15 septembre 2017

Darwin à Bordeaux

Ça se passe sur la rive droite de la Garonne à Bordeaux. Ça s’appelle Darwin Eco-système et c’est une sorte de grand happening permanent, occupant le site de l’ancienne caserne Niel. On parle de friche militaire et le terme en forme d’oxymore définit assez bien le lieu.
Ce genre de bric-à-brac insolite donne à ces austères bâtiments, très partiellement rénovés, un look décadent, dans lequel une foultitude d’objets de récup en tous genres voisine avec fresques, tags et graffitis peints ou “bombés” à même les murs.
On entre dans ce microcosme hyper branché par une sorte de grande arche métallique tendue entre deux vénérables bâtiments. L’enseigne, c’est une accumulation de planches suspendues intitulée “Vortex”. Le soir, elles s’illuminent. Effet garanti.

Sitôt le porche franchi, on est accueilli par un immense dessin représentant un gorille patibulaire, cousin sans doute de King-Kong, portant une large banderole “Tous migrants.” Précisons qu’il s’agit du thème du dernier colloque, pardon Climax, qui vit défiler du 7 au 10 Septembre le gratin de la gent écolo-bobo-coco : José Bové, Audrey Pulvar en tête. Nicolas Hulot également prévu au programme, dut annuler son déplacement pour cause d’ouragan Irma. Le réchauffement climatique sévit déjà, il y a urgence…

C’est peu dire que le lieu se consacre à l’écologie. Ici, tout se mélange en fait : développement durable, célébration du bio, du végétarisme voire de la lubie végane, commerce équitable, entreprises responsables, décroissance économique, alter-mondialisme, récupération, recyclage, partage…
Né en 2010 de l’imagination de deux jeunes publicistes Philippe Barre et Jean-Marc Gancille, et concrétisé par l’acquisition de la caserne délabrée Niel par leur jeune société Evolution, ce concept occupe désormais 3 hectares, juste devant le Parc aux Angéliques.
Le coeur de l’éco-système ainsi créé, c’est le Magasin Général, véritable temple de la bouffe naturelle. A la fois supérette, café, réfectoire, on n’y trouve évidemment que des produits nobles. Le “manger local” et le “handmade” sont ici rois : des légumes issus de l’agriculture alternative aux insectes desséchés pour l’apéro, en passant par les bières artisanales, les vins biologiques et les fromages de la ferme...
On y mange en famille ou entre amis, assis sur de rustiques bancs de bois et accoudés à des tables en formica de la grande époque. il faut dire que l’esthétique post-industrielle qui règne ici s’appuie largement sur le style caisse-bobine-palette. Quelques canapés vieillots complètent cet ameublement très kitsch.

Dans ce complexe baroque, on trouve également une salle réservée aux conférences et à des concerts, un skatepark, des aires d’activités physiques diverses (yoga, polo-vélo...), des ateliers de bricolage, et quantité d’espaces destinés au co-working, à l’activité associative, ou hébergeant des micro-entreprises, et des start-up dont Darwin se veut une pépinière.

Devant un tel endroit des foules de questions viennent naturellement à l’esprit. Passé l’étonnement de la découverte, on hésite entre enthousiasme et circonspection. 
Certes les intentions des concepteurs sont excellentes. Face aux menaces que le progrès technique et l’industrialisation sont accusés de faire peser sur la planète, il s’agit selon Philippe Barre, de “réinventer la ville, d’occuper le terrain sans plus attendre les autorisations et les subventions”. L’état d’esprit est des plus sympathiques puisqu’il préconise “d’agir de manière joyeuse, déterminée, toujours en éveil, jamais dans le dogme”.
Quant à l’idée de partage qui fait vibrer les apôtres de cette nouvelle religion, elle s’impose tout simplement parce qu’on produit “plus de richesses par le collaboratif que par l’individualisme”.
Les résultats sont d'aiileurs déjà probants puisque selon le même Philippe Barre, interrogé par le journal Sud-Ouest en 2016, "un Darwinien émet cinq fois moins de gaz à effet de serre qu’un salarié tertiaire classique. 80% de nos déchets sont recyclés et toute notre électricité ne provient plus du nucléaire, mais d’Enercoop".

Il faudrait donc être grincheux pour être opposé a priori à une telle initiative. Ce n’est pas le cas du maire Alain Juppé qui soutient le projet depuis ses débuts. Il faut dire qu’il n'est pas totalement nouveau puisqu'il fut précédé par des réalisations similaires plutôt rassurantes aux Etats-Unis, notamment sur la côte ouest, ou bien en Europe dans les pays scandinaves ou en Allemagne.

Reste à savoir ce que deviendra ce modèle à moyen et long terme.
A lire et à entendre les slogans sur lesquels il s’appuie, on pourrait craindre une évolution sectaire, et un enfermement idéologique borné par des pseudo-certitudes, relevant parfois du fantasme voire de la névrose obsessionnelle.
A l’autre extrémité, une ghettoïsation et un pourrissement social pourrait être favorisé par l’absence durable de rentabilité. Le délabrement de certains espaces, le look post-moderne plutôt grunge, voire un tantinet trash, s’ils perdurent, pourraient faire le lit de telles dérives.
Ou bien ne sera-t-il pas tout simplement récupéré ou assimilé par le “mainstream”. Il subirait ainsi le sort de nombre de tentatives antérieures progressivement dévoyées par l’atténuation progressive de l’effet de mode, ou par l’embourgeoisement. La clientèle très bobo qui fréquente ce lieu témoigne déjà d’une certaine tendance...

Le mieux qu’on puisse souhaiter à cet éco-système évolutif, est de s’intégrer comme alternative originale dans l’offre commerciale et culturelle, pour conférer à l’univers urbain une forme d’humanisme moderne teinté de retour aux sources, sans se soustraire au progrès ni aux règles de bon sens, et sans pour autant renier totalement l’esprit originel.
A suivre...

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