08 septembre 2017

De la Liberté de Penser dans un Etat Libre

La lecture d’un ouvrage philosophique est souvent un pensum auquel on rechigne à s’atteler, lorsqu’on n’y est pas contraint. Son seul volume est rebutant, quant au style quelque peu hermétique, il décourage mainte bonne volonté.
En définitive, pour aborder de tels monuments, on se limite souvent à ce que les exégètes en disent, ce qui n’est pas forcément plus aisé et qui fait courir le risque de se fier à des interprétations biaisées, surtout lorsque l’oeuvre originale est écrite dans une langue étrangère.

Une autre méthode consiste à limiter son incursion à un extrait du discours.
C’est l’option que proposent les éditions de l’Herne* s’agissant du Tractatus Theologico-politicus de Baruch Spinoza (1632-1677), somme particulièrement austère, mais fondamentale pour celui ou celle qui cherche à découvrir le philosophe néerlandais.

L’approche consiste en l’occurrence à rendre plus accessible la réflexion de ce dernier sur “La liberté de penser dans un état libre”.
Non seulement la lecture de l’opuscule (75 pages) s’avère aisée, mais elle révèle une pensée d’une actualité étonnante, s’inscrivant par anticipation dans le siècle des Lumières tel qu’il fut magnifié par Kant dans son petit traité “Was ist Aufklärung ?

On peut y voir en effet avant tout un vibrant appel à la raison et à la nécessité de penser par soi-même, au détriment des croyances non fondées, des superstitions et des idéologies qui ont pour effet de neutraliser l’esprit critique.
Spinoza entame son propos par le constat que “tous les hommes sont naturellement sujets à la superstition”, et cela d’autant plus qu’ils rencontrent dans leur vie des infortunes ou des malheurs. De cela il excipe que “S’ils étaient capables de gouverner toute conduite de leur vie par un dessein réglé, si la fortune leur était toujours favorable, leur âme serait libre de toute superstition.”
Point de fatalité donc, pour le Philosophe, mais la nécessité de lutter contre cette tendance naturelle, et de se méfier de ceux qui cherchent à l’exploiter à leur bénéfice, notamment certains Gouvernants pour lesquels, selon Quinte-Lurce, “Il n’y a pas de moyen plus efficace que la superstition pour gouverner la multitude.”

S’agissant de la religion, force est de conclure qu’elle prête le flanc aux mêmes réserves, tant l’idée de Dieu apparaît souvent galvaudée par ceux-là mêmes qui prétendent parler en son nom. Le philosophe déplore ainsi que “La piété, la religion sont devenues un amas d’absurdes mystères et ceux qui méprisent le plus la raison sont justement chose prodigieuse, ceux qu’on croit éclairés de la lumière divine...”

Face aux maîtres-penseurs et aux faux prophètes, il ne faut jamais perdre de vue que “Personne ne peut faire l’abandon de ses droits naturels et de la faculté qui est en lui de raisonner librement des choses; personne n’y peut être contraint.”
En somme, “Si un Etat peut s’octroyer le droit de gouverner avec la plus excessive violence, et d’envoyer pour les causes les plus légères les citoyens à la mort, tout le monde niera qu’un gouvernement qui prend conseil de la saine raison puisse accomplir de tels actes.”

Quant à l’autorité spirituelle de l’église, dit Spinoza, “Je suis arrivé à la conclusion que l’Ecriture laisse la raison absolument libre, qu’elle n’a rien de commun avec la philosophie, et que l’une et l’autre doivent se soutenir par les moyens qui leur sont propres.” Ainsi, lorsque la religion nie les faits et leur réalité, comme elle le fit par exemple avec les révélations scientifiques de Copernic, elle fait preuve d’une double hérésie : contre Dieu et contre la raison.

Nonobstant ses critiques, Spinoza manifeste un esprit de modération et convient que “s’il est impossible d’enlever aux citoyens toute liberté de parole, il y aurait un danger extrême à leur laisser cette liberté entière et sans réserve.”
L’important selon lui pour un Etat digne de ce nom, est de préserver la liberté de penser et d’expression pour peu qu’elles ne rentrent pas en opposition avec le pacte social au nom duquel chacun “a résigné librement et volontairement le droit d’agir”, mais non “celui de raisonner et de juger”.
Avec un état d’esprit proche de celui de Montaigne ou de Montesquieu, Spinoza recommande à l’Etat d’être économe en législations, car “vouloir tout soumettre à l’action des lois, c’est irriter le vice plutôt que de le corriger.” Un peu plus loin, il précise sa pensée en affirmant que “les lois qui concernent les opinions s’adressent non pas à des coupables mais à des hommes libres; qu’au lieu de punir et de réprimer les méchants, elles ne font qu’irriter d’honnêtes gens. On ne saurait donc prendre leur défense sans mettre en danger de ruine l’Etat…”
Veiller à laisser suffisamment de liberté aux citoyens s’apparente donc à une démarche purement pragmatique, car “à trop contraindre les citoyens, l’Etat fera qu’ils finiront par penser d’une façon, parler d’une autre que par conséquent la bonne foi, vertu si nécessaire à l’Etat, se corrompra, que l’adulation, si détestable, et la perfidie seront en honneur, entraînant la fraude avec elles et par suite la décadence de toutes les bonnes et saines habitudes.”


Ce texte empreint de modération et de bon sens fut pourtant considéré comme quasi insurrectionnel voire hérétique au plan religieux. Alors que les propos de Spinoza ne faisaient que révéler une vision panthéiste, Lambert de Velthuysen qui était pourtant un ami et un admirateur y vit “un encouragement à l’athéisme au motif que les prophètes étaient faillibles, que leur mission n’est pas d’enseigner une quelconque vérité mais de répandre  le culte de la vertu…”. Dans sa lettre à Jacob Osten qui figure à la fin du texte publié par l’Herne, il pointa l’opinion selon laquelle “les miracles sont soumis aux lois communes, n’admettant  donc en Dieu d’autre puissance que celle qui se manifeste régulièrement par les lois de la nature”. Il rapporta non sans réprobation la prétendue “doctrine du fatum et de la nécessité naturelle des choses” ainsi que l’opinion attribuée à Spinoza selon laquelle “Dieu serait indifférent aux opinions religieuses auxquelles adhèrent les hommes.”
En fin de compte selon Lambert de Velthuysen, “par une crainte excessive de la superstition, Spinoza s’est dépouillé de toute religion…”
Pour toutes ces raisons, et en dépit des précautions prises par le Philosophe qui publia son traité sous un pseudonyme, il fut purement et simplement interdit en 1675 dans la République des Sept Provinces-Unies des Pays-Bas...

* Spinoza. De la liberté de penser dans un Etat libre. L'Herne, Paris 2007-2017

1 commentaire:

c'est Jeff ici a dit…

While I knew the name Spinoza I had no familiarity with his work. A brief look at his "Ethics" and his Treatis made me realize that 1) I liked what I thought I understood 2) I didn't trust my understanding "Caute" 3) I needed help decoding the language.
I bought "Cafe Spinoza" an excellent introduction to Spinoza and "Le miracle Spinoza" by Lenoir both of which made reading Spinoza directly much more enlightening. During my stay in Paris this year (2017) I bought a dozen books on Spinoza. Every book written by Misrahi and several by Moreau. It will probably take me the whole of 2018 to read through all of this but Spinoza's philosophy connects so well with me that I am willing to take it on. I hope you write more about Spinoza.