28 août 2017

Les gens sont fous, les temps sont flous

Au moment où l’ouragan Harvey atteint les côtes américaines, présenté par le choeur monolithique des médias comme “le plus puissant depuis Katrina en 2005” et responsable d’inondations “extrêmement graves”, on ne peut s’empêcher de penser qu’un vent de folie souffle plus que jamais sur nos sociétés déboussolées.
La Presse, dont la pluralité et l’esprit critique devraient être si importants en démocratie, est saisie d’un consternant grégarisme. De plus en plus délaissée par le public car de plus en plus inintéressante, elle se livre à une course au scoop totalement stupide.
Malheureusement, hors le flot des nouvelles déversé à jet continu, sans recul ni analyse originale, que reste-t-il pour se faire une idée du monde et comment éclairer nos consciences ?

Il y a quelques jours, lors de l’éclipse “historique” de soleil aux Etats-Unis, nombre de titres ont par exemple cru intelligent de révéler la prétendue inconscience de Donald Trump qui regardait le phénomène sans protection.
Le court instant pendant lequel le président américain a levé la tête vers le ciel avant de chausser ses lunettes a été tourné en dérision comme chaque fait, chaque geste, chacune de ses paroles.
Sur l’éclipse, comme sur la Corée du Nord, sur le Vénézuela, ou sur le réchauffement climatique, c’est, depuis que M. Trump est devenu le bouc émissaire de tout ce qui ne va pas, une épuisante répétition de lieux communs confinant à l’abêtissement. Affligeant spectacle.

Pendant ce temps, le monde est parcouru d’une vague d’attentats islamistes. Les plus spectaculaires furent évidemment ceux de Barcelone, à l’occasion desquels on apprit avec stupeur que la Catalogne était devenue depuis plusieurs années et en toute indifférence, un vrai bouillon du culture pour les fanatiques salafistes.
Les hommages sont certes émouvants mais les bougies, les fleurs et les nounours en peluche et même les manifestations monstres paraissent bien vains dans de telles circonstances. D’autant que l’impact de l’horreur apparaît relatif, selon qu’elle frappe à nos portes en Europe, ou qu’elle est plus distante…
On peut espérer que ces actes ignobles soient les dernières convulsions d’une organisation qui bat en retraite sur tous les fronts au Proche Orient. Mais rien n’est moins sûr hélas et bien irresponsable est le discrédit jeté par une bonne partie de la Presse sur la récente décision américaine de poursuivre et d’intensifier la lutte contre les Talibans en Afghanistan (sans doute parce que la décision venait de Donald Trump…).
On peut également s’interroger sur la tendance étonnante à minimiser toutes les exactions isolées qui surviennent quasi chaque jour. Si à l’étranger, on n’hésite guère à évoquer l’islamisme, en France c’est avec une pudeur insoutenable qu’on qualifie quasi rituellement de simples “déséquilibrés” les sinistres crétins qui se livrent à des “attaques” insensées au couteau ou à la voiture bélier.

Le Pape lui-même donne l’impression d’habiter sur une autre planète lorsqu’il exhorte les pays occidentaux à accueillir toujours plus de migrants, sans souci des raisons qui les poussent ainsi à affluer, ni de la manière dont ils affichent leurs convictions religieuses.  Sans souci non plus de la sécurité nationale des pays hôtes et de leurs capacités d'accueil dans la dignité.
Alors qu’on le voit si discret lorsque des Chrétiens se font ridiculiser, voire massacrer ou martyriser, s’agit-il d’angélisme, d’irréalisme ou tout simplement de niaiserie ? La question est posée, de savoir à quoi sert vraiment ce pontife s'il est incapable de véhiculer autre chose que de futiles paroles...

S’agit-il de cette même niaiserie qui agite actuellement les belles consciences tout à coup révoltées par le moindre élément tiré du passé pouvant rappeler que la destinée humaine n’est pas un long fleuve tranquille ? A défaut de tenter d’affronter les périls actuels, ces gens concentrent toute leur énergie sur les forfaits dont ils accusent leurs aïeux.
Suite aux évènements de Charlottesville en Virginie, la mode est au déboulonnage des statues. Le général Robert E. Lee, qui mena les troupes confédérées pendant la guerre civile américaine fut ainsi mis à bas, piétiné, conspué, au milieu d'une bousculade où les esprits s'échauffèrent jusqu'au drame.

Ce qui s'est passé en Virginie fut détestable à tous points de vue et la mort d'une femme en témoigne tristement. Mais le plus grave sans doute est cette lubie qui s'étend, et qui cherche à fracasser l'Histoire au nom d'une morale aussi approximative qu'outrancière.
Peu sensibles aux nuances et au doute, de nouveaux fanatiques d’un manichéisme intransigeant entendent faire table rase du passé. Leur interprétation de l’Histoire est parfois surréaliste. Tout s'emmêle sans souci de chronologie ni de cohérence. On les entend par exemple souvent dire qu’il faut refuser les amalgames, et pourtant le malheureux général Lee fut assimilé en la circonstance aux néo-nazis !
L’Amérique a failli se détruire au motif de la sécession. Elle s’est au contraire reconstruite après de mortelles déchirures, grâce à la paix de braves à laquelle contribua largement le président Lincoln, mais également certains confédérés dont précisément le général Lee. Relevons d’ailleurs le fait que les statues furent érigées bien après la défaite des Confédérés, dans un pays libre et en toute connaissance de cause.
Aujourd’hui les nouveaux apôtres de la Bonne Pensée veulent effacer le souvenir de ces évènements tragiques, de ces cruelles blessures dont les cicatrices témoignent d’une guérison lente et douloureuse et contribuent à la grandeur indicible d’une nation. Ces censeurs imbéciles de l’Histoire n’hésitent pas, pour faire mousser leur morale à la petite semaine, à risquer de rouvrir les plaies. C’est faire preuve à la fois d’arrogance et de bêtise.
On a vu à l’oeuvre ce zèle épurateur lors de maintes révolutions dites populaires. A chaque fois, cela s’est soldé par de nouveaux malheurs. On se souvient également du communisme triomphant qui chercha à détruire systématiquement sur terre et dans les esprits tout ce qui rappelait de près ou de loin le monde qui le précéda. On a vu plus récemment les fous de Dieu détruire sur leur passage tous les symboles de la culture antique, et tout ce qui ne rentrait pas dans le cadre de leur idéologie obtuse.
Combien faudra-t-il de temps pour que cessent ces cycles infernaux qui font ressurgir les violences et les haines qu’on croyait assagies ?
Nos sociétés, qui baignent dans une prospérité inouïe, jamais connue auparavant, semblent n'avoir de cesse d’anéantir tous les repères sur lesquels elles reposent. Le modèle même sur lequel fut construit cette prospérité, et sur lequel ont éclos les fleurs de la liberté, paraît de plus en plus honni. Pure folie ou bien simple dérèglement passager ?

Heureusement, malgré toutes les vicissitudes qui plombent nos vies, les touristes font paraît-il leur grand retour Paris. Une fois encore la Presse est unanime pour annoncer cette nouvelle majeure qu'on attendait tous. Ouf, la vie est belle en somme !
NB Le titre de ce billet est emprunté à une chanson désopilante de 1966, par Jacques Dutronc

14 août 2017

Dylan's Triplicate

Décidément le bonhomme n’a pas fini de surprendre son monde. Un monde très partagé à son propos, les uns le méprisant, les autres le vénérant, ce qui n’empêche pas de toute façon la légende de doucement s’inscrire dans le marbre du temps...
Après toutes ces folles années que reste-t-il donc à Bob Dylan à prouver ?
Pas grand chose sans doute et c’est pourquoi au crépuscule de sa vie aventureuse, il prend plaisir à interpréter sans prétention, quelques grands classiques qui firent les beaux jours du jazz, du blues et du bel canto, puisés à la source magique du Great American Songbook.
N’était sa voix éraillée, nasillarde, réduite désormais à un souffle quasi sépulcral, on pourrait évoquer la belle période du crooning. L’ambiance musicale est en effet bien là, feutrée, veloutée, un brin swingante, toujours légère et pétillante comme la mousse d’un bonne bière bien fraîche. Tout le mérite en revient aux garçons inspirés qui accompagnent de manière jubilatoire le vieux maître : Charlie Sexton et Dexton Parks à la guitare, Donnie Herron à la pedal-steel (pas omniprésente cette fois), Tony Garnier à la basse et George Recelli à la batterie. Ajoutons y une touche de cuivres posés ça et là pour donner un peu de peps, et le cocktail est parfait.
Là dessus, Bob Dylan déroule avec une sincérité confondante ces rengaines inépuisables. Il monte encore bien dans les aigus et sait donner à sa voix, que d’aucuns diraient monocorde faute d’y être réceptifs, des intonations troublantes. A condition de s’être mis en condition, il est impossible de ne pas tomber sous le charme de ces délicieuses bluettes qui évoquent avec une poignante nostalgie, l’ineffable scintillement puis l’évanouissement des époques et des êtres. Quand on regarde les étoiles, on dit qu’on voit dans le passé. C’est un peu de ce temps révolu qui vous entre avec volupté dans les oreilles.
Il n’est certes sans doute pas recommandé d’écouter à suivre les 30 titres que ce Triplicate a colligés, surtout qu’ils viennent après deux albums consacrés à des rencontre musicales du même type (Shadows in the night sorti en 2015 et Fallen Angels en 2016), mais à petites doses, quel bonheur !
On a dit qu’il s’agissait d’une sorte d’hommage à Frank Sinatra, car presque toutes les chansons rassemblées ici furent interprétées par lui mais on peut y voir beaucoup plus. Que dire en effet de Stardust dont on ne compte pas moins de 1500 versions depuis l’année de sa création par Hoagy Carmichael en 1927, dont les magnifiques performances de Nat King Cole et de Louis Armstrong. Stormy Weather ou These Foolish Things furent successivement magnifiées par Ella Fitzgerald et Billie Holiday. Le pimpant I guess I’ll have to change my plans qui débute la série, rappelle irrésistiblement Lester Young, My one and only love fait penser à John Coltrane, et How Deep is the ocean à Miles Davis...
Après s’être empli de ces tendres mélodies que reste-t-il donc à faire ?
Reprendre depuis le début la carrière de Bob Dylan et réécouter tous les refrains qui résonnent aux quatre coins du monde depuis plus d’un demi-siècle, pour mesurer le chemin parcouru par cet infatigable vagabond du folk song, du blues et du beat...
Pour rappel, quelques perles de ces vingt dernières années, en forme de flegmatique apothéose : Time Out of Mind (1997) Love and Theft (2001), Modern Times (2006), Together through Life (2009), Tempest (2012)

11 août 2017

Périls en la demeure

La rhétorique arrogante est toujours puisée au même tonneau. Que cela soit en Corée du Nord ou au Venezuela, les petits tyranneaux qui maltraitent  depuis des décennies leurs peuples au nom du socialisme, continuent de jeter en toute impunité leurs folles imprécations urbi et orbi.
Surtout, derrière ces torrents d’insanités, ils maintiennent plus que jamais leur pouvoir autocratique comme si le monde n’existait pas.
Le monde, quant à lui, est pris d’une étrange léthargie face à ces abominations. Il y a bien quelques réprobations de ci de là, quelques sanctions financières même. Mais dans l’ensemble rien de bien méchant et cela depuis des lustres, pendant lesquels ces infâmes potentats ont continué de sévir.

Dès qu’un dirigeant ose élever la voix, il est suspecté de parti pris, voire mis sur le même pied que ces jean-foutres, à l’instar de Donald Trump ces derniers jours dans son face à face avec le dictateur nord-coréen Kim Jong-Un.
Il n’est pour s’en convaincre que de lire les manchettes des principaux quotidiens et magazines nationaux : Donald Trump joue-t-il au fou avec la Corée du Nord ? (Figaro), Stratégie du fou ? A quoi joue Trump avec la Corée du Nord ? (l’Express), Donald Trump et la Corée du Nord: les vacances du dr Folamour (Le Point), La crise nord-coréenne souligne les lacunes de l’administration Trump (Le Monde)...

C’est bien gentil de préconiser la détente, l’apaisement, la négociation, voire de feindre l’indifférence pour masquer l’impuissance, comme la Communauté Internationale l’a fait si souvent depuis l’affaire de Munich en 1938. Avec ces principes lénifiants, on a accepté au lendemain de la seconde guerre mondiale la division en deux de l’Allemagne et de la Corée; on a laissé s’installer la dictature castriste à Cuba, on a abandonné le Vietnam et le Cambodge à la barbarie communiste. On a laissé sombrer l’Iran dans la révolution religieuse des ayatollahs, on a fermé les yeux sur nombre de massacres en Afrique dont celui du Rwanda, on a négligé la pullulation des foyers terroristes en Afghanistan, on a permis à Saddam Hussein de réinstaller sa sombre dictature après la première guerre d’Irak…
A cause d’un manque de détermination aux moments cruciaux, on a souvent laissé passer les occasions d’empêcher l’installation de régimes horribles. un récent documentaire sur Cuba diffusé à la télévision sur Le Canal Parlementaire (LCP) rappelait que l’échec de l’opération de la Baie des Cochons avait été probablement causé par l’insuffisance de moyens aériens accordés par le Président Kennedy.

Aujourd’hui, Donald Trump qui n’avait pas fait de la politique étrangère un point essentiel de son programme, monte au créneau, et pas qu’en paroles, sur tous les fronts : Irak, Syrie, vénézuela, Cuba, Iran, Corée du Nord…
Concernant les velléités guerrières insensées de cette dernière, il tente de mettre la Chine devant ses responsabilités. Il voudrait éviter une confrontation, mais le pourra-t-il, et d’une manière générale, combien de temps la Communauté Internationale tolérera-t-elle encore ce soi-disant royaume ermite qui fait un chantage permanent à la terreur nucléaire en même temps qu’il asservit, torture et affame tout un peuple ?

Trump, pas davantage que George W. Bush en son temps, ne doit rester seul à faire des propositions concrètes.  Ces abjections relèvent de la responsabilité de tous. Il n’est plus possible de dire qu’on ne savait pas. Après avoir tant péroré sur les erreurs commises au moment de l’ascension de Hitler, après avoir tant commémoré les victimes des atrocités nazies en battant sa coulpe et en déclamant des “plus jamais ça”, la politique de l’autruche est plus que jamais méprisable.
Si mal nommer les choses, disait Albert Camus, c’est ajouter au malheur du monde, ne plus vouloir discerner le bien du mal, c’est accepter le nihilisme...

illustration : araignée, par Odilon Redon

08 août 2017

Un poète très américain

Il aura fallu que Sam Shepard passe l’arme à gauche pour que je découvre son talent d’écrivain. J’ai d’autant plus honte que je connaissais et j’appréciais l’acteur.
Je savais qu’il était l’auteur de nouvelles et de pièces de théâtre, mais j’avais manifesté un navrant manque de curiosité à leur égard.
S'agissant du comédien, on évoque souvent le rôle du pilote supersonique Chuck Yeager qu’il incarna dans le film tiré du roman de Tom Wolfe l'Étoffe des Héros (The Right Stuff). Pour ma part, je me souviens davantage de lui dans les Moissons du Ciel du trop rare Terrence Malick. Splendide fresque rurale dans laquelle l’âpre rugosité du personnage faisait merveille.
Plus récemment, on a pu voir de ci de là (Cogan: Killing Them Softly, Blackthorn, Mud...), rarement hélas dans des compositions majeures, sa gueule de yankee taillée au couteau, percée d’un regard aquilin, et coiffée d’une brosse à poils drus. Même dans de petits rôles il ne laissait pas indifférent. On sentait que ce gars avait une âme bien trempée.
Il fut également l’auteur du scénario de Paris Texas, cette étrange errance mise en images par Wim Wenders, au milieu d’un nulle part imprégné de poisse, de soleil et de poussière, rythmée par la guitare de Ry Cooder tirant opiniâtrement des bends minimalistes mais entêtants.
Cette ambiance faite de petits riens, d’aventures microscopiques, de destins écorchés, de regrets, de solitude et de nostalgie, c’est la substance même de ses nouvelles. Enfin autant qu’on puisse en juger par les Balades au Paradis* qu’avec retard j’ai fini par entreprendre.
Un style cru et dépouillé, évoquant parfois Steinbeck pour conter des histoires très courtes, partant d’une anecdote souvent infime, parfois sans queue ni tête, sans début ni fin, mais qui mettent l’âme humaine à nu. En quelques traits incisifs, parfaitement maîtrisés, l’écrivain, comme un peintre, dessine une impression indélébile plus vraie que nature. C’est l’essence d’une bonne littérature, celle qui se déguste comme une liqueur où les arômes le disputent à l’acidité, mais dont chaque lampée vous chauffe les boyaux.
Sam Shepard n’est plus, mais ce héros discret d’une Amérique sauvage et libre, laisse l'empreinte d’un authentique poète...
* Balades au paradis (Cruising Paradise). Sam Shepard. Laffont Pavillon Poche.