21 avril 2014

Turgot, lumineux (1)

Moins de deux ans, c’est ce que notre pays accorda au libéralisme pour faire ses preuves !  C'est vraiment peu pour une nation qui a inscrit la Liberté au fronton de tous ses édifices publics.
Au surplus, ces deux petites années ne datent pas d'hier. Elles s'étendent précisément d’août 1774 à mai 1776, période durant laquelle Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781) fut contrôleur général des Finances du Royaume de France. Cette époque aurait pu être bénie, or elle fut maudite...

Elle commençait pourtant bien.
Lorsque Turgot fut promu ministre par la volonté du jeune Louis XVI, celui-ci venait d'accéder au trône, et tous deux avaient en tête une foule d'idées audacieuses. Le pays en avait bien besoin, tant il s'asphyxiait dans des schémas sociétaux archaïques et tant il croulait sous les dettes.
De l’autre côté de l’Atlantique, à l’Ouest, un vent de liberté se levait, irrépressible. Il était porteur de grandes espérances et la France qui ne contribua pas peu à le faire naître, pouvait être le relais sur le vieux continent, de ces aspirations nouvelles.

Etrange pays que le nôtre ! Nombre de philosophes, d’économistes et de penseurs s’y illustrèrent dans la défense des idées libérales, et très peu de politiciens et d’hommes d’état ont tenté de les mettre en application.
Turgot constitue une exception notable. Il fut à la fois penseur brillant et homme d'action intrépide. Il servit un roi doté d’une grande ouverture d’esprit, apte sans aucun doute à mettre en oeuvre la grande révolution intellectuelle portée par les Lumières.
Mais, paradoxe navrant, il fut renvoyé dans ses foyers prématurément sous la pression d’intellectuels jaloux de leurs prérogatives, tandis que le roi fut la victime expiatoire de révolutionnaires obtus, se gargarisant de liberté ! Et si en définitive le ministre déchu n’eut pas un destin aussi funeste que son monarque, ce fut sans doute parce que la maladie le terrassa à 53 ans, quelques huit ans avant la prise de la Bastille !

Son passage aux affaires fut marqué par d’indéniables et rapides succès économiques, permettant notamment la réduction drastique de l’endettement du pays, non par l’accroissement des impôts ou le recours à l’emprunt, mais par une gestion budgétaire rigoureuse, et de substantielles économies. Le principe, décrit
dans la lettre qu’il adressa à Louis XVI suite à sa nomination, était simple : “Si l'économie n'a précédé, aucune réforme n'est possible”.
Tout en assainissant les finances du pays, il amorça toutefois en parallèle d’audacieuses réformes libéralisant le travail et les échanges commerciaux. Il supprima nombre de charges absurdes qui pesaient sur le peuple, dont les corvées royales qui contraignaient les paysans et les roturiers, à fournir à l’Etat des jours de travail non rémunéré, consacré à l’entretien des routes. Il abolit les jurandes, maîtrises et autres dispositifs corporatistes qui bridaient l’accès à nombre de professions et en réservaient les avantages à quelques élus.
Hélas, une cabale de privilégiés, et de très mauvaises récoltes dues aux aléas climatiques tuèrent dans l'oeuf ce vaste programme de modernisation de l’Etat. Louis XVI, bien intentionné mais influençable et manquant de détermination, le révoqua de ses fonctions. Résultat, de concessions en concessions, le pouvoir s’affaiblit et il ne fallut que quelques années pour que le pays bascule dans le grand désordre de la révolution.
Au moment de son éviction, Turgot avait mis en garde Louis XVI de manière prémonitoire : « N'oubliez jamais, Sire, que c'est la faiblesse qui a mis la tête de Charles 1er sur un billot... »

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