20 novembre 2012

A quand la fin du sommeil dogmatique ?

A l'heure où l'on apprend que l'agence Moody's dégrade à son tour la note de la France, le récent ouvrage de Nicolas Baverez, "Réveillez-vous !" trouve un nouvel écho, si cela était nécessaire.
Son diagnostic sur la situation de notre pays est tranchant comme une lame. Les saillies aiguës comme des dagues. Et le tableau, sombre comme un abîme...
Nicolas Baverez n'est certes pas un optimiste de nature. La période n'y incite pas de toute manière, et la solidité de son argumentation, la cohérence des analyses impressionnent. Mais il persiste dans le titre de l'ouvrage une once d'espoir, sous conditions. 
Même s'il paraît bien mince au regard du constat quasi désespéré, sur quoi repose-t-il ? Avant tout du bon sens, et du réalisme, ce qui n'exclut pas à certains endroits quelques menues contradictions...


Relativiser la mondialisation
Au rythme où vont les choses, Nicolas Baverez annonce que « La France quittera les dix premières puissances du monde à l'horizon 2030 ». Sans doute cela pourrait paraître excessif. Pourtant, contrairement à ce qu'on entend seriner lorsque est évoqué le modèle social français, rien n'est jamais acquis. L'Argentine figurait parmi les 10 premières puissances économiques du monde dans les années 1930, avant de faire faillite au début des années 2000.
A l'inverse, la Corée était un des pays les plus pauvres de la planète dans les années cinquante. Aujourd'hui sa seule partition du sud, soumise à l'horrible capitalisme, est dans ce peloton de tête !

En définitive, on peut s'étonner de voir la mondialisation si décriée, alors qu'elle lève les blocages, ouvre les frontières et abat les murailles. Elle laisse en somme sa chance à tous. A chacun de s'en saisir.
En attendant le point d'équilibre, on assiste évidemment à un gigantesque et un peu inquiétant tourbillon, un vaste système de vases communicants. Qu'en sortira-t-il ? D'ici 2050 la part de la Chine dans les échanges mondiaux pourrait progresser de 8,2 % 20,2, celle de l'Inde de 2,1% à 9,3%, celle de l'Afrique de 2,6 à 13%, celle de l'Amérique Latine de 7,7 à 7,9% tandis que celle de l'Europe passerait de 25 à 8,6% et celle des Etats-Unis de 26,5 à 10,3%... 
Dans un monde libre, les cartes sont rebattues sans cesse. Rien n'est jamais perdu, rien n'est jamais acquis. Après avoir été détruite par la guerre, divisée par l'impérialisme socialiste, l'Allemagne réunifiée et modernisée au terme d'énormes efforts, assume désormais seule le leadership de l'Europe...


La zone euro en danger
D'une manière générale, le constat fait par Nicolas Baverez dépasse largement le cadre de notre pays. Il concerne l'ensemble européen. Selon lui, « la zone Euro, extrêmement fragilisée, est devenue une menace majeure pour l'économie mondiale. Son éclatement pourrait conduire à une grande dépression, comparable à celle des années 1930. »
Plusieurs nations sont au bord du gouffre à l'heure actuelle, mais la France s'en rapproche dangereusement, et pourrait-on dire inéluctablement, eu égard à l'insouciance apparente des politiques menées par les dirigeants. En la matière, ils se suivent et se ressemblent...

La sottise des rengaines anti-capitalistes
Le fond du problème est que « La France et les Français se mentent à eux-mêmes ». Qu'elles soient de droite ou de gauche, les stratégies mises en œuvre par les Pouvoirs Publics, communient dans un même credo anti-libéral et anti-capitaliste: « A force de s'enivrer d'antilibéralisme, la France a perdu le goût et le sens de la liberté. La devise de la République a été pervertie. La liberté, que la France a contribué à inventer en 1789 est dénoncée comme contraire à l'égalité et ne cesse d'être laminée par l'étatisme. » Au plan de la politique économique, ce n'est pas mieux : « convertie au modèle du tax and spend qui a ruiné la Suède dans les années 80, elle s'achemine vers une faillite de grande ampleur. »
Face aux enjeux majeurs auxquels est confronté le pays, « La campagne présidentielle de 2012 n'a produit ni idée nouvelles, ni stratégie de sortie de crise ». Or en démocratie, on a les dirigeants qu'on mérite. C'est au peuple français dans son ensemble, que revient la faute « d'avoir congédié le réel pour mieux s'enfermer dans l'utopie et les mythes du passé »

Les médias y participent largement en colportant complaisamment des niaiseries qui semblent faire hélas consensus. On trouve dans l'ouvrage quelques exemple de cette désinformation plus ou moins consciente.
On nous dit souvent que les grandes entreprises, coupables de faire d'énormes bénéfices et de choyer leurs actionnaires, ne paieraient pas, ou quasi, d'impôts. Or, « en 2011, les groupes du CAC40 ont versé 40 milliards d'euros d'impôts contre 36 milliards de dividendes ! »
Combien de fois entend-on le couplet rabâchant que dans le monde cruel du capitalisme, les pauvres ne cessent de s'appauvrir tandis que les riches continuent de s'enrichir. Un seul exemple met à mal cette antienne fumeuse : « La Chine représente le quart de la croissance mondiale et a vu le niveau de vie de sa population passer de 278 à 6200 dollars par habitant depuis 1980. »
Mais comment faire sortir de leur surdité ceux qui ne veulent pas entendre et qui cherchent par pure idéologie, «à ranimer la lutte des classes.../... et miment les très riches heures des révolutions passées en s'inventant de nouveaux aristocrates à pendre à leurs lanternes ?»


L'ombre d'un doute
Le propos de Nicolas Baverez n'est toutefois pas exempt de cette curieuse tendance à la rétractation, lorsqu'il s'agit de plaider pour le modèle libéral, capitaliste. Il y comme une réticence à affirmer les thèses.
Alors que l'essentiel du discours consiste à flétrir l'Etat-Providence, notamment dans sa tendance à la bureaucratie et à la réglementation à tout va, l'auteur ne peut s'empêcher de fustiger dans le même temps « les mythes de l'auto-régulation du capitalisme, de la toute puissance des marchés... »
Au sujet des Etats-Unis, il s'attaque principalement à la « politique néo-conservatiste » qui aux yeux de quantité d'observateurs incarne justement le modèle capitaliste, et qui selon lui, aurait « sapé leur puissance au fil de 2 longs conflits enlisés, affaibli leur économie, miné la confiance des citoyens dans la Constitution et déligitimé leur leadership ». outre la contradiction, c'est faire peu de cas du mouvement des Tea Parties, réclamant justement le retour à l'esprit des Pères Fondateurs de cette constitution.


Perspectives
A la fin de son ouvrage, Nicolas Baverez esquisse quelques perspectives d'actions susceptibles d'inverser la tendance qu'il déplore. Il les décline selon trois axes qu'il qualifie de pactes.
Au titre du pacte productif, il réaffirme la nécessité pour la France de « faire le choix du capitalisme, car l'entreprise est la clé de la croissance, de l'emploi et de l'innovation, et donc de la puissance de l'Etat et de la souveraineté de la nation » Au passage, il enterre « le schéma keynésien d'une croissance tirée par des dépenses publiques financées par la dette »
Il insiste sur l'importance qu'il y a de maîtriser le coût du travail, donc de limiter le poids des charges sociales qui le plombe. Il considère notamment que le financement des allocations devrait relever de l'impôt (TVA ou CSG) et non des charges pesant sur l'entreprise. Le hic est qu'il ne s'appesantit guère sur l'accroissement des impôts que cela impliquerait pour les citoyens. Il n'y a pas non plus de réelle réflexion sur la nature de ces charges ni sur l'utilité réelle de ce qu'elle couvrent.

S'agissant du pacte social, où cet aspect des choses pourrait être évoqué, Baverez en reste à des principes très généraux. Il s'alarme de la centralisation et de la bureaucratisation extrêmes de l'Education Nationale, il remet même en cause l'autonomie des universités mise en œuvre par Nicolas Sarkozy car il la juge « fictive ». Mais il ne précise pas comment avancer (privatisation?)
S'agissant du système de santé, il en reste à un quasi statu quo : « La santé doit mêler une assurance obligatoire financée par les entreprises et des assurances complémentaires individuelles ». Quel est le changement avec la situation actuelle ? Quid d'une réforme de la Sécurité Sociale ?
Même constat au sujet du système des retraites pour lequel il envisage de manière évasive «une part obligatoire financée par les charges sur les salaires, et une retraite par point »
Enfin, il regrette la balkanisation de la société (5,2 millions d'immigrés et l'éclosion des cimmunautarismes : un défi qu'il juge comparable à la réunification allemande), mais il n'est pas très précis lorsqu'il s'agit de repenser les politiques de solidarité...

Enfin, le pacte citoyen et le pacte européen n'apparaissent pas beaucoup plus décisifs.
L'auteur insiste sur le rôle essentiel du citoyen, en prenant les exemples de la mobilisation de la nation allemande lors de la réunification, ou du peuple japonais après la catastrophe de Fukushima.
Mais lorsqu'il s'agit de la mise en œuvre, ce sont soit des mesures ponctuelles abruptes, soit des principes dénués de logique pratique. Il faut dire que la tâche est immense vu l'interprétation très particulière, presque intégralement étatisée, qu'ont les Français de la responsabilité citoyenne.
Faute de mieux, il propose ainsi en matière d'organisation territoriale, « la suppression des départements » qui à ses yeux « n'est plus une option mais une obligation ». Hélas, il n'inscrit pas cette mesure dans une vision plus générale, qui lui eut donné une vrai sens et une vraie cohérence.
Lorsqu'il en arrive à l'échelon européen, bien qu'il alerte sur le danger et le paradoxe d'une déconstruction de l'union européenne, il se borne à nous redire que « l'euro est confronté au choix entre le fédéralisme et l'éclatement .» Le sujet aurait pourtant mérité de plus amples développements...
J'ai noté à cette occasion, deux autres exemples du syndrome de Pénélope, consistant à défaire la nuit ce qu'on tisse le jour. Mais autant il est aisé de comprendre ce qui poussait l'épouse d'Ulysse, autant il paraît difficile de suivre ceux qui se livrent à l'exercice lorsqu'il s'agit de démonstration intellectuelle.
Ainsi Nicolas Baverez, qui fustige le caractère massif des prélèvements obligatoires, accepte tout à coup en matière de fiscalité « des niveaux confiscatoires », à condition « que la situation soit provisoire et que la totalité des nouveaux prélèvements soit affectée au désendettement. » Serait-il naïf ou bien inconséquent ?
Autre incongruité, il revendique « une conception de la liberté modérée et pluraliste, mais qui soit différente du modèle américain, régulièrement menacé par la démesure ». Encore faudrait-il qu'il précise comment on peut concilier la modération et le pluralisme, en quoi la liberté qui règne en Amérique s'apparente à de la démesure, et en quoi cette démesure est néfaste...

En bref, si un ardent défenseur du libéralisme peut rester un peu sur sa faim, il n'empêche que cet ouvrage qui se veut davantage analyse que pamphlet, a de quoi ébranler. Et à défaut de proposer des solutions très concrètes, il suggère qu'on se tourne enfin vers d'autres perspectives que celles éculées, suivies depuis des décennies. De ce point de vue, le propos relève plus de l'optimisme que du désespoir. Son titre le dit mieux qu'un long discours. Rien n'est sans doute définitivement perdu mais le temps presse !
Parmi les citations qui viennent le plus naturellement à l'appui de la thèse, qu'il soit permis de terminer avec celle de Benjamin Franklin, recommandant à qui veut l'entendre, de ne pas galvauder la liberté et qui reste parfaitement d'actualité :« Celui qui sacrifie une liberté essentielle à une sécurité aléatoire et éphémère ne mérite ni la liberté, ni la sécurité... » Espérons qu'elle ne résonne pas comme un glas étant donné l'état des mentalités.

2 commentaires:

Philippe POINDRON a dit…

Une agence de notation vient de dégrader la note de la France. Argumentation de monsieur MOSCOVICI : "C'est la faute de nos prédécesseurs". Monsieur MOSCOVICI est un imbécile (au sens de BERNANOS). Avec de tels incompétents, et alors que les meilleurs des Français quittent un navire en perdition pour ne pas sombrer avec lui, il faut craindre le pire. Ce peut être une Révolution sanglante alliant les frustrés de tous poils ; ce peut être une chute vertigineuse dans les abîmes de la dette et une cessation de paiment. Bref, on est mal parti. Et on en a a priori (mais c'est un a priori) encore pour un peu plus de quatre ans.

Galahad a dit…

Les attaques permanentes de Nicolas Baverez, ces dernières années, contre le "néo-conservatisme" m'ont un peu lassé. Son diagnostic sur la France me semble le bon, mais question prose, il nous fait amèrement regretter Jean-François Revel ou Raymond Aron.