23 janvier 2017

De l'Âme

Y a-t-il un sujet plus difficile à aborder que celui de l’âme ? Premier écueil, on ne sait pas même si elle existe…
Et en admettant qu’elle soit une réalité, de quoi s’agit-il en définitive ?
C’est pour répondre à cette question, et pour complaire à une amie qui la lui posait, que François Cheng entreprit de rédiger sous forme épistolaire ce petit ouvrage.
Le challenge n’était pas fait pour désarçonner cet écrivain très sensible à qui l’on doit déjà de belles réflexions sur la mort, sur la beauté et sur d’autres thèmes a priori indicibles.
Né en Chine il y a près de 90 ans, il fut naturalisé français en 1949 alors que sa famille avait été contrainte de fuir le communisme qui s’installait dans son pays.
Il épousa sa nouvelle patrie avec tant d’affection, qu’il en apprit vite la langue, et si bien qu’il compte depuis 2002 parmi les sages qui siègent sous la coupole de l’Académie française !

Bien sûr il ne faut pas attendre que soit levé ici le mystère de l’âme. M. Cheng nous invite simplement à méditer sur le concept en l’inscrivant dans le cadre de l’histoire de la pensée philosophique et religieuse. La problématique est en effet consubstantielle à l’être humain. Elle naît très tôt dans son esprit et n’aura de cesse de le harceler jusqu’à la fin des temps.
En remontant ce fleuve et en se dirigeant vers l’Orient, c’est sans doute avec le Tao Te King qu’on en trouve l’approche la plus élaborée.
Parlons peu, mais parlons bien, selon le Tao, l’Homme procède de la Terre, la Terre procède du Ciel, le Ciel procède du Tao et le Tao de lui-même... Magnifique tautologie qui fond toute chose dans l’universel. Ce qui n’empêche dans cette conception, que l’âme comme le Yin et le Yang ait deux faces. Elle procède pour sa partie inférieur de la Terre (Po) et pour sa partie supérieure du Ciel (Hun).
Les différentes écoles philosophiques de l’Antiquité n’apporteront pas beaucoup plus de lumière. Surtout elles ont toutes tendances à invoquer la dualité que Descartes magnifiera plus tard. Ainsi pour Platon, le corps est tombeau de l’âme ou a minima la cage dans laquelle elle se trouve enfermée. Aristote voit s’élever le concept par degré, chez les être vivants : il y a l’âme nutritive des végétaux et des animaux, l’âme sensitive des animaux, et pour finir, l’âme pensante, propre à l’homme.
En matière religieuse, le soufisme et sa croyance en la réincarnation établit lui-aussi un parcours initiatique menant à l’élévation par stations, vers l’Absolu. Pour le Talmud l’âme est donnée pure à l’homme au moment de sa naissance et doit être rendue telle à Dieu.
Le Christianisme qui a hérité de nombreux concepts du judaïsme, met quant à lui en valeur la personne et l’unicité de chaque être, de chaque destin. Point de réincarnation, mais la résurrection “qui relève d’un autre ordre, marqué par la transfiguration de l’expérience vécue éprouvée par l’amour.”

A côté de cette exégèse conceptuelle, on lit avec plaisir les réflexions, parfois légères, parfois énigmatiques, toujours poétiques auxquelles se livre l’écrivain. Certaines paraissent s’inscrire curieusement dans une vision matérialiste, notamment lorsqu’on apprend “que le corps et l’âme sont solidaires, que sans âme le corps n’est pas animé, et que sans corps l’âme n’est pas incarnée…”
S’il est évident que nos pensées, notre conscience vivent au gré des pulsations, des plaisirs et des souffrances de notre chair, le débat n’est pas tranché de savoir si l’esprit peut ou non exister à l’état pur.
Ne pouvant répondre à cette interrogation fondamentale, M. Cheng procède par touches subtiles pour cerner ce que serait l’âme, totalement désincarnée.
Il commence, par remplacer la dualité classique par une triade distinguant corps, esprit et âme, et qui constitue selon lui l’intuition la plus géniale des premiers siècles du christianisme. Avec une élégante formule il tente de faire comprendre la différence fondamentale entre les deux dernières entités : “L’esprit raisonne, l’âme résonne…”
Plus loin, ctant Jacques de Bourbon Busset, il emploie la métaphore musicale pour décrire l’âme comme étant “un peu la basse continue du chant natif qui est en nous…”

Au bout de compte ce qui reste de l’âme apparaît bien ténu, si ténu même qu’on se demande ce qui la sépare du néant. M. Cheng renforce ce sentiment en citant cette supplique qu’aurait faite Simone Veil alors qu’elle sentait la mort toute proche : “Accorde moi de devenir rien... “
Heureusement cet étrange désir d'annihilation est contrebalancé par le vers célèbre de John Donne selon lequel “No man is an island, entire of itself” (Nul n’est une île, un tout en soi). Bien sûr il donne avant tout une clé morale pour guider notre existence ici bas. Mais on peut également interpréter son message comme l’indication rassurante que la mort d’un être n’est pas la mort de tout, et qu’en somme, personne n’étant venu de nulle part, personne ne va nulle part.
En somme, à la fin, lorsque tout semble s’effacer, il reste l’âme...

3 commentaires:

extrasystole a dit…

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » de Lavoisier, m'accompagne depuis le lycée, paraphrase du philosophe grec présocratique Anaxagore : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau ».
Cela me suffit à croire à l’immortalité.
Ah! autre souvenir de chimie sur le nombre d'Avogadro qui est le nombre d'éléments atomiques dans une mole, il est de l'ordre de 6x 10 puissance 23. Je me souviens qu'un prof de chimie nous avait dit que si on admettait que le dernier souffle de Jules César était reparti uniformément dans l'atmosphère, nous respirerions au moins une molécule de ce souffle à chaque respiration. Je ne sais pas si c'était juste ou si avec les années j'ai dégradé la démonstration mais Lavoisier et Avogadro m'incitent a demander à mes proches de surtout de ne pas n'incinérer pour offrir à l'univers un dernier cadeau et au cas où mon âme en prendrait un coup.

Enfin, je ne peux que citer le grand, très grand Jacques Higelin dans un de ses très beau textes "je suis mort qui, qui dit mieux"

"Cela dit dans ce putain de cimetière
J'ai perdu mon humeur morose
Jamais plus personne ne vient
M'emmerder quand je me repose
A faire l'amour avec la terre
J'ai enfanté des petits vers blancs
Qui me nettoient, qui me digèrent
Qui font leur nid au creux de mes dents."

extrasystole a dit…

je voulais dire a propos du nombre d'Avogadro le nombre de molécules et non d'atomes,

Pierre-Henri Thoreux a dit…

OK, merci de ce point de vue original et convaincant !
J'aime bien Brassens également qui se voyait en "éternel estivant qui fait du pédalo sur la vague en rêvant, qui passe sa mort en vacances" :