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27 octobre 2017

Une brève histoire de l'empirisme

Il est souvent difficile pour les philosophes d’exprimer leurs idées de manière concise et pragmatique. Souvent ils produisent d’épais ouvrages, quasi inintelligibles au commun des mortels, dont les débouchés pratiques s’avèrent très aléatoires.
Avec le siècle des Lumières vinrent de nouveaux penseurs qui se firent un devoir de traiter la philosophie comme une science, et de frotter leurs théories contre la réalité tangible pour en éprouver le bien fondé. John Locke fut un précurseur en la matière et David Hume (1711-1776) lui emboîta le pas un peu plus tard.
Ce dernier malheureusement eut toutes les peines du monde à donner quelque retentissement à ses écrits, pourtant très novateurs, écrits dans un langage précis et clair. Pour les rendre plus accessibles, il n’hésita pas à leur donner la forme la plus synthétique qui soit en résumant à la manière d’un teaser, l’essentiel de son Traité de la nature humaine dans un abrégé d’à peine plus de 40 pages !
La lecture de ce texte s’avère passionnante car elle donne une vision extrêmement percutante de l’empirisme radical dont il témoigne.

Selon Hume, notre rapport au monde est régi exclusivement par les perceptions que nous en avons. Celles-ci sont de deux types : les impressions et les idées. "Les impressions sont nos perceptions les plus vives et fortes, les idées les plus légères et les plus faibles."
Si Hume n’est pas aussi catégorique que Locke, qui prétendait qu’il n’existe pas d’idées innées, il n’en pense pas moins que les idées dérivent nécessairement de nos impressions. En d’autres termes, "toute idée doit être référée à une impression sous peine de n’avoir aucun sens..."

Hume s’attache également à disséquer le rapport de causalité qui unit les événements que nous observons. Pour lui, il est évident que tous les raisonnements sur la cause et l’effet se fondent sur l’expérience. C’est la répétition d’une succession d’évènements qui rapporte l’effet à la cause. Ainsi au billard, le choc d’une boule animée contre une autre immobile, va conférer à cette dernière un mouvement et c’est la répétition de cette observation qui fait naître en nous l’idée qu’il existe une relation de cause à effet.
Celle-ci suppose trois phénomènes : la contiguïté dans le temps et dans le lieu, la priorité dans le temps d’un évènement par rapport à l’autre, et la conjonction constante entre la cause et l’effet. Notre approche n’en est pas moins très superficielle car les pouvoirs par lesquels les corps opèrent nous sont entièrement inconnus. Nous ne percevons que leurs qualités sensibles.

Pour résumer les choses, “presque tout raisonnement est réduit à l’expérience et la croyance accompagnant l’expérience n’est rien d’autre qu’un sentiment particulier, ou une conception vive produite par l’habitude…”
Afin de démontrer le caractère partiel et superficiel de notre connaissance, Hume montre de même que le principe d’égalité ou d’inégalité qui nous paraît relever de l’évidence peut être relativisé. “On déclare en théorie deux lignes égales si le nombre de points qui les composent est égal et lorsqu’à chaque point de l’une correspond un point de l’autre. Mais bien que cette norme soit exacte elle est inutile car nous ne pourrons jamais compter le nombre de points dans aucune ligne…”

Il n’est pas très étonnant qu’avec un tel scepticisme, Hume envoie promener toutes les croyances, les superstitions, la foi et même l’âme, qui pour lui “n’est rien d’autre qu’un système ou une série de différentes perceptions, celle du chaud et du froid, de l’amour et de la colère, des pensées et des sensations réunies sans aucune forme de parfaite identité ou de simplicité.”

Bien que cette approche soit révolutionnaire et infiniment plus pragmatique que les radotages éthérés de nombre de philosophes, elle apparaît toutefois un peu réductrice. Immanuel Kant qui de son propre aveu fut “réveillé de son sommeil dogmatique” par la lecture de Hume, amenda quelque peu la théorie. S’il partagea avec Hume le souci de valoriser l’expérience, il restaura l’inné dont l’impératif catégorique est l’illustration la plus marquante. Pour Kant, il est à l’évidence impossible de raisonner dans l’absolu et il est donc nécessaire de circonscrire notre raisonnement par une attitude critique délimitant le champ du possible de celui de l’ineffable, c’est à dire de la métaphysique. Il ne rejeta pas pour autant cette dernière mais montra qu’il était vain de tenter de l'explorer par la raison raisonnante…
Henri Bergson apporta quant à lui un nouvel éclairage en soulignant le rôle majeur de l’intuition dans le progrès de la connaissance, tout en déplorant la difficulté qu’il y a de définir de manière rationnelle "cette chose simple, infiniment simple, si extraordinairement simple que le philosophe n'a jamais réussi à le dire…”
A l’orée du XXè siècle, William James ira encore plus loin en ouvrant l’attitude empirique sur la spiritualité et ce qu’il appela “la volonté de croire”. De manière très convaincante, il affirma que cette dernière était en effet capable de multiplier les potentialités que le seul usage du raisonnement laisse espérer…

En définitive, de Locke et Hume à James, l’empirisme s’affirme donc comme un concept majeur en philosophie et en sciences. Il reste radical, mais parti du ras des pâquerettes, il s’élève jusqu’au ciel...