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20 juillet 2020

Dylan Is Dylan

Dylan est là, et nul doute que pour quelques uns, c’est un doux réconfort. Après une parenthèse crooning consacrée aux grands standards d’antan, on retrouve sur une dizaine de compositions originales, sa voix traînante, un peu fatiguée, un peu lasse, mais dont les écorchures laissent encore sourdre de délicates suavités: Rough And Rowdy Ways.
Le style est des plus dépouillés. Les lignes mélodiques sont réduites à leur plus simple expression, et l’accompagnement musical mi-swing mi-shuffle, se fait velours pour servir d’écrin à des textes intenses, débordant de poésie et de symboles.

Le morceau de bravoure c’est évidemment la très longue mélopée Murder Most Foul qui brode autour de la mort de John Kennedy, l’histoire de la seconde moitié du XXè siècle, et plus précisément la décade prodigieuse des sixties, exaltante, chaotique et tragique. Plus que jamais Bob Dylan apparaît comme le chantre inspiré de cette époque qu’il incarne si bien tout en la contemplant de haut, tel un oiseau au regard acéré mais quelque peu désabusé.

A côté de ce monument, on trouve une floraison de superbes ballades qui égrènent leur litanie dans un clair obscur tiède et paisible. Key West par exemple qui célèbre de façon inattendue l’éden suspendu au bout de la Floride, entre les bleuités confuses de l'océan et la clarté nébuleuse des confins célestes. “Key West est l'endroit où il faut être lorsqu’on cherche l'immortalité” dit la chanson. C'est une vanité bien sûr mais elle est envoûtante et on se prend à espérer que continue longtemps cette incantation qui love sa douce espérance sur un lit moelleux d'accordéon.

Avec I’ve made up my mind to give myself to you, Dylan chante l’amour de la manière la plus déchirante qui soit. Revenu de tout et abordant le crépuscule de son existence, le barde s'y fait très humble et résigné pour célébrer l'essentiel et oublier tout le reste. Est-ce à un être humain qu'il s’adresse et à qui il s'abandonne corps et âme, est-ce à une entité supérieure, peu importe en somme. Les mots sont là, ils touchent profondément, voilà tout.

D’autres petits trésors gravitent autour de ces splendides astres nocturnes. Deux blues à la rythmique lourde et capiteuse qui rappellent où se trouvent les racines peut-être les plus profondes de la geste dylanienne (False Prophet, Goodbye Jimmy Reed). Dans le premier, l’artiste assène une fois encore qu’il se refuse à être un faux prophète (“je ne sais que ce que je sais, et je vais là où seuls vont les solitaires…”). Dans le second, il salue bien bas l’un des ténébreux héros de la culture américaine, auprès desquels il puise souvent son inspiration. A noter d'ailleurs que le titre improbable de l’album, fait référence à une chanson de Jimmie Rodgers, l’un des pionniers de la musique country.
Il faut enfin s'imprégner de la beauté de quelques perles noires, à la scansion aussi absconse qu’ensorcelante (Crossing The Rubicon, Black Rider, I Contain Multitudes, Mother Of Muses, My Own Version Of You).

Et puisque tout compte dans cet album sombre et somptueux, un mot enfin de la pochette et du cliché qui l'illustre. Il vous plonge dans la demi-clarté d’un bouge interlope aux reflets mordorés de came et d'alcool. On y danse jusqu’au bout de la nuit dans une ambiance où la volupté des rêves amoureux le dispute à la poisse des destinées enfermées dans une implacable finitude...

14 août 2017

Dylan's Triplicate

Décidément le bonhomme n’a pas fini de surprendre son monde. Un monde très partagé à son propos, les uns le méprisant, les autres le vénérant, ce qui n’empêche pas de toute façon la légende de doucement s’inscrire dans le marbre du temps...
Après toutes ces folles années que reste-t-il donc à Bob Dylan à prouver ?
Pas grand chose sans doute et c’est pourquoi au crépuscule de sa vie aventureuse, il prend plaisir à interpréter sans prétention, quelques grands classiques qui firent les beaux jours du jazz, du blues et du bel canto, puisés à la source magique du Great American Songbook.
N’était sa voix éraillée, nasillarde, réduite désormais à un souffle quasi sépulcral, on pourrait évoquer la belle période du crooning. L’ambiance musicale est en effet bien là, feutrée, veloutée, un brin swingante, toujours légère et pétillante comme la mousse d’un bonne bière bien fraîche. Tout le mérite en revient aux garçons inspirés qui accompagnent de manière jubilatoire le vieux maître : Charlie Sexton et Dexton Parks à la guitare, Donnie Herron à la pedal-steel (pas omniprésente cette fois), Tony Garnier à la basse et George Recelli à la batterie. Ajoutons y une touche de cuivres posés ça et là pour donner un peu de peps, et le cocktail est parfait.
Là dessus, Bob Dylan déroule avec une sincérité confondante ces rengaines inépuisables. Il monte encore bien dans les aigus et sait donner à sa voix, que d’aucuns diraient monocorde faute d’y être réceptifs, des intonations troublantes. A condition de s’être mis en condition, il est impossible de ne pas tomber sous le charme de ces délicieuses bluettes qui évoquent avec une poignante nostalgie, l’ineffable scintillement puis l’évanouissement des époques et des êtres. Quand on regarde les étoiles, on dit qu’on voit dans le passé. C’est un peu de ce temps révolu qui vous entre avec volupté dans les oreilles.
Il n’est certes sans doute pas recommandé d’écouter à suivre les 30 titres que ce Triplicate a colligés, surtout qu’ils viennent après deux albums consacrés à des rencontre musicales du même type (Shadows in the night sorti en 2015 et Fallen Angels en 2016), mais à petites doses, quel bonheur !
On a dit qu’il s’agissait d’une sorte d’hommage à Frank Sinatra, car presque toutes les chansons rassemblées ici furent interprétées par lui mais on peut y voir beaucoup plus. Que dire en effet de Stardust dont on ne compte pas moins de 1500 versions depuis l’année de sa création par Hoagy Carmichael en 1927, dont les magnifiques performances de Nat King Cole et de Louis Armstrong. Stormy Weather ou These Foolish Things furent successivement magnifiées par Ella Fitzgerald et Billie Holiday. Le pimpant I guess I’ll have to change my plans qui débute la série, rappelle irrésistiblement Lester Young, My one and only love fait penser à John Coltrane, et How Deep is the ocean à Miles Davis...
Après s’être empli de ces tendres mélodies que reste-t-il donc à faire ?
Reprendre depuis le début la carrière de Bob Dylan et réécouter tous les refrains qui résonnent aux quatre coins du monde depuis plus d’un demi-siècle, pour mesurer le chemin parcouru par cet infatigable vagabond du folk song, du blues et du beat...
Pour rappel, quelques perles de ces vingt dernières années, en forme de flegmatique apothéose : Time Out of Mind (1997) Love and Theft (2001), Modern Times (2006), Together through Life (2009), Tempest (2012)

15 octobre 2016

Last American Hero

A l'heure où plus rien ne semble émerger dans nos sociétés fatiguées par le bien-être matériel, hormis de sombres inquiétudes; où des masses informes de citoyens grégaires et désabusés s'abandonnent avec une béate veulerie à l'Etat Providence; où l'esprit critique bat en retraite un peu partout devant le flot des idées reçues et des a priori ronflants; il en reste au moins un qui continue de tracer sa route en toute indépendance et liberté.
Most likely you go your way and I'll go mine... Va ton chemin, j'irai le mien disait la chanson de Bob Dylan...

Indifférent en apparence, au tumulte vain de l'époque, à la gloire, à la fatigue, aux médias, aux discours, aux médailles, aux récompenses, aux louanges aussi bien qu'aux insultes, il sillonne sereinement le monde en semant dans le vent ses ritournelles.
Aujourd'hui le prix Nobel de littérature lui tombe dessus, sans crier gare, et sans qu'il fasse mine de s'en émouvoir. Tel est le personnage... Il boude aussi bien les embaumements que les offuscations.

Certains croient intéressant de polémiquer en invoquant l'incapacité qu'aurait un chanteur à mériter un tel prix. Ils s'arrogent le droit de remettre en cause la décision du jury, et tentent de ramener au niveau du caniveau les chansons célestes du beatnik errant. Ils n'ont rien compris les bougres !
C'est pour ça que Bob Dylan est grand.

C'est parce que son chant part du ras-des-pâquerettes qu'il peut s’élever si haut. C'est parce qu'il est léger et impalpable qu'il vous pénètre aussi profondément. C'est parce qu'il n'est fait que de mots anodins et de quelques notes de musique qui n’ont l’air de rien, qu’il reste en vous définitivement dès lors qu’il vous touche. C'est parce qu'il est inspiré, tout simplement...

Ils disent que ce n'est « pas un écrivain puisqu’il n’a pas de livre à son actif ». Comme si la littérature s’évaluait au poids des volumes produits ! Une telle cuistrerie quantitative rappelle la remarque d’un prétendu maître de musique, cherchant à disqualifier à l’oreille du roi une symphonie de Mozart, en affirmant qu’il y avait trop de notes…

Il est probable toutefois que cette “nobélisation” comme on dit, embarrasse plutôt notre homme. A dire vrai, il n’en a que faire pour sa gloire, et peut craindre qu’il s’agisse d’un boulet doré qu’on tente de lui attacher au pied, pour le faire rentrer dans le rang du conformisme. Depuis si longtemps, tant de vils flatteurs qui l’encensent attendent qu’il leur fasse un signe de sympathie, ou bien qu’il s’engage pour leurs causes plus ou moins foireuses.


Pour l’heure il manifeste sa joie par un silence imperturbable, qui semble dire : “I’m not there…
Il n’en reste pas moins vrai que s’agissant du choix du jury Nobel, on en connut de plus discutables…
Sans doute involontairement hélas, il signifie qu’en matière artistique, seule compte l’émotion. Tout le reste est littérature...

13 décembre 2014

Dylan, brut de décoffrage

A l'instar des rescapés du Pink Floyd qui étoffent et redorent d'anciennes ébauches délaissées dans des placards, pour tenter d'en faire du neuf, Bob Dylan ressort de ses vieilles malles ses légendaires Basement Tapes, captées dans l'intimité en 1967, alors qu'il se remettait à la campagne, d'un accident de moto.

Mais à l'inverse des premiers, il les propose dans leur jus, sans fioriture ni artifice. Ça dégage un petit parfum boisé et acide dans lequel remonte, un peu confite mais très prégnante, l'ambiance rebelle des sixties.

Et c'est une nouvelle occasion de se confronter au mystère Dylan. Notamment cette scansion nasillarde que certains trouvent insupportable, et qui derrière son apparente monotonie, surprendra toujours en même temps qu'elle les ravit, les aficionados. Elle touche parfois au sublime dans ces sessions débridées où son lamento stridulant fait merveille. Parmi les nombreuses mélopées soutenues efficacement par le quintette si attachant du bien regretté The Band, on retiendra des standards éprouvés, telle cette version déchirante du fameux I Shall Be Released, des perles jamais entendues (Sign On The Cross) ou restées à l'état de géniales improvisations (I'm Not There).

Un livret instructif et richement illustré complète ce double album très root qui apporte un éclairage intéressant sur ce baladin lunatique, aux messages aussi envoûtants qu'énigmatiques...



Bob Dylan and The Band. The Basement Tapes, raw. 2014 
On apprend au passage qu'un nouvel album se prépare pour 2015 :Shadows In The Night. Wait And See...

12 septembre 2012

Ouragan Sentimental

Au dessus des tempêtes, des drames mais aussi des lubies et des billevesées d'un monde plus grégaire et versatile que jamais, Bob Dylan en grand seigneur impassible, continue de peaufiner ses cantilènes intemporelles et ensorcelantes.
Quelle voix sublime à force d'avoir été comme un très vieux cuir, tannée, usée, écorchée, par les orages, les saintes colères et les désillusions de l'existence. Quelle force dans l'indicible parfum d'expectative qui sourd avec une infinie douceur de cette complainte gutturale !

Peu importent les marques de l'âge sur le visage du poète, il n'a cure des jouvences artificielles. Son indépendance, sa liberté, son humilité, sont des signes autrement plus convaincants de sa jeunesse.
D'ailleurs, on dirait qu'il n'y a ni début ni fin dans l'égrenage subtil de ses mélodies succulentes. Seulement une atmosphère extatique, exquisément poignante, comme les mystères qui vous élèvent, en vous interrogeant, avec la dureté de la finitude et la tendresse de l'espérance.

Ça commence avec une sorte de pépite aussi brillante qu'inattendue. Duquesne Whistle. Un train à la manière d'autrefois, passe en sifflant. Comme en sifflotant, plutôt... Dans cet univers pimpant, les riffs guillerets saisissent l'auditeur qui ne peut qu'en redemander. Pas grand chose à voir, sauf erreur de ma part, avec l'illustration glauque à laquelle on eut droit sous forme d'un clip abscons, en prélude à la sortie du disque. Les images sont pauvres lorsqu'il s'agit de représenter l'imaginaire...

La suite est un peu plus sombre. Soon After Midnight. La nuit nous entoure...
Mi Blues, mi mélopée, Dylan emmène ses affidés sur une voie étroite mais au charme hypnotique : Narrow Way. Ne pas s'abandonner à la facilité, recommande-t-il en termes voilés. Ne pas gâcher les années d'une vie que l'ennui fait paraître longue alors qu'elle est si courte (Long And Wasted Years). Dès lors tout s’enchaîne : Les folies qu'on paie au prix fort du sang (Pay In Blood). La légende d'une ville nappée d'un rouge écarlate (Scarlet Town): du crépuscule, ou bien de la honte, ou des déchirements ? Pourquoi ne pas évoquer tant qu'on y est, les mirages funestes de l'histoire, de la gloire, du pouvoir et de l'argent (Early Roman Kings), voire le mythe de l'ange déchu (Tin Angel). Le triste balancement d'une longue, très longue et tragique traversée maritime, sur un océan glacial qui ressemble au destin (Tempest). Et pour finir, l'adieu déchirant à l'ami autrefois arraché abruptement à la vie (Roll On John)...
Il paraît que Bob Dylan voulait faire un recueil religieux. C'est peu dire que l'Esprit affleure à chaque moment sous les détours un peu énigmatiques de sa poésie assagie. ..
Quant à la musique elle-même, précisons qu'elle est servie par un accompagnement idyllique. Des artistes sous le charme, distillant avec volupté un son splendide, merveille d'équilibre, de fantaisie et délicatement feutré comme les velours les plus soyeux... 


Tempest, Bob Dylan. Columbia 2012

31 juillet 2009

Blues d'été


A emporter en vacances quand on aime le blues et les sonorités pas trop formatées, stéréotypées, calibrées...
Tout d'abord le nouvel opus de Madeleine Peyroux , Bare Bones : Du jazz qui déploie sa douce musique à la manière de la caresse languide et chaude du soleil à travers les persiennes au coeur de l'été... C'est tamisé, distillé, retenu mais ça irradie le bonheur discret d'exister, lorsque les soucis sont comme par magie évaporés. Madeleine Peyroux joue avec volupté des subtiles intonations de sa voix ensorcelante. Elle se promène sur les délicieuses mélodies et un quatuor idéal l'accompagne dans cette infinitésimale odyssée. On retrouve notamment Vinnie Colaiuta qui du bout de ses balais effleure le rythme avec sensualité. De leur côté Jim Beard au piano et Dean Parks à la guitare libèrent avec tendresse tout le jus de leur instrument. O temps suspends ton vol...

Ensuite l'éternel compagnon des âmes errantes, Bob Dylan qui invite toujours au voyage, Together Through Life. C'est un vrai bonheur de constater qu'avec l'âge, il ne perd manifestement pas sa verve créatrice. Elle prend au contraire une saveur de plus en plus troublante et attachante. Comme celle d'alcools délicatement imprégnés des parfums du chêne dans lequel ils vieillissent, et qui grâce à une mystérieuse alchimie révèlent une infinité d'arômes subtils. Ce nouvel album est assurément de la même veine que ceux qui le précèdent. Comme le magnifique Modern Times il cache ses trésors derrière une modeste pochette illustrée d'une très suggestive photo noir et blanc. Cette fois-ci un bref moment de tendresse au fond d'une auto filant sur le bitume, capturé par Bruce Davidson, donne l'atmosphère.



La musique quant à elle, s'inscrit dans cet univers fugace du temps qui passe, avec une indicible prégnance. Comme souvent avec Dylan, elle n'a l'air de rien au premier abord, mais elle imprime profondément son sillon. Sur des rythmiques tendues ou chaloupées, admirablement servies par des musiciens épatants, le chanteur pose tranquillement sa poésie si particulière, en jouant à merveille de sa voix enjôleuse, à la fois nasale et pointue, écorchée mais un peu grasseyante, trainante, lointaine et si proche...
Les chansons sont toutes simples. Elles tiennent parfois du blues (life is hard, my wife's home town) mais aussi plus souvent de la ballade amoureuse (Beyond here lies nothin, Jolene, the dream of you). On y trouve aussi des réminiscences de rêves passés : I feel a change comin' on... L'ambiance est un rien feutrée, avec ce qu'il faut d'acidité. Quelques beaux riffs de guitare électrique, une pincée de douceur apportée par la pedal steel, les volutes ensorcelantes du banjo, de la mandoline et surtout d'un accordéon qui rappelle parfois les bonnes vieilles sonorités du Band...
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Un rescapé des sixties ensuite, qui semble renaître de ses cendres depuis quelque temps, Jeff Beck. L'homme n'a jamais été attiré par les feux de la rampe, mais il a fait une exception il y a quelques mois, pour une parenthèse enchantée dans un petit club londonien le Ronnie Scott's.
Guitariste éphémère des Yardbirds pendant les sixties, c'est un artiste plus que discret. Les aficionados de Brit Blues et de Jazz Rock connaissent son nom mais sont sans doute peu nombreux à mesurer vraiment ce dont il est capable. Avec cette prestation extatique, il faut espérer qu'il gagne enfin la place qui lui revient de toute évidence au panthéon des rock stars : celle d'un géant !
C'est tout simplement une révélation. Ce qu'il fait sur scène est diablement sioux. Pas à cause du collier plus ou moins indien qu'il arbore modestement, mais parce qu'il fait preuve d'un toucher de guitare absolument unique, quasi indicible. Il n'a pas son pareil en effet pour pincer, tirer, marteler, pousser, griffer, effleurer les cordes afin d'en extraire un jus incroyable. Tantôt ce sont des stridulations qui vrillent l'air comme les fusées d'un festival pyrotechnique, tantôt c'est une plainte qui meurt en feulant sous la caresse du bottleneck. Et tout ça totalement maitrisé, pétri avec amour par des doigts nerveux et agiles qui n'ont que faire d'un médiator mais semblent faire corps avec le bras du vibrato.
Dans le cadre de ce fameux petit club de jazz de Londres, quoi de plus naturel à entendre que du jazz ? Mâtiné de blues, de rock et de rythmes funky c'est bien du jazz en quelque sorte qu'on entend. Jazz rock avant tout, sous tendu par les arpèges d'une jeune bassiste prodige Tal Wilkenfeld. Elle a la pêche de Jaco Pastorius ou de Stanley Clarke, avec en plus un air malicieux de ne pas y toucher, qui fait manifestement l'admiration attendrie de son mentor. A la batterie Vinnie Colaiuta assure le tempo comme une horloge suisse, tandis que Jason Rebello tient sans faiblir les claviers comme un chef ses fourneaux.

Comme Jeff ne chante pas, les mauvaise langues pourraient dire qu'il ne lui manque que la parole... C'est vrai mais à la place, il a l'heureuse idée de donner la vedette à des artistes bourrées de charme et de talent : Joss Stone, et Imogen Heap. La première revisite de manière très convaincante un titre de Curtis Mayfield (People get ready), et la seconde sur une composition personnelle, se lance avec Jeff à la strat, dans un duo irradiant qui est un des sommets du concert (Blanket), puis donne une version décapante du fameux Rollin' and Tumblin'. Sans oublier Eric Clapton en personne qui vient faire le boeuf sur deux blues bien juteux à la fin du concert.
En, prime on a même droit en intersession, à une savoureuse séquence typiquement rockabilly avec les Big Town Playboys.
Au total, ce DVD/Blu ray est un enchantement. Signalons enfin qu'il est remarquablement filmé et doté d'une prise de son impeccable, chaude, précise, détaillée. Bref, une belle euphorie...

06 septembre 2006

God bless you, Bob

Dans un monde plein d'insipide sentimentalité, de platitudes ronflantes, d'urgences vaines, et d'ersatz démocratiques, Bob Dylan fait partie des quelques repères rassurants qui au dessus du tumulte mou, vous rappellent que l'existence est plus que tout cela et qu'elle vaut bien la peine d'être vécue.
Il n'affiche pas de grands sentiments, se garde de toute niaiserie intellectuelle et de tout engagement borné. Mais il est là. Il est rugueux comme la terre sur laquelle on peine, moelleux comme l'herbe où l'on s'allonge, humble et sauvage comme les fleurs qui peuplent le bord du chemin, et aussi libre que les voiles qui glissent l'été sur l'horizon ensoleillé. Son oeuvre baigne dans une intemporalité tranquille à la fois continue et sans cesse renouvelée. A l'image des palétuviers plongeant des milliers de racines dans la boue de la mangrove, son talent puise son inspiration à mille sources, et se nourrit du quotidien en le transcendant de mille façons.
Dans son dernier album intitulé tout simplement, et par tendre dérision « Modern Times », on trouve toutes les facettes de cet art à nul autre pareil. Le son est velouté, léger, aérien, parfaitement maîtrisé, la voix pincée tient du feulement mais son timbre est plus profond et magnifique que jamais. Cette musique apaisée, sereine, lumineuse emprunte tantôt au jazz, tantôt au blues (thunder on the mountain, rollin' and tumblin', someday baby), s'égare en ballades émouvantes (spirit on the water, when the deal goes down, workingman's blues #2, beyond the horizon), revient par moment à une scansion plus appuyée (Nettie Moore) et meurt en une douce et indicible complainte (ain't talkin'). Un vrai trésor.
INDEX-MUSIQUE