciel, dans leur bocal, des poissons rouges semblent jouir d'une étrange liberté, dans un arrière plan, un jardin sans perspective se dissout en délicieuses volutes végétales, et dans de merveilleux décors, fusionnent doucement les lumières, les odalisques et les moucharabiehs de l'Orient, avec les impulsions lumineuses de l'Occident moderne, inspirées par les trépidations du jazz et même les bariolages publicitaires...
A l'inventivité d'un Picasso, à l'intense symbolique d'un Braque, Matisse ajoute une incandescence spirituelle qui vibre même dans les plus schématiques découpages.
Comme pour mieux extraire la quintessence de ses sujets, il revenait souvent sur des thèmes déjà travaillés, pour les traiter différemment, pour en apurer les contours ou bien en styliser toujours plus les formes.
Le Musée Beaubourg lui consacre une intéressante exposition, explorant la manière récurrente qu'avait l'artiste d'exprimer ses points de vues picturaux. Intitulée Paires et Séries, elle rapproche de manière saisissante des tableaux réalisés parfois à plusieurs années d'écart, mais centrés sur des motifs communs. Une entreprise fascinante qui tente de percer le mystère de la genèse artistique. Et un envoûtement garanti autour de ce thème et variations...

4 commentaires:

Anonyme a dit…

mouais... pas ma tasse surtout les gommettes ! par contre le tien est encadré, magnifié, sublimé par un entourage noir anthracite, réhaussé d'un rebord bleuté ! magique mon ami, et il est sur mon mur à St Nazaire. merci RAMONE

c'est Jeff ici a dit…

We have a large collection of Matisse paintings here in the Baltimore Museum of Art. I never visit the BMA without spending some time with these paintings. I've come to appreciate them more and more as time passes. There are some early Matisse paintings in the collection and I marvel at the way Matisse moved from a rather somber, almost muddy palette to his more characteristic use of vibrant color. I sometimes have the impression that the subjects in the paintings are there just as an excuse to place colors in a certain arrangement.

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Dear Jeff,
I remember our visit to the BMA, where I enjoyed the Matisse collection, a legacy of the Cone sisters.
I totally agree with your last sentence about the way Matisse was arranging the colors. And watching these masterworks, I think this arrangement is stronger when it represents something, taken from reality, than from pure abstraction...

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Cher Ramone,
C'est trop d'honneur ! Mais crois moi ça reste hélas désespérément inférieur aux gommettes de Matisse... Il faut aller au delà de la simple apparence. C'est un grand vertige...