10 octobre 2009

Un Moghol très libéral


Je ne connaissais pas bien l'histoire de l'Inde. J'avais vaguement entendu parler de la dynastie des Moghols mais j'étais loin de réaliser qu'ils étaient les artisans de l'unification en un seul gigantesque pays, de la multitude de petits royaumes belliqueux qui s'étendaient jusqu'au XVè siècle d'Ouest en Est, entre le Sind et le Bengale et du Nord au Sud entre le Cachemire et le Dekkan. Je n'imaginais pas non plus que l'islam avait très largement inspiré tous ces conquérants.

J'ai découvert une partie de cette aventure fortuitement, grâce à un film indien récent prêté par un bon ami.
Issus des studios de Bombay (communément désignés du nom de Bollywood), ce long métrage, de plus de 3 heures, est une excellente surprise. Réalisé par Ashutosh Gowariker il démontre la grande maitrise acquise dans le 7è art par l'Inde et la puissance narrative impressionnante de certaines réalisations, quasi impensable désormais en Occident.
La magnificence des images est absolument époustouflante et colle littéralement le spectateur à son siège. La mise en scène au cordeau déroule de spectaculaires scènes de bataille à dos d'éléphants, et montre un univers chatoyant, fait de foules colorées, de costumes chamarrés et de palais rutilants. Les décors sont évidemment très chargés, mais ils gardent toujours une esthétique de bon goût et de très grande classe.

Le récit, épique et passionnant, relate le règne d'un monarque surprenant, Jalaluddin Muhammad Akbar (1542-1605). Septième descendant de Tamerlan, musulman comme ses prédécesseurs, et grand conquérant, il fut surtout un puissant rassembleur et un souverain très éclairé. Il manifesta notamment une ouverture d'esprit assez extraordinaire pour l'époque. Après la régence brutale de Bairam Khân, il accéda au pouvoir à 18 ans après s'être débarrassé de son encombrant et rétif mentor. Dès lors, il entreprit une œuvre fabuleuse, faisant en quelque sorte écho à la Renaissance qui éclatait à la même époque en Europe.
Il commença par réduire les rébellions permanentes des tyranneaux alentour (Bihar, Bengale, Goujerat, Balouchisthan, Sind, Orissa), scella une forte unité avec les autres plus sensés (Rajasthan), et institua un gouvernement fort mais décentralisé. Avec l'aide de conseillers judicieusement choisis, il créa des institutions solides, mit sur pied une brillante politique économique qui amena la prospérité à son royaume. Surtout, il fut attentif à la diversité des populations qui constituaient son empire. En matière religieuse tout particulièrement, il institua la liberté de culte, interdit les conversions forcées, les circoncisions rituelles avant que l'enfant n'ait atteint un âge lui permettant de donner son avis (12 ans), et mit fin aux impôts qui frappait les pèlerinages non musulmans. Il proposa même une sorte d'incroyable syncrétisme spirituel autour des valeurs de plusieurs religions : islam, hindouisme, christianisme, Jainisme, boudhisme, Zoroastrisme, resté sous le nom de
Din-I-Ilahi.
Se heurtant à la rigidité des traditions il fut confronté comme dans tout grand drame historique, à des trahisons au sein de sa propre famille et dut affronter vers la fin de sa vie les révoltes de son propre fils, qui allait lui succéder à sa mort.

Le réalisateur choisit de faire de l'union - très politique - d'Akbar avec la princesse Jodhaa, hindoue d'origine rajput, le centre de l'intrigue. Il en fait une belle histoire d'amour associant avec bonheur, tact, pudeur et noblesse des sentiments. Les acteurs de cette fresque étonnante sont très bons, et les deux héros sont au surplus d'une beauté radieuse. Leur jeu n'a rien d'outrancier ou de stéréotypé, bien au contraire. A voir absolument pour la splendeur du spectacle et une vision originale et très réconfortante de l'islam.

04 octobre 2009

Les mystères de l'islam


Monsieur Tarik Ramadan a de l'éloquence. Une éloquence si policée qu'elle lui vaut d'être régulièrement invité sur les plateaux télés où l'on évoque ce dont tout le monde se doit de parler et d'une manière générale tout ce que la marmite médiatique fait bouillonner. L'Islam étant devenu depuis un certain nombre d'années un sujet d'actualité brûlant, Tarik Ramadan est désormais quasi chez lui à la télévision. Bien qu'il soit citoyen suisse, il n'est pas de Talk-Show qu'il n'ait fréquenté en France. Il y jouit d'une aura étrange. Alors qu'il se présente comme Professeur en Etudes Islamiques, ce qu'il serait tentant de traduire par théologien ennuyeux dans notre société portée à la jouissance matérielle immédiate, il fascine les auditoires par un indéniable charisme. Il est brillant, si brillant qu'on peine parfois à connaître le fond de sa pensée, nichée derrière l'éclat d'une dialectique bien huilée mais un tantinet alambiquée.
Régulièrement accusé de manier un double langage, il déboute le plus souvent ses détracteurs avec un mélange d'aisance et de naturel confondants, ayant pratiquement réponse à tout, sans jamais une once d'énervement. C'est assurément une qualité, et la pondération de ses propos tranche avec le radicalisme arrogant derrière lequel l'islam se manifeste trop souvent de nos jours. Mais le débat très civilisé auquel il invite est-il en prise avec la réalité ?
En d'autres termes s'agit-il de louables intentions au service d'un objectif pragmatique ou bien d'une casuistique lénifiante destinée à faire écran de fumée pour de plus troubles desseins ?
On peut certes gloser sur la nature des religions, sur leurs aspirations morales, philosophiques ou mieux encore métaphysiques. Entre gens de bonne éducation c'est toujours passionnant. Mais cet aspect des choses constitue-t-il la vraie problématique religieuse dans le monde contemporain ?
Personnellement j'en doute, constatant avec tristesse un durcissement croissant dans les attitudes et une intolérance qui grandit dans les esprits.
L'islam s'affiche de plus en plus par des signes extérieurs arrogants et provocateurs, révélant une emprise dogmatique étroite et rigide. Pour un peu on pourrait confondre cette religion toute entière avec ces burqua, niqab, hijab dont l'actualité nous abreuve jusqu'à la nausée.
Cette tendance ne laisse pas d'inquiéter. Il n'est jamais bon qu'une croyance se radicalise autour de pratiques rituelles où l'exhibitionnisme tient lieu de conduite. Il n'est pas bon qu'au nom de principes immanents nébuleux s'imposent de manière autoritaire des contraintes irrationnelles. Et le port du voile islamique qui fait partie de ces sujétions gagne du terrain, devenant quasi emblématique de l'islam.
Même avec beaucoup de bonne volonté, il est difficile d'y voir l'expression d'un épanouissement des personnes qui le revêtent. Lorsqu'il se limite à un simple foulard il peut être considéré comme une marque de pudeur, ou une réaction à certaines outrances et indécences du laisser aller occidental. Mais dans sa version intégrale, il transforme les femmes en silhouettes sans personnalité, il efface toute identité et suggère aux tiers un sentiment qui hésite entre tristesse et peur. Derrière les meurtrières de tissu noir, ces yeux sont-ils ceux d'êtres qui n'osent affronter le monde à visage découvert, qui le méprisent au point de s'en isoler, ou qui doivent y renoncer sous quelque obscure pression ? La question ne peut être éludée, car le rapport avec Dieu est plus que douteux. Rien dans les textes sacrés n'impose paraît-il un tel asservissement et d'ailleurs quel Dieu serait assez inconséquent pour ordonner de se cacher à des créatures auxquelles il aurait donné la pensée et l'autonomie ?
De toute manière la politesse, l'amabilité et souvent le simple bon sens, veulent qu'on retire son chapeau, ses gants ou ses lunettes noires lorsqu'on rencontre quelqu'un. Comment pourrait-il en être autrement du voile dans mille occasions de la vie quotidienne ?
Sur ce point devenu désormais essentiel tant il a pris d'importance médiatique, Tarik Ramadan s'exprime de manière très ambiguë. Il concède du bout des lèvres que rien dans le Coran n'oblige à porter le voile, et dans le même temps il s'oppose à toute loi l'interdisant. Si sa volonté est vraiment de donner à l'islam une image d'ouverture aux autres, il ne peut rester dans cet atermoiement. Et s'il veut éviter les lois, le mieux serait sans doute qu'il soit plus clair lorsqu'il incite à la modération.
Ce n'est pas le seul exemple où le discours du professeur fait preuve d'une duplicité probable. En même temps qu'il propose le fameux moratoire sur la lapidation des femmes infidèles, il demande le recours à l'expertise des « savants » quant à l'interprétation des textes fondamentaux. Ce faisant il fait mine d'introduire un peu d'objectivité dans le débat. En réalité les dits savants étant des théologiens ayant déjà dans leur majorité tranché sur le sujet, il est peu probable qu'une réponse rationnelle nouvelle puisse être apportée. D'ailleurs lui même dans son célèbre et très controversé article sur les nouveaux intellectuels communautaires avait critiqué ce type d'argumentation à propos des écrits de Pierre-André Taguieff qu'il qualifiait de prototype d’une réflexion « savante » faisant fi des critères scientifiques.
Au passage il manifeste une indéniable mauvaise foi en prétendant que la lapidation est plutôt une problématique chrétienne que musulmane. C'est évidemment un contresens flagrant, faisant référence implicite à l'épisode du Christ face à la femme adultère. Car en l'occurrence, Jésus rejeta on ne peut plus clairement ce châtiment. Il n'y a donc jamais eu de questionnement pour les Chrétiens.
Autre point litigieux, celui des conversions. Si Mr Ramadan encourage bien évidemment toutes celles qui s'engagent vers l'islam, sa position paraît beaucoup moins consistante dans l'autre sens, alors que les prêtres musulmans considèrent le crime d'apostasie comme passible de la peine de mort. Tarik Ramadan pondère habilement ce terrible oukase en assurant que selon lui un Musulman « peut » changer de religion "selon l'interprétation musulmane" et notamment selon l'opinion de quelques théologiens datant du VIIIè siècle ! On aurait espéré des arguments plus convaincants sur un sujet aussi grave...
Sur d'autres thèmes plus politiques, Mr Ramadan n'est guère moins contradictoire.
Il ne cesse de fustiger le passé colonial de la France mais s'exonère de toute vraie critique sur celui du monde musulman dont les conquêtes furent souvent obtenues par le sabre.
Sur le sujet de l'Irak et sur Saddam Hussein, il répète à l'envi l'argument vaseux sans cesse colporté par les obsédés de l'Anti-Américanisme, à savoir qu'il s'agissait certes d'un tyran abominable, d'un despote ignoble et d'un envahisseur sanguinaire qui menaçait tous ses voisins musulmans ou pas, mais que le renverser fut une monumentale erreur (chez Taddei en 2007)...
Il se déclare étranger à la confrérie des Frères Musulmans, fondée par son grand-père et dont son père créa la branche palestinienne, qui a pour but affiché la fin d'Israël et l'instauration de républiques islamiques dans tout le Moyen-Orient, pourtant il soutient sans réserve le Hamas qui s'en réclame et répond aux mêmes principes et objectifs.
En réalité, on pourrait multiplier les points où Mr Ramadan évite de répondre sans détour et où il refuse de donner une opinion et à plus forte raison des recommandations claires. Même si à certains moments il donne l'impression de s'exprimer enfin clairement (cf ci-dessous), à d'autres il entretient le doute à force de circonlocutions.
Au total, il est à craindre qu'avec son sourire avenant et son discours onctueux et subtilement contourné, Tarik Ramadan ressemble davantage à un Tartufe de salon qu'à un penseur guidé par la raison et la sagesse. La raison n'est d'ailleurs pas sa priorité si l'on en croit ses propres aveux lors d'une interview à BEUR FM (2003 citée par Wikipedia) : « Il y a la tendance réformiste rationaliste et la tendance salafie au sens où le salafisme essaie de rester fidèle aux fondements. Je suis de cette tendance-là, c'est-à-dire qu'il y a un certain nombre de principes qui sont pour moi fondamentaux, que je ne veux pas trahir en tant que musulman.»
En tant que musulman attaché aux fondements de sa religion, il pense sans doute avoir intérêt à adopter un profil empreint de modération qui le distingue des intégristes, mais qui apporte hélas indirectement de l'eau à leur moulin. Et s'il est animé d'un vrai désir d'ouverture et de progrès, il prend le risque en parlant a demi-mots, d'être réduit au rôle de décorateur de la vitrine légale d'une idéologie inquiétante.
D'une manière générale, les gens qui parlent en référence à Dieu ou bien à de grands principes immanents ont toujours une emprise sur les foules supérieure à ceux qui ne parlent humblement qu'en leur nom, en engageant leur responsabilité. Or il y a grand danger à écouter ceux qui parlent au nom de Dieu, surtout s'ils tentent d'exciper de sa supposée volonté le droit d'imposer des diktats trop stupidement humains. Aucune religion digne de ce nom, et aucune personne se réclamant spirituellement et philosophiquement de l'une d'elles, ne devrait revendiquer pour des principes religieux le statut de lois et à plus forte raison vouloir les ériger au rang de Constitution.
Cela dit, même avec des réserves sur ses intentions véritables, Mr Ramadan jusqu'à présent doit être considéré comme un homme respectable qui ne mérite ni opprobre ni mépris. Rien que pour ça je me dois de relever sans parti pris certaines de ses réponses piochées sur le forum de son site, sur lesquelles je termine au titre de morceaux choisis. A chacun de juger...
"Ma position est simple : on ne doit jamais imposer à une femme de porter un foulard, on ne doit pas lui imposer non plus de l’enlever."
"Je n’ai jamais dit, sur aucune cassette, jamais, que j’étais pour la lapidation. Réécoutez, svp, le débat avec Sarkozy et vous l’entendrez. Je répète ici que j’ai condamné la lapidation au Nigéria, en Arabie Saoudite et ailleurs. Je suis contre son application. Il y a des textes auxquels les musulmans se réfèrent pour la justifier et justifier les peines corporelles et la peine de mort. J’appelle à un moratoire pour que ces condamnations cessent tout de suite."
"On ne peut pas vouloir la liberté et l’égalité ici, en tant que musulmans, et refuser ces droits fondamentaux pour les juifs, les chrétiens, les bouddhistes, etc. dans les pays majoritairement musulmans."
"C’est mon principe. Respect des constitutions, de la loi et opposition à toutes demandes de législations spécifiques."
A propos de son grand père, fondateur de l'organisation des Frères Musulmans :" Il y a des choses qu’il a faite et que je respecte (résister à la colonisation politique et culturelle), créer des écoles, des coopératives de développement, et promouvoir l’éducation des femmes. Il en est d’autres que je place dans leur contexte et/ou que je critique : la nature de l’organisation des Frères Musulmans qui a fini par étouffer certaines pensées, la référence aux slogans (toujours dangereuse), la paternité pas toujours assumée avec des groupements qui se sont radicalisés, etc."
"On finira bien par entendre, en France, qu’on ne change pas les mentalités à coup de slogans qui condamnent mais par un long et continue travail de pédagogie et de dialogue."
"J’ai souvent écrit en condamnant dans la presse publique en Suisse, en France et dans de nombreux journaux à travers le monde : le terrorisme, la violence, l’antisémitisme, les châtiments corporels, l’excision, les exécutions, l’esclavage, la lapidation, les mariages forcés, la violence conjugal."
"Il est de la responsabilité des musulmans qui vivent dans les démocraties de critiquer les mauvais traitements auxquels sont soumis les minorités en terres musulmanes."
"Sur le plan philosophique (le sens de ma vie et de ma mort) je suis musulman. Sur le plan de mon engagement social, politique et quotidien c’est ma nationalité qui prime."
"Celle ou celui qui change de religion pour soi, en conscience, doit demeurer libre et on doit respecter ce choix. La clef des cœurs et des jugements ne nous appartient pas."

"J’ai lu Voltaire et je l’apprécie. Ses idées sur la tolérance sont plutôt celles de Locke. Je trouve leur apport très important mais je vous dirais que je veux plus que la tolérance, j’aspire au respect mutuel."

24 septembre 2009

Vita Nova


1969, année magique. Fin des sixties, achèvement d'une époque, début d'une nostalgie indicible... Abbey Road, le sublime point d'orgue des Beatles revient tout neuf quarante ans après sa création !
Même si cette remastérisation n'apporte qu'un assez modeste progrès technique, c'est tout de même l'occasion de se remettre dans les oreilles cette féérie musicale dans toute sa splendeur, et dans toute sa fraicheur. Bon Dieu, ça n'a pas pris une ride. Les subtils arrangements emplissent l'atmosphère suavement avec une acuité merveilleuse. Les voix sont belles et parfaitement posées. Les mélodies sont plus pimpantes et ensorcelantes que jamais, j'en ai des frissons...
Si le coffret intégral paraît un peu fou, les CD sortent isolément à un prix raisonnable. C'est l'occasion pour les plus jeunes de découvrir un passé qui approcha de si près le bonheur, et pour les vieux de la vieille, de repartir d'un nouveau pied. Dehors le ciel est bleu comme la joie, illuminé par le soleil qui vibre du feu de l'espérance. La vie est belle !

11 septembre 2009

Ici bas, seul le doute est une certitude


En son temps Socrate avait bien résumé la situation : « la seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien ».

Un peu plus de deux millénaires plus tard, les connaissances ont quelque peu progressé mais il serait vain de prétendre avoir acquis beaucoup de certitudes. La Terre est ronde sans doute, mais pour le reste il paraît bien téméraire de s'avancer. Au contraire l'euphorie déterministe a laissé la place à un doute envahissant. La mécanique quantique se heurte au principe d'incertitude d'Heisenberg et la logique semble bornée par le théorème d'indécidabilité de Gödel. Quant à l'univers il est plus infini que jamais et son expansion s'accélère...


Pourtant, à l'image de Charybde et Scylla, l'esprit humain navigue toujours entre deux écueils : le scientisme et la superstition. En ce 11 septembre on peut méditer sur les méfaits de l'un et de l'autre. La crise économique a déjoué les prévisions des experts, la vigilance des organismes de contrôle et toutes les lois et régulations dans lesquelles est empêtrée la bureaucratie moderne. La grippe nargue ceux qui croient pouvoir réglementer, et anticiper son génie évolutif. Tantôt qualifiée de grippette, tantôt de calamité mondiale, elle se joue des gigantesques et vaines manoeuvres et incantations destinées à enrayer sa progression. Le climat s'amuse des simulations informatiques en vertu desquelles les docteurs Diafoirus de la prévision météo nous bassinent avec leurs visions d'apocalypse, et qui leur permet d'imposer une ineffable taxe « à la tonne de carbone », dont les subtilités échappent à l'entendement du commun des mortels et probablement à eux-mêmes. Et dans la douceur de la fin d'été, reviennent en mémoire les affreuses images du World Trade Center pris dans un feu infernal que personne n'avait vu venir , mais qui prouve une fois encore que l'Homme est passé maitre dans l'art de faire du mal au nom du bien...

Face à ce mélange étrange de rationnalisme étriqué et de fanatisme bien intentionné, face à ces légions de pseudo-savants qui agitent sans fin leurs assourdissantes crécelles, il est encore heureusement des gens pour penser avec simplicité, et sans trop d'a priori ni de principe intangible. Il y a quelques jours, la chaine anglaise BBC interrogeait Alan Greenspan ancien Président de la Federal Reserve, à propos de la crise économique qu'il résumait avec un flegme désarmant : « c'est dans la nature humaine. A moins de changer cette dernière, il y aura encore d'autres crises et elles n'auront rien de commun avec celle-ci, si ce n'est la nature humaine...».
Car selon son opinion, «c'est une capacité inextinguible de l'être humain, lorsqu'il est face à de longues périodes de prospérité, de présumer qu'elles dureront toujours... et donc de se livrer à toutes les spéculations...» .
Et il termine avec cette recommandation frappée au coin du bon sens au sujet de l'excès de régulations : «le problème est qu'on ne peut pas faire coexister un commerce mondial libre avec des marchés intérieurs régulés de manière très restrictive»

Puisse-t-il être entendu...

04 septembre 2009

Taxez taxez, il en restera toujours quelque chose...


Les contorsions intellectuelles des politiciens au sujet de l'ineffable taxe carbone pourraient prêter à rire si elles ne donnaient pas plutôt envie de pleurer. Comment dire une chose et son contraire tout en gardant son sérieux, voilà l'exercice auquel se livrent ministres, élus et hauts fonctionnaires depuis quelques semaines. Ou comment mettre en place un nouveau prélèvement que rien ne justifie vraiment en dehors de vagues considérations démagogiques, tout en assurant qu'on s'efforce avant tout de contenir la pression fiscale.
Rien de plus simple en fait. Car en politique, tout est possible tant l'oxymoron est devenu habituel en matière de langue de bois. On peut donc déclarer en toute quiétude comme Alain Juppé : "Oui à la taxe carbone, non à un impôt de plus" (Figaro 1/9/09). Ou bien comme le premier ministre, annoncer le montant "définitif" de la taxe tout en assénant "qu'il n'y aura pas de hausse des prélèvements obligatoires"...
Stricto sensu, un esprit simple pourrait évidemment s'interroger sur l'intérêt de créer une taxe dont le montant sera c'est promis, "déduit de la feuille d'impôt" (dixit le ministre du budget Mr Woerth). Est-ce une lumineuse application du principe des vases communicants mise au service de la pédagogie écologique ? Ou bien du foutage de gueule pur et simple ?
Certes la protection de l'environnement exige bien quelques sacrifices. Mais 7 ou 8 centimes de plus en moyenne par litre d'essence est-ce bien raisonnable quand on sait que l'Etat prélève déjà plus 150% du prix de ce litre tel qu'il sort de la pompe, soit environ 80 centimes de taxes pour 50 de produit ( le calcul est simple et effrayant : TVA de 19,6% sur le prix de base, plus environ 60 centimes de TIPP, additionnée elle-même de 19,6% de TVA...).
Surtout comment croire une seule seconde à la neutralité d'un système fiscal de prélèvement-redistribution ? Comme le déplorait déjà en son temps l'économiste Frédéric Bastiat, la machine fiscale n'a rien d'une « rosée fécondante », redistribuant équitablement et intégralement ce qu'elle prélève. Si le prélèvement est certain, la restitution est beaucoup plus aléatoire et il est aisé de constater dans tous les cas, que l'engin « pompe » bien davantage qu’il ne redistribue en raison des lourdeurs de la bureaucratie qui lui est attachée.
La logique des gouvernants est souvent difficile à suivre. Il faut à chaque instant donner le sentiment qu'on agit, quitte à nager dans les contradictions et les incohérences. Exemple, un jour, pour doper la consommation, on promeut la vente des automobiles en instituant un « prime à la casse », le lendemain on multiplie les dispositions destinées à pénaliser leur utilisation... Comprenne qui pourra.

01 septembre 2009

Le gros oeil de l'Etat


Il y a quelques jours, le magazine Le Point s'interrogeait gravement sur sa couverture : « Sarkozy est-il de gauche ? » A part quelques banalités que chacun connaît déjà au sujet de l'entourage du président, de ses initiatives « sociales », et de l'ambiguïté de certaines déclarations publiques, on n'apprend toutefois pas grand chose à la lecture de l'article. Il faut dire que la question n'appelle pas vraiment de réponse dans un pays où les hommes politiques n'ont généralement guère de convictions. Sitôt parvenus à leurs fins c'est à dire au pouvoir, ils semblent n'avoir rien de mieux à faire que de démolir l'idée qu'ils s'étaient évertués à donner d'eux avant d'être élus.
La stratégie de Nicolas Sarkozy de ce point de vue n'échappe pas à la règle tant elle est fluctuante et parfois contradictoire. On dit souvent qu'elle témoigne d'un esprit pragmatique. Même avec un projet clair et la légitimité des urnes, il est si difficile en France d'appliquer un programme face à la pression de la rue et à la versatilité de l'opinion...
Tout de même, ce scoop des 3000 évadés fiscaux en Suisse dont Bercy serait parvenu à se procurer les noms a de quoi inquiéter. Derrière l'effet d'annonce dont sont si friands les Pouvoirs Publics, on prend conscience tout à coup que l'Etat de plus en plus omniprésent, et omnipotent est en passe de collecter désormais des informations de plus en plus précises sur un nombre de plus en plus grands de gens.
Sous on égide s'organise avec les meilleures intentions du monde la centralisation des fichiers et des identifiants. On sait que le Fisc et l'Assurance Maladie sont déjà en mesure de faire communiquer leurs bases de données nominatives. Avec la Loi HADOPI, les internautes seront traqués avec la complicité forcée des fournisseurs d'accès au Web. Tout ça avec la bénédiction de la CNIL, totalement débordée et de toute manière elle-même assujettie à l'Etat.
Certains s'inquiètent de la possibilité d'être espionnés par des organismes privés comme le fameux Google, mais ce n'est rien en comparaison de l'oeil de l'Etat. Une entreprise privée risque en effet gros à galvauder le secret de ses clients, l'Etat jouit quant à lui d'une totale impunité, et pour cause : c'est lui qui fait la Loi et sa clientèle est par définition captive. S'agissant de l'utilisation des données, si l'entreprise privée n'a guère d'autre objectif que celui bassement mercantile de cibler des campagnes publicitaires, on n'arrête en revanche difficilement le lourd char étatique. Le but vertueux affiché, en démocratie, consiste à chasser les contrevenants, mais en réalité comme on l'a vu si souvent par le passé, il n'est pas de limite au zèle purificateur du Pouvoir.

Cette histoire est édifiante. On peut comprendre que pour les besoins d'une enquête motivée par des délits ou des crimes avérés, les Pouvoirs Publics demandent à des prestataires commerciaux certaines informations concernant un ou plusieurs de leurs clients. Mais le recours à la dénonciation massive et prospective de toute une population a seule fin d'éplucher leurs faits et gestes pour tenter de débusquer d'éventuels fraudeurs, est plus que discutable et inquiétant (bientôt selon les déclarations de Mr Woerth ce matin sur BFM les banques devront dévoiler les identités de tous leurs clients dont les comptes enregistrent des transactions avec l'étranger...) On est d'autant plus étonné par ce ramdam que le Président de la République a tout lieu d'être échaudé, après s'être lui-même retrouvé à tort sur un listing de personnes suspectes de malversation dans le cadre de la fumeuse affaire Clearstream. A-t-il voulu donner l'impression au bon peuple qu'il agissait contre les puissances honnies de l'argent ? A-t-il voulu donner raison au Point en agissant comme pourrait le faire un homme de gauche?
Il a sans doute au moins en partie manqué son coup car Benoît Hamon avec son sens inimitable de la répartie l'accuse ni plus ni moins de vouloir protéger ses amis en les amnistiant. Quant à l'opinion publique, BFM en donnait un aperçu en publiant un sondage révélant que les deux tiers des Français comprennent qu'on cherche à échapper à la pression du fisc (une des plus élevées du monde faut-il le rappeler)...

31 août 2009

Espoir et liberté


J'aspire au bleu des étendues
Amarrées à la nuit des temps
Qui sèment dans d'obscurs néants
Des espérances éperdues
Et j'aspire aux libertés nues
Qui déroulent aux quatre vents
Comme de grands pavillons blancs
Leurs évidences ingénues.
Être libre et riche d'espoir
Voilà qui rend fort dans le noir
Des fatalités minérales
Par delà les rouges enfers
J'aspire et crois dur comme fer
Aux fraternités sidérales.

29 août 2009

Flânerie bordelaise



Il y a quelques jours je passais par Bordeaux. Arrivée par le Pont de Pierre qui étend ses arches aux couleurs roses de vin entre les rives de la Garonne. Appuyés sur des piliers trappus les grands bras de briques tendres semblent embrasser les eaux brunes du fleuve qui se trainent nonchalamment dans la tiédeur estivale. Au dessus, les noirs réverbères coiffés d'élégants chapeaux pointus défilent en formant une procession altière. Comment entrer plus noblement dans cette belle cité ?
Depuis le quasi achèvement des opérations de rénovation, Bordeaux a retrouvé sa classe et son charme de grande bourgeoise. En débouchant sur le cours Victor Hugo on se croirait un moment sur le Bosphore tant sont présentes les références à la Turquie : bars aux noms exotiques frappés du croissant levantin, restaurants typiques, épiceries et boucheries hallal, femmes quasi inexistantes...
Mais à côté de la ville méridionale s'allongent impassiblement à perte de vue les quais emblématiques des Chartrons. Souvenir de temps où le temps s'écoulait comme les eaux tranquilles du fleuve, et où l'on pouvait voir de ces nobles fenêtres, les gabarres défiler sur ce cours fluide comme autant de repères rassurants d'une industrie paisible, immémoriale, attachée toute entière à l'art de la vie.
Bordeaux avec ses rues piétonnières, ses petites places tranquilles et ses belles esplanades n'est pas trop affectée par les turbulences futiles et les urgences inutiles du monde moderne.
Dans la rue Porte-Dijeaux, la vénérable librairie Mollat continue d'entretenir avec soin ses belles vitrines dont l'encadrement bleu, tout simple, est à lui tout seul déjà apaisant. Quand on songe que Montesquieu habita l'endroit,on est traversé par un frisson indicible. A l'intérieur, de belles grandes salles peuplées de milliers d'ouvrages, sont organisées et rangées impeccablement. Au hasard de mes déambulations, je trouve présentés pour attirer l'oeil du chaland, les inévitables piles des derniers livres prétendument à la mode. Cette accumulation racoleuse a le don de m'énerver prodigieusement et me rebute.
Plus intéressant, un livre invitant aux lectures de Hume, deux titres de Ralph Waldo Emerson, les poèmes de Malcolm Lowry, le Quartet of Alexandria en version originale...
En dépit du plaisir que j'éprouve a y flâner, comme souvent je m'interroge sur l'avenir de tels magasins. Contrairement à la musique qui est désormais très largement véhiculée sous forme de fichiers informatiques, les bouquins restent encore synonymes de papier pour nombre de gens. Il est vrai que les écrans des ordinateurs s'avèrent à ce jour incapables d'offrir les mêmes conditions de lecture, notamment au grand jour, et plus encore au soleil, sur une chaise longue.
Je suis persuadé qu'il ne s'agit que d'un répit. Quoi de plus immatériel que la littérature ? Pourquoi accumuler toute cette paperasse si laborieuse à ranger, à transporter, à déménager ? Les belles reliures sont démodées, les beaux papiers également. C'était pourtant un alibi recevable, mais qu'on ne vienne pas dire que l'odeur ou le toucher d'un livre de poche ou même d'un volume encollé industriellement soit de même nature que les divines fragrances émanant d'un vieux cuir ou du velin.
La dématérialisation a du bon. Elle incitera peut-être le monde de l'édition a plus d'humilité, chassera les marchands cupides et vendeurs de niaiseries du temple de l'art et fera peut-être renaître de ses cendres la notion de mécénat. En tout cas tout est préférable à cette loi HADOPI, bourrée de bureaucratie et de bonnes intentions stériles... Ô mannes de Montesquieu, écartez ces lois inutiles qui affaiblissent les lois nécessaires...
Pour finir, s'agissant de la musique, je ne dédaigne pas le support physique du disque, lorsqu'il est d'un prix abordable. Dans une petite boutique de Saintes, j'ai trouvé deux petites perles que même sur internet j'aurais eu de la peine à me procurer : Nat King Cole chantant en espagnol, un vrai velours imprégné de soleil et de farniente et Pepper Adams dont le saxo baryton n'a rien à envier à ceux de Gerry Mulligan ou de Serge Chaloff, et qui ramène à l'oreille ravie les sonorités détendues de la West Coast, tandis que l'été qui semble vouloir s'éterniser caresse de sa douce chaleur les pêches dans les arbres...

16 août 2009

Tétralogie durrellienne

En littérature, le style c'est l'homme, paraît-il. Que dire du style de Lawrence Durrell ? Lorsque je m'en imprègne par la traduction française du Quatuor d'Alexandrie, je suis envahi par un ravissement absolu. Est-ce la magie d'une écriture tellement belle, qu'elle continue de faire effet, même par traducteur interposé ? Est-ce le talent, rare, de ce dernier, Roger Giroux (1912-1990), d'être parvenu à enjoliver l'œuvre originelle, ou tout au moins à préserver toutes ses qualités, toutes ses nuances et son ineffable fraicheur ? 
Un peu des deux sans doute, mais n'étant pas anglophone suffisamment averti, je ne saurais trancher. Le fait est qu'à chaque lecture de Justine, je suis saisi d'une sorte de vertige extatique. Ce n'est que le premier volet de la fameuse aventure alexandrine, mais il révèle une telle prégnance que les trois autres récits ne peuvent être envisagés qu'à la manière d'éclairages complémentaires. C'est d'ailleurs le but de cette tétralogie envoûtante qui multiplie sur un même continuum, les points de vue. Tout se tient, mais chaque épisode constitue un tout en soi. Tout est relatif. Après tout, sait-on tout de sa propre histoire ? Aimons-nous ceux que nous croyons aimer ?
La force du quatuor d'Alexandrie, est qu'après y avoir goûté on y revient sans cesse. Comme de toutes les grandes créations, on n'en épuise jamais la substance tant ses facettes sont nombreuses, et aussi parce qu'après avoir plongé dans cette matière si dense, on peut y nager à toute profondeur.
On dit de cette somme qu'elle est d'un abord difficile : c'est vrai et c'est probablement en partie à cause de cela qu'elle est belle. Une sorte d'universalité émane de son propos égaré dans le temps, et cheminant librement dans l'espace. Autour des personnages, on virevolte sans contrainte, tantôt comme des papillons capables d'appréhender les détails les plus infimes (les mouvements spasmodiques de l'œil de verre de Scobie), tantôt comme des aigles survolant les infinis les plus complexes (les méandres de la Kabbale). Même s'il sont étincelants, Durrell livre en morceaux son énigme. Charge au lecteur d'en faire une harmonie. Je voudrais faire un livre qui serait libre de rêver dit l'un des personnages écrivains du roman...
La ville égyptienne ne dévoile quant à elle qu'une partie de ses mystères comme une statue antique parle en son langage muet, de temps révolus. Elle se veut à la fois le lieu où se cristallise un doux espoir de syncrétisme spirituel entre les civilisations, et le point de fuite où se rejoignent dans un néant sinistre, le passé et l'avenir.
C'est un fait, ce monde éblouissant, aux couleurs d'or et d'argent, de bitume et de poussière est un monde finissant. Les grondements sourds de la guerre ébranlent ses fondations millénaires. Après avoir perdu son phare, Alexandrie la magnifique s'enfonce dans la médiocrité. Peu à peu ce qui était cosmopolite devient interlope, ce qui relevait de sortilèges se mue en vils stratagèmes. Alexandrie était riche et généreuse, elle devient mesquine et agressive.
Dans ce monde qui s'éteint tout en se radicalisant, les silhouettes altières de Justine, de Nessim, Balthazar, Pursewarden et compagnie se confondent peu à peu avec l'évanouissement général des valeurs et des repères. Au début les caractères et les sentiments semblent clairs. Chaque personnage apparaît à son tour dans la lumière crue de celui qui les crée. Les moindres traits de la personnalité de chacun sont comme disséqués par son regard pénétrant. Mais lorsque le scalpel s'éloigne, les chairs se referment et chaque figure tend à échapper à son maître, pour vivre un destin fluctuant au gré de l'humeur de celui qui les suit.
En dépit de leur caractère insaisissable ces gens sont pourtant profondément attachants, suggérant à maintes reprises les beaux vers de Verlaine :
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant. . .
Ils vivent en nous, et entrent en résonance avec une sorte de mémoire archaïque. Justine par exemple, évoque aussi bien l'éternel féminin, l'image d'une amoureuse romantique ou bien celle d'une hétaïre amorale ou encore d'une machiavélique Mata-Hari. Elle communique à toute chose sa grâce étrange et délicate, sans qu'on sache bien d'où elle la tient ni même s'il s'agit d'une entité tangible : Justine et sa ville se ressemblent en cela qu'elles ont toutes deux une forte saveur sans avoir un caractère réel...
Dans ce livre, les personnages et les lieux sont mêlés si étroitement qu'ils finissent par former un ensemble indissociable. Quatre angles d'attaque ne sont pas trop pour épuiser tous les arcanes de ce microcosme. S'il en avait eu le temps et la force, l'écrivain aurait pu les multiplier à l'infini, jusqu'à obtenir un reflet de plus en plus approchant de la vérité... Mais à quoi bon ? L'élan est donné, à chacun de trouver les prolongements indicibles à cette intrigue ensorcelante pour appréhender la mesure d'une plénitude faite de sagesse et de sérénité.
Pour toutes ces raisons, pour cette écriture limpide et tellement suggestive, pour cette capacité stupéfiante à extraire de réalités triviales des morceaux d'éternité, en un mot pour son style si merveilleux, à mon sens Le Quatuor d'Alexandrie constitue la clé de voute de la littérature moderne et un des chefs-d'œuvres de la littérature universelle
NB :
le site de la revue LIFE qui publie d'intéressantes photos de l'écrivain
Le site Paris Review sur lequel on peut lire une interview datant des années 50 peu après la publication du Quatuor.

10 août 2009

La très chère santé d'Obama




Dans un récent éditorial (3/08/09), la célèbre revue médicale britannique LANCET prend résolument position en faveur du projet de réforme du système de santé américain, que tente de promouvoir le président Obama. Pour défendre sa thèse, le texte, sans auteur, n'hésite pas à prendre des accents rappelant les slogans de campagne électorale : « Yes it can be done ! ».
Cette attitude qui relève davantage d'une démarche politicienne que scientifique est assez surprenante dans les colonnes d'un tel périodique, d'autant que l'argumentation reste théorique voire nébuleuse.
En premier lieu, l'éditorial reprend pour introduire le sujet, le thème classique de l'inflation vertigineuse des dépenses de santé (elles avoisinent en effet les 2500 milliards de dollars par an). Il est rappelé également, mais c'est devenu une vrai scie, que malgré ces provendes fantastiques, le système laisse un grand nombre de citoyens sans couverture maladie, et que sa performance globale est somme toute assez médiocre s'il on en juge par le palmarès de l'OMS (37è rang mondial).
Ce constat de départ n'est donc pas très original, même s'il n'est pas contestable stricto sensu. Une information retient toutefois l'attention : d'après la revue, le tiers des dépenses de santé outre-atlantique est à ce jour absorbé par la bureaucratie supposée gérer le monstre...
D'après le Lancet, le but de la réforme est de garantir une couverture santé universelle et de créer une assurance maladie gouvernementale destinée à « concurrencer » les plans gérés par des organismes privés, pour procurer in fine des soins mieux adaptés à la population.
Mais on voit mal comment la mise en place d'un système de « régulation » sous tutelle gouvernementale pourrait être la solution. A moins de niveler par le bas, de manière purement comptable les dépenses, à la manière du système anglais, ou bien, à la mode française, de faire enfler encore la bureaucratie et de creuser les déficits. Le programme élaboré par Mr Obama est actuellement chiffré à plus de 1000 milliards de dollars sur 10 ans, à la charge de l'Etat Fédéral, actuellement déjà en déficit de 1700 milliards de dollars !
Évidemment, aux yeux des anti-libéraux de tous poils et autres adorateurs de l'Etat Providence, taxer les riches est le moyen le plus facile et le plus « juste », de se procurer cette manne. Comme par hasard c'est celui qu'a trouvé l'administration Obama, qui propose notamment la suppression des déductions pour les dons aux œuvres.
Certaines remarques émises dans l'article ne sont toutefois pas dénuées de fondement. Il est à l'évidence regrettable qu'un aussi grand nombre de personnes soient sans assurance, même si la cause première est tout simplement l'absence d'obligation. On peut également s'insurger contre le système des plafonds de dépenses maladies, mis en œuvre par certaines compagnies d'assurance (« annual or lifetime caps »). Ils conduisent en effet à limiter le montant des remboursements annuels ou même cumulés sur une vie entière ! Ce genre de disposition peut s'avérer très pénalisant pour des patients victimes d'affections exigeant des soins tés coûteux. Si les franchises trouvent une légitimité dans une démarche raisonnée de maitrise des dépenses, de tels plafonds sont difficilement compréhensibles, sauf à définir un "panier» d'affections prises en charge à 100%.

Mais voilà l'Amérique n'est pas la France. Même dans son propre parti, le Président rencontre de sérieuses objections. Elles tiennent bien sûr avant tout à l'énormité des dépenses envisagées. Mais des élus ont également argué qu'il n'y avait pas de rapport évident entre le souci d'améliorer le système de santé et la pénalisation fiscale suggérée, et pas davantage de lien de cause à effet évident entre l'instauration d'un système étatisé et l'amélioration de la qualité des soins et de la couverture assurantielle.