27 mars 2007

La nouvelle bureaucratie sanitaire

Le système de santé français craque de toutes parts. Il croule sous le poids de réformes incessantes, empilées à la manière de strates inextricables, toutes plus saugrenues les unes que les autres. Lorsque des médecins contribuent à nourrir ce planisme bureaucratique c'est touchant mais c'est grotesque. Que peuvent-ils attendre en effet de ces inepties qu'on espérait voir disparaître dans une société moderne et responsable ?


Le professeur Guy Vallancien est coutumier des coups de gueule au sujet de notre système de santé. Il en flétrit régulièrement la rigidité bureaucratique et dénonce sans détour l'incurie des Pouvoirs Publics, parfois même à leur propre demande ! Il y a juste un an, il jetait un gros pavé dans la mare en rendant public un rapport au vitriol commandé par le ministre de la santé, sur l'état de la chirurgie publique en France.
Il y préconisait rien moins que la fermeture de 113 des 486 blocs opératoires hospitaliers publics, soit près du quart, au motif qu'ils réalisaient moins de 2000 interventions par an, et donc étaient incapables à ses yeux de garantir la sécurité des patients opérés.
Aujourd'hui, il sort à nouveau son sabre épurateur, et dès le titre de son dernier ouvrage, il affiche une volonté provocatrice délibérée*.
Après tout pourquoi pas. A force d'idéologie et de bureaucratie, le système de santé français est dans une si grande déconfiture, qu'on est tenté pour le sauver, de proposer des remèdes de cheval. L'ennui c'est que la bête est tellement malade qu'un traitement trop brutal pourrait la tuer net. Surtout qu'il n'est pas le premier à réclamer une purge drastique. Et les professionnels de santé ont vu passer tant de réformes depuis quelques années, qu'ils sont saturés, écoeurés, épuisés.

Le plus étonnant en la circonstance, est que les critiques les plus acerbes proviennent le plus souvent de gens qui occupent ou ont occupé des fonctions de premier plan dans le système.
Mr Vallancien qui a comme on l'a vu, portes ouvertes au ministère, est professeur en Centre Hospitalier Universitaire à Paris. Tout comme Bernard Debré qui publia il y a quelques temps avec son collègue Philippe Even un tonitruant pamphlet** sur le même sujet. Ce n'est pas faire injure à Mr Debré que de rappeler qu'il est également politicien et qu'il occupa même les fonctions de ministre. Le professeur Jean Dubernard qui l'avait précédé dans les diatribes enflammées est membre éminent du même grand parti que lui et nul ne peut ignorer ses exploits très médiatisés de greffeur de mains. Il est président de la commission des affaires sociales à l'Assemblée Nationale.
Parmi les censeurs on recrute également de hauts fonctionnaires. Le plus sévère est sans conteste Jean de Kervasdoué qui fut l'auteur d'une satire cruelle du monde hospitalier***. Avant de découvrir l'hôpital en temps qu'usager il fut tout simplement Directeur Général de l'Hospitalisation, tout comme Gérard Vincent qui dirige aujourd'hui la Fédération Hospitalière de France avec Claude Evin, ancien ministre de la santé.
Tous sont convaincus qu'il faut faire une nouvelle « révolution culturelle » et sont naturellement persuadés de détenir la solution infaillible.
Or ce joli monde tape joyeusement sur un monstre qu'ils ont contribué à façonner et dont ils ont peu ou prou approuvé toutes les boursouflures, et toutes les difformités et redondances administratives.

Depuis la réforme hospitalière de 1991 jusqu'au dernier plan Hôpital 2012, en passant par le funeste plan Juppé, tous les partis, tous les responsables ont oeuvré la main dans la main pour en arriver à un résultat aujourd'hui universellement critiqué.
Le plus terrible est qu'à chaque fois les réformateurs promettent davantage de cohérence et d'efficacité ! Parmi les innombrables textes réglementant l'hôpital, l'ordonnance n°2003-850 du 4 septembre 2003, annonce tranquillement "la simplification de l’organisation et du fonctionnement du système de santé" et celle n° 2005-406 du 2 mai 2005 se veut porteuse de dispositions "simplifiant le régime juridique des établissements de santé" !

Hélas, abondance de biens peut nuire, et l'hôpital qui fait l'objet de tant de règlements, de tant de directives plus ou moins abouties ou contradictoires est plongé dans une mortelle confusion. Pour schématiser, il est pris aujourd'hui en tenaille entre deux périls principaux :
-la « Tarification à l'Activité », censée remplacer le Budget Global, et qui après quatre années d'existence n'a fait la preuve que de son effroyable complexité et de son inefficacité.
-et le dernier avatar organisationnel, pompeusement baptisé « Nouvelle Gouvernance », qui chamboule la notion séculaire de service de soins en y superposant celle allégorique mais nébuleuse de Pôle d'activité, et qui multiplie les comités, conseils et commissions internes comme autant de petits potentats concurrents ou antagonistes, conduisant à un imbroglio dont plus personne ne parvient à saisir les tenants et les aboutissants.
Le plus fort est que toutes ces hasardeuses refondations sont régulièrement épinglées voire sévèrement tancées par les autorités de contrôle de l'Etat : Cour des Comptes, Inspection Générale des Affaires Sanitaires, Inspection Générale des Finances, toutes ont condamné tour à tour la vanité et le coût de ces mesures !
Rien n'y fait malheureusement car la machine légale en France paraît incontrôlable, intouchable. « C'est la loi » dit-on avec fatalisme...

Lorsque le professeur Vallancien s'insurge, on pourrait parfois être tenté de le suivre. Il pointe en effet nombre de tares qu'aucun être doué de raison ne peut ignorer et donc refuser de corriger. Mais à l'instar de quantité d'experts, s'il est clairvoyant pour établir des diagnostics, il peine à y opposer des solutions autres que celles dictées avant tout au nom de principes et d'a priori théoriques, qu'il meurt d'envie d'appliquer avant tout... aux autres !

Par exemple, il réclame la fin de la liberté d'installation pour les médecins, sous prétexte qu'on observe de grandes hétérogénéités de répartition conduisant à la désertification médicale de certaines régions, au surpeuplement d'autres et à de pareilles et calamiteuses disparités au niveau des spécialités elles-mêmes.
Son argumentation est étrange : faisant le constat que les praticiens sont rémunérés essentiellement par la Sécurité Sociale, il lui paraît normal qu'elle en fasse des assujettis en réglementant autoritairement l'endroit où ils devraient poser leur plaque.
Il préconise donc ni plus ni moins l'application d'une rigide logique bureaucratique, alors que dans le même temps il en critique à longueur de pages les méfaits qui aboutissent entre autres à « financer le secteur libéral à l'aveugle ».
Ainsi, non seulement il entérine le principe d'une tutelle planificatrice et centralisatrice, mais il veut en accroître les prérogatives !
Une alternative est pourtant envisageable à ces oukases gestionnaires : s'assurer avec bon sens que l'offre médicale réponde à des besoins réels et sanctionner les abus. Il est en effet légitime pour le payeur de contrôler que toutes les prestations remboursées sont pleinement justifiées.
On pourrait par la même occasion, cesser de penser que ce payeur doive nécessairement être unique. On connaît les dysfonctionnements de la Sécurité Sociale, dus pour beaucoup à sa situation de quasi monopole, à son gigantisme déresponsabilisant, et à sa trop grande dépendance des ressources de l'Etat.
En matière d'assurance maladie comme ailleurs, si l'on souhaite agir efficacement, l'émulation est souhaitable. Et le règne de la liberté surveillée est de loin préférable à celui d'une tutelle omnipotente imposant par avance une doctrine monolithique, dictée à partir de principes idéologiques.

Les recettes proposées par le professeur Vallancien au sujet de l'hospitalisation, semblent inspirées par la même politique, basée sur le planisme technocratique et les quotas. Il l'affirme d'ailleurs sans ambiguïté : « la médecine doit quitter le champ de l'action artisanale pour entrer dans celui d'une production industrielle sécurisée des soins ».
En 2006, il ne disait pas autre chose lorsqu'il exigeait la fermeture immédiate des blocs opératoires ne répondant pas au seuils arbitraires d'activité qu'il avait lui-même définis. Il faut rappeler que l'ancien ministre de la santé Bernard Kouchner avait lui-même anticipé cette idée lorsqu'à la suite d'articles accusateurs parus dans la revue « 60 millions de consommateurs », il contribua à jeter l'opprobre sur les petits hôpitaux accusés d'estropier les malades plutôt que de les soigner !
Cette stratégie est très surprenante car elle entre en contradiction flagrante avec des évidences criantes. On sait ce qu'un nombre brut d'interventions a de fallacieux. Il ne signifie rien dans l'absolu puisqu'il mélange des prises en charge très différentes et ignore la répartition par opérateur.
Il faut ajouter que même si « c'est en forgeant qu'on devient forgeron », personne n'a jamais établi avec certitude une relation mathématique entre la quantité et la qualité. En outre, même s'il serait vain d'affirmer qu'on peut tout faire partout, les progrès des techniques laissent désormais envisager la pratique d'actes diagnostiques ou thérapeutiques dans des structures légères, alors qu'ils nécessitaient il y a peu de temps de lourds plateaux techniques. Les télécommunications sont susceptibles quant à elles d'apporter une aide précieuse pour ne transférer vers ces derniers que les patients nécessitant des soins sophistiqués et faire bénéficier même les endroits les plus reculés, d'un haut niveau d'expertise.
La méthode centralisatrice prônée par le Pr Vallancien, paraît donc rétrograde, et risque d'aggraver la désertification contre laquelle il veut justement lutter, s'agissant de la médecine libérale. Elle favorise l'édification d'énormes structures concentrationnaires dont on connaît la nature perverse en terme de gestion. On sait par exemple que 18 des 31 Centres Hospitalo-Universitaires (CHU) sont gravement déficitaires, en dépit des dotations budgétaires colossales qu'ils engloutissent chaque année.
Mais ce n'est pas tout. A cause de tels dogmes et d'une législation toujours plus contraignante, le champ de la télémédecine reste en France embryonnaire. L'expérience pilotée par l'Etat du Réseau Santé Social est un fiasco et celle du Dossier Médical Personnel, obéissant au même principe centralisateur paraît mal partie. Enfin, en raison d'un ubuesque régime d'autorisation administrative, lors du dernier pointage de l'OCDE, notre pays figurait en queue de peloton quant au nombre d'appareillages médicaux modernes installés (scanners, cameras à isotopes, résonance magnétique nucléaire) !

En définitive, le Pr Vallancien qui bénéficie pour exercer sa profession, du confort d'une des plus coûteuses structures hospitalières, richement dotée en personnel et en matériel, a tendance à juger ex cathedra les autres à l'aune des CHU. Plus grave, avec ses a priori à l'emporte pièce il ne peut qu'endommager la réputation d'établissements ne disposant pas de tels moyens et créer des frustrations parmi les soignants discrédités et parmi les patients, en rupture de confiance.
Malheureusement les Pouvoirs Publics lui ont déjà emboîté le pas. Les petits et moyens hôpitaux sont déjà en train de mourir sous la pression des normes « restructurantes » issues des Schémas Régionaux d'Organisation Sanitaire. Dans le même temps les survivants se voient quasi condamnés à devenir des usines en forme de kolkhozes.
La « Démarche Qualité » imposée par les agences étatiques, créées à grands frais à cet effet, est empêtrée dans un fatras de considérations théoriques plus ou moins contradictoires. Et l'évaluation des pratiques professionnelles promet quant à elle d'être un nouveau pachyderme, bien intentionné mais aussi myope qu'une taupe, puisqu'on refuse par principe d'apprécier les choses avec un minimum de bon sens. Dans notre pays terrifié par tout ce qui peut évoquer « la marchandisation de la santé », on ne veut pas savoir combien les examens et les traitements coûtent et s'ils sont réellement adaptés à la demande. Dans un monde où les dépenses de santé explosent et où tout est sujet à médicalisation, on refuse d'impliquer la responsabilité des usagers et on se plaît au contraire à leur faire croire que notre modèle continuera envers et contre tout à garantir à tous l'égal et gratuit accès à tous les soins.
Il y a donc peu de chances qu'on cesse de juger les gens sur des a priori plutôt que sur le travail accompli, et il semble peu probable qu'on renonce à la planification arbitraire des filières de soins, qui va jusqu'à établir des plans quinquennaux prétendant chiffrer par avance le volume d'activité !

* Guy Vallancien : La santé n'est pas un droit Bourin 2007
** Bernard Debré, Philippe Even : Avertissement aux malades, aux médecins et aux élus . Ed Cherche-Midi 2002
*** Jean de Kervasdoué : L'hôpital vu du lit Seuil 2004

22 mars 2007

Un coup de blues


Dans les moments de découragement et d'affliction, il est doux de pouvoir se tourner vers quelque chose de réconfortant. En d'autres termes, empruntés pour la circonstance à Charles Baudelaire :

« Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins... »

Il se trouve que le Blues agit sur moi comme un puissant cordial qui me requinque et m'aide à supporter les vicissitudes d'un quotidien parfois déprimant.
Et les « champs lumineux et sereins », ce sont dans mon imagination, les grandes étendues du Sud, ivres de soleil, au dessus desquelles s'est élevée comme par magie une musique ensorcelante, capable de réchauffer les coeurs en peine et en déréliction.
Par un curieux paradoxe, cette plainte écorchée scandant douloureusement la cueillette du coton, issue de la souffrance d'un peuple martyr, s'est enrichie et vivifiée à mesure qu'elle passait de bouches à oreilles le long du Mississipi. Les larmes et la sueur l'ont magnifiée. Fortifiée sans doute par d'indicibles et confuses espérances, elle s'est muée en un vrai chant de vie et d'amour, et celui-ci s'est saoulé de liberté en remontant avec les esclaves affranchis, du delta jusqu'aux grands lacs du Michigan de l'Indiana et de l'Illinois.
De cette route enchantée ont surgi quantité de chemins de traverses, débouchant sur la quasi totalité des courants musicaux du XXè siècle. Pour reprendre l'expression de Miles Jordan, du Chico News and Review, le Blues c'est toute la condition humaine dans douze mesures !

A tout seigneur tout honneur, Robert Johnson restera au Blues ce que Jean-Sébastien Bach est à la musique dite classique : une source intarissable. Ses rustiques compositions n'ont pas pris une ride et continuent d'inspirer jusqu'aux stars de la Pop music et du Rock and Roll. Même si certains surgeons ont été quelque peu galvaudés par le mercantilisme et la vulgarisation du genre, c'est un océan de passions, d'émotions, de tendresse, qui a déferlé sur le monde. Il n'est que d'écouter Eric Clapton ou Peter Green pour se convaincre de l'éternelle vigueur de cette musique.


Les artistes qui au terme de leurs pérégrinations, ont fait souche au Nord des Etats-Unis sont la sève d'une des branches les plus vivaces de cette musique : le Chicago Blues. C'est un des styles les plus élaborés, qui a su parfaitement exploiter à son profit les possibilités des instruments traditionnels occidentaux : piano, cuivres, violon, guitares. Grâce à l'électrification de ces dernières et à l'addition d'une solide base rythmique, cette musique a gagné en puissance, et tout en gardant l'authenticité de l'émotion, elle a développé une merveilleuse richesse mélodique.
Pour celles et ceux qui se sentent une affinité pour cette tendre simplicité, faite de chaleur et de douce exaltation, il existe encore de nos jours, de nombreux apôtres de cette religion du bonheur simple, qui n'ont rien perdu de la sincérité et de l'humilité originelles mais qui hélas sont bien méconnus dans nos chaumières.
J'en ai découvert deux récemment de manière fortuite :
Magic Slim, de son vrai nom Morris Holt, qui rappelle un peu par sa tranquille bonhomie le style de B.B. King. Avec ses amis réunis sous l'enseigne des Teardrops (Jon McDonald guitare, Christopher Biedron basse, Vernal Taylor batterie) il continue de sillonner inlassablement les routes américaines, à près de 70 ans. Sa débordante gentillesse n'est en rien entamée par un sourire quelque peu édenté, et une peau burinée, crevassée, parcheminée. Sa voix grasse et chaude accompagne à merveille un jeu de guitare affûté. C'est pur et beau comme l'eau claire qui coule en rivière.

Ou encore Jimmy Burns, plus jeune de 6 ans, accompagné par une formation du même type, simple et sans fioriture : Tony Palmer superbe guitariste, et une belle ligne de soutien composée de Greg McDaniel à la basse, et James Carter à la batterie. L'ensemble tourne merveilleusement et sur un shuffle impeccable, balance quelques riffs taillés comme des pierres précieuses.

Comme la musique de Bach, le Blues en définitive n'est jamais vraiment triste, même lorsque ses accents sont poignants. C'est une sorte de perpétuelle jubilation, ça déchire gaiement...

15 mars 2007

Waterloo morne plaine...


La montée brutale de François Bayrou dans les sondages, évoque irrésistiblement la boursouflure médiatique aussi subite qu'artificielle que connut Ségolène Royal, avant les primaires au PS.
Ce genre de ressort inattendu de campagne est follement tendance, et lorsque le polichinelle sort de son tiroir, tout le monde se met à faire semblant d'y croire, et d'avoir des frissons d'excitation, tant les Français adorent se nourrir d'illusions, et rechignent à voir la réalité.

Cette dernière est pourtant là, prosaïque : On a beau chercher, Bayrou n'incarne aucun projet précis, il n'est ni de droite, ni de gauche, ni socialiste ni libéral. Sa seule originalité : il est pétri de bonnes intentions et de voeux pieux.
Comme il le dit lui-même sur son site : « la France c'est réunir, pas diviser», et cette semaine dans le Nouvel Observateur, il affirme qu'« il parlera à qui voudra ».
On est bien avancé !
Plus il parle de réunir, et plus son propre parti rétrécit comme peau de chagrin, et si son programme semble en expansion, il est peuplé de vide et de lieux communs.
Qu'on en juge sur quelques échantillons glanés sur Bayrou.fr :
Son modèle de société, ce « n'est pas la loi du plus fort, c'est la loi du plus juste », et l'objectif c'est de combattre « la souffrance sociale, l'exclusion ». Pardi, on n'avait encore jamais entendu de paroles aussi fortes et concrètes !

Quant aux mesures pratiques, c'est puisé au même tonneau.
Passons sur le projet ronflant mais creux de « service civique universel de six mois », sur la nébuleuse « politique active de restauration du tissu médical » en matière de santé publique, ou sur la volonté chimérique de « réimplanter l’Etat au cœur des quartiers, pour y incarner la sécurité et le service public. »

En matière d'impôts, il préconise audacieusement le « principe de stabilité fiscale » et « la simplification, pour que la fiscalité devienne enfin lisible ». Personne n'y avait jamais pensé !
Tenez-vous bien, il va même jusqu'à remettre au goût du jour la bonne vieille « taxe Tobin sociale » qu'il veut qu'on étudie « au moins pour en avoir le cœur net ! ».
S'agissant de l'absurde ISF, il est « partisan d’une imposition sur le patrimoine à base large, à partir de 750 000 euros, sans plus aucune niche défiscalisée ni exemptions, mais à taux léger. » Bien malin celui qui voit le changement...

En matière d'écologie, pas davantage d'excentricité à espérer : il suit courageusement le consensus général, et « soutient les 10 objectifs et les 5 propositions de Nicolas Hulot. »

Sur la question des Etats-Unis, il se borne à ressasser les clichés franchouillards les plus éculés : « J'aime les Etats-Unis, j'aime le peuple américain. Mais ce n'est pas mon modèle. », « je ne suis fasciné ni par ce modèle, ni par l’actuel président américain, qui est l’auteur d’une des plus graves erreurs historiques commises durant cette décennie, avec la guerre en Irak. », « le pouvoir d'une seule super-puissance crée un monde plus dangereux »
.
C'est bien beau de déplorer, comme les moutons bêlants, l'hyperpuissance américaine, mais sur l'Europe où l'on aurait pu espérer une position un peu personnelle et volontariste il se défile, ne semblant même pas y croire : « l'Europe, acteur du destin de la planète, c'est une idée, on pourrait même dire que c'est une utopie française. »
Dans le même temps, il ne peut s'empêcher de reprendre l'antienne nombriliste du coq gaulois guidant le Monde : « l'Europe capable de parler d'une seule voix sur la planète, cela ne peut se faire que si la France le veut et entraîne les autres ». Pas un instant il ne songe que la France pourrait accepter de temps à autre de se montrer un peu solidaire des autres qui eux sont déjà sur une longueur d'onde commune...
Bref je rejoins le pessimisme de ceux qui désespèrent de voir un jour notre pays prendre vraiment la mesure véritable des problèmes et cesser de prendre aussi naïvement des vessies pour des lanternes.
Quant à Edouard Fillias qui vient de se rallier à Bayrou près avoir eu la vélléité d'incarner une "alternative libérale", il est bien jeune et semble, en dépit de sa tête bien faite, avoir du libéralisme une idée très molle et approximative.
Il déplore que « le pouvoir n'appartient plus au Français » mais prône une « révolution de velours » dont on ne perçoit guère le pragmatisme. Il imagine restaurer la démocratie et le bon sens en réclamant le retour du foutoir de la proportionnelle. Enfin, il trouve que le triste béton des certitudes légales n'est pas encore assez oppressant et emboîte le pas des maniaques qui veulent légiférer sur tout y compris la fin de vie.

Décidément, même si le discours de Nicolas Sarkozy est parfois ambigu, il est le seul à véhiculer encore une lueur d'espoir dans cette ambiance crépusculaire...

12 mars 2007

Pour une démocratie active (II)

Stephen Breyer est juge à la Cour Suprême des Etats-Unis (nommé par le Président Clinton). Bien qu'américain, il est francophile et s'exprime avec aisance dans notre langue.
Cela fait au moins deux raisons de s'intéresser à son ouvrage récemment publié : « Pour une démocratie active » (Odile Jacob).
La Cour Suprême en Amérique est un peu ce qu'est le Conseil Constitutionnel en France. Elle veille à ce que les lois édictées par le Congrès ou les États fédérés, respectent les principes sacrés de la Constitution. Elle est censée également lever certains litiges relatifs aux décisions de justice à la lumière des principes de cette dernière. Elle forme en quelque sorte le bras armé du troisième pouvoir, celui des juges. Elle est composée de 9 membres nommés à vie par le président de la république avec l'accord du Sénat, et jouit d'un pouvoir bien supérieur à celui de son alter ego français.
Aux Etats-Unis comme ailleurs, les progrès techniques de la civilisation, les exigences des citoyens, de mieux en mieux informés, et la mondialisation de la société, rendent de plus en plus difficile la tâche des juges et les fait parfois douter de l'adéquation des lois aux problèmes du monde moderne.
Stephen Breyer cherche à démontrer qu'une application trop « littérale » de la loi peut parfois aboutir à entériner des situations injustes, à la manière du jugement tristement célèbre, qui à la fin du XIXè siècle légalisa la ségrégation raciale selon le principe « séparés mais égaux » (Plessy v. Fergusson).
Il plaide donc pour une analyse « téléologique » de ces textes, c'est à dire préoccupée de remonter en toutes circonstances à l'objectif originel du législateur. Pour cela, il recommande aux juges d'éviter de se comporter en exégètes trop formalistes, et leur suggère plutôt d'adopter une position virtuelle originale, celle d'un « parlementaire raisonnable » cherchant à faire de la loi le meilleur usage en terme d'efficacité et d'équité. Cette méthode donne bien sûr de la souplesse et permet de juger de la constitutionnalité de décisions portant sur des problématiques inconnues à l'époque où fut élaborée la référence légale, à vocation universelle. En revanche le risque, évoqué par l'auteur, est d'introduire la subjectivité dans ces décisions puisqu'elle propose aux juges de réinterpréter en quelque sorte, le but poursuivi par le législateur. Tout le problème dans cet exercice, est « de se garder d'imposer obstinément ses opinions personnelles ». « Le juge ne saurait décider en fonction de ce qu'il pense être la meilleure solution ».
Jusqu'à présent, il faut reconnaître qu'aux USA, les recettes de gouvernement, proposées en 1789 ont enduré l'épreuve du temps magnifiquement. En plus de 200 ans, seuls 17 amendements à la Constitution ont été promulgués, et seuls 4 sont venus contredire directement les décisions de la Cour Suprême.
Cette approche qui consiste à privilégier « l'esprit » à « la lettre » paraît donc très pertinente, et tout particulièrement adaptée aux États-Unis où les lois écrites sont plutôt rares et où la justice fonctionne essentiellement en fonction de la jurisprudence, tirée de l'interprétation de principes généraux. D'ailleurs la Cour Suprême n'est somme toute sollicitée que sur un nombre restreint de contentieux (une centaine par an) et son avis est dans 80% des cas, donné à l'unanimité ou quasi. Il ne reste que 20% d'affaires pour lesquelles elle se divise en cinq juges contre quatre.
C'est précisément le contraire de ce qui se passe en France où les pouvoirs ne sont guère équilibrés, revêtent une structure pyramidale très peu participative, et où l'on reste très attaché aux textes et à leur richesse descriptive. Loin d'avoir suivi les conseils de Montaigne, qui préconisait des lois peu nombreuses et de portée générale, notre pays en a sécrété une pléthore hallucinante, prétendant régler à peu près dans tous les cas de figure, la complexité des relations humaines.
Quoique à peu près inapplicable à la jungle législative française, l'approche téléologique chère à Stephen Breyer est séduisante, car elle a pour but de coller le plus étroitement possible au fondement de la démocratie, à savoir « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Elle constitue une manifestation de ce qu'il appelle la « Liberté Active », c'est à dire l'association intime de la liberté du peuple dans son ensemble vis à vis de ses gouvernants, avec la liberté individuelle, protégeant les citoyens de la tyrannie de la majorité. Cet équilibre subtil suppose un jeu de pouvoirs et de contre-pouvoirs et des liens entre gouvernement et peuple fondés sur la responsabilité et la participation. En France, Benjamin Constant fut le premier à souligner l'importance de cette alliage des libertés, avant que Tocqueville ne lui donne tout son sens en démocratie.
Les exemples que donne Stephen Breyer sont parfois un peu difficiles à suivre tant ils paraissent éloignés de l'état d'esprit français et des préoccupations hexagonales. Dans un pays totalement assisté et déresponsabilisé, où les émissions de télé-achat n'ont pas même le droit de citer les marques des produits proposés à la vente, on n'est guère enclin à comprendre la nature des accusations faites à la société Nike, de publicité mensongère lorsqu'elle répond par voie de presse aux associations qui l'attaquaient au sujet des conditions de travail de ses employés. Dans un pays où il est interdit de faire de la publicité pour les médicaments, et où le moindre cachet doit faire l'objet d'une ordonnance, on ne saurait savoir s'il est légitime ou non que les pharmaciens aient l'interdiction de promouvoir les produits qu'ils élaborent au cas par cas, au seul motif qu'ils n'ont pas subi les mêmes tests que ceux produits industriellement par les grandes firmes pharmaceutiques.
De même, dans un pays où l'on ignore ce que recouvre la notion « d'habeas corpus » on pourra se perdre en conjectures à propos du délai octroyé aux détenus pour revendiquer de droit.
Enfin, dans un pays où la scolarisation des enfants est régie par une ubuesque carte scolaire, et où toute sélection des élèves fondée sur le mérite est jugée a priori abominable, on aura du mal à interpréter le bien fondé de certains critères d'admission dans les universités américaines, même s'ils ménagent des conditions particulières aux minorités ethniques, afin de corriger leur sous-représentation dans le corps étudiant.
En somme, l'ouvrage de Stephen Breyer est très éclairant sur le système judiciaire américain et au delà, sur la nature même de la démocratie outre-atlantique. On peut mesurer l'abîme qui sépare ce système du nôtre et même du système européen en général. Bien que Breyer reproche à ses collègues d'être parfois un peu rigides et rétrogrades dans l'interprétation qu'ils font de la Constitution, on est à mille lieues des archaïsmes qui sclérosent notre poussiéreuse république.
Breyer qui préconise la modestie de la part des juges, propose en cas de grande incertitude, de s'inspirer des expériences étrangères. Ce conseil vaudrait surtout pour notre pays si imbu, comme on a pu s'en rendre compte ce soir encore en écoutant le Président de la République, de son soi-disant rayonnement, de son « modèle »...

09 mars 2007

Non à la solution finale légale...

Le 7 mars, le Nouvel Observateur publiait un appel en forme de pétition, signé par 2000 soignants, déclarant « en conscience, avoir aidé médicalement des patients à mourir... » et réclamant « une révision de la loi dans les plus brefs délais, dépénalisant sous conditions les pratiques d’euthanasie ».
Ce sujet mériterait des développements qu'un billet dans un blog ne peut contenir, tant il est complexe et tant il est indissociablement lié à la tragique et indicible finitude de la destinée humaine.
Les gens qui réclament depuis quelques années à grands cris des lois pour « médicaliser » la mort sont certainement bien intentionnés. Mais leurs gesticulations, et leur zèle ont quelque chose de terriblement gênant. J'ai exercé la médecine clinique pendant plus de deux décennies et vu hélas la détresse de beaucoup de malades, jeunes ou vieux. J'ai vu sur leur visage l'empreinte atroce de la douleur et perçu dans leur regard la peur et le désespoir qui les habitaitent. Pourtant, à travers ces misères j'ai cru discerner parfois une étrange grâce, une sorte d'apaisement, de détachement devant l'infini tout proche.
Aussi, bien que fermement opposé à certains acharnements thérapeutiques insensés, bien qu'étant ardemment convaincu qu'avant de songer à guérir, le devoir des soignants est avant tout de soulager, même au risque de raccourcir l'espérance de vie, je ne peux me résoudre à imaginer la légalisation de l'euthanasie.
D'abord parce qu'aucune situation n'est généralisable. Chaque malade a son histoire. Entre un patient rongé par un cancer généralisé, un second en coma chronique, un autre tétraplégique à la suite d'un accident, un dépressif atteint d'un mal de vivre incurable et un vieillard dément, il y a des abîmes insondables. Comment diable une loi dont on connaît trop bien la nature formelle et procédurale, pourrait-elle décrire la diversité de ces situations ?
Ensuite parce qu'on conclut à mon sens un peu vite la question du libre choix de la personne concernée. Les pétitionnaires imaginent leur attitude légitimée, « parce que le malade souhaitait en finir » et vont souvent jusqu'à envisager que chacun puisse anticiper ce choix avant d'être dans la situation où il se pose vraiment.
Mais de quel choix parle-t-on ? Selon quels critères peut-on juger qu’il soit objectif, même si le malade est pleinement conscient ? Et dans ce cas, imagine-t-on l’état d’esprit d’une personne plongée dans une situation de dépendance totale mais aussi d’inutilité, d’absurdité, de vanité absolue ? Tout bien pesé, en quoi est-ce différent du désespoir d’un suicidant ? N’évoque-t-on pas d’ailleurs en pareil cas, la notion de « suicide assisté » ? Et cet anéantissement moral est-il inéluctable et irréversible ?
Tout étant relatif en ce bas monde, on peut dire par exemple, que la situation du désormais célèbre Vincent Humbert n’était guère différente de celle du non moins fameux astrophysicien anglais Stephen Hawking.
Entièrement paralysé à l’exception de quelques doigts, tributaire d’un appareil d’assistance respiratoire et dans l’incapacité de parler autrement que par l’intermédiaire d’un synthétiseur de voix, le savant manifeste pourtant, en dépit de sa souffrance, une rage de vivre et un enthousiasme stupéfiants.
Peut-être aussi dans de telles situations, sous-estime-t-on le poids réel que fait peser consciemment ou non sur l'individu concerné, l’attitude de son entourage, pour lequel la situation paraît souvent au moins aussi intolérable. A moins qu'il ne soit animé d'un amour assez intense pour continuer de voir une valeur inestimable à ce qui reste de vie et lui conférer malgré tout, un souffle d'espoir...
A bien y regarder, ne sommes-nous pas confrontés à une alternative aussi indécidable que le fameux « Choix de Sophie » ? Celui laissé par un officier nazi diaboliquement « bien intentionné », à une mère horrifiée, de désigner celui de ses deux enfants qu’elle souhaitait voir échapper à la déportation et donc à une mort quasi certaine…
Il faut ajouter que les moyens utilisés pour aider médicalement des patients à mourir ont parfois de quoi faire frémir. La fin programmée des jours de Vincent Humbert ne fut pas le résultat d’un simple arrêt des thérapeutiques ni celui de la prescription massive de médications destinées à « soulager les souffrances » mais, comme l’a rappelé le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer, « de l'administration de Nesdonal et de chlorure de potassium, pratiquée par le médecin sous forme de deux injections successives » (il s’agit à peu de chose près, de la procédure employée pour exécuter les condamnés à mort aux USA).
On ne saurait oublier le cas de Terry Schiavo aux Etats-Unis, plongée dans un état végétatif chronique à la suite d'un accident cérébral et pour laquelle l'attitude préconisée par ceux qui voulaient « interrompre ses souffrances », consistait ni plus ni moins à « interrompre l’alimentation artificielle ». Ce qui signifiait en clair qu’on la condamnait à mourir de soif et de faim !
En définitive, le manichéisme et le monolithisme des réactions qui entourent habituellement ces faits divers dramatiques, la réclamation véhémente de lois ouvrant la porte à l’euthanasie active sont quelque peu terrifiants. Occultant largement la complexité et la diversité des situations en jeu, ce type de comportement risque de précipiter la société, déjà bien déboussolée, vers de nouvelles outrances matérialistes. La pente est hélas glissante et les excès ne sauraient tarder à se manifester. Aussi le titre de ce billet est volontairement provocateur car on sait trop bien que l'enfer est pavé de bonnes intentions.
Le jour même de l’enterrement de Vincent Humbert, le spectacle des journalistes interrogeant au sujet de l’euthanasie, d'autres patients très handicapés qui séjournaient dans le même établissement ou leurs familles, avait quelque chose d’indécent…

08 mars 2007

Les rois de l'illusion


Par le Figaro du 7 mars, on apprenait que la France venait à nouveau de battre un triste record : celui du niveau des prélèvements obligatoires.
En 2006 ils ont représenté 44,4% du PIB. Près de la moitié des richesses produites par la nation !
Il s'agit du deuxième taux le plus élevé jamais enregistré en France, après les 44,9 % de 1999. En cinq ans, il a progressé de 1,3 point (pour mémoire, il était de 35% en 1970).
On rappelle par comparaison les chiffres d'autres pays : 35,3 % en le Royaume-Uni, 36,2 % en Allemagne, 26,5 % aux États-Unis, 25,8 % au Japon et 36,3 % en moyenne pour les pays de l'OCDE en 2003.
Jean-François Copé, porte parole du gouvernement, et ministre du budget, qui on s'en souvient, a promis d'arrêter la langue de bois, a tout de suite tenté de minimiser cette charge extravagante en invoquant des biais causés par certains « éléments techniques » et constaté avec satisfaction que : « le taux de prélèvements obligatoires ne signifie pas grand-chose pour les ménages qui ont bénéficié, depuis 2002, d'une baisse de 20 % de leur imposition ».
Les politiciens sont manifestement impayables ( si je puis dire hélas...). Même devant des évidences criantes ils continuent tranquillement d'appliquer les vieux remèdes du docteur Coué.
Dominique de Villepin de son côté, ne s'est pas appesanti, la veille sur ces chiffres, lors de la conférence sur la croissance. Il s'est même délibérément placé au-dessus de la mêlée de la campagne en livrant son diagnostic de Dr Knock de l'économie, sur la manière dont la France pourrait retrouver une croissance annuelle de 3 %, un taux de chômage de 6 % en 2010 et une dette publique ramenée à 55 % du produit intérieur brut « à l'horizon 2012 » (on sait qu'en 2006 la croissance française a péniblement atteint 2%, le taux de chômage avoisinait les 9% et la dette représentait 64,6% du PIB).
Ce besoin de croissance dépasse les clivages entre les partis politiques selon lui. Pour preuve, « avec un taux de croissance comparable à celui des États-Unis au cours des quinze dernières années, le salaire moyen des Français serait aujourd'hui supérieur de près de 9 000 euros à ce qu'il est actuellement. »
Ca nous fait une belle jambe, comme dirait l'autre ! Il est permis d'espérer qu'il parlait de salaire annuel et non mensuel et avant impôt et charges, sinon il faudrait admettre que nous avons dès à présent basculé corps et biens dans le tiers monde...
Tout de même, dans la bouche de notre cher premier ministre, cet éloge enthousiaste du dynamisme américain laisse songeur.
Qu'on ne se fasse pas trop d'illusions quand même, il
a également plaidé « pour une croissance qui préserve le modèle social français »...

02 mars 2007

Une amitié bien versatile


Il y a quelques mois, Nicolas Sarkozy s'en est allé serrer la main de George Bush. On pouvait interpréter ce geste inattendu de la part d'un dirigeant hexagonal, comme étant la manifestation courageuse de sincères convictions.

Aujourd'hui il lui donne le coup de pied de l'âne, espérant probablement ainsi récupérer le soutien du vieux pontife élyséen, et glaner quelques voix au sein du troupeau bêlant des moutons de l'antiaméricanisme franchouillard.
Lui qui se disait l'ami de l'Amérique, qui clamait « qu'il ne fallait jamais mettre en difficulté ses amis », le voilà qui entonne le refrain éculé de « l’erreur historique de la guerre en Irak » et qui mégote ses sentiments à la manière d'un apothicaire retors : « l’amitié, c’est être capable de dire à ses amis la vérité quand ils ont tort. L’amitié, ce n’est pas la soumission » (propos tenus le 14/01 lors de son investiture comme candidat de l'UMP, puis renouvelés le 28/02/07 à Paris, hôtel Méridien).

Rhétorique un peu facile. Quand donc l'Amérique a-t-elle fait seulement mine de soumettre la France ? N'a-t-elle pas au contraire payé de son sang pour la libérer à plusieurs reprises ? Et de notre côté, quand avons-nous dit un oui franc et dénué d'arrière-pensée calculatrice à l'une de ses entreprises ? Quand lui avons-nous donc manifesté un réel soutien lorsqu'elle était à la peine ? Depuis l'épisode enchanté de Lafayette et de Rochambeau on serait bien en peine de trouver un seul exemple de vraie fraternité de la part de la France et surtout pas dans les difficultés où l'on sait pouvoir compter ses vrais amis.
Oh bien sûr les Français qui aiment se payer de mots et de belles idées, les distribuent généreusement à tous vents. On se souvient lors du 11 septembre, de l'emphatique « Nous sommes tous des Américains », aussi ampoulé qu'inutile et surtout sans lendemain; ou bien des subtiles différences établies entre le peuple américain « qu'on aime », et son gouvernement « qu'on déteste ». Mais dans ce dernier cas, c'est ajouter l'ignorance à la bêtise. Il faut avoir en effet de la merde dans les yeux et les circuits neuronaux bouchés à l'émeri, ne vraiment rien connaître des principes élémentaires de la démocratie, pour oser faire une discrimination aussi stupide (d'autant qu'elle est répétée à chaque nouveau président).
En réalité les Américains, qui sont de grands enfants, mais tout de même pas nés de la dernière pluie, doivent avoir compris depuis longtemps ce que vaut l'amitié que leur porte soi-disant la France : pas même une poignée de fifrelins !

Ce faisant, je m'interroge sur la nature de la torve stratégie adoptée par Nicolas Sarkozy : les quelques personnes qui comme moi éprouvent une admiration émue pour la grande nation d'Amérique, qui espèrent encore une issue heureuse au difficile combat qu'elle mène pour redonner la liberté aux Irakiens et aux Afghans, seront mortifiés par cette traîtrise. Ceux infiniment plus nombreux, qui se définissent par leur opposition systématique à la politique américaine, se moqueront des atermoiements de Mr Sarkozy et ne seront pas plus convaincus par ses propos d'aujourd'hui qu'ils ne l'étaient par ceux d'hier. Restent les benêts qui croient naïvement le dernier discours en date...

Voyant cette morne uniformité de l'opinion publique dans notre pays et le peu de courage et de conviction de l'ensemble des politiciens, j'en viens à me demander s'il existe encore des esprits suffisamment libres pour se garder d'approuver une opinion, au seul motif qu'elle fait la quasi unanimité.

Ironie du sort, la France peut-être satisfaite. Elle continuera selon toute probabilité d'avoir longtemps encore les présidents qu'elle mérite...

01 mars 2007

L'univers, les dieux et les hommes


Dans le but de découvrir l'helléniste Jean-Pierre Vernant disparu le 9 janvier dernier à l'âge de 93 ans, j'ai fait l'acquisition de son petit compendium de mythologie intitulé « L'univers, les dieux, les hommes ».
La disparition de l'écrivain, professeur honoraire au Collège de France, fut l'occasion d'une telle pluie d'éloges de la part des médias réunis que j'avais presque honte de ne pas le connaître.
Mais ces hommages unanimes étaient-ils rendus à ses qualités savantes ou bien au fait qu'il fut longtemps communiste et qu'il s'illustra comme résistant à l'occupation allemande ? Dans notre pays, ces deux particularités, bien que souvent galvaudées, sont un tel viatique pour toute personne en quête de gloire, qu'on finit par avoir comme un doute...

Pour le coup, c'est surtout l'amateur de l'antiquité grecque et l'expert en mythologie qui m'interpellait. Après tout un homme ayant de tels sujets d'intérêt ne pouvait être mauvais, surtout à une époque si prompte à s'enticher de niaiseries, de futilités et si dénuée d'esprit critique et de sagesse.
La mythologie grecque a nourri tellement de réflexions philosophiques, tellement de rêveries poétiques, et l'inspiration de tant d'oeuvres d'art, qu'elle forme comme une sorte d'éternelle source de jouvence spirituelle. Bien avant qu'éclate le génie du christianisme et d'autres religions, toutes les passions humaines avaient déjà trouvé leur place dans cette fabuleuse épopée, mère de tous les drames, prélude à tous les héroïques destins.
Je songe aux vers d'André Chénier décrivant Homère :

« Car en de longs détours de chansons vagabondes,
Il enchaînait de tout les semences fécondes
Les principes du feu, les eaux, la terre et l'air,
Les fleuves descendus du sein de Jupiter,

Les oracles, les arts, les cités fraternelles,

Et depuis le chaos les amours immortelles... »
Le pari difficile que s'est imposé Jean-Pierre Vernant était de faire tenir toutes ces légendes en moins de 250 pages, écrites d'un trait comme l'on parle, sans détour, ni fioriture. Force est de reconnaître qu'il a relevé le défi avec un certain brio.
Depuis la création du monde à partir du Chaos, jusqu'aux aventures dantesques des héros de l'antiquité presque tout y passe :
Au commencement de tout, l'amour fusionnel de Gaïa la terre, et d'Ouranos le ciel. Puis leur douloureuse séparation après la castration de ce dernier par son propre fils Cronos, ce qui libéra du même coup des entrailles de l'alma mater où ils étaient engendrés mais retenus prisonniers, une ribambelle de titans, de cyclopes et de cent-bras, ouvrant ainsi les portes du Temps et de l'Histoire.

Suit le terrible épisode de Cronos dévorant tous ses enfants par crainte de connaître le sort qu'il fit subir à son père. Et la ruse de son épouse Rhéa, parvenant à faire échapper l'un d'eux, Zeus, à l'appétit monstrueux de l'ogre. Puis l'ascension irrésistible de ce rejeton chanceux jusqu'au sommet de l'Olympe, d'où il dominera tyranniquement et définitivement le monde après son combat victorieux contre les titans.
Si la mythologie n'offre guère de modèle en matière de démocratie, elle ne se préoccupe pas davantage de morale. Son théâtre est magique et lyrique mais par bien des aspects, trivial.
Il est émaillé en effet d'épisodes où le burlesque le dispute au tragique et où l'on voit les dieux mêler sans vergogne leur nature divine à celle éphémère des hommes et manifester les mêmes sentiments qu'eux, jusqu'aux plus méprisables : jalousie, vengeance, orgueil, concupiscence.
A cet égard, l'inclination amoureuse de Zeus pour les mortelles est bien connue et ses stratagèmes ensorceleurs sont sans limite: pour s'unir à Danaé, il se transforme en pluie d'or, avec Léda il se fait cygne, pour emmener Europe il devient taureau. Ce séducteur impénitent est toutefois d'une froide indifférence. Sémélé qu'il avait conquise en se faisant homme tout simplement, voulut le voir dans tout l'éclat de sa divinité. Elle périt consumée vive.

On trouve bien sûr les folles péripéties d'une foule de héros : Prométhée qui vola le feu aux dieux pour améliorer la condition humaine, Pandore libérant involontairement de sa boite maléfique la souffrance, la misère et la guerre
(ah, les femmes...), Persée vainqueur des Gorgones, qui sauva Andromède mais qui devint bien malgré lui parricide, Achille presque invulnérable mais qui préféra tout de même mourir glorieusement que vivre obscurément.
Oedipe torturé par son noir et implacable destin, Ulysse dont la folle odyssée rappelle celle fragile et forte de l'Humanité, avec ses énigmes, ses doutes, ses faiblesses et son incroyable bravoure...


Bien que l'ouvrage ne manque pas d'intérêt, on pourra toutefois lui reprocher un style un peu approximatif, et une approche tout de même incomplète et dénuée de recul en matière de réflexion. Le style manque de poésie, d'emphase, de truculence et pour tout dire de souffle. Il s'agit en quelque sorte d'un bréviaire brut de décoffrage, juste un peu plus suivi qu'un simple dictionnaire. A condition de le prendre comme tel, il mérite toutefois qu'on lui accorde quelque attention, surtout si l'on est néophyte dans le domaine.

28 février 2007

L'hôpital dans tous ses états


Début Octobre 2006, la Fédération Hospitalière de France lançait un grand débat sur l'avenir des hôpitaux. Elle ouvrait à cette fin sur l'internet un gigantesque blog censé déboucher sur une « nouvelle plate-forme pour l’avenir de l’hôpital public ».
L'intention était fort louable, mais les résultats deux mois après ce lancement très médiatisé sont plutôt décevants.

On pourrait commencer par reprocher le manque de convivialité du dit blog, prolixe mais un peu brouillon. Les contributions ont fusé tous azimuts, mais plutôt disparates, sans vraie cohésion, sans organisation. On aurait dit un grand défouloir avec l'impression qu'il n'y avait personne derrière. Pire, le projet accouché début décembre ne paraît en rien se référer aux interventions postées.
S'abreuvant aux grands principes, il se résume à un catalogue pompeux mais pas très pragmatique: huit priorités et 65 propositions qui ne s'aventurent guère au delà des conventions établies et de la tiède correction politique.

Ce qui frappe avant tout c'est le retranchement frileux et jaloux derrière la notion emblématique mais nébuleuse de Service Public. Le terme ayant fait florès en matière fiscale, on avance même la notion de « bouclier de service public ». Ce dispositif qui ne cache pas sa nature défensive, s'appuie sur un certain nombre de mesures probablement complexes à mettre en oeuvre, coûteuses et pas très efficaces : par exemple, la nomination de « médiateurs de santé », supposés garantir « l'équité de l'accès aux soins dans ses composantes géographiques, financières et sociales »... Ou bien la suggestion de faire signer à tout professionnel un curieux « contrat de service public de santé ».

Comme pour aggraver cette impression de vouloir faire de l'hôpital une tour d'ivoire inexpugnable, réglementant à son avantage l'ensemble du système de santé, la FHF propose d'accroître les contraintes pesant sur les cliniques, et de limiter les conventionnements de médecins libéraux dans certaines régions jugées surpeuplées. Elle réclame l'arrêt de la convergence tarifaire entre le secteur public et le secteur privé, au motif un peu usé que le premier supporterait davantage de charges et traiterait un type particulier de patients. Mais comment diable, peut-on encore prétendre, à prestations comparables, qu’il soit normal de payer plus cher celles effectuées en secteur public ? N’est-ce pas l’aveu de l’inanité des financements spéciaux des "Missions d'Intérêt Général et l'aide à la Contractualisation" (MIGAC) ou plus grave, de la gabegie hospitalière ?

Enfin, elle demande l'accroissement de l'emprise administrative pyramidale, appelant de ses voeux la création d'une monumentale Agence Nationale de Santé Publique assujettissant à la tutelle étatique, l'ensemble de l'hospitalisation, les soins de ville, les médicaments, et le secteur médico-social. La belle perspective ! Destiné à remplacer ou à se superposer au réseau déjà tissé entre la Direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins (DHOS) et les Agences Régionales de l'Hospitalisation (ARH), cet organisme central étendrait comme autant de bras tentaculaires ses rejetons régionaux, en décuplant le poids de la chape qui pèse déjà sur notre malheureux système de santé...
A côté de ces grandes orientations, figurent des propositions auxquelles il serait inconvenant de s'opposer tant elles sont bien intentionnées, mais qui laissent dubitatif quant aux moyens concrets de leur réalisation : « améliorer la continuité et la permanence des soins », « permettre à chacun de devenir acteur de sa propre santé », « adapter aux besoins la formation et la répartition des professionnels », « donner aux établissements les moyens d'améliorer leur gestion », « organiser la prise en charge des personnes âgées », « relancer la recherche biomédicale ». Vaste programme. J'ose espérer que les dirigeants de la FHF n'imaginent pas être les premiers à y avoir pensé !


Il est vain en revanche de chercher quelque suggestion pratique pour alléger l’incroyable pression bureaucratique qui étouffe la forteresse, pour tenter d’enrayer la machine infernale de la « Nouvelle Gouvernance » et de ses ubuesques Pôles, pour assainir et simplifier la monstrueuse usine à gaz de la T2A, pour redonner un peu d’autonomie et de capacité d’initiative aux établissements, pour les évaluer avec bon sens, pour libérer vraiment la télémédecine qui devrait permettre en souplesse de rapprocher les gens, de partager les compétences, et d’éviter des transports inutiles…
Serait-il possible d’imaginer qu’on laisse enfin respirer les hôpitaux ? Qu’on fasse davantage confiance à leur capacité d’initiative. Qu’on crée les conditions d’une saine émulation et non celles conduisant aux monopoles, ou aux destructions et phagocytoses mutuelles. Qu’on cesse de planifier d’en haut leur fonctionnement au nom de principes idéologiques.
« L'affaiblissement, voire la disparition d'offre de soins sur certains territoires de notre pays », les problèmes de démographie médicale déplorés par le président de la Fédération Hospitalière ne sont-ils pas pour partie le résultat de ce planisme imbu de certitudes ?

Serait-il envisageable de juger les établissements de santé de manière raisonnable, sur la qualité réelle et le coût de leurs prestations, et non sur des seuils d’activité résultant d’à priori stakhanovistes, de normes théoriques issues des SROS, ou sur leur adhésion supposée à des procédures formelles, à des Objectifs Quantifiés déconnectés de la réalité ? Qu’on les laisse se gouverner de la manière la plus simple qui soit, en allégeant l’architecture et les contraintes administratives. Qu’on rémunère leur activité à sa juste valeur en contrôlant l’adéquation des soins prodigués à ceux nécessaires. Qu’on délègue au personnel paramédical de vraies responsabilités permettant d’économiser le temps médical et de réduire certains délais de prise en charge. Enfin, qu’on responsabilise les usagers en cessant de leur laisser croire qu’ils n’ont que des droits et que la santé est gratuite.
Malheureusement, l'initiative de la FHF qui revendiquait selon son président Claude Evin*, une place « au coeur des débats démocratiques à venir », reste bien loin de ces considérations et l'espoir s'estompe décidément d'aller vers un monde un peu plus responsable et libre, et un peu moins soumis aux directives théoriques, si complexes et si éloignées du terrain.
On peut regretter enfin des propos assez vindicatifs à l'encontre du corps médical accusé à demi-mots d'être trop rétif au progrès et aux grandes manoeuvres de la réforme : « il suffit qu'un PH s'oppose à ces réorganisations pour pénaliser fortement l'ensemble de l'institution .../... il faudrait que l'établissement puisse se séparer du praticien en question ». Faut-il en déduire que Mr Evin, préconise désormais le licenciement pour délit d'opinion ? (Publié dans DH Magazine No110, janvier 2007)
* : Le Quotidien du Médecin, 6/12/2006

26 février 2007

La lumière et la grâce


Coïncidence, quelques jours après avoir évoqué la peinture de Winslow Homer, je découvre sur les kiosques parisiens l'affiche d'une exposition sise actuellement au Petit Palais, consacrée à John Singer Sargent (1856-1925).
La comparaison s'impose naturellement car cet artiste, contemporain et compatriote de Homer, s'est beaucoup attaché comme ce dernier, à faire très librement chanter la lumière.
Son parcours toutefois le rattache autant à l'Europe qu'aux Etats-Unis, et comme Whistler et Mary Cassat, il est la preuve que l'art d'Amérique prend ses racines sur le vieux continent.
Né à Florence, il fut naturellement inspiré par la méditerranée. L'Italie, mais aussi la Grèce, notamment l'île de Corfou ou encore Majorque aux Baléares.

De son vivant, Sargent fut considéré comme un très grand portraitiste. Il immortalisa brillamment sur la toile deux grands présidents américains: Théodore Roosevelt et Woodrow Wilson. Surtout, il excella dans la représentation de scènes domestiques de la haute société de l'époque. On pourrait dire qu'il rendit en peinture ce que Henry James exprima en littérature : un mélange d'élégance et de distinction d'une précision parfaite mais un peu froide. Le portrait de Lady Agnew of Lochnaw en témoigne. Tout y est soyeux et distingué: le tissu de la robe, celui du fauteuil, la tenture servant de toile de fond, et même la carnation du personnage. Tout est beau et noble, mais un peu distant.


C'est pourquoi je préfère à titre personnel, bien qu'elles ne soient guère nombreuses dans l'exposition actuelle, les aquarelles qu'il peignit dans la dernière partie de sa vie et qui sont illuminées par l'intense lumière du midi.

Il jaillit des jardins et des paysages marins sur lesquels le regard du peintre s'est posé, des brassées de couleurs qui éclatent en formant de superbes feux d'artifice. Dans ces rayons bariolés, vibrent avec sensualité les fruits mûrs dans les arbres, les ombres mobiles sur les murs blancs des maisons, les « grands jets d'eau sveltes parmi les marbres », les reflets fugaces des bateaux mollement enchâssés sur l'eau transparente...
Cet univers gracile est un enchantement pour les yeux tant ses chatoiements signifient de plénitude et de liberté.

Référence : Sargent: Watercolors (Watson-Guptill Famous Artists)

PS : l'expo présente également les oeuvres d'un artiste espagnol Joaquin Sorolla (1863-1923). Le voisinage avec Sargent est naturel : inspiration naturaliste mais colorée, grâce et sensualité post-impressionniste.


19 février 2007

The deep blue sea

Rarement peintre aura représenté le bleu de l'océan avec autant de volupté et d'intensité que Winslow Homer (1836-1910) dans ses aquarelles.


Cet artiste américain commença pourtant sa carrière dans le style naturaliste un peu guindé, propre à l'art balbutiant du Nouveau Monde. Mais à cinquante ans passés, il trouva une occasion rêvée de renouveler son inspiration lors d'un voyage en Floride et aux Bahamas.


Les tons éclatants d'une nature ivre de soleil, les chauds contrastes de paysage maritimes multicolores bouleversèrent sa palette jusqu'alors bien sage. Sur le rivage de Nassau, le vert chatoyant des palmiers, le blanc immaculé des voiles des bateaux, le rouge flamboyant des poinsettias, tout cela se mit à vibrer à l'unisson du deep blue de la mer.

Il jaillit de ces éblouissements quelques unes des plus audacieuses compositions marines qui soient, dans lesquelles l'oeil plonge avec délectation avant de se laisser emporter en songe par l'appel irrésistible du large.



Il y a une grande liberté dans les peintures de Homer. Celle d'un monde sans complexe, avide de s'affirmer sans souci des canons artistiques. Ces oeuvres sont hélas assez méconnues en France. Il n'y a guère d'ouvrage en français à leur sujet à ma connaissance. Elles sont rassemblées pour leur quasi totalité par deux musées américains : le Brooklyn Museum et le Metropolitan Museum of Art.

Winslow Homer watercolors: Helen A. Cooper (Paperback - Sep 10, 1987)

Winslow Homer (Watson-Guptill FAmous Artists) by Donelson F. Hoopes (Paperback - Sep 1984)

L'embaumement du pharaon


Pierre Péan court les plateaux télévisés pour promouvoir au pas de charge ce qui apparaît comme un ultime et quelque peu opportuniste coup de projecteur sur un président parvenu au terme de son marathon politique.
Il ne faut pas espérer y trouver de pensées très profondes, ni quelque nouveauté fracassante. Que peut-on apprendre d'un homme qui à deux mois des échéances, laisse toujours planer le doute quand à une cinquième candidature à l'élection présidentielle (« c'est mon dernier sommet africain... pour cette année ! »)
Il faut y voir plutôt une sorte de panégyrique obséquieux dont la matière provient directement de la bouche de l'intéressé par le biais d'entretiens à bâtons rompus. Le dernier, daté du 14 janvier, donne la mesure du recul en matière de réflexion, pour un livre sorti un mois plus tard...
L'ensemble s'articule autour de deux notions cardinales qui semblent avoir séduit l'auteur, journaliste résolument de gauche : les similitudes étonnantes entre Mitterrand et Chirac d'une part, et l'attitude spectaculaire adoptée par ce dernier lors du second conflit irakien de l'autre. Mais s'il faut reconnaître que Péan fait des constatations justes, ce n'est pas forcément l'acception qu'il en donne qu'on se doit de retenir.
Certes, il est un point commun qui honore les deux hommes, c'est leur jardin secret culturel. Mitterrand était amateur d'art et de littérature, Chirac est paraît-il un des cinq meilleurs experts mondiaux de la Chine ancienne, et aurait traduit en français les oeuvres de Pouchkine !
Pour le reste hélas, la comparaison est moins attrayante. Chirac incarne en effet comme son prédécesseur, tous les travers d'un régime sclérosé par l'étatisme et boursouflé de grandiloquence gaullienne : carrière interminable, secret de polichinelle, contradictions en tous genres, culte de la grandeur, assimilation grotesque du moi à la France....
Il est vrai également que Chirac partage avec Mitterrand l'art de tromper son monde. Ce qui domine d'ailleurs dans leurs itinéraires respectifs, c'est bien l'absence de conviction, qui les a fait épouser en fonction des circonstances, à peu près toutes les tendances de l'échiquier politique. Chirac a officiellement combattu toute sa vie le socialisme, et on apprend qu'en définitive il ne serait rien d'autre qu'un « rad-soc », alter-mondialiste, considérant le libéralisme comme une calamité aussi terrible que le communisme ! Bonjour les dégâts...
Mais au delà de ces ressemblances, que Péan détaille de manière éblouie alors qu'elles ne sont guère flatteuses, ce qui fait l'essence même de ce portrait encomiastique, c'est l'admiration dont il témoigne, pour la hauteur de vues du chef de l'Etat, en matière de politique internationale. Il l'assimile même à de la prescience lorsqu'il évoque l'attitude de notre pays à l'occasion de la seconde guerre d'Irak.
Bien que l'écrasante majorité des Français soient pour l'heure d'accord avec cette opinion, il est encore permis de penser que l'Histoire jugera peut-être différemment. L'inaction est rarement considérée comme très glorieuse avec le recul.
A défaut d'être l'expression d'une intuition visionnaire, la pusillanimité du président en la circonstance, aurait pu passer pour être celle d'une sage prudence. Mais il s'en est enorgueilli avec tant de vanité, alors qu'il avait noué par le passé tant de liens douteux avec le tyran de Bagdad, qu'il est permis d'avoir des doutes. D'autant plus qu'il n'a proposé aucune solution alternative crédible à l'option des Américains, et que pis que tout, il a cru malin de dresser une partie du monde contre eux en accusant leur initiative libératrice d'être une agression illégitime. Le coup de pied de l'âne en quelque sorte...
Mitterrand en 1991 avait incontestablement mieux agi...
En bref, le livre de Pierre Péan s'inscrit dans un style révélateur d'un état d'esprit bien suranné. Peu importe que les dirigeants soient inefficaces et sans foi, pourvu qu'ils incarnent un destin haut en couleur, riche en contrastes et en secrets et qu'ils soient pompeux comme les ors des palais auxquels ils semblent viscéralement attachés.
Il faut espérer qu'un jour cela change enfin...

14 février 2007

Voyage au centre de la conscience

Deux expériences scientifiques étonnantes récemment relatées dans la Presse, invitent à se pencher encore et toujours, sur le mystère quasi insondable de la conscience.
On apprend par le Figaro, qu'aux Etats-Unis, une jeune femme vient de bénéficier, suite à l'amputation de son bras, de l'implantation d'une prothèse d'une efficacité stupéfiante. Elle répond à sa volonté grâce à une puce électronique interprétant les stimuli envoyés par son cerveau aux terminaisons nerveuses ! Ces dernières, hélas interrompues au niveau du moignon, ont été déroutées chirurgicalement vers plusieurs muscles pectoraux. Ces muscles ainsi activés transmettent un signal à un dispositif capable d'analyser une centaine de signaux neuronaux et de commander jusqu'à 22 fonctions distinctes de la prothèse.
Les chercheurs et chirurgiens du Rehabilitation Institute of Chicago (Illinois) ont ainsi la satisfaction d'avoir redonné à la patiente non seulement la fonction essentielle de pince manuelle mais la possibilité de mouvoir avec souplesse et tact son nouveau bras. Ils envisagent même à terme la possibilité d'élargir la technique aux stimuli sensitifs, via des capteurs dont les informations seraient par le chemin inverse, transmises au cerveau !
Dans un récent numéro du magazine TIME, on peut lire le résultat d'observations troublantes quant à l'activité cérébrale d'une patiente se trouvant dans un coma prolongé à la suite d'un traumatisme crânien. Grâce aux techniques d'imagerie par résonance nucléaire magnétique (IRM), des neurologues anglais et belges ont objectivé l'activation vasculaire de zones précises de son cerveau, lorsqu'ils parlaient à haute voix à côté d'elle : celle du langage quand ils récitaient des phrases abstraites, celles de l'orientation spatiale et de la reconnaissance visuelle lorsqu'ils lui demandaient d'imaginer l'intérieur de sa maison, celle commandant certains mouvements lorsqu'ils lui suggéraient de jouer au tennis...
Autrement dit cette patiente plongée en état végétatif, sans aucun contact apparent avec son entourage, semble avoir en son for intérieur, des éclairs de conscience !
Le même numéro détaille les réflexions les plus récentes de quelques hommes de science et de philosophes, sur ce sujet fascinant. Celles par exemple de Daniel C. Dennet, reprenant en quelque sorte l'antique problématique du bateau de Thésée.
Imaginant un sujet atteint d'une affection détruisant progressivement les différentes structures cérébrales, le savant tente d'anticiper ce qui pourrait se passer si la science pouvait à l'aide de prothèses très sophistiquées, remplacer les unes après les autres, les aires ainsi détruites par la maladie. Au bout du compte selon lui, cette personne donnerait probablement l'impression d'être satisfaite de retrouver progressivement ses facultés, mais personne ne pourrait savoir si ce soulagement exprimé correspondrait in petto à une sensation pleinement consciente.
Si l'on en croit Daniel C. Dennet, il serait donc objectivement impossible de distinguer un robot suprêmement habile (clever robot) d'une personne réellement consciente.
Ce dilemme débouche sur une alternative angoissante : ou bien l'être humain n'est qu'une masse de chair animée par un super-ordinateur cérébral, ou bien nous ne saurons jamais ce qu'est la conscience et si elle est capable de survivre à la mort du corps !
Il semblerait qu'en dépit des progrès de la science nous n'en sachions donc guère plus que les contemporains de Platon et de Socrate.
De nombreux penseurs contemporains paraissent pourtant avoir fait leur choix.
Depuis Jacques Monod et son fameux « Hasard et Nécessité », nombreux sont ceux qui ont adopté à sa suite une conception purement matérialiste des choses. En toute logique ils estiment qu'elle devrait tôt ou tard les conduire à percer le secret de notre plus profonde intimité.
En France, on compte Jean-Pierre Changeux parmi les tenants de cette thèse. Aux Etats-Unis, c'est Antonio R. Damasio qui l'exprime haut et fort depuis quelques années, stigmatisant notamment dans un ouvrage retentissant « l'erreur de Descartes ».
Pour le neurologue californien, la vision dualiste du corps et de l'esprit serait en effet un non sens. Il n'existe pas d'homoncule au sommet du cerveau, dont l'entité corporelle serait en quelque sorte le véhicule, et le cerveau l'ordinateur, capable d'intégrer et de gérer la multitude d'informations en provenance du monde, transmises par les organes sensoriels.
Tout serait lié et indissociable dans l'organisme humain, et ce qu'on appelle l'âme, ce qu'on imagine habituellement comme étant la partie la plus indicible de la conscience, « nonobstant le respect que l'on doit accorder à cette notion », l'âme « ne serait que le reflet d'un état particulier et complexe de l'organisme. »
S'il on admet ce schéma conceptuel, les progrès de l'intelligence humaine s'inscriraient dans le grand fatum évolutionniste darwinien, et il n'y aurait aucune finalité première à cette aventure étrange, née du chaos et abandonnée aux seules lois du hasard.
Il existe toutefois une autre façon de voir le problème. Elle est incarnée par le neurologue d'origine australienne John Eccles (1903-1997).
Ce n'est pas n'importe qui.
On lui doit la découverte des processus chimiques responsables de la propagation de l'influx nerveux, laquelle fut récompensée en 1964 par le prix Nobel de médecine.
John Eccles, en dépit de sa contribution très physique et matérielle au sujet, se refusait à une interprétation fermée de la conscience : « je maintiens que le mystère de l'homme est incroyablement diminué à tort, par le réductionnisme scientifique et sa prétention matérialiste à rendre compte du monde de l'esprit en termes de simple activité neuronale. »
Certes le cerveau est le siège d'une foule de processus sans doute accessibles, au moins en théorie, à l'explication rationnelle : « Si l'on admet que le cerveau est le siège de la personnalité consciente, il est clair que bien des parties du cerveau n'y sont pour rien ».
Mais il y aurait aussi quelque chose de « transcendant », quelque chose qui ne serait pas de nature matérielle et ne pourrait donc être réduit en équations. S'appuyant sur la physique quantique, Eccles soutient même qu'il n'y aurait pas de contradiction de principe à envisager l'existence d'une conscience indépendante du cerveau !
Il ne parvient à accepter l'idée que nous ne soyons que des machines très perfectionnées toutes construites sur le même moule, même s'il est évolutif. Les hommes sont tous les mêmes, ont les mêmes organes et le même cerveau, pourtant ils sont différents et chacun est unique. Chaque être humain a une destinée, modulée à l'évidence par les caractéristiques innées et les acquis des expériences vécues, mais elle ne peut être totalement expliquée par ces seuls avatars de l'existence. Pareillement, il est pour lui difficile d'imaginer la diversité humaine, tout comme celle de la nature en général, comme étant l'oeuvre du seul hasard.
Curieusement l'interprétation que donne Eccles de la conscience humaine, il la présente comme étant enchâssée dans un monde clos, parvenu dès à présent au bout d'un grand nombre de ses potentialités évolutives de départ.
Bien que reconnaissant l'apport de Darwin, Eccles pense que l'apparition de la conscience marque la fin ou plutôt le sommet de l'évolution sur terre. La sélection naturelle n'aura plus de prise sur l'être humain et aucune autre espèce animale n'a plus la moindre chance d'évoluer vers la conscience de soi. La voie royale est définitivement tracée pour l'homo sapiens sapiens
Au surplus, l'immensité de l'univers comparée aux dimensions microscopiques du monde spatio-temporel dans lequel il évolue, le condamne vraisemblablement à rester irrémédiablement liée à sa planète d'origine. Raison très forte s'il en est de la préserver !
Alors, expliquera-t-on un jour la conscience ? Cela semble improbable si l'on en croit Eccles qui semble ainsi inscrire son point de vue dans la logique implacable du fameux théorème d'incomplétude de Gödel (1906-1978). Celui-ci stipule qu'à l'intérieur d'un système formel donné, il restera toujours au moins une proposition indécidable, si l'on s'en tient aux seuls outils de démonstration logique contenus dans ce système. La conscience ne pourrait donc se connaître elle-même en totalité.
Cette analyse peut donc sembler paradoxalement aussi fermée que celle s'appuyant sur un froid et hasardeux matérialisme.
Mais il est une manière d'en sortir, c'est de postuler l'existence d'une entité extérieure à notre monde, autrement dit de Dieu.
C'est ce que fait Eccles qui le conçoit comme étant « le créateur de tous les êtres vivants qui sont apparus au cours de l'évolution, mais aussi de chaque personne humaine avec sa conscience de soi et son âme immortelle. »
Du coup, le monde est donc à nouveau plein d'espoirs, Eccles rejoint in fine son ami le philosophe Karl Popper, qui exprimait un optimisme éclatant en s'exclamant : « L'avenir est ouvert !»
Et il s'en sort par le haut si l'on peut dire. Nous sommes certes liés à notre chère vieille Terre mais seulement « tant que nous existerons sous forme corporelle ». Et c'est cette forme humaine qui définit pour l'heure la conscience : « l'évolution biologique s'est transcendée elle-même en fournissant la base matérielle – le cerveau humain – à des êtres conscients d'eux-mêmes dont la vraie nature est de chercher espoir et sens dans leur quête d'amour, de vérité et de beauté. »
Comment dès lors ne pas penser à cette magnifique citation de Schelling (1775-1854), qui définit à mon sens mieux que toute autre l'existentialisme : « A travers l'Homme, la Nature ouvre les yeux... et prend conscience qu'elle existe ! »
Quelques références :
Jacques Monod : le hasard et la nécessité
Jean-Pierre Changeux : l'homme neuronal
Jean-Pierre Changeux et Alain Connes : Matière à penser
Karl Popper et Konrad Lorenz : L'avenir est ouvert
Antonio Damasio : L'erreur de Descartes
Daniel C. Dennet : La conscience expliquée
John C. Eccles : Evolution du cerveau et création de la conscience