27 février 2014

True Blue

Quel choc, cette (re)découverte du Blues dans l’interprétation qu’en donne Archie Shepp ! J’avais dans l’esprit le turbulent défenseur de l'african soul, passé par les glapissements frénétiques du free jazz le plus débridé, et pour le reste, égaré dans d’interminables digressions au groove un peu filandreux. C’était vraiment mal connaître le lascar…
Quelques productions datant des années 90 sur lesquelles je suis tombé par hasard, ont radicalement et définitivement changé mon opinion.

Dans une première session en quatuor, datée de 1992, Black Ballads, il a certes un peu délaissé la fougue des années d’insurrection, mais c’est pour se dévouer plus que jamais à l'expression d'un spleen coruscant, débordant de force et de suavité. Frissons garantis. Sans doute la présence du délicat pianiste Horace Parlan est-elle pour quelque chose dans ce climat d'infinie tendresse qui caractérise l'ensemble des prises. Toujours est-il qu'on baigne ici dans une volupté presque websterienne, ponctuée d'envolées lyriques que le cher et regretté Coltrane n'aurait pas désavouées. On trouve ici quelques belles et nostalgiques compositions personnelles (I Know About Life, Deja Vu) alternant avec de grands classiques qu'on redécouvre sous un jour somptueux (Georgia On My Mind, Embraceable You, Smoke Gets In Your Eyes, How Deep Is The Ocean, Ain't Misbehavin').
Un vrai moment de grâce…


Amoureusement remastérisées en 2012 par Tetsuo Hara pour Venus Records, Blue Ballads et True Ballads datant de 1995 et 1996 confirment l’illumination. Sur des standards éprouvés, il brode ici des mélopées languides, à la beauté extrêmement pénétrante, non dénuées d’un swing débordant de générosité (Blue and Sentimental de Count Basie ou bien les très latinos If I Should Lose You, Nature Boy). De la période free, il reste certes quelques couacs sublimes et savants dérapages dans les aigus, et certains pourront même trouver qu'il abuse un peu du procédé, mais personne ne niera qu'il reprend toujours la situation en main avec brio. Au surplus, il est encadré une fois encore par un pianiste en état de grâce, ici John Hicks, et une excellente section rythmique (George Mrasz à la contrebasse et Idris Muhammad à la batterie). Au sax, le style erratique aux sonorités bien rondes et puissantes de Shepp trouve ici sa plénitude, dans une atmosphère black and blue, idéalement magnifiée par les photos de jaquette empreintes d’une lasciveté troublante. Parfois il se met à chanter, et c'est également profond et très convaincant (More than you know, ou l'extatique Alone Together). De savoureux moments assurément…


Enfin, True Blue, enregistré en 1998 est une vraie apothéose. Totalement investi dans son odyssée musicale, Shepp livre des soli incandescents marquant sans nul doute d’une pierre blanche l’histoire du jazz. Il puise son inspiration de manière très éclectique et on retient particulièrement les lamentations déchirantes inspirées de Coltrane (Lonnie’s lament), le feeling à fleur de peau qui sourd d’un air de Cole Porter (Everytime We Say Goodbye) ou de Lawrence et Altman (All Or Nothing At All), la moelleuse pulsation d’une tendre ballade empruntée à J. Styne (Time After Time), la douce nostalgie d’une chanson de Trénet (Que reste-t-il de nos amours) et l’abandon dans la suavité d’une délicieuse composition de Billy Eckstine (I Want To Talk About You). Tous ces instants qui s’étirent voluptueusement en vous filant d’ineffables frissons sont tout simplement magiques. La formation qui entoure le saxophoniste est idéale. John Hicks s’y révèle plus que jamais un pianiste particulièrement sensible et la section rythmique est parfaitement dans le groove (George Mrasz à la contrebasse, Billy Drummond à la batterie). Un must, superbement mis en valeur par le parfait remixage effectué par les studios japonais Venus.

Le bleu est donc bien la couleur de la vérité. Et lorsqu’elle vient du coeur par le blues, c’est évidemment la plus belle qui soit...


En écoute sous ces liens :
Black Ballads
Blue Ballads 
True Ballads 
True Blue

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