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22 février 2023

Séisme

Comment parler du drame qui étreint des populations entières de Turquie et de Syrie, depuis l’impressionnant séisme qui eut lieu dans la nuit du 5 au 6 février 2023 ? Le bilan atroce évolue chaque jour et nul doute que le nombre des infortunées victimes se chiffrera en dizaines de milliers, sans compter les blessés.
Si les grandes douleurs sont muettes, dans notre monde affolé de pacotilles, tellement soumis à l’inconstance, à l’arrogance et aux croyances infondées, une catastrophe naturelle émeut plus que tout par son caractère abrupt, imprévisible et en apparence injuste. Il en est souvent de même de la maladie qui vous tombe dessus comme une malédiction du ciel. Et que dire des handicaps qui vous accablent dès la naissance ?
Hormis l’aide apportée par les médecins, secouristes et sauveteurs, tout est vain. Compassion, révolte, fatalisme, tout aboutit au désespérant sentiment d’impuissance. Personne ne peut répondre aux questions portant sur la cause de ces malheurs et surtout, personne ne peut se mettre à la place de ceux qui souffrent dans leur chair.

Lors de tels tragiques évènements, je ne peux m’empêcher de revenir vers Voltaire qui avait si bien évoqué le sujet dans son fameux poème sur le désastre de Lisbonne survenu en 1755, qui fit entre 50 et 70.000 morts.
Il renvoyait dos à dos à l’époque les “philosophes trompés” affirmant que “Tout est bien”, et ceux qui justifiaient ces catastrophes par “l'effet des éternelles lois qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix », ou par une vengeance divine, qui infligerait la mort aux victimes pour “prix de leurs crimes…”
Il n’accordait guère plus de crédit aux débats futiles sur l’existence ou non de Dieu, car “tandis qu'on raisonne, des foudres souterrains engloutissent Lisbonne..”

Selon le poète, quatre hypothèses pouvaient être formulées pour expliquer la survenue de tels cataclysmes :
“Ou l’homme est né coupable, et Dieu punit sa race,
Ou ce maître absolu de l’être et de l’espace,
Sans courroux, sans pitié, tranquille, indifférent,
De ses premiers décrets suit l’éternel torrent ;
Ou la matière informe, à son maître rebelle,
Porte en soi des défauts nécessaires comme elle ;
Ou bien Dieu nous éprouve, et ce séjour mortel
N’est qu’un passage étroit vers un monde éternel.”

Les progrès scientifiques et techniques ont permis d’établir avec force que la troisième assertion est sans doute la meilleure. La main de Dieu, si elle existe, n’est pour rien dans la survenue de ces évènements qui s’inscrivent le plus naturellement dans le cours naturel du monde matériel et fini dans lequel nous vivons.
Un tremblement de terre est d’ailleurs quasi insignifiant lorsqu’il touche une région inhabitée. L’horreur vient des constructions qui s’écroulent sur les gens qui y avaient élu domicile. Il n’y a pas de fatalité définitive à cela. S’il paraît impossible d’empêcher le mouvement des plaques tectoniques qui sont sous nos pieds, s’il existe toujours un impondérable concernant le moment de sa survenue, son ampleur et ses conséquences, il est devenu possible, grâce à l’enrichissement des connaissances humaines, de les anticiper et de prévenir leurs effets dévastateurs. En l’occurrence, rien ou presque n’avait été fait pour améliorer et adapter l’habitat et il apparaît clairement que l’imprévoyance, la négligence voire les malversations furent légions dans ces contrées qu’on sait depuis des lustres soumises à un risque important.

Si beaucoup de calamités, de souffrances et de massacres sont hélas directement causés par l’homme lui-même, les catastrophes naturelles, dans lesquelles il n’est assurément pour rien, sont parfois évitables. On nous assomme à longueur de journées avec les hypothétiques effets néfastes du non moins hypothétique dérèglement climatique qui serait par hypothèse causé par l’activité humaine, mais il y a beaucoup à faire pour endiguer quantité de fléaux bien réels.
En concluant son poème fleuve, Voltaire tablait sur l’espérance. Certes on peut miser sur l’espoir d’un merveilleux royaume céleste et d’une béatitude éternelle, mais on peut encore espérer ici-bas, quelques progrès, car :
"Un jour tout sera bien, voilà notre espérance;
Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion…"

22 janvier 2015

Défense de Voltaire

Longtemps je me suis interrogé sur Voltaire
Non sans une certaine répulsion tant j’avais en tête le refrain chanté par Gavroche qui veut que tout et plus encore, soit “la faute à Voltaire et à Rousseau”. Non sans un certain dégoût même, lorsque je me remémorais les vers sarcastiques du Rolla de Musset (Dors-tu content Voltaire et ton hideux sourire....). Comme beaucoup de jeunes, j’eus mon époque romantique, et je m'imagine parfois poète, alors que Voltaire c’est précisément le contraire du romantisme et de la rêverie poétique (bien qu’il produisit plus de 250.000 vers) !

Et puis mon opinion vint à changer peu à peu. A mesure sans doute que je découvrais l’Esprit de Liberté, et que ce dernier prenait possession de mon être, corps et âme, en l’éclairant de ses Lumières…
J’appris ainsi que derrière ses airs de vieux père fouettard grimaçant, derrière sa silhouette chenue, si empreinte de classicisme, il y avait la figure tutélaire d’un intrépide et infatigable défenseur de la liberté.
En somme au delà de ses bons mots, de ses outrances et de ses provocations, Voltaire s’est imposé comme l’archétype du libéral français, pétillant de malice et d’intelligence. Et si aujourd’hui, s’il m’est difficile de prétendre que je fasse de ses écrits une consommation assidue, le personnage est désormais pour moi une référence incontournable. Un ami et admirateur de Locke et de Newton ne peut être totalement mauvais tout de même...
Aussi lorsqu’on l’attaque, je réagis. Surtout s’il s’agit d’un ami blogueur que je respecte, lorsqu’il relaie l’accusation d’antisémitisme portée contre celui que je considère pour ma part, comme un sage. Je lui réponds ici en toute amitié !

Il est certes aisé de trouver dans l’abondante littérature de l’auteur de Candide, maints traits paraissant choquants à l’encontre du peuple juif. S’agit-il pour autant de l’expression d’un antisémitisme caractérisé, il est permis d’en douter…
D'abord parce que le contexte historique ne s'y prête pas, le terme n'ayant absolument pas la même signification de nos jours que celle qu'on aurait pu lui attribuer au XVIIIè siècle. Ensuite parce que les critiques de Voltaire visaient bien davantage le peuple juif de l’antiquité que ses contemporains, et ne se focalisaient pas sur une race ou une religion mais sur tous les comportements relevant à ses yeux de l'obscurantisme, de l'intolérance ou du fanatisme.
De ce point de vue, Voltaire fut assurément irrévérencieux vis à vis des croyants. C’est un fait acquis et revendiqué pourrait-on dire. Mais s’il se montra acerbe, et sans doute excessif, ce fut surtout pour condamner les atrocités qu’on commet au nom de Dieu.

Tout porte à croire que l'homme fut extrêmement réticent à porter des jugements à l'emporte pièce, dont il fut lui-même victime, nombre de ses oeuvres, notamment son fameux “dictionnaire philosophique”, ayant fini sur un bûcher, et lui-même plus d’une fois en prison pour ses idées...
A l'article « tolérance », on peut ainsi lire: « que nous devons nous tolérer mutuellement, parce que nous sommes tous faibles, inconséquents, sujets à la mutabilité, à l'erreur. »

S'il n'avait sans doute pas la foi, Voltaire n'était pas davantage athée. En homme pétri de bon sens et d'esprit pratique, il écrivit ainsi que « la foi consiste à croire, non ce qui semble vrai, mais ce qui semble faux à notre entendement ». Cela ne l'empêcha pas d'affirmer, de manière prémonitoire lorsqu’on pense aux ravages du nazisme et du communisme, « que l'athéisme est un monstre très pernicieux dans ceux qui gouvernent et que s'il n'est pas aussi funeste que le fanatisme, il est presque toujours fatal à la vertu... »
A l'article fanatisme, enfin, on peut trouver cette question tragiquement actuelle : « que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? »

En définitive, Voltaire n’était pas si éloigné de l’idée de Dieu qu’on pourrait le penser. Et s’il fut virulent vis à vis du judaïsme, il en voulait également à l’islam ( auquel il s’attaqua au travers d'une pièce de théâtre sur Mahomet), et manifestement plus encore au christianisme. 
A l’article “fanatisme”, on peut lire par exemple que le plus détestable fut “celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélemy, leurs concitoyens qui n’allaient point à la messe.”
Et pour lui laisser le mot de la fin, s’il avait cette rancoeur toute particulière à l’égard du christianisme, c’est sans doute aussi parce qu’il était mortifié à l’idée que, “ de toutes les les religions, la chrétienne est sans doute celle qui doit inspirer le plus de tolérance, quoique jusqu’ici les chrétiens aient été les plus intolérants de tous les hommes…”

PS : j’avais déjà écrit sur Voltaire (derrière ce lien), suite à la lecture de la biographie fort élogieuse que lui avait consacré André Maurois, peu suspect de complaisance vis à vis de l’antisémitisme...

18 juillet 2006

Dors-tu content, Voltaire...

André Maurois fut un maître dans l'art de la biographie (Byron, Shelley, Chateaubriand, George Sand, Victor Hugo, Tourgeniev, Disraeli...). En vingt-deux courts chapitres, écrits « allegretto », il dressa un portrait de Voltaire aussi concis que précis.
Le personnage et son oeuvre pourraient pourtant suggérer des flots de littérature.
Il vécut 84 ans (1694-1778) et marqua de son empreinte provocatrice « son » siècle, celui qui s'étend de la fin du règne Louis XIV (mort en 1715) jusqu'au début de celui de Louis XVI. Il traversa une époque qui vit mourir le monde ancien dans un curieux mélange de plaisirs frivoles, de mignardises, d'intolérance et d'obscurantisme religieux.
Il fut homme de lettres, philosophe, romancier, dramaturge, journaliste (« le plus grand que les hommes ont connu », selon Maurois).
On a dit qu'il fut un vulgarisateur parce que ses idées paraissaient trop simples. En réalité il représentait l'archétype du gentilhomme éclairé : « curieux de tout, il savait plus d'histoire que les mathématiciens et plus de physique que les historiens... »
Voltaire, sous des apparences ironiques et sarcastiques, resta fidèle au classicisme français. D'ailleurs comme le souligne son biographe, « tous les romantiques sont antivoltairiens. »
Il fut en tout cas un infatigable travailleur : « Plus j'avance dans la carrière de la vie, et plus je trouve le travail nécessaire. Il devient à la longue le plus grand des plaisirs et tient lieu de toutes les illusions qu'on a perdues. »

Il connut de son vivant à la fois la gloire et l'infamie. Il fut exilé, embastillé à plusieurs reprises (dont un séjour de 18 mois pendant la régence) et nombre de ses oeuvres subirent l'autodafé. En 1734, Les Lettres Philosophiques furent par arrêt du Parlement, condamnées à être « lacérées et brûlées dans la cour du Palais, au pied du grand escalier d'icelui, par l'exécuteur de la haute justice, comme scandaleuses, contraires à la religion, aux bonnes moeurs et au respect dû aux puissances. »
Il fut toutefois élu à l'académie française. Il fut admiré de Frédéric II qui qualifiait ses ouvrages « de trésors d'esprit ». Ce dernier l'éleva à la dignité de chambellan et lui remit la croix du mérite. En 1791,enfin, il entra par la grâce de la Révolution, au Panthéon...

De la vie sentimentale de Voltaire, on retient avant tout ses amours pour Emilie du Châtelet. Elle durèrent 14 ans et furent riches d'autant d'affection que de d'affinité intellectuelle. Elle lui procura un refuge agréable lorsqu'il était pourchassé, dans son domaine de Cirey près de la frontière à deux pas de la Lorraine.
Elle avait 12 ans de moins que lui. Il la partagea par la force des choses tout d'abord avec son mari, mais dut plus tard lui laisser la liberté de fréquenter le capitaine de St-Lambert qui lui fit une fille, alors qu'elle venait d'avoir 44 ans. Elle en mourut. Il en fut extrêmement affecté.

Voltaire fut très proche de l'esprit anglo-saxon. Il séjourna en Angleterre et fut profondément impressionné par la lecture de John Locke. De même, il assistera ému aux funérailles de Newton en 1727.
Un extrait d'un poème écrit au moment de la mort de l'actrice Adrienne Lecouvreur, à qui on refusait à Paris une sépulture religieuse, témoigne de ces sentiments :
« Ah verrai-je toujours ma faible nation,
Incertaine en ses voeux, flétrir ce qu'elle admire,
Nos moeurs avec nos lois toujours se contredire,
Et le Français volage endormi sous l'empire
De la superstition ?
Quoi ! N'est-ce donc qu'en Angleterre
Que les mortels osent penser ? »
Deux ans avant sa mort, les Etats-Unis d'Amérique accédèrent à l'indépendance (1776). Il avait rencontré peu de temps auparavant Benjamin Franklin qui avait conçu pour le vieux patriarche une véritable admiration.

Révolté par l'injustice, il prit la défense de nombreuses personnes accusées à tort. La plus célèbre fut Jean Calas dont il parvint à réhabiliter la mémoire. Le malheureux avait été condamné, sur la foi de témoignages douteux (des « quarts de preuve » additionnés...), à être roué vif pour avoir étranglé son fils, lequel s'était en réalité suicidé.
Trente années après ce drame, en 1793, la Convention Nationale fit ériger à Toulouse sur la place du supplice, une colonne de marbre où fut gravée l'inscription suivante : « La Convention Nationale à l'amour paternel, à la nature, à Calas, victime du fanatisme. » Au même moment, la même assemblée envoyait à l'échafaud des milliers de Français qui ne pensaient pas comme elle...
Voltaire fut horrifié par le sort réservé au Chevalier de la Barre, décapité pour avoir négligé d'ôter son chapeau au passage d'une procession.
Enfin, il défendit la mémoire de Lally-Tollendal, décapité pour avoir « trahi les intérêts du roi », lors de la perte des Indes.

Les rapports de Voltaire avec la religion furent plus complexes qu'on ne pourrait le croire.
L'existence de Dieu lui semblait relever de l'évidence : « Il est naturel de reconnaître un dieu dès qu'on ouvre les yeux... L'ouvrage annonce l'ouvrier. »
Parlant des oeuvres humaines inspirées de la nature : « Se pourrait-il que les copies fussent d'une intelligence et que les originaux n'en fussent pas ? »
Sa religion était des plus simples : « Le seul évangile qu'on doive lire c'est le grand livre de la nature. Il est impossible que cette religion pure et éternelle produise du mal.» ou encore : « Si vous voulez ressembler à Jésus Christ, soyez martyrs et non pas bourreaux. »
Mais il resta dubitatif tout au long de sa vie. Dans le domaine qu'il acheta à Ferney, où il vécut les vingt dernières années de sa vie, il avait fait construire une église et un tombeau qui se trouvait moitié à l'intérieur, moitié en dehors : « Les malins diront que je ne suis ni dedans, ni dehors. »

Quant à son enseignement, il fut tout entier contenu dans ses petits romans, Zadig, Micromégas, Memnon, Candide, « toujours imaginés pour prouver quelque vérité morale; dans un style allègre et ravissant. » Les esprits pédants ne s'en accommodèrent pas : « Le pauvre homme ne savait pas être ennuyeux, comment l'eut-on jugé sérieux ? » mais nombre de ses maximes aujourd'hui encore font mouche : « Marchez toujours en ricanant dans le chemin de la vérité. »
« Jouissez de la vie qui est peu de chose, en attendant la mort qui n'est rien... »
Voltaire fut mal compris. Bien que monarchiste et conservateur, il ne contribua pas peu à tordre et à briser l'armature du monde ancien s'appuyant sur la monarchie et la religion. Provocateur né, ses mots dépassèrent souvent sa pensée, mais il était sincèrement bouleversé par les abus commis au nom de principes immanents, ou de croyances. Curieux de toute chose, il eut souhaité sans doute un progrès paisible, plutôt que des révolutions.
Il écrivit Candide - pour Maurois, « l'un des chefs d'oeuvre de l'esprit humain » - à l'âge de 65 ans. La morale en est limpide et humble : « Le monde est fou et cruel, la terre tremble et le ciel foudroie; les rois se battent et les églises se déchirent. Limitons notre activité et essayons de faire aussi bien que nous pourrons notre petite tâche. », autrement dit : « Il faut cultiver notre jardin »