25 septembre 2015

Un vrai faux scandale

L’affaire Volkswagen, quelle aubaine pour les médias en mal d’inspiration, avides de la moindre actualité un peu croustillante, sur laquelle ils fondent comme la vérole sur le bas clergé…
Cette histoire de tricherie concernant le premier constructeur mondial d’automobiles, c’est du nanan !

Au surplus, au plan idéologique tous les ingrédients sont réunis pour faire une bonne mayonnaise. C’est tellement tendance de cracher sur le capitalisme, sur les entreprises qui réussissent, sur celles qui dégagent des profits, bref sur tout ce qui bouge encore un peu dans ce monde englué dans la morosité et la bureaucratie normative. Et l’Allemagne est tellement énervante avec son industrie inébranlable, sa position dominante qui lui permet de se donner des airs supérieurs…

Pour l’heure, il est encore bien difficile de comprendre vraiment la cause d’un tel emballement mais qu’importe, lorsque les charognards attaquent, ils n’ont pas d’état d’âme et l’instinct grégaire le dispute à la voracité.
Objectivement, jamais les automobiles n’ont été plus performantes, plus économes en carburant et plus sûres pour leurs occupants. Pourtant, jamais on a été aussi exigeant pour en demander plus. Dès que les constructeurs parviennent à un nouveau progrès en matière d’indicateurs qualitatifs, les Pouvoirs Publics, si peu efficients quant aux leurs, se plaisent à monter d’un cran les normes qu’ils leur imposent avec une délectation d’autant plus exquise qu’elle est irresponsable. Qu’il est doux de contraindre les autres à faire ce à quoi on évite de se soumettre ! Cela donne un doux sentiment d’efficacité à peu de frais…

Dans cette affaire, on comprend vaguement que les ingénieurs avaient intégré aux véhicules un logiciel optimisant dans certaines conditions le fonctionnement des moteurs, afin de minimiser la production de rejets polluants.
La belle affaire ! N’est-ce pas précisément le but de la sophistication croissante des automobiles, que de réguler au mieux, en fonction du contexte, leur fonctionnement.
On connaissait la direction assistée qui facilite les manoeuvres du volant à basse vitesse et en durcit le mouvement lorsque cette dernière croît. On connaissait l’assistance au freinage, les systèmes de parking automatiques et les correcteurs de trajectoires, qui minimisent les conséquences d’un mauvais pilotage.
Chacun sait enfin que la plupart des véhicules modernes disposent désormais d’un ordinateur de bord proposant plusieurs modes de conduite et de consommation : économique, urbain, sportif… A l’arrêt, leur moteur est même automatiquement stoppé puis redémarré.
Alors ? Quand donc doit on mesurer les rejets toxiques par leur pot d’échappement ? Quand faut-il mesurer la consommation de carburant ?
Tout est affaire de définition, de but recherché, et d’esprit pratique.

L’optimisation est elle nouvelle ? Se présenter au contrôle sous son meilleur jour : est-ce si choquant ? Est-ce pour autant le reflet exact de ce qu’on est réellement ? Où est la vérité ? y a-t-il seulement une vérité ?
L’Etat, grand falsificateur n’est-il pas le premier à truquer les statistiques qui le concernent. On connaît les controverses sur les chiffres du chômage : faire varier les règles ou bien créer des succédanés d’emplois, autant d’exemples des stratagèmes couramment exploités pour donner l’impression la plus favorable possible aux analystes.
Le citoyen quant à lui, même le plus vertueux, lorsqu’il fait sa déclaration fiscale, ne cherche-t-il pas avant tout à minimiser ses revenus en profitant de tous les artifices et autres niches fiscales à sa portée ?
Le candidat, même le plus honnête, qui se présente pour un emploi ou une fonction est-il en mesure de réaliser en toute circonstance et à tout moment toutes les performances dont il se targue dans son curriculum vitae ?

Même la plus belle femme du monde éprouve le besoin de se maquiller pour se présenter au regard des autres. Pourquoi ?
Une chose est sûre, le fameux ordinateur du véhicule, véritable deus ex machina, peut faire beaucoup de choses mais il ne peut pas encore modifier le fonctionnement des dispositifs de contrôles qui mesurent bel et bien ce qui sort du pot d’échappement…

Que va-t-il advenir de Volkswagen, placé du jour au lendemain sur le banc des accusés ? Va-t-elle s’effondrer dans un grand fracas comme certains le prédisent déjà vue la volatilité soudaine du cours de son action en bourse ? Va-t-elle entraîner dans la tourmente d’autres marques sans doute aussi compromises qu’elle ?
Ou bien tout cela va-t-il finir en eau de boudin, dans un pschiiit amorti, au terme duquel on verra se détourner peu à peu de l’affaire les projecteurs médiatiques, attirés par d’autres scandales...Wait and see...

24 septembre 2015

Investigation douteuse

En matière de falsification, Elise Lucet n'en est pas à son coup d'essai.
Son esprit partisan ne manque pas une occasion de s'exprimer. La dernière en date lui fut donnée le 14 septembre dernier au sujet de certains aspects financiers du système de santé, lors de l'émission intitulée subtilement Cash Investigation, et diffusée par France 2.
Ce jour là, elle a appuyé fort sur le piston de la seringue...

Dans cette prétendue enquête, c'est simple : tout est faux, tronqué ou présenté de manière tendancieuse. Et madame Lucet conduit sa prétendue investigation avec la légèreté d'une éléphante en tutu dansant la polka, au service d'une cause idéologique univoque, annoncée dès le début : en France, la santé serait assujettie à la Loi du Marché.
Évidemment dans la bouche de la journaliste c’est hautement péjoratif, car on comprend vite qu’il s’agit pour elle de la loi de la jungle ou pire encore, de la loi du pognon qui corrompt.

C’est pourquoi dès l’introduction, avant même la moindre démonstration, tout est dit ou presque : “Le diagnostic fait froid dans le dos et le modèle que le monde entier nous enviait est à bout de souffle”.
En cause, la tarification à l'activité, dite également T2A, qui alloue les recettes aux établissements de soins en fonction de la nature des prestations qu’ils délivrent aux patients. Selon le témoignage liminaire d’un médecin hospitalier, présenté comme vérité intangible, “on est dans un dilemme affreux : l'aspect financier et l'aspect soignant; c'est incompatible…”

Fondée sur ce genre d’axiome, l’émission s’apparente donc à un réquisitoire dirigé contre ce mode de rémunération. A la manière des procès soviétiques, tous les artifices du genre y sont exploités pour servir une thèse à charge, de laquelle nulle contradiction ne peut émerger.
Passons sur les raccourcis racoleurs, propres à suggérer des associations d’idées, en mêlant par exemple des images de casses, de cambriolages ou de filouteries, aux pesants truismes partisans. Ils suffiraient certes à démontrer le peu de sérieux de la méthode, mais il y a plus grave et pernicieux :


Par exemple le procédé qui consiste à faire parler les chiffres dont on ne nous montre qu’une partie ou bien des valeurs en pourcentage, sans préciser à quoi ils se rapportent. C'est classique autant que fallacieux.
Autre procédé, celui qui consiste à tirer une vérité générale d’un cas particulier dont on ne nous donne à voir qu’un résumé des plus sommaires. Surtout lorsqu’il s’appuie sur un témoignage “anonymisé” qu’on nous prie de croire sur parole, et d’autant plus qu’il sert sans réserve la cause.
S’agissant de ceux qui sont recueillis à visage découvert, à chaud, à la hussarde, et sur un ton accusateur, c’est pire encore. La victime, surprise au sortir d'une réunion ou en pleine activité, est ainsi sommée de se justifier sans délai, sans défense, sans préparation, devant une caméra et des micros inquisiteurs,
sur les affirmations péremptoires qui lui sont jetées à la figure. C’est peu dire que madame Lucet harcèle ses proies. Elle les poursuit, elle les traque comme du gibier…

Dans ce micmac grotesque asséné sans nuance, on voit ainsi des soignants suggérer qu’ils sont contraints de prescrire des médicaments ou faire des actes dont les patients ont nul besoin, uniquement pour “renflouer les caisses…”
On voit des professionnels affirmer qu’il serait illégal de facturer à l’Assurance Maladie des prestations inter-établissements, ou bien qu’il serait malhonnête pour un hôpital et déloyal au plan du secret médical, de faire vérifier et optimiser le codage des prestations qu’il réalise, par un cabinet d'expertise extérieur. 

Certes s'agissant de la mise en oeuvre du fameux Programme de Médicalisation des Systèmes d’Informations (PMSI), la réglementation est particulièrement ubuesque, et les sujets de controverses sont  légions, mais enfin, quel mal y a-t-il à vouloir vérifier deux fois une procédure qui conditionne les recettes financières ? Hélas, tenter de faire comprendre cette problématique à Elise, c'est peine perdue…

Tout cela témoigne de beaucoup d’incompréhension, d’ignorance voire de lâcheté, et ne révèle en définitive pas grand chose du système lui-même, dont on occulte, entre autres, le fait qu’il soit surveillé strictement par le payeur, à savoir la Sécurité Sociale. Tous les établissements qui ont eu à rendre des comptes à ses contrôleurs zélés et à payer des indus et des sanctions, savent ce qu’il en coûte de frauder et combien il est souvent difficile de distinguer les erreurs ou imprécisions de bonne foi des malversations caractérisées...


Bref, s’agissant de la santé comme de tant de domaines ici bas, la tarification à l’activité est sans doute le pire des systèmes, mais à l'exception de tous les autres comme disait Winston Churchill...
Madame Lucet crie au scandale sur un quart d'heure en plus ou en moins lors de l'enregistrement du décès d'un patient (qui doit de toute manière rester deux heures dans sa chambre avant de descendre à la morgue), mais se souvient-elle des abus relatifs aux durées de séjours lorsque la facturation se faisait sur la base des prix de journées !
Elle assène que la T2A pousse à faire de l'activité, ce qui est une tautologie à laquelle M. de La Palisse lui-même n'aurait sans doute pas oser confronter sa logique irréfutable ! Et ce qui laisse entendre qu'elle regrette le temps béni du Budget Global où la règle était "A rémunération constante, moins j'en fais, mieux je me porte..."
Sait-on seulement qu’à ce jour, l'inénarrable "mille-feuilles" du système français cumule les trois systèmes en strates superposées. Tout le monde devrait donc être heureux !

Mais sans doute, les adversaires de la fameuse Loi du Marché, ceux qui s’époumonent à hurler que "la santé n'est pas une marchandise", notamment madame Lucet et son compère Sylvain Louvet en tête, imaginent-ils qu'il existe une corne d'abondance dans laquelle on pourrait puiser sans compter. Sans doute croient-ils également que le personnel qui représente 70% des dépenses hospitalières, travaille bénévolement et vit d'amour et d'eau fraîche…

18 septembre 2015

Périls en la demeure

Dans la sphère médiatique un problème chasse l'autre et tout se confond dans un déprimant magma mélodramatique.
Oubliée la banqueroute grecque qui faisait les gros titres des journaux il y a quelques semaines à peine, et opposait les généreux contempteurs de l'austérité aux cruels partisans de la rigueur budgétaire. Dans cette affaire, l'Allemagne dont l'insolente réussite économique en irritait plus d'un, faisait figure de censeur sans cœur, et la faute était une nouvelle fois imputée à l'Europe par les perroquets de l'anti-libéralisme.
Profitant des circonstances, notre opportuniste président, pensant peut-être au pays qu'il conduit benoîtement à la ruine, se donnait la posture d'un go-between attentif au sort des plus ruinés.

Mais aujourd'hui tout le monde semble se moquer du sort des Grecs.
Une photo a suffi pour déclencher un déluge sentimental, sous-tendu par une problématique déjà ancienne hélas, mais que nul ne voulait voir. Ramenée brutalement à la réalité, l’opinion publique qui ne prêtait qu’une attention distraite aux abominations commises par des êtres humains sur leurs semblables, se réveille à la vue du corps sans vie d’un enfant, victime d’un naufrage...

Le désastre moyen-oriental étalait pourtant ses horreurs depuis des lustres sous les yeux de ceux qui voulaient les voir, et la montée des périls se profilait depuis des années. Tant qu’ils semblaient éloignés géographiquement, leur impact était relatif.
Patatras ! A la manière d’une subite vague de fond, des légions de réfugiés s’abattent sur la vieille Europe, dans une pagaille monstre et tragique.
Qu’y a-t-il donc de nouveau ? Ce n’est pourtant pas hier que la Syrie a commencé de s’effondrer dans l’horreur, et que le Soudan et l’Érythrée furent livrés à des dictatures infâmes, massacrant les enfants aussi bien que leurs mères.
En quoi ces misérables qui affluent diffèrent-ils des sans papiers, des clandestins, des étrangers en situation irrégulière, des migrants auxquels les médias nous ont habitués depuis des années ? Y a-t-il un évènement nouveau derrière cette valse sémantique ?

Certains continuent rituellement d'accuser George W. Bush d’avoir semé les ferments du fanatisme et de la haine qui dévastent aujourd'hui ces régions.
Le débat ne sera donc jamais clos et plus que jamais, il semble difficile de tirer des leçons de l’histoire
Pendant des années, Saddam Hussein nargua la Communauté Internationale, menaça les pays voisins de l’Irak et opprima son peuple, dans une quasi indifférence générale, notamment en France.
Pendant des années, on vit impunément les Talibans sévir en Afghanistan, réduire les femmes en esclavage, démolir le patrimoine artistique millénaire et se livrer à toutes sortes d’atrocités. Toujours sans déclencher de réaction.

Jusqu’au jour où, après les terribles attentats du World Trade Center, quelqu’un décida de prendre des mesures concrètes, massives, ambitieuses.
Des milliers de jeunes soldats moururent pour permettre à ces peuples de recouvrer la liberté, que certains n’avaient jamais vraiment connue.
Dans cette reconquête, il y eut des erreurs sans aucun doute, il y eut des fautes, mais le but était louable et d’incontestables succès furent obtenus. Il n’y eut pourtant guère d’objectivité pour apprécier les efforts accomplis, peu d’émotion pour saluer le sacrifice consenti par ces armées de libération, et les fragiles acquis se sont bien vite effrités, suite à l’abandon démagogique de cette stratégie. Aujourd’hui l’impression qui domine est que tout est à refaire ! Quel gâchis !
Comment ne pas faire le parallèle entre la Syrie d’Assad et l’Irak de Saddam ? Même si le premier est plus rusé que le second, il y a bien peu de différence entre ces deux dictatures socialistes néosoviétiques. Comment ne pas comparer Daesh et les Talibans ? Même cause, même effets pourrait-on dire...

Y a-t-il encore quelque chose à faire d’autre que de se battre la coulpe en sanglotant face à cet exode massif, inexorable, intarissable, qui est en passe de nous submerger ? Y a-t-il une volonté d’agir ? Peut-on encore imaginer reconstituer une coalition internationale pour entreprendre une action de longue haleine dans ces contrées dévastées ?
On peut hélas en douter.
Les Etats-Unis ont quitté la scène internationale, et le président américain préfère amuser la galerie dans les dîners mondains et les émissions de télé-réalité que de prendre le moindre risque à l’extérieur de ses frontières.
La France, sans ressort ni aspiration, sinistrée par une politique insane, endettée jusqu’au cou, rongée par le chômage, minée par les déchirements sociaux et l’appauvrissement généralisé, peut-elle résister encore longtemps à cette nouvelle épreuve ? Derrière elle, le château de cartes européen, sans dessein, sans ambition, sans unité, va-t-il pouvoir tenir debout ?
Le plus étonnant est peut-être que tout n’ait pas déjà éclaté...
Illustration: La vision de Tondal. Ecole de Hieronymus Bosch

13 septembre 2015

Europe égarée

Europe, Ô nostalgie, Ô vestiges fanés,
Humides d'émotions mais sans foi et sans âme.
Ô souvenirs confits dans lesquels on se pâme
Ou bien que l'on vomit en se bouchant le nez.

Cimetière peuplé d’idéaux surannés
Où le présomptueux côtoie parfois l'infâme,
Où trop souvent l'honneur pourrait valoir le blâme,
Et où les grands espoirs sont des enfants morts-nés.

Europe désaxée, où vas-tu chancelante,
Indifférente à tout, et même à ton destin ?
Où t'emmène ta course utopique et sans dessein
Que la liberté même épuise et désenchante ?
La Méditerranée fut ton berceau doré,

Sera-t-elle un tombeau pour ton rêve égaré ?

Illustration : Europe enlevée par Zeus, sculpture devant le siège de l'Union européenne

03 septembre 2015

Dieu joue-t-il aux dés ?

S'agissant de la conscience humaine, la seule dont nous avons la certitude, puisque chacun de nous en fait quotidiennement l’expérience, force est de constater avec Werner Heisenberg que "ce sont les mêmes forces régulatrices qui ont construit la nature dans toutes ses formes, qui sont à l’origine de la structure de notre âme, donc aussi de notre intelligence…"
Certes, le concept de conscience n’existe pas en physique et en chimie, et l’on ne peut guère imaginer qu’un tel concept puisse être déduit de la mécanique quantique. Cependant, pour Heisenberg, “dans une science qui inclut également les organismes vivants, la conscience doit tout de même trouver une place, car elle appartient à la réalité..."
Encore une fois se trouve conforté le point de vue de Kant, qui faisait de la loi morale, consubstantielle a la notion de conscience, une réalité aussi certaine et merveilleuse que la voûte céleste étoilée !

De la conscience et du dessein qui la caractérise, jusqu’à Dieu, il n'y a qu'un pas.
Le savant se garde bien de le franchir mais il livre une réflexion roborative sur le sujet, empreinte de pondération et de modestie...
Elle part pourtant de l'opinion très tranchée de Paul Dirac, pour lequel la science se conjugue naturellement avec l'athéisme.
Pour celui-ci, l’hypothèse de Dieu amène en effet "à se poser des questions absurdes, par exemple la question de savoir pourquoi Dieu a permis le malheur et l’injustice dans notre monde, l’oppression des pauvres par les riches, et toutes les choses horribles qu’il aurait pu, après tout, empêcher.”
On peut souscrire aisément à cette critique d’une vision trop bornée, trop humanisée du principe divin, et qui en outre signifierait que l’homme y serait assujetti comme une marionnette. Mais on peut également avoir une autre conception de Dieu que celle de Dirac, résumée par la célèbre formule lapidaire de Lénine, qui en faisait “l'opium du peuple”, distillé et entretenu par des gouvernants soucieux de faire taire l'envie de révolte…

Albert Einstein qui n'était pas connu pour être un dévot affirmait quant à lui que "Dieu ne joue pas aux dés". Ce faisant, il instituait de manière implicite ce dernier comme principe immanent, tout en manifestant sa réticence à s'en remettre au hasard ou au principe d'incertitude comme fin en soi.

On se souvient également de son raccourci fameux : "Dites moi ce que vous entendez par Dieu, je vous dirai si j'y crois..."
Ce positionnement à mi-chemin entre le déterminisme athée et la foi ennemie des réalités, est peut-être en définitive ce qui est le plus raisonnable, si pour paraphraser Pascal, Dieu “a ses raisons que la raison ne connaît pas…”
 
Des propos de Heisenberg, on peut finalement déduire qu'il ne serait pas très éloigné de la notion d'"Intelligent Design" assez en vogue actuellement. Sans doute avait-il en tout cas une préférence pour un monde gardant une aspiration spirituelle, à un autre résolument matérialiste.
Il redoutait d’ailleurs l'avènement de ce dernier, comme en témoignent les lignes suivantes, écrites en 1927, comme si elles avaient été inspirées par un sombre pressentiment : “Il se pourrait que les paraboles et images de la religion perdent leur force de conviction même aux yeux des gens simples. Je crains qu’à ce moment là, notre éthique actuelle ne s’écroule également très rapidement et qu’il ne se produise des choses d’une horreur que nous ne pouvons même pas imaginer à l’heure actuelle.”

S’il faut retenir quelque chose de magique dans le spectacle de la nature, on pourrait évoquer avec Heisenberg, “le miracle de la stabilité de la nature” devant lequel s’émerveillait Niels Bohr.
Précisons que par stabilité, il entendait que “ce sont toujours les mêmes substances avec les mêmes propriétés qui apparaissent, que ce sont toujours les mêmes cristaux qui se forment, les mêmes composés chimiques qui se créent… Ainsi, même après de nombreuses modifications dues à des influences extérieures, un atome de fer redevient un atome de fer, possédant les mêmes propriétés qu’auparavant…”
C’était selon lui, paradoxalement incompréhensible selon la mécanique classique, basée sur un strict déterminisme causal des phénomènes.
Ce serait précisément à cause de la stabilité de la matière, que la physique newtonienne ne peut pas être correcte à l’intérieur de l’atome et qu’il ne peut y avoir de description visuelle de sa structure. En effet, une telle description - parce que visuelle justement - devrait se servir des concepts de la physique classique, concepts qui ne permettent plus de saisir les phénomènes. Autrement dit, “les atomes ne sont pas des objets de l’expérience quotidienne.”

Ainsi, après avoir donné des explications rationnelles à de nombreux phénomènes naturels, l’être humain en affrontant les nouvelles frontières de la connaissance, se rapproche tout à coup de l’indicible. Même un cerveau aussi puissant que celui de Werner Heisenberg manifestait un certain désarroi devant la complexité croissante des concepts manipulés par la science. Il prévoyait que pour progresser, celle-ci exigerait "une pensée ayant degré d’abstraction qui n’a jamais existé à ce point, du moins en physique". Dans le même temps, il s'avouait dépassé, supposant que pour lui, "une telle tâche serait serait sûrement trop difficile"...

Ses réflexions restent en tout cas passionnantes, car outre leur limpidité explicative, elles contribuent à donner une signification à des notions qui de prime abord défient l'entendement. En deçà ou bien au delà de l’échelle de nos sensations, dans l’infiniment petit ou dans l’infiniment grand, nous perdons facilement pied. Il est plus que jamais nécessaire d’avoir des guides inspirés pour nous aider à réfléchir, et à trouver du sens dans ce qui relève de plus en plus de la spéculation ou de l’abstraction.
Au cours d’un de ses entretiens avec Bohr, Heisenberg eut cette interrogation anxieuse : “Si la structure interne des atomes est aussi peu accessible à une description visuelle que vous le dites, et si au fond nous ne possédons même pas de langage qui nous permette de discuter de cette structure, y a-t-il un espoir que nous comprenions jamais quelque chose aux atomes ?”
Le célèbre savant Danois eut un moment d’hésitation, avant de répondre : “Tout de même, oui. Mais c’est seulement ce jour là que nous comprendrons ce que signifie le mot comprendre…”
Le Tout et la Partie. Werner Heisenberg. Champs Sciences. Flammarion 2010