30 décembre 2017

Hôpital au bord du gouffre

La nouvelle est tombée comme un couperet juste avant Noël: les hôpitaux publics accusent un déficit financier inédit
Plus de 1,5 milliards d'euros pour l'année qui s'achève, soit 3 fois celui de 2016 ! 
Fait inquiétant, presque toutes les structures sont touchées : des plus petites aux plus grandes, des hôpitaux de proximité aux centres hospitalo-universitaires (CHU).
Derrière ce constat, certains veulent voir les effets néfastes de la fameuse tarification à l'activité (T2A). On trouve parmi ces contempteurs les représentants habituels du courant anti-libéral reprochant aux hôpitaux d'être gérés comme des entreprises ou encore refusant pour le système de santé l'obligation d'être rentable, c’est à dire d’équilibrer ses dépenses avec ses recettes.
Ces doux utopistes imaginent encore et toujours qu'il existe une corne d'abondance permettant de trouver toujours plus de moyens pour combler les déficits, voire qu'il suffit de décréter l'effacement d'une dette pour qu'elle disparaisse comme par magie.
Hélas, la ministre de la santé elle-même semble avoir fait sienne cette théorie fantasmagorique en reprenant à son compte l'antienne fallacieuse qui voudrait "qu'on soit arrivé au bout d'un système". Suffirait-il donc d'en trouver un autre pour que tout aille mieux ?
Force est de constater que perdure la mauvaise habitude hexagonale qui consiste à casser le thermomètre lorsqu'il indique une poussée de fièvre...

Des réformes, l'hôpital n'en a pas manqué assurément. Elles se succèdent à chaque changement de gouvernement ou presque, pourtant, nous sommes toujours en attente de celle qui va tout changer. Cette frénésie légale est un leurre, de toute évidence. Après des décennies de lois, de réglementations, de planification, le problème reste entier. Si l'on acceptait enfin de prendre en considération le principe de réalité ?
Il est bien temps par exemple de s'apercevoir des défauts de la T2A. Voilà bientôt 15 ans qu'elle est entrée en application dans notre pays, avec le souci de corriger les défauts des systèmes qui l’avaient précédée, à savoir, les prix de journées, puis le budget global.

La T2A a été importée des Etats-Unis ainsi que le Programme de Médicalisation des Systèmes d'Information (PMSI) sur lequel elle repose. Elle est en application dans de nombreux pays et s'avère de par sa nature même, le moins mauvais système qui soit.
Elle oblige en effet à décrire l’activité en la codant, ce qui conduit à classer les patients dans des Groupes Homogènes de Séjours (GHS) auxquels des tarifs forfaitaires sont affectés. C'est plus précis et efficace que la simple comptabilisation du nombre de journées ou de venues, et plus équitable et responsabilisant qu'un taux arbitraire de reconduction d’une enveloppe non moins arbitrairement établie.
Certes la T2A est inflationniste, poussant à faire le plus d’activité possible, mais si le payeur fait bien son travail, il veille à débusquer les abus: l’activité sur-codée ou bien réalisée sans vraie justification. C’est donc à l’Assurance Maladie de garantir par ses contrôles la pertinence et la réalité des prestations délivrées aux patients. Ces derniers devraient également avoir un rôle vertueux s’ils étaient vraiment en mesure d’exiger les meilleurs soins au moindre coût, comme il le font pour leurs achats domestiques.
On a beau prétendre que la santé n’est pas une marchandise, elle a tout de même un coût, et il faut bien qu’il soit assumé par quelqu’un…
Ceci étant, si la T2A était sujette à de telles dérives mercantiles, les hôpitaux engrangeraient plutôt des bénéfices que des pertes. Or c’est tout le contraire qui se passe, sans doute parce que le problème est ailleurs…

Conçue pour facturer les actes et prestations au juste prix de manière forfaitaire, la plus simple possible, la T2A est devenue au fil des ans un vrai embrouillamini. Résultat, elle n’est plus en adéquation avec les coûts réels.
A force de pondérations de plus en plus alambiquées, certains soins se trouvent manifestement sur-valorisés, d’autres plus nombreux hélas, sont au contraire sous-estimés. Pire, au terme d’un circuit amphigourique d’allocation de ressources, l’Administration reprend parfois une partie de ce qu’elle octroie, en instituant  des réfactions peu compréhensibles. Entre autres exemples, les tarifs des séjours hospitaliers sont ainsi grevés d'étranges coefficients consistant à les rogner pour constituer des enveloppes supposées être redistribuées ici ou là afin de pallier certaines inégalités ou disparités.
En fin de compte la régulation prix-volumes appliquée par l’Etat consiste à diminuer par tous les moyens la facture liée à l’activité, à mesure qu’elle croît, pour rester dans le cadre annuel fermé du fameux Objectif National des Dépenses de l’Assurance Maladie (ONDAM). Il s’agit in fine, d’endiguer le coût de la médicalisation croissante de la société, favorisée paradoxalement par ce même Etat, qui n’a de cesse de vanter l’accès gratuit aux soins pour tous...
Parallèlement à la baisse des tarifs, de grands plans étatisés contraignent les établissements à réduire de manière drastique la durée des séjours, à transformer quantité de ces derniers en venues sans nuitée (on appelle ça le “virage ambulatoire”), et à faire évoluer l’hospitalisation de jour vers des prises en charge toujours plus légères, s’apparentant à de simples consultations externes.
Si cette logique n’est pas mauvaise en soi, elle devrait découler avant tout des progrès techniques et de l’appréciation médicale du risque plutôt que de diktats décrétés ex cathedra. Elle suppose en effet une adaptation progressive et délicate des structures prodiguant les soins. Au surplus, celle-ci n'est pas sans conséquence financière car la valorisation des prestations est inversement proportionnelle à leur lourdeur.
Ainsi, l’éventail descriptif des prestations, ce qu’on appelle en jargon technique le case-mix, se décale vers les moins rémunératrices. En fin de compte, contrairement à une idée reçue, l’activité des hôpitaux n’est pas en baisse, elle évolue…

Face à cette mutation à marche forcée, aux conséquences mal anticipées, le service public n’a guère de marge de manœuvre pour se restructurer. Il est soumis à un régime ubuesque d’autorisations pour faire évoluer son organisation et il lui est interdit de toucher à la masse salariale qui représente environ 70% des charges. Le challenge est donc inatteignable et les économies se réduisent à des bouts de chandelle. Pour gagner un peu de souplesse en matière de gestion des ressources humaines, les contrats précaires de type CDD se multiplient de manière scandaleuse...
A ce jeu insane, faussé par les grands principes idéologiques dont la France est friande, s’ajoute le fait qu’une partie importante de l’activité échappe toujours à la T2A. Il en est ainsi des secteurs de Soins de Suite et de Réadaptation (SSR), toujours soumis au principe de la Dotation Globale. D’autres missions, dites “d’intérêt général”, sont financées par des enveloppes octroyées au bon vouloir des Agences Régionales de Santé, mais sans corrélation évidente avec les coûts qu'elles sont supposées couvrir. Enfin, il faut savoir que le tarif d’un séjour hospitalier, lorsqu’il n’est pas "remboursé à 100%” par l’Assurance Maladie, relève encore des antiques prix de journées, pour le calcul du "ticket modérateur", à la charge du patient ou de sa mutuelle !
Au total, s’agissant de la gestion des établissements publics de santé, toutes les strates des systèmes successifs continuent donc d’exister dans la plus grande confusion. L’ensemble du système est devenu si complexe qu’il donne l’impression de ne plus être maîtrisé par personne. Il est générateur d’une bureaucratie en inflation permanente. Dans les hôpitaux, les services logistiques ne cessent d’accroître leurs effectifs et le temps passé par les soignants à des tâches administratives augmente sans fin. Il faut savoir que les établissements sont soumis à des normes de sécurité ou de qualité draconiennes, confinant parfois à l'absurde lorsqu'elles interdisent a priori la pratique de certaines activités, au motif que le nombre de patients traités est jugé trop faible ou bien que les ratios légaux de personnel par lit ne peuvent être garantis, faute de moyens.
Face à cette usine à gaz invraisemblable, la ministre de la santé Agnès Buzyn ne semble pas avoir l’intention de simplifier les choses mais au contraire d’ajouter de nouvelles complications et de nouvelles réglementations lorsqu’elle évoque notamment “des financements aux parcours, à la qualité, à la pertinence des soins et des actes…”

Il faut enfin ajouter à cet incessant remue-ménage budgétaire, de nouvelles directives légales qui imposent désormais aux établissements de se regrouper et de mutualiser leurs ressources. Il s’agit de constituer, dans le cadre de nouvelles entités géographiques créées pour la circonstance, ce qu’on appelle les “Groupements Hospitaliers de Territoires” (GHT). La mise en place de cette machinerie demandant à des hôpitaux parfois distants de plusieurs dizaines de kilomètres, de travailler ensemble sans pour autant fusionner, est mal comprise sur le terrain et génère pour l’heure une foultitude de dépenses supplémentaires. Les “économies d’échelles” promises par les Pouvoirs Publics, pour illusoires qu’elles soient probablement, sont sans cesse repoussées, tant la réorganisation s’avère laborieuse. Nombre de patients et de personnels sont désormais quotidiennement sur les routes. Pour les premiers, les soins coûtent de plus en plus cher car le beau  principe théorique de “gradation des soins” impose en pratique bien souvent qu'ils soient prodigués sur plusieurs établissements successifs, avec toutes les redondances que cela suppose. S’agissant des soignants, ils sont également contraints de se partager sur plusieurs sites pour pallier le manque de praticiens dans les petites structures. Ils sont donc contraints à des déplacements incessants, pour les soins mais également pour assister à des réunions à n’en plus finir, car aux instances de chaque établissement s’ajoutent de nouvelles, à l’échelon territorial ! Au temps perdu s’ajoute le sentiment de disperser son énergie à tous vents.
Dans cette centralisation qui ne dit pas son nom, plutôt que de favoriser les télécommunications, on a décrété que les GHT devaient être dotés de systèmes d’informations "convergents", ce qui oblige à passer des marchés colossaux pour remplacer les logiciels existants par d’autres de plus en plus complexes, puisqu’il faut gérer de manière “communautaire” les identités, les mouvements et les dossiers médicaux. Leur fonctionnement, soumis à des cahiers des charges monstrueux, est grevé d’aléas et de bugs auxquels il n’est plus possible de remédier localement car la maintenance, comme nombre de services, est externalisée. Les hôpitaux-clients deviennent captifs de fournisseurs peu réactifs, car de moins en moins soumis à la concurrence, lorsqu’ils ne sont pas tout bonnement dépassés par l’ampleur de la tâche..
Quant à la mutualisation des achats, qui figure parmi les objectifs de cette réforme, elle s’annonce très délicate, bridée par un code des marchés publics des plus rigides, et promet une perte d’autonomie pénalisante pour les plus petits établissements. Rien ne dit que les fameuses économies soient au rendez-vous, sachant par expérience que les coûts de fonctionnement diminuent rarement avec l'accroissement de la taille des structures.

Au total, le système hospitalier français se trouve dans une situation absurde, obligé en quelque sorte d’appuyer en même temps sur le frein et l'accélérateur. D’un côté on le pousse à dépenser toujours plus, et de l’autre on serre chaque année davantage la vis budgétaire. Malgré le déficit actuel, la ministre de la santé a demandé la mise en œuvre d’un nouveau plan d’économies de 1,6 milliards d’euros en 2018. Paradoxe étonnant, la plupart des gens croient toujours de bonne foi que la santé est gratuite dans notre pays !
Il y a décidément quelque chose de pourri dans le modèle social à la française... Et ce n'est sans doute pas la T2A !

29 décembre 2017

Entre Trump phobie et Macron mania

L'année 2017 aura vu l'arrivée du pouvoir de deux personnages hors normes, Donald Trump aux Etats-Unis puis Emmanuel Macron en France.
Election improbable pour ces deux là. Et pourtant…

Tous deux sont parvenus aux sommets de leurs pays respectifs au terme d’une campagne éclair, favorisée par l’effondrement des partis traditionnels et par l’usure de figures trop ancrées dans un morne et inerte paysage politicien.
Bien qu’ils aient chacun revendiqué un positionnement à l’écart de l’Establishment, ils en sont pourtant originaires sans nul doute tous les deux. S’ils sont neufs en politique, ils sont tous deux issus de la haute société et il n’est pas abusif de dire qu’après être nés avec une cuiller en argent dans la bouche, ils bénéficièrent largement du système qu’ils entendent désormais combattre.
Mais de quel système s’agit-il, c’est bien là tout le problème.

La haine anti-Trump qui déferle jour après jour sur ce président pourtant démocratiquement élu, démontre bel et bien qu’il incarne une rupture, au moins face à cette partie de l'opinion qui le rejette violemment. Bien qu’elle fut spectaculairement mise en échec par les urnes, c’est manifestement la plus bruyante. C'est celle qui détient l’essentiel du pouvoir médiatique, qui peut par exemple donner un écho international au moindre rassemblement d’imbéciles vociférant, même s’il ne compte que quelques individus. Ou qui se jette avec une avidité consternante sur le moindre des tweets que le président adore leur jeter en pâture.
Le mainstream aujourd’hui, c’est celui qui s’exprime à longueur de journées urbi et orbi, assénant au marteau pilon, un seul message partisan. Lors de l’élection de Trump, les sondeurs qui ne l’avaient pas vu venir avaient soi-disant tiré la leçon de leur erreur. En réalité, des mois durant, l’écrasante majorité des médias avaient pris position pour Hillary Clinton. On pourrait même affirmer qu’ils avaient massivement tenté de discréditer le candidat républicain, au point d’avoir pris leurs désirs pour des réalités et entériné par avance son échec. On avait déjà vu pareille campagne de presse à l’encontre de George W. Bush en 2004. Avec le même piteux résultat.
S’il est un constat réconfortant à porter au crédit de la démocratie, c’est bien la capacité du peuple à déjouer les menées partisanes de ce Pouvoir médiatique et à voter en toute indépendance.

Depuis l’élection de Trump le déferlement d’insultes et de diatribes est loin d’avoir cessé.
Chaque mot, chaque geste est scruté, disséqué et aussitôt dénigré ou bien ridiculisé. La Presse française n’est hélas pas en reste dans cette entreprise d’accusation systématique. Politique migratoire, intérieure, internationale, tout est sujet à raillerie. Lorsqu’on ne compare pas le président américain à Hitler ou au tyranneau nord-coréen Kim Jung Un, c’est pour en faire un odieux personnage, vulgaire, raciste, misogyne, voire un déséquilibré mental que certains vont jusqu’à souhaiter publiquement voir assassiné...
On attaque par tous les côtés, au moyen d’accusations fantaisistes ou carrément inventées. On a essayé de le déstabiliser en mettant en doute sa probité de chef d’entreprises bien sûr. On l’a accusé d’harcèlement sexuel, crime des plus abjects par les temps qui courent. On a monté une soi-disant affaire russe qui est en train de se dégonfler et de se retourner contre les brillants stratèges qui l’ont conçue. En définitive, rien n’a permis d’étayer sérieusement les insinuations et accusations qui fusent sans discontinuer.
Le gars tient bon et mène sa barque envers et contre tout.
Faute de pouvoir le faire chuter on a essayé de freiner son action. Pour une fois qu'un élu s'attache à mettre en œuvre son programme, on s'ingénie à l'empêcher de le faire. Tous ses décrets visant à lutter contre le terrorisme et l'immigration clandestine, ont été contestés ou bloqués. Sa contre réforme du système de santé a été amendée parfois par des gens de son propre camp.
Aujourd’hui les ligues de vertu s’étranglent de stupeur à la suite de sa décision de conférer une fois pour toute à Jérusalem le statut de capitale de l’Etat Israélien. Le chœur des représentants irresponsables de l’ONU s’en émeut mais il n’en a cure. Ces gens là sont incapables de la moindre décision et font preuve d’une telle lâcheté, qu’il passe outre sans vergogne. Après tout, il n’a pas à rougir de cette décision validée par la même ONU en 1949, jamais appliquée depuis cette date.
Comme il n’a pas rougir de son action au Moyen-Orient qui a contribué à combattre le fanatisme islamique en Syrie et en Irak. Il n’a pas à avoir honte d’être le seul à s’opposer ouvertement à la Corée du Nord. Hélas, c’est sans doute un peu tard, mais à qui la faute si ce n’est celle des pleutres qui depuis un demi siècle ont laissé s’asseoir et perdurer cette immonde dictature. Les mêmes ont abandonné à leur triste sort le Vietnam, le Cambodge, le Rwanda, la Somalie, l’Erythrée, Cuba, le Venezuela, l’Iran et tant d’autres malheureux pays...
Envers et contre tous les donneurs de leçons, Trump agit conformément au programme sur lequel il a été élu. S’il n’a pour l’heure réussi à enrayer qu‘en partie la machine infernale de l’Obamacare, il enregistre des progrès significatifs dans la lutte contre l’immigration clandestine. Et en France on pourrait envier l’audacieuse réforme fiscale qu’il est en train de mettre en place...

Alors que l‘impopularité de Donald Trump atteint en France des sommets vertigineux, c’est un des mérites d’Emmanuel Macron que d’accorder au président américain la considération qu’il mérite. S’en inspire-t-il c’est une autre histoire…
Le contexte français est si différent de celui qui règne outre atlantique.
A l‘inverse de Trump qui est entré de force dans le jeu politique, Macron l’a fait en douceur. Il a su exploiter habilement l’affaiblissement de partis sclérosés, incapables de se réformer. S’il a joué comme Trump de la rupture avec le système, Macron l'a fait en nuances, et sans doute davantage dans les mots que dans l’action.
Il n’eut pas contre lui la majorité des médias, bien au contraire. En dépit de quelques gaffes, il surfa sur la vague populaire qu’engendra sa jeunesse, sa modernité et son apparence décomplexée. Il tira profit de l'ambiguïté, se situant “en même temps” à droite et à gauche. Position délicate qu’il continue d’adopter eu égard à la nature contrastée mais fragile de la nouvelle majorité sur laquelle il assied sa légitimité et son pouvoir.
Il n’est pas certain que cela puisse être tenu très longtemps, car le temps de l’action ne saurait trop être différé. Dans un contexte international très favorable, la France est en fâcheuse situation. Si elle ne profite pas de cette conjoncture pour se réformer en profondeur, sans doute ne pourra-t-elle plus le faire avant longtemps.

En dépit d’un vent d’optimisme qui souffle dans les voiles, le navire paraît bien trop lesté pour avancer vraiment.
Si le président français manie avec dextérité le langage, et s’il ose parfois sortir de l‘ornière de la correction politique, s‘il ose décocher de ci de là quelques vérités bien senties, marquées au coin du bon sens et du pragmatisme, les premières actions concrètes s’apparentent davantage à des demi-mesures. Par exemple, la refonte du code du travail dans lequel on peine à distinguer de vrais changements. Ou bien la fiscalité qui ne cesse de s’alourdir tandis que les annonces restent nébuleuses : la transformation de l’ISF en IFI, l’abolition partielle de la taxe d’habitation sont les deux principales, qui restent bien insuffisantes pour convaincre d’un vrai changement.
En politique étrangère, notamment européenne, le président a un style et une approche qui font de l’effet, mais pour combien de temps si rien ne vient donner corps aux belles paroles ?

2018 sera peut-être l‘année de vérité pour ces deux hommes dont on parle beaucoup, mais qui n‘ont à ce jour pas livré tout ce dont on les espère capables…

10 décembre 2017

C'est Tocqueville qu'Onfray torture

Après avoir injustement maltraité le vénérable Kant, Michel Onfray s’attaque aujourd’hui méchamment à Alexis de Tocqueville (1805-1859).
Avec son récent ouvrage Tocqueville et les Apaches, il entreprend en effet selon son point de vue, de démythifier ce merveilleux penseur de la démocratie et de la liberté.

Disons-le d'emblée, les maux dont il l’accuse sont absolument imaginaires, inventés de toutes pièces, et le portrait qu’il en fait est une infâme caricature dénaturant totalement le message pourtant limpide et lumineux du meilleur analyste politique que la France enfanta.

Il commence sa pesante digression par un troublant aveu : “Longtemps je n’avais lu de Tocqueville, que son Ancien Régime et la Révolution Française. C’était au temps de la pleine mode du philosophe libéral et j’avais opté pour ce texte parce que banalement, la furieuse révolution française m’intéressait plus que la banale démocratie en Amérique.”

Tout est dit ou presque. Onfray, qu’il est convenu de considérer comme un grand intellectuel de ce temps, ignorait tout simplement “De la Démocratie en Amérique”, à l’instar des malheureux écoliers passés par la machine à décerveler de l’Education Nationale !
Plus grave encore, il considérait (mais faut-il mettre cela au passé) la fabuleuse aventure américaine, comme quelque chose de banal, tandis qu’il se passionnait pour les horreurs de notre exécrable révolution…

Devant tant de misère, je me suis demandé s’il était nécessaire d’aller plus loin. J’aime la polémique et les querelles intellectuelles. Et bien qu’étant en constant désaccord avec les théories d’Onfray, je ne peux m’empêcher d’en suivre le parcours brillant, ne serait-ce que pour mieux forger à ce feu dévastateur, le fer de mes arguments. Il n’y a pas tant de penseurs à notre époque, depuis la disparition de Jean-François Revel et de René Girard.

Mais même si Onfray écrit bien, il est impossible de suivre le rythme effréné de ses publications. J’ai depuis de longs mois son interminable Cosmos sur ma table de nuit, second volet d’une fastidieuse trilogie messianique... En définitive je préfère me consacrer à ses opuscules, qu’à ses pavés. Logiquement, j’ai autant de chances d’y cerner son raisonnement et j’économise du temps. “Dieu préserve ceux qu’il chérit des lectures inutiles” disait Lavater….

Hélas, cette fois encore, la déception est grande. Dans ce qu’il faut bien appeler un pamphlet anti-Tocqueville, c’est bien simple, tout est faux ou à contresens.

Onfray commence à faire de notre fameux Normand un homme “de Gauche”, ce qui est une première approximation, pour ne pas dire davantage. Certes il voulut siéger sur les bancs de gauche à l’Assemblée Nationale, mais il fut on ne peut plus clair sur son engagement : “Je n'ai pas de traditions, je n'ai point de parti, je n'ai point de cause, si ce n'est celle de la liberté et de la dignité humaine”
Sa détestation du socialisme naissant ne faisait aucun doute. Onfray l’admet d’ailleurs, mais juste pour en faire un traître à l’Idéologie que lui-même continue de vénérer, envers et contre toutes les calamités dont elle est responsable.
A la vérité, Onfray cherche toujours l’introuvable socialisme au travers de ses lubies hédonistes, aux relents vaguement proudhoniens. Toujours déçu, toujours frustré, il alla jusqu’à frayer avec les communistes révolutionnaires de Besancenot et se déclare avec constance et opiniâtreté anti-libéral ce qui est un non sens pour quelqu’un se vantant par ailleurs d'être libertaire.

J’avais caressé un petit espoir que la lecture de Tocqueville l’amène à changer d’avis voire, ce qui eût été paradoxal pour cet athée notoire, à se convertir... Il n’en fut rien évidemment. 

Bien qu’il rédigea il n’y a pas si longtemps une première analyse plutôt élogieuse, à l’occasion de l’inauguration de la médiathèque de Caen, intitulée “La Passion de la Liberté”, il revient avec ces Apaches à ses vieux démons et brandit de plus belle sa rhétorique lapidaire pour démolir au sabre celui qu’il aurait tout à coup (re)découvert.
Quelques exemples devraient suffire à objectiver le caractère partisan et captieux de cette entreprise.
Passons sur l’amalgame idiot qui consiste à associer Tocqueville au mitterrandisme, au motif que “les années mitterrand sont celles de la seconde naissance de Tocqueville”, permettant lorsqu'on est de gauche, "de penser comme à droite pourvu qu’on soit libéral.”
S’il est vrai que certains mitterrandolâtres se sont réclamés de Tocqueville, c’est par ignorance crasse de sa philosophie et pour donner l’illusion d’une ouverture à leur programme bouffi de contradictions et de partis-pris. Les Socialistes français n’ont évidemment jamais rien eu à voir avec le libéralisme et ils n’ont rien de commun avec le bon Tocqueville. Leur manie insane de découper la liberté en tranches, dont ils font mine de retenir certaines (le libéralisme philosophique) tandis qu’ils rejettent les autres (notamment l’économie) démontrent qu’ils n’ont rien compris à la pensée libérale. Qu’on le veuille ou non, Tocqueville s’inscrit dans une lignée qui comprend des gens comme Turgot, Say, Bastiat et autres économistes distingués.
 
Onfray enferme comme on le sait, sa propre conception dans cette impasse.
Pire, il reprend peu ou prou les antiennes débiles de Sartre, en s’attaquant à
Raymond Aron qu’il accuse d’avoir “poussé Tocqueville comme on pousse un veau aux hormones”. Cuistrerie consternante dont il remet une couche, en affirmant même qu’il “s’en est servi comme d’une machine de guerre pour combattre Marx, le marxisme, le stalinisme, le soviétisme.”
En l’occurrence, ce dont s’est scandalisé Aron, c’est qu’on ait pu ignorer Tocqueville au profit de Marx dans les milieux éducatifs et universitaires français. Force est de constater que la propre école d’Onfray n’a pas fait mieux…

Malheureusement, à ces contre-vérités sur la vraie nature du libéralisme, Michel Onfray ajoute une grosse louche de mauvaise foi en assénant que Tocqueville aurait été “Raciste, ségrégationniste, colonialiste”, qu'il ne concevait le libéralisme qu'à condition d'être "blanc, homme, chrétien, et d'origine européenne" et “qu’il estimait que le massacre des Indiens obéissait à la Providence...”

Mais comment a-t-il donc lu l’oeuvre dont il trahit de manière aussi éhontée l’esprit ? Comment peut-il occulter des pans entiers du discours qui affirme entre mille autres citations : “l’esclavage déshonore le travail, il introduit l’oisiveté dans la société et avec elle l’ignorance et l’orgueil, la pauvreté et le luxe. Il énerve les forces de l’intelligence et endort l’activité humaine”
Comment ose-t-il tronquer une partie du propos pour tenter d’assimiler les constats de Tocqueville sur l'Amérique à des opinions ?
Par exemple, il extrait sournoisement du chapitre traitant des “trois races aux Etats-Unis”, une phrase dont il fait le pilier fondateur d’une pensée perverse : “parmi ces hommes si divers, le premier qui attire le regard, le premier en lumière, en puissance, en bonheur, c’est l’homme blanc, l’Européen, l’homme par excellence; au dessous de lui paraissent le nègre et l’Indien.”
Il se garde bien de citer ce qui suit et qui donne tout son sens à l'ensemble, attestant notamment de l’absence de complaisance de l’auteur pour ce qu’il voit de ses propres yeux : “Ces deux races infortunées n’ont de commun ni la naissance, ni la figure, ni le langage, ni les mœurs. Leurs malheurs seuls se ressemblent. Toutes deux occupent une position également inférieure dans le pays qu’elles habitent; toutes deux éprouvent les effets pervers de la tyrannie; et si leurs misères sont différentes, elles peuvent en accuser les mêmes auteurs…”

Ainsi, Onfray qui faisait le reproche au biographe Jean-Louis Benoit, dont il s’était inspiré pour son premier ouvrage, de s’être “contenté de morceaux choisis à dessein”, pour présenter Tocqueville comme “un auteur fréquentable”, commet une faute bien plus terrible. Il se permet de caviarder le texte qu’il commente pour n’en faire ressortir que des éléments à charge. Ce faisant, il agit comme un censeur des plus vils, voire un inquisiteur cherchant à produire l'aveu de crimes fabriqués.

Malheureusement, tout l’ouvrage est de cette même eau, trouble et polluée.
Comme s’il avait une intention préconçue de déformer le propos à seule fin de le rendre odieux, et de le discréditer définitivement aux yeux des naïfs qui n’auront pas le courage de vérifier les assertions à l’emporte pièce qu’il balance à tour de bras.
A moins qu’il ne soit passé complètement à côté du message, ce qui n’est pas impossible, tant il paraît encore encombré par ses œillères idéologiques.
Dans les deux cas c’est rédhibitoire pour un philosophe prétendu clairvoyant et honnête…

07 décembre 2017

Necrostalgia

Selon Victor Hugo, la meilleure façon d’avoir raison c’est d’être mort.
Le grand homme incarna cet adage, qui souffrit de son vivant de l’exil, et qui eut droit à de somptueuses funérailles nationales.
Cette semaine, les assauts de louanges qui suivent la disparition de Jean d’Ormesson et dès le lendemain, celle de Johnny Hallyday, confirment le constat de l’auteur des Misérables.
Certes ces deux là furent plutôt choyés de leur vivant par l’opinion publique. Mais il n’en fut pas toujours ainsi et bien que leurs destins respectifs soient plutôt éloignés, ils se ressemblent à maints égards.

Ils prêtèrent le flanc à la critique, l’écrivain pour son engagement à droite et son côté vieille France, le chanteur pour ses manières un tantinet rustiques et son style jugé parfois un peu ringard.
Tous deux surent pourtant esquiver ces moqueries en les acceptant de bonne grâce, avec une indifférence classieuse, désarmante. Ce faisant, ils réussirent à se faire respecter de tous y compris de l’intelligentsia…

Si aucun des deux ne révolutionna le genre dans lequel ils firent carrière avec succès, chacun fit ce qu’il put pour servir son art de son mieux. Il y eut certainement la même sincérité dans l’amour de la littérature de l’un et dans la passion du rock ‘n roll de l’autre. Les deux durent leur célébrité à un charisme exceptionnel, l’un dans les salons parisiens, l’autre sur les scènes de ses concerts. Nul doute qu’ils procurèrent du plaisir à leurs publics respectifs et leur respectable longévité n’est pas le moindre de leurs talents.

Mais si pour paraphraser Jean d'Ormesson, on peut dire malgré tout que leur vie fut belle, que restera-t-il dans les mémoires ?
L'auteur de la Gloire de l'Empire écrivit beaucoup mais ses romans laissent le goût de l’eau de rose, déjà quelque peu évaporé, et les idées qu’il développa dans ses nombreux ouvrages philosophiques sont aussi légères que des papillons. Tout ça s’envole avec grâce mais sans lendemain. On dit qu’il excellait dans l’art de la conversation, mais son style était fait de pirouettes et de mots d’esprit. Pour élégants qu’ils fussent, ils n’ont pas de vraie trajectoire et peu de consistance durable hélas.
Johnny Hallyday fut parait-il le Elvis français, c’est tout dire. En dépit d’une voix de stentor qu’il savait faire vibrer avec beaucoup d’expressivité et parfois même de tendresse, il restera sans doute comme un suiveur de modes. Après avoir adapté nombre de standards américains, il sut faire appel à de bons auteurs compositeurs qui lui permirent d’inscrire quelques titres qui résonneront longtemps dans les oreilles françaises:  Que Je T'aime, l'Envie d'Avoir Envie, Retiens La Nuit, Laura, Quelque Chose de Tennesse...
Mais françaises, car si tous deux trouvèrent la gloire chez eux, s’ils résument un peu l’esprit d’un pays, ils ne parvinrent pas à le faire rayonner à travers le monde.

Aujourd’hui, les hommages pleuvent. Il faut dire que notre époque n’a plus guère de héros, pour reprendre le mot du Président de la République, et les médias sont à cours de sujets mobilisateurs. Tout le gratin rapplique pour apporter force témoignages larmoyants. Ainsi va le monde….

Tout bien pesé, si Dieu existe, il les enverra sans doute au Paradis car ils ont fait beaucoup plus de bien que de mal à leurs contemporains...