11 novembre 2009

In memoriam Victor Kravchenko

J'ai choisi la Liberté (suite du billet précédent)
UNE JEUNESSE ROUGE
Fils d'un révolutionnaire de la première heure, en lutte dès 1905 contre le Pouvoir Tsariste, Victor Kravchenko (1905-1966) fut littéralement envoûté par son père, qu'il voyait comme un « héros de légende ». De ce dernier, il n'eut pourtant qu'une image assez parcellaire, tant il fut absent du foyer familial, occupé qu'il était à courir les grèves, les manifestations et se retrouvant souvent en prison. Mais pour son fils, à travers sa vie trépidante et ses aventures de rebelle au grand cœur, la première révolution russe (celle de 1905) « s'auréola de toutes les couleurs du roman, et son échec même [lui] parut encore éblouissant et grandiose ».
Il n'est donc pas étonnant qu'imprégné dès son plus jeune âge par ce vent de révolte, il fisse le choix d'adhérer aux komsomols.

En s'enrôlant dans les jeunesses communistes, il se sent comme investi d'une mission : « Ma vie avait maintenant un nouveau but, une nouvelle orientation, une nouvelle et puissante raison d'être : j'allais me dévouer à une grande cause. J'appartenais à cette élite, choisie par l'Histoire, qui devait tirer de l'obscurité le pays et le monde tout entiers pour les éclairer des lumières socialistes. »
Aucun sacrifice ne lui semble alors excessif : « En ma qualité de membre de l'élite, j'avais le devoir de travailler plus dur que les autres, de dédaigner l'argent et de ne poursuivre aucune ambition égoïste. »
En 1924, Kravchenko a 19 ans lorsque Lénine meurt, au moment même où la Nouvelle politique Economique (NEP) instillant un peu de liberté commence à produire quelques effets favorables, hélas bien éphémères : « En faisant entrer le commerce libre dans la légalité, [elle] nous avait valu des centaines de nouvelles boutiques : restaurants, cafés, etc... Avec de l'argent dans sa poche, on pouvait maintenant se procurer tout ce qu'on voulait. »
Son engagement dans l'action amène Victor à être assez rapidement témoin direct de brutalités, commises notamment sur les Basmatchis, ces musulmans d'Asie Centrale que le Tsar avait tenté de soumettre, et qui furent impitoyablement pourchassés et massacrés comme « bandits », par les Bolchéviques. Mais il ne s'en formalise guère, et tandis qu'il est en garnison à Bakou, il observe non sans dédain, certaines coutumes islamiques : « Dans les rues étroites et odorantes des quartiers musulmans, je vis pour la première fois des femmes en paranjas, espèces de linceuls qui les enveloppe de la tête aux pieds, avec un petit voile de crin triangulaire à la hauteur du visage. Ainsi affublées, les femmes n'ont plus de forme : on dirait des sacs qui marchent. »
Pendant ce temps à Moscou, la succession à la tête du Parti est terrible. Staline entreprend d'évincer un par un, tous ses soi-disant camarades. Il se montre sous un jour modéré pour éliminer Trotski, le plus extrémiste, celui qui plaidait pour la radicalisation, la militarisation à outrance et qui prônait l'exportation rapide de la Révolution au monde entier.
Mais sitôt Trotski hors jeu, Staline, totalement dénué de scrupules, fait sienne la politique radicale de son ex-adversaire et parvient à écarter sans peine Boukharine et ses amis, qui peuplaient "l'aile droite" du Parti.
Dès lors la voie est libre pour la réalisation de l'absolu communiste dans sa forme la plus pure, la plus folle, consistant ni plus ni moins, à déraciner « les vestiges de l'économie et de l'état tout entier », et surtout, les vestiges de l'état d'esprit capitaliste, « afin de pouvoir enfin diriger la Russie vers l'industrialisation et le collectivisme agricole ».
 


UN CHAUD PARTISAN
En 1929, Kravchenko, n'a pas vraiment conscience de l'horreur à venir. De son propre aveu, il est « l'un de ces enthousiastes enflammés par les belles idées de liberté et les plans grandioses .»
C'est à cette époque qu'il adhère au Parti Communiste, contre l'avis de son père. Bien que ce dernier eut plusieurs fois l'occasion d'y entrer, il s'y était toujours refusé, comme s'il avait eu quelque sombre pressentiment : « Il ne se sentait aucun goût pour la dictature et la terreur » avoua-t-il tout crûment à son fils, « même enveloppée dans les plis d'un drapeau rouge. »
Le père de Victor fait état de ses craintes, hélas justifiées: « Quels que soient les programmes de chaque parti, ce sera une mauvaise affaire si un seul d'entre eux l'emporte nous aurons alors troqué nos anciens maîtres pour de nouveaux, voilà tout : nous aurons un gouvernement imposé par la force au lieu d'en avoir un qui ait été choisi par la libre volonté. Ce n'est pas pour en arriver là que les vrais révolutionnaires sacrifiaient leur vie. »
Qu'importe les conseils paternels, l'ardent Komsomol y croit encore : « A cette époque, écrit-il, je menais une vie de travail, de luttes et de privations et je m'irritais de voir les Libéraux à la mode d'autrefois critiquer nos efforts sans y participer... »
Cette « rupture avec le passé » qu'il appelle de ses vœux, Victor décide de la vivre pleinement, au service de son pays et de ses nouveaux maîtres. Son zèle est d'ailleurs récompensé, et il va bénéficier de bourses avantageuses pour faire des études d'ingénieur d'abord à Karkhov, puis dans sa ville natale Dniepropetrovsk (même si le Parti contrarie ses aspirations en l'orientant vers la métallurgie plutôt que l'aviation).

PREMIERS DOUTES
Durant ces années, tandis qu'il étudie d'arrache-pied, et que sa vie personnelle s'émaille de quelques liaisons amoureuses sans lendemain, il découvre progressivement la mécanique perverse du régime soviétique. L'industrialisation tout d'abord, qui consacre de manière délirante le règne de la machine et du productivisme : « La machine était devenue une divinité redoutable. Elle avait acquis dans notre pays une espèce de puissance mystique qui s'insinuait dans la vie de tous les jours. »
Paradoxalement
Staline y sacrifie bon nombre de valeurs égalitaristes et transforme sans vergogne la condition ouvrière, déjà peu reluisante, en véritable aliénation : « En juin 1931 il fait un discours qui bouleverse profondément l'industrie soviétique et qui va modifier de fond en comble la vie des ouvriers et des employés d'usines. Ce discours renfermait les fameux six points destinés à augmenter le rendement et dont les plus importants étaient les suivants : calcul au plus serré des prix de revient, direction plus centralisée des entreprises, accroissement des responsabilités en cas d'échec et augmentation de l'écart existant entre les diverses catégories de salaire. »
De fait, les nouveaux nantis deviennent bientôt plus privilégiés que l'ancienne bourgeoisie, tandis que la classe ouvrière se voit totalement méprisée et ravalée ni plus ni moins au rang d'esclaves. Les rythmes de travail sont de plus en plus ahurissants, et tout écart ou tout retard, est sanctionné avec la plus extrême sévérité. Quant au principe de responsabilité, il prend des allures de tragi-comédie : « Une erreur de jugement commise en toute bonne foi ou une expérience technique dont l'application se révélait malheureuse pouvait fort bien être considérées comme des actes de sabotage est sanctionnées par l'exil ou la prison.../.. voilà pourquoi l'horreur des responsabilités paralyse complètement notre gigantesque effort de développement économique. » Souvent ce sont d'ailleurs les lampistes qui endossent les erreurs faites par leurs supérieurs, bien en cour.
Parallèlement tout un système de falsification est mis en place pour galvaniser le peuple et leurrer tous les observateurs de l'expérience socialiste. Le Stakhanovisme constitue une illustration édifiante de cette perversion de la réalité : « Dans toute l'histoire contemporaine de notre pays, il est peu d'événements qui aient déchaîné des applaudissements aussi frénétiques, aussi enthousiastes et aussi soutenus. Il s'agissait là, pourtant, d'un miracle plutôt profane et passablement suspect. Pour tout ingénieur, la fraude sautait aux yeux : Stakhanov avait certainement profité de conditions de travail exceptionnelles et on lui avait sûrement donné des outils spéciaux et des facilités de toutes sortes pour qu'il put établir ce record sans précédent. C'était un miracle fabriqué sur commande pour complaire au Kremlin et lui permettre de lancer sa nouvelle religion : celle de la célérité. »

HOLODOMOR
Pour industrialiser et « moderniser » l'Union Soviétique, le Parti a un besoin impérieux de machines outils. N'ayant d'autre alternative, dans un pays ruiné, que de les acheter à l'étranger, il lui faut trouver des ressources à troquer. Il va les tirer par la force, du monde agricole qu'il va pressurer tout en le collectivisant.
C'est un vrai génocide que Kravchenko va découvrir effaré, alors qu'il est dépêché comme tant d'autres jeunes Communistes dans les campagnes pour "encadrer" cette sinistre opération : « Pour s'assurer que les récoltes seraient dûment moissonnées, pour empêcher les fermiers désespérés de manger leur blé vert, pour que les kolkhozes ne sombrent pas sous une mauvaise gestion, et pour lutter contre les ennemis de la collectivisation, les sections politiques spéciales furent créées dans les villages et placées sous l'autorité d'hommes de confiance du parti : membres de l'armée et des professions libérales, fonctionnaires, étudiants ou membres du NKVD. le comité central du parti réunit ainsi une véritable armée de plus de 100 000 hommes décidés, qu'elle répandit dans les territoires soumis au collectivisme pour veiller à la sauvegarde de la nouvelle récolte. J'ai été parmi ces soldats d'un nouveau genre. »
Tout de suite Kravchenko devine le drame qui commence à se nouer: « On colportait de bouche à oreille des histoires de cruauté incroyable, commises dans les villages à l'occasion de la liquidation des koulaks. De longs trains formés de wagons à bestiaux remplis de paysans traversaient Kharkov, se dirigeant vraisemblablement vers les toundras du Nord : c'était la, encore, une conséquence de la liquidation. »
Sur place il verra que c'est pire que tout. La quasi totalité de la production est rançonnée sans pitié par les émissaires du gouvernement. Non seulement on vole aux paysans le fruit de leur labeur mais on exige qu'ils augmentent le rendement ! La moindre rébellion ou même faiblesse devant tant d'injustice, est qualifiée de sabotage. L'ignoble « loi des épis » permet de condamner à dix ans de camp ou à la peine de mort « tout vol ou dilapidation de la propriété socialiste » !
Soit qu'on les exécute sur place, soit qu'on les déporte, soit qu'ils meurent de faim, c'est un massacre de plus de 6 millions de malheureux que le pouvoir soviétique planifie méthodiquement en Ukraine et dans le Caucase du Nord. A ce jour, beaucoup de pays ont reconnu cet effroyable génocide, connu sous le nom d'Holodomor, mais toujours pas la France...
Kravchenko est abasourdi par cette expérience calamiteuse. Il cherche à aider les malheureux paysans à produire plus, tout en se battant pour qu'on leur laisse de quoi subsister, mais il se sent impuissant, désemparé par tant de cruauté et de mensonges : « Où était la réalité, où était l'illusion ? Était-ce la faim et la peur qui règne dans les villages, les enfants abandonnés – ou bien les statistiques triomphales ? »
Il constate avec dépit que l'objectif de l'égalité universelle promise est bien loin et voit avec rage s'installer la nouvelle Nomenklatura : « la corruption de l'esprit, chez ces privilégiés, avait atteint un degré incroyable ; ces gens qui quelques années plus tôt n'étaient eux-mêmes que de pauvres paysans, avaient déjà perdu tout souvenir de leur condition d'origine. Ils formaient maintenant une caste à part, une clique nettement scindée du reste de la population où chacun s'épaulait l'un l'autre; pratiquement, ils formaient une véritable bande de complices, ligués contre la communauté. »
Il s'étonne déjà de la naïveté avec laquelle le monde extérieur considère l'Union Soviétique : « Des délégations envoyées par des pays étrangers – souvent fort éloignés, telle l'Amérique ou l'Australie – venaient contempler les merveilles du Plan Quinquennal et saluaient les triomphes soviétiques avec un enthousiasme voisin de la frénésie. Comment ces visiteurs étrangers pouvaient-ils bien faire leur compte pour ne voir jamais qu'un seul côté du tableau ? Il y avait là un mystère que nous autres Russes, ne pûmes jamais résoudre. »

SOVIETISATION PAR LA PURGE
A mesure qu'il avance en âge, il découvre l'engrenage monstrueux qui s'est mis en branle au nom de la Révolution, notamment le culte du secret et le quadrillage infernal de la société par un réseau diabolique de délation à tous les niveaux : « La Division Spéciale entretenait des agents secrets dans tous les services de l'Institut et jusque dans les cellules du parti ; le comité du parti, de son côté, possédait dans les cellules ses propres agents de renseignement, dont l'identité était inconnue des chefs de la division spéciale il y avait ainsi des espions qui espionnaient les espions et tout cela formait un inextricable réseau de filets aux mailles enchevêtrées qui se déployaient toujours plus loin et qui engendrait une terreur amplement motivée..../... Nous vivions dans un monde trop rempli d'oreilles et d'yeux invisibles.../... Au sein du parti, il avait un nom, ce mécanisme secret de surveillance et de délation qui supprimait à tout jamais le vieux mur de la vie privée ; on l'appelait la démocratie. »
En dépit de compétences appréciées par les autorités, qui lui vaudront d'être nommé ingénieur dans plusieurs combinats métallurgiques, Kravchenko va payer les doutes qu'il manifeste à certaines occasions, et probablement son trop grand souci de vouloir améliorer la condition de ses compatriotes. De 1936 à 1938, la vague infâme des purges va le concerner de très près et il devient comme des millions d'autres une cible pour les fonctionnaires de la Police du Parti.
Cette période terrible fut annoncée sans détour par les Commissaires du Peuple : après la « réussite » de la collectivisation des campagnes et le « succès » du premier Plan Quinquennal, il fallait désormais liquider les « éléments étrangers », les « ennemis du peuple », les « réactionnaires », qui selon eux, pullulaient encore un peu partout et risquaient de freiner « la marche vers le socialisme intégral et la vie heureuse pour tous. »
Il est difficile de comptabiliser le nombre de fois où Victor, comme tant d'autres, dut se justifier, à toute heure du jour et de la nuit, sans aucune considération pour ses lourdes obligations professionnelles. Dans les sombres bureaux du NKVD, au cours de vraies séances de torture psychique et d'humiliation, il lui fallut se plier à un rituel bien établi : « La première condition à remplir pour conserver sa carte du parti consistait naturellement à fournir la preuve d'une fidélité inébranlable aux directives de sa ligne générale et surtout, un attachement indiscutable au camarade Staline. Que l'on vous soupçonne, si peu que ce fut, d'avoir jamais manifesté la plus légère tendance de déviation, et c'en était fait de vous.
Lorsque le candidat à la « purge » avait victorieusement subi cette première épreuve, on en venait à l'examen de sa vie privée et de ses opinions les plus intimes sur toute chose, ce qui fournissait d'innombrables occasions de l'attaquer publiquement. »
A partir de cette époque Kravchenko perd ses dernières illusions en même temps qu'apparaît en lui une envie de plus en plus irrépressible de fuir l'enfer dans lequel il est contraint de faire bonne figure, ne serait-ce que pour sauver sa peau.
Du reste, il affirme que personne ne prenait au sérieux le spectacle sinistre des grands procès staliniens qui déciment alors les quelques élites qui avait échappé aux précédents massacres : « Je puis certifier que personne, parmi les gens que j'eus l'occasion de rencontrer à Moscou, n'attachait la moindre valeur aux prétendus « aveux ». On comprenait parfaitement que ces malheureux n'étaient que des marionnettes obligées de tenir leur rôle dans une sinistre farce politique, entièrement dépourvue de vraisemblance. Poursuivant l'extermination de ses adversaires personnels, Staline avait réussi à les acculer au suicide. »
La folie exterminatrice n'eut aucune limite. Même les amis les plus proches, ceux sans lesquels la Révolution n'aurait pu s'accomplir, firent les frais de cette défiance monstrueuse. Staline et ses acolytes ne manifestèrent aucun sentiment humain, n'hésitant pas à passer d'abominables marchés de dupes avec leurs infortunées victimes, leur faisant croire qu'ils seraient épargnés s'ils avouaient les crimes imaginaires dont on les accusait : « Pour leur part, les victimes ont respecté les modalités de l'arrangement conclu, mais Staline n'en a rien fait ; de toute évidence, d'ailleurs, il n'en avait jamais eu l'intention. Les exécutions eurent lieu quelques heures seulement après les procès. Boukharine et Rykov moururent debout, en accablant Staline d'injures ; Zinoviev et Kamenev au contraire, s'était traînés en pleurant aux genoux de leurs bourreaux pour implorer leur grâce. »
L'ampleur de ce nouveau génocide dépasse l'entendement : « En 1938 les camps de concentration et les colonies de travail forcé étaient plus florissants que jamais. Parmi les Communistes qui fréquentaient les milieux du Kremlin, on chuchotait que le nombre des condamnés aux travaux forcés dépassait 15 millions, et peu d'années après on l'estimait voisin de 20 millions. »
La clique des complices du tyran se réduisit elle-même comme peau de chagrin : « Au conseil des commissaires du peuple, il ne restait plus que Molotov ; tous les autres avaient été exécutés, emprisonnés ou privés de leurs fonctions. Le Comité Central du parti, qui constitue, théoriquement, le cœur et le cerveau du pouvoir, comprend 138 membres ; quand la super purge eut achevé son œuvre, il ne comptait plus guère qu'une vingtaine de personnes. Des 757 membres du Tzik, qui est le comité central exécutif – on le représente parfois à l'étranger comme le « parlement » de la Russie – quelques douzaines à peine survécurent à la tourmente. »
« Dans toute l'histoire de l'humanité, je ne connais rien de comparable, s'exclame Karvchenko, ne fût-ce que par son ampleur, à cette impitoyable persécution volontaire que l'on fit subir, directement ou par ricochet, à des dizaines de millions de Russes. À côté de Staline, Genghis-Khan lui-même n'était qu'un apprenti, un amateur... C'est une guerre sauvage contre son propre pays et son propre peuple que la clique du Kremlin a mené jusqu'au bout. »
Une fois encore Victor se demande comment le reste du monde peut ignorer ces ignominies : « L'horreur de cette abomination n'a jamais été bien comprise du monde extérieur. Peut-être d'ailleurs est-elle trop énorme pour qu'on arrive jamais à la comprendre. La Russie n'était plus qu'un champ de bataille jonchée de cadavres, parsemé de gigantesques enclos de barbelés ou des millions de misérables prisonniers de guerre peinaient, souffraient et mourraient... Comment l'imagination pourrait-elle concevoir un tableau d'horreur aussi vaste ? »

L'HISTOIRE REECRITE
Plus que jamais, le mensonge devient la règle dans ce royaume de la terreur. Après les crimes de masse, tout est maquillé, travesti, réécrit à la lumière des diktats du Politburo. Même l'Histoire est revisitée de fond en comble : « Staline vient de constituer une commission chargée d'écrire une nouvelle Histoire du Parti. Naturellement, l'histoire va être revue et corrigée ; on aura soin de déformer les faits authentiques afin de les faire cadrer avec les fantasmagories du procès .../... Je ne veux pas dire seulement par là que l'on y falsifiait les évènements ou qu'on y donnait des faits une interprétation nouvelle ; j'entends qu'on y faisait délibérément table rase de l'Histoire proprement dite. Certains évènements étaient purement et simplement supprimés, tandis que d'autres étaient inventés de toutes pièces.. »
Parallèlement à cette gigantesque entreprise de falsification, l'endoctrinement des jeunes générations par l'Etat fonctionne à plein régime : « Comme pour graver plus profondément dans nos esprits la honte de cette imposture, tous les membres du Parti assumant des responsabilités quelconques furent obligés « d'étudier » la nouvelle version qu'on venait de leur offrir. Presque chaque soir, il y avait « cours d'histoire » ; des conférenciers de Sverdlovsk venaient aider leurs collègues de Pervouralsk à enfoncer ces mensonges dans nos crânes. La plupart d'entre nous bouillaient intérieurement, blessés dans ce qui leur restait de dignité humaine. Pourtant, le plus grossier mensonge, à force d'être répété, finit par « prendre » ; Staline le savait bien avant que Hitler ne le découvrit. »
Les derniers restes de liberté sont piétinés, même pour les plus dévoués esclaves de l'Ogre : « Tout communiste désireux de quitter une ville ou une région pour aller se fixer dans une autre, même si son changement de résidence résultait d'un ordre supérieur, devrait attendre désormais une décision formelle de son comité urbain, l'autorisant à se déplacer. Le Parti devenait donc une espèce de prison ; il est vrai qu'on y jouissait d'agréments et de privilèges refusés aux autres occupants de cette prison plus vaste appelée Russie, mais ce n'en était pas moins une prison. »
Cette cage, même dorée pour les plus privilégiés, pouvait toutefois se transformer du jour au lendemain en disgrâce sans appel, et de toute manière avilissait toute dignité : « Comment aurait-on pu conserver la moindre dignité humaine quand le caprice de quelques mandarins moscovites ou le zèle de quelques fonctionnaires du parti ou du NKVD pouvait, à tout instant et sans que rien ne fit prévoir, consommer notre perte ? Comment conserver la moindre trace de respect humain sous l'incessant espionnage de mouchards vulgaires et trop souvent malveillants ? »
Bien qu'il soit parvenu à sauver sa tête, et même à être réhabilité après avoir été suspecté de trahison, Victor se trouve dans un désespoir noir : « Si les années me semblaient si vides, en dépit des événements dramatiques qui les remplissaient, c'est que je vivais dans un néant spirituel absolu. Ayant perdu la foi en la grande expérience, je ne pouvais plus me raccrocher à rien – à rien sinon à mon travail et à l'espoir d'une évasion improbable. »

ALLIANCE ET GUERRE DES EXTREMES
Pourtant il n'avait pas encore tout vu. Une des dernières épreuves et non des moindres qu'il eut à subir, ainsi que tout le peuple Russe martyrisé, fut l'horrible humiliation du rapprochement avec l'Allemagne nazie, organisé sans aucun scrupule par Staline, puis l'atroce guerre qui s'ensuivit.
Sur ce sujet, Kravchenko est catégorique, l'accord Germano-Soviétique n'était en aucune manière une ruse destinée à gagner du temps. Staline, "de bonne foi", crut bon de se rallier à Hitler, de peur qu'un pacte soit conclu entre ce dernier et les pays occidentaux, à l'encontre de l'URSS. La meilleure preuve est qu'il négligea totalement l'hypothèse d'un retournement de situation : « De tous les mensonges répandus par la propagande communiste, le plus honteux, parce que le plus faux, et celui qui voudrait faire croire que Staline mit à profit les 22 mois que lui valut son pacte avec les nazis pour se préparer à leur faire la guerre. Ce mensonge constitue une injure pour des millions de Russes qui souffrirent et moururent précisément parce que ce laps de temps avait été gaspillé. »
En réalité « cette théorie faisait bon marché de l'aspect le plus significatif de l'arrangement conclu entre Staline et Hitler, à savoir l'aide économique considérable apportée à l'Allemagne par la Russie, aide qui priva cette dernière des produits, des matériaux et de la capacité productive nécessaire à ses propres préparatifs de défense. »
En contrepartie de cette pseudo-alliance très chèrement payée, puisqu'elle aggrava la pauvreté des populations déjà privées de tout, il y avait la perspective de pouvoir annexer à bon compte quantité de voisins : Pologne, pays baltes, Finlande, Bessarabie roumaine, Moldavie, tout en rejetant vers l'Allemagne des hordes de communistes qui avaient fui le régime de Hitler et qu'on renvoyait ainsi à une mort certaine, parce qu'ils étaient jugés trop peu fiables par Staline.
En dépit de ces conquêtes faciles, l'armée rouge était en piteux état, dénuée d'armement moderne et sans encadrement digne de ce nom, et Staline ne fit rien pendant le répit qu'il avait obtenu, pour réparer ses forces. Il se consacra à persécuter les régions annexées de la pire manière en y installant sans ménagement le carcan communiste. A cette époque s'inscrit l'affreux massacre de Katyn en Pologne où
sur ordre écrit du Comté Central, périrent, assassinés froidement d'une balle dans la nuque au bord de gigantesques fosses communes, plus de 14.000 officiers et civils au seul motif qu'ils avaient été jugés par principe, anti-communistes.
Lorsque Hilter mit fin à cette comédie grinçante en envahissant brutalement l'URSS en 1941, peu ne fallut qu'il fit main basse sur le pays entier, se livrant au passage au massacre des populations envahies, considérées avec le même type d'a priori hideux, comme communistes, juives ou métèques : « Si notre pays n'avait pas été plus grand que la France, l'ennemi aurait pu nous écraser quatre fois pendant les quatre premiers mois de la guerre. Si notre pays échappa finalement à l'extermination, il ne le dut qu'à l'immensité de son territoire, à ses ressources illimitées en hommes, à l'héroïsme et à l'esprit de sacrifice incroyable du peuple russe, à l'arrière comme au front, et à la possibilité de transférer ailleurs les usines évacuées. »
Staline fut totalement pris au dépourvu par la trahison allemande, et ne finit par remporter la victoire, qu'aidé par les conditions météo qui avaient déjà fait reculer Napoléon, par l'aide occidentale qui afflua massivement après ce revirement, et surtout en transformant une fois encore son peuple en chair à canon : « Malgré notre victoire finale, l'histoire retiendra à la charge du régime stalinien qu'il fut incapable de préparer le pays à l'épreuve qui l'attendait. Ce régime porte la responsabilité de millions de vies humaines sacrifiées sans nécessité et de souffrances inimaginables. Pourquoi la population de Stalingrad ne fut-elle pas évacuée ? Cette négligence de Staline est passée sous silence par ses admirateurs. Pourtant à la date du 1er mai 1943 1.300.000 habitants de cette ville avait succombé à la faim et au froid et ceux qui survécurent porteront jusqu'à la fin de leurs jours les stigmates de souffrances effroyables qu'ils endurèrent pour un siège qui dura trois hivers consécutifs. »
Les dirigeants soviétiques comme à leur habitude pratiquèrent lors de leur retraite initiale, la politique de la terre brûlée : « Staline avait ordonné que tous les biens qu'on ne pouvait emporter au cours de la retraite devaient être « détruits sans exception ». Ce n'est pas un secret aujourd'hui que nombre de paysans et de citadins se refusèrent à exécuter cet ordre et s'y opposèrent parfois par la force et dans le sang. Les destructions furent effectuées surtout par les forces armées, et non par les civils. »
Dans le même temps, il dépêcha sur le front des unités spéciales du NKVD chargées d'éliminer sans pitié tout défaitiste et naturellement tout déserteur : « Que de fois nous vîmes des camions de déserteurs sortir des prisons, escortés par des Tchekistes ! Il est probable qu'on les conduisait dans quelque endroit écarté où l'on procédât à leur exécution en masse. Ils avaient les cheveux coupés ras, les visages d'un gris terreux ; c'étaient des misérables, hâves et tremblant dans leurs uniformes déchirés. Je sais de source sûre que la proportion des désertions chez nous était extrêmement élevée. »
Il est quasi impossible de chiffrer précisément les pertes occasionnées par la guerre, à cause avant tout des erreurs, des manigances, et de la poursuite infernale de l'épuration, ordonnées par les dirigeants soviétiques. Plusieurs dizaines de millions de personnes assurément.
En tout cas Kravchenko est formel : « J'affirme, une fois de plus, que la justification que l'on se plaisait à fournir du pacte conclu avec les nazis, à savoir la possibilité de gagner du temps, ne fut pas autre chose qu'un conte de fées, un mensonge pur et simple, accrédité par une propagande cynique. »


EPILOGUE
Là s'arrête le récit. En 1943, alors que la guerre fait rage, Kravchenko, qui était devenu haut fonctionnaire au Snovarkom, c'est à dire quelque chose comme le conseil des ministres, reçut un jour, l'ordre de se rendre aux USA, en « voyage d'affaires », tous frais payés par le Commissariat au Commerce Extérieur.
Pendant de longs mois il n'osa y croire, tant les formalités furent laborieuses pour concrétiser ce rêve. A nouveau il dut répondre à des multitudes d'interrogatoires et d'enquêtes fouillant son passé, à des tombereaux de consignes et de recommandations à propos de l'abîme de "pourriture capitaliste" où le Parti l'envoyait. Naturellement, à l'objectif officiel de négocier les fructueux prêts-bails que l'Amérique consentait un peu naïvement à l'URSS, s'ajoutait peu ou prou la tâche d'espionner le faux ami : « Apprenez donc tout ce que vous pouvez apprendre, observez toutes choses – et ne donnez rien en échange. »
Victor Kravchenko au moment de quitter son pays, sait qu'il ne le reverra jamais. Il sait qu'à la suite de son évasion, sa famille, ses amis, son entourage professionnel risquent de faire l'objet de persécutions. il sait aussi que même passé à l'Ouest, il sera poursuivi, traqué sans relâche par les sbires du NKVD. Il sait enfin qu'il aura peut-être du mal à convaincre les Occidentaux du bien fondé de son témoignage. Mais il sait aussi que la chance ne se présentera pas deux fois. Sa décision est prise, irrévocable. Il ne peut supporter davantage la comédie qu'il est par la force des choses, obligé de jouer pour subsister, et il est trop conscient que d'un jour à l'autre, à la moindre faute, il peut être déchu. Il faut enfin qu'il révèle l'atroce vérité, ne serait-ce que par respect pour son peuple meurtri, et pour servir un peu, la mémoire des millions de victimes.
Son livre, publié aux Etats-Unis en 1946, va être un best-seller. Pourtant, comme il le craignait, il fit l'objet d'une certaine incrédulité, voire d'une franche hostilité. Tristement la France est le pays qui lui réserva le plus mauvais accueil. Le Parti Communiste qualifia de tissu de mensonges le récit, insinua qu'il n'était pas de lui mais qu'il émanait d'une cellule de propagande américaine ! Non contents de ces ignobles accusations, de nombreux intellectuels trainèrent dans la boue l'auteur disant tour à tour qu'il était ivrogne, violent, menteur, traitre à sa patrie, déserteur, pour conclure qu'il ne savait de toute manière pas écrire ! Le procès que leur intenta Kravchenko en 1949, donna lieu à un déluge de mauvaise foi. Bien qu'il le gagna, il n'obtint pas de réparation significative et l'intelligentsia d'inspiration marxiste-léniniste put continuer à parader dans les médias en ânonnant à tous vents sa funeste dialectique. En 1953, ces mêmes intellectuels se répandirent en louanges au sujet du "Petit Père des Peuples" qui venait de passer enfin, et vraiment, l'arme à gauche... Et d'une manière générale, bien qu'il céda peu à peu du terrain, le Socialisme put continuer d'asservir quantité de peuples à travers le monde...
Aujourd'hui encore ce destin incroyable est sous-estimé et la leçon largement occultée. Le livre n'a jamais été réédité ce qui est un vrai scandale compte tenu de son apport historique majeur. C'est bien le moins, au moment où l'on commémore la fin de cette insondable monstruosité qu'est le Communisme, que de rendre hommage à ce héros qui lui porta tout seul, avec une audace inouïe, la première vraie attaque.
On sait désormais que tout ce qu'il a raconté est vrai, même si la réalité est sans doute plus noire encore que le tableau qu'il en fit. Et puis sa lecture est facile, car contrairement aux calomnies, Kravchenko qui manifesta d'ailleurs ce talent très tôt, savait parfaitement écrire. Même traduit deux fois (
en anglais d'abord, puis en français par Jean de Kerdéland) son propos est d'une puissance descriptive rare.
Pour achever cette analyse, il paraît important de lui donner une dernière fois la parole sur un point essentiel. Bien que cette aventure concerne l'époque stalinienne de « l'édification du Socialisme », il serait vain de faire peser l'entière responsabilité du sanglant désastre sur celui qui se fit appeler « l'Homme d'Acier ». En réalité, il incarna la version la plus pure, la plus aboutie, la plus déterminée de l'Homo Communistus. Derrière son ombre maléfique c'est bien sûr celle d'un système qui se profile. Puisse un jour le bon sens et l'esprit de liberté, enterrer définitivement ces abominables constructions de l'esprit, au nom desquelles par principe, on se croit autorisé à martyriser les êtres humains :
« En Russie même, j'avais souvent remarqué cette tendance à rejeter sur un seul homme la responsabilité de tant de morts, mais cet état d'esprit était encore plus répandu aux États-Unis. Le malheur, c'est que ces horreurs sont inhérentes au système soviétique lui-même et que ce système, bien certainement, ne mourra pas en même temps que Staline. Un autre dictateur lui succédera – une nouvelle clique de dictateur... »
***
Il ne croyait pas si bien dire. La liste est longue des applications calamiteuses de cette idéologie meurtrière. En 1949 précisément, était proclamée l'horrible République Populaire de Chine, le rideau de fer s'étendait en isolant toute l'Europe de l'Est, puis la Corée du Nord. En 1959 c'était la révolution cubaine, puis le tour du Vietnam, du Cambodge... La plupart des dictatures africaines soi-disant socialistes laïques s'inspirèrent des mêmes principes et méthodes : Algérie, Libye, Syrie, Irak, Zimbabwé... On oublie enfin un peu facilement que le régime nazi lui-même, ne revendiquait rien d'autre que le national-socialisme...
Par un curieux paradoxe enfin, les rares fois où à l'occasion d'évènements sanglants l'expérience socialiste avorta (Espagne, Chili), les pleureuses bien-pensantes,
affreusement myopes et partisanes, mais tranquillement à l'abri dans les démocraties occidentales, prirent sans nuance, fait et cause pour ceux qui prônaient le marxisme-léninisme...

09 novembre 2009

Celui qui le premier, troua le mur

Au moment où l'on commémore les vingt ans de la chute du Mur de Berlin, je termine la lecture de l'ouvrage de Victor Kravchenko : « J'ai choisi la liberté ».
Sous titré « Vie publique et privée d'un haut fonctionnaire soviétique », il raconte l'épopée hallucinante du premier dissident à passer à l'Ouest en 1943, en pleine guerre mondiale. A 38 ans sans arme ni bagage mais avec au fond de lui un terrible et définitif dégoût pour le prétendu Paradis Socialiste.
Cette aventure est fascinante car elle émane de quelqu'un qui vécut la Révolution de 1917 avec enthousiasme; qui crut de toutes ses fibres au monde meilleur, plus juste et plus libre, promis par les Bolchéviques. Il se rendit certes rapidement compte des nombreuses exactions qui entachaient dès le début le bel idéal, mais il voulut croire un temps, qu'il s'agissait d'inévitables excès d'une transition climatérique. Hélas, par un paradoxe cruel, à mesure qu'il progressait dans la Nomenklatura, grâce à ses talents personnels, il prenait douloureusement conscience des horreurs commises au nom de la Justice Sociale. Devenu ingénieur métallurgiste, et gratifié pourtant de fonctions enviables, il perdit peu à peu la foi. Bien qu'il ne ménagea pas sa peine pour contribuer à l'édification du nouveau monde communiste, et en dépit d'une attitude irréprochable vis à vis du Parti, il éprouva lui-même à plusieurs reprises le zèle inquisiteur du NKVD. Pourtant, mu par l'énergie du désespoir, il parvint à se hisser jusqu'au saint des saints de la hiérarchie bureaucratique, à savoir le SovnarKom. C'est précisément grâce à cette promotion qu'il put enfin s'échapper, à l'occasion d'un voyage aux Etats-Unis, organisé par le Commissariat au Commerce Exterieur.

Avant d'en arriver là, le parcours fut semé de désillusions, de frustrations, d'embûches, de pièges mortels, de peurs vertigineuses, de cauchemars horribles dont il réussit à s'affranchir comme si le destin lui avait donné une bonne étoile, afin qu'il racontât l'un des plus dantesques enfers créés par l'Homme.

A suivre...

22 octobre 2009

Autumn Blues

L'automne qui dépouille les arbres de leurs doux limbes verts, l'automne qui rouille les feuilles avant de les précipiter dans la fange humide, en chutes erratiques, l'automne qui découvre la dureté ligneuse des troncs comme on le ferait cruellement d'une blessure jamais cicatrisée, l'automne me met au supplice en imprégnant l'air, les jours, et l'existence, de ses miasmes languides. A celui qui ne peut repousser ce déclin navrant, qui ne peut espérer comme les ours pouvoir s'endormir au creux des dernières chaleurs en attendant le retour des beaux jours, ou bien la concrétisation de quelque suave espérance, il reste la consolation du Blues.

Celui de Lester Young (1909-1959) par exemple qui aurait cent ans cette année et qui s'est éteint il y en a tout juste cinquante. Son regard perdu dans l'indicible, son élégante et nonchalante dégaine, et son apparent détachement des choses matérielles continuent d'imprégner l'idée même du jazz. Sa gentille ombre tutélaire nimbe d'un voile discret d'émotion toute musique nourrie de son inextinguible génie. Les disques qui retiennent pour l'éternité les fragiles volutes de son saxophone sont autant de trésors opportuns pour les jours où l'âme se sent affligée. Avec Count Basie, Teddy Wilson, Roy Eldridge, Harry Edison, Oscar Peterson et tant d'autres il sema tant de pépites au long de sa vie chaotique mais illuminée...

Evidemment les plus émouvantes traces sont celles qu'il laissa en chansons avec son délicieux double féminin, celle qu'il surnomma Lady Day tant elle sublima la noirceur et l'obscurité du Monde. Billie Holiday (1915-1959) n'est jamais loin quand on évoque Pres, qui fut son si cher ami, son tendre complice en spleen. Si proches étaient-ils que par un hasard étrange, elle le suivit quasi instantanément sur le chemin de l'éternité, et que leurs souvenirs sont désormais indissociables dans l'esprit de tous ceux qui sont familiers de cet étrange sentiment qu'on appelle le blues. Last Recording enregistré au moment même ou Lester Young disparaissait, reste un des plus poignants témoignages de cette épopée.

Tant que je suis à la nostalgie, s'imposent à moi à l'occasion de l'achat de leurs derniers disques, les noms de deux artistes trop tôt disparus. Dans l'histoire du rock, peu de voix resteront aussi touchantes que celle de Rick Danko (1942-1999), bassiste du groupe The Band, qui accompagna jadis Bob Dylan et continua sous son propre nom une belle carrière ponctuée entre autres par la session légendaire The Last Waltz. Personnage discret, d'une gentillesse proverbiale, Rick fut malgré son grand talent un éternel insatisfait, et pour échapper aux angoisses de l'existence, parsema hélas comme beaucoup d'autres, sa vie d'excès désastreux. Autant dire qu'il se suicida à petit feu. L'album Times like these réalisé en 1999 l'année de sa disparition, est un peu son chant du cygne. Réalisé en collaboration avec de nombreux amis, il contient un lot de ballades attachantes parfois composées par lui-même parfois en association (Tom Pacheco, Bob Dylan, Jerry Garcia...) et toujours interprétées avec de vibrantes intonations, révélatrices d'une grande profondeur d'âme et d'inspiration (Times Like These, Sip The Wine, You Can Go Home...). Remarquablement mis en musique cet opus est empreint d'une chaude nostalgie. Un vrai petit trésor, rare, humble mais à coup sûr durable, comme la voix douce d'un ami qui s'épanche et tente de conjurer les misères de la vie...

Enfin, last but not least, le tout dernier enregistrement de Jeff Healey (1966-2008) : Mess of Blues Aveugle quasi de naissance, la faute à une affreuse tumeur de la rétine, il sublima sa malédiction en devenant guitariste et en mettant au point une technique extrêmement personnelle consistant à coucher l'instrument sur ses genoux comme une lap-steel guitar et à effleurer les cordes du bout de ses doigts. Cela lui permit de s'élever au plus haut de cet art ô combien difficile même pour un individu doté de tous ses sens. Il donna la réplique entre autres à Stevie Ray Vaughan sans avoir rien à lui envier. Hélas malgré une énergie hors du commun et un optimisme à toute épreuve il fut rattrapé par la maladie dans laquelle son existence était décidément tragiquement enfermée. Ce disque émouvant, car réalisé au seuil d'une mort prématurée, donne la mesure de son exceptionnel talent et sa grande sensibilité. Faisant alterner rocks haletants (Mess of Blues, It's only money, Shake, Rattle and Roll), ballades country (The Weight repris du Band, et Like a hurricane de Neil Young) voire cajun (Jambalaya de Hank Williams), et de beaux blues pulpeux (I'm torn down, How blue can you get, Sittin' on the top of the world), il témoigne d'un art parfaitement maitrisé. Il est accompagné par une section rythmique très pêchue et aux claviers, Dave Murphy particulièrement en verve. Un vrai chef d'œuvre de style et d'émotion.

Autumn : A Dirge Percy Bysshe SHELLEY (1792-1822)

The warm sun is falling, the bleak wind is wailing, The bare boughs are sighing, the pale flowers are dying, And the Year On the earth is her death-bed, in a shroud of leaves dead, Is lying. Come, Months, come away, From November to May, In your saddest array; Follow the bier Of the dead cold Year, And like dim shadows watch by her sepulchre.

The chill rain is falling, the nipped worm is crawling, The rivers are swelling, the thunder is knelling For the Year; The blithe swallows are flown, and the lizards each gone To his dwelling. Come, Months, come away; Put on white, black and gray; Let your light sisters play-- Ye, follow the bier Of the dead cold Year, And make her grave green with tear on tear.

14 octobre 2009

Des mots qui font mal


Mathieu Kassovitz prend la tête des enfonceurs de portes ouvertes. Pas plus tard que la semaine dernière, il se plaignait devant le micro complaisant de Daniel Picouly, d'avoir été mis à l'écart le malheureux, depuis ses sorties à propos du 11 septembre chez Frédéric Taddei, moins d'un mois auparavant.

Mais qu'a-t-il donc à dire de si intéressant sur ce sujet décidément fertile pour les soi-disant vigiles de l'Information vraie ?
Eh bien, qu'il doute de la véracité de la « version officielle » expliquant les attentats du World Trade Center. Et qu'il se demande s'il s'agit vraiment d'un acte fomenté par des terroristes islamiques. La belle affaire. On connaît trop le refrain de ces gens qui tout en faisant mine de s'interroger, insinuent depuis huit ans que ce que le monde a pu voir dans toute son horreur, ne serait peut-être bien qu'une illusion. Avec des arguments ahurissants, allant jusqu'à remettre en cause les évidences les plus flagrantes.
Le plus grave dans ces élucubrations est ce qu'elles sous-entendent vis à vis de l'Administration Américaine. Puisque les faits sont contestés alors qu'ils ont été vus de tous, puisque la revendication de ce carnage par Ben Laden en personne ne suffit pas à désigner les coupables, puisque le démantèlement de quantité de réseaux aboutissant tous à la même origine ne parvient à convaincre les nouveaux Saint-Thomas, et puisque les conclusions du rapport de l'indépendante Commission Nationale sur les Attentats Terroristes contre les Etats-Unis ne sont pas prises aux sérieux par ces entêtés, quelle serait donc la réalité selon eux, et qui donc aurait pu commettre une telle ignominie ?
Si l'accusation n'est jamais portée crûment, elle est suggérée avec tant de force qu'elle paraît évidente. L'hypothèse d'un effroyable complot ourdi par le chimérique complexe militaro-industriel américain, associé à la CIA et à la famille Bush, à seule fin de se donner les raisons d'envahir l'Afghanistan et l'Irak, apparaît en filigrane de tous ces discours nauséabonds dont nous sommes abreuvés, au point qu'ils finissent par occulter complètement la fameuse version « officielle ».

M. Kassovitz, cinéaste politiquement engagé, n'est pas ce qu'on pourrait appeler un parangon d'objectivité ou d'impartialité. Il a bien le droit de dire ce qu'il veut après tout en démocratie, d'autant que le ridicule ne tue pas et que, comme il le dit lui-même en citant Goebbels, « les mensonges, plus c'est gros, plus ça passe »... Mais il dépasse quand même les bornes lorsqu'il se dit stigmatisé pour ses opinions, et surtout lorsqu'il prétend être offensé par les allusions au révisionnisme, adressées à sa vision du 11 Septembre.
Lui qui ne se gène pas pour faire des insinuations relevant de l'outrance, pourrait faire preuve d'un peu de fair play lorsqu'on lui renvoie la balle.
Que fait-il donc, lorsqu'avec des références à peine voilées au pratiques du régime hitlérien, il accuse l'administration Bush d'avoir agité des dangers imaginaires et instrumentalisé la peur, pour souder le peuple, asseoir un pouvoir abusif et entamer des guerres ?
Que fait-il lorsqu'il suggère qu'un certain nombre des victimes du 11 septembre n'existent « peut-être » tout simplement pas (aucun avion sur le Pentagone ?). Que fait-il lorsqu'il dit que les autres malheureux auraient « peut-être » fait les frais d'horribles agissements de leur propre gouvernement ?

Lorsqu'on l'attaque, M. Kassovitz joue les vierges effarouchées en se réfugiant derrière son statut de descendant des victimes de la Shoah. Il pourrait donc se permettre tous les abus de langage, tout en étant, lui, intouchable. C'est un peu facile. N'insulte-t-il pas la mémoire des morts et les familles éplorées, au moins autant que le font les Négationnistes auxquels il ne veut surtout pas être assimilé ?
Si l'on se lance dans la polémique, il faut savoir être beau joueur et accepter les coups en retour. Ça n'est pas le fort de M. Kassovitz manifestement.

Le jour où il relança chez Frédéric Taddeï le débat à propos du 11 septembre, un invité ne s'exprima qu'avec parcimonie. Il s'agit de l'écrivain d'origine albanaise Ismail Kadaré. A la fin de l'émission, il se contenta de préciser pour sa part, qu'il était totalement insensible à ce qu'il considérait comme de la propagande anti-américaine, l'ayant tant entendue rabâchée durant quarante ans, par le régime communiste...

12 octobre 2009

Prédominance du crétin


Le titre de mon billet d'aujourd'hui fait référence à celui, épatant, du pamphlet publié par le malicieux duo Fruttero et Lucentini dans les années soixante-dix. L'actualité paraît plus que jamais leur donner raison.
Le qualificatif ne s'applique pas naturellement à des personnes en particulier mais à un état d'esprit ambiant. Que de bavardages oiseux, que d'encre gaspillée, que de salive bavée en vain ces derniers temps...
A tout seigneur tout honneur, l'attribution du prix Nobel de la paix à Barack Obama. Le cher homme n'y peut rien mais quant au Comité, il achève de décrédibiliser son entreprise déjà très amoindrie. Après avoir récompensé Al Gore pour ses prédictions ronflantes sur le réchauffement climatique, ces pontifes calamistrés de la Bonne Action, décident de porter aux nues par anticipation un Chef d'Etat en début d'exercice avant qu'il n'ait rien fait d'autres que de beaux discours. Comme si la distribution des prix avait lieu dès la rentrée des classes sur les déclarations d'intention des élèves !
Avec le festival de Cannes qui s'est fait une spécialité d'honorer les navets du conformisme, le Nobel de la Paix est vraiment devenu le symbole même du crétinisme contemporain.
Le plus navrant est que le Président américain accepte ce boulet doré dont il n'a vraiment que faire en la circonstance. Il lui eut été si facile de décliner la récompense après moults remerciements et de proposer de redistribuer la manne financière au Peuple Américain qui a le mérite de l'avoir porté si audacieusement au poste qu'il occupe...
A côté de ce modèle, les autres évidemment font figure de nains.
Alain Juppé par exemple, qui se manifeste tout à coup à l'opinion dans une interview au vitriol destinée à dézinguer bruyamment les récentes initiatives de Nicolas Sarkozy. L'abolition de la taxe professionnelle par exemple, qu'il juge stupide
«C'est tout de même se foutre du monde» s'est-il écrié aux Journalistes de Sud-Ouest la semaine dernière. La réforme des Territoires, et notamment l'élection des conseillers territoriaux ensuite, (je ne savais même pas que cela existait...) dont l'objectif selon lui «quelque peu démagogique, est de diminuer le nombre d'élus ; ce qui fait toujours plaisir...».
Bref un beau petit pavé dans la mare. Sauf que deux jours après, il fait acte de contrition en s'excusant publiquement et en revenant sur la forme et le fond de la quasi totalité de ses déclarations guerrières : «Sur la forme, j'ai utilisé sans doute une phrase excessive et si elle a offensé le Président (de la République), je le regrette très sincèrement et je le lui ai d'ailleurs dit hier au téléphone». Sur le fond il se félicite désormais de ladite reforme des territoires qui « va dans la bonne direction et (qui) va permettre de rapprocher les départements et les régions », et ne juge pas si bête la suppression de la taxe professionnelle, du moment qu'elle est compensée...
Et dire que j'ai été censuré par le Figaro sans doute pour avoir qualifié l'ancien premier ministre de plus "bureaucrate des bureaucrates de droite » et dit de ses réformes, que même les Soviétiques n'auraient pas osé les faire (pourtant n'avait-il pas affirmé lui, qu'il avait eu l'audace de voter pour Alain Krivine en 1969...)
Le psychodrame Polanski-Mitterrand secoue le landerneau médiatique. Un vrai festival. Ce n'est pas tant sur l'origine de ce petit scandale qu'il y aurait à dire. Certes, l'arrestation d'un vieux cinéaste pour un délit commis il y a plus de trente ans, paraît quelque peu extravagante. Mais ni la justice suisse ni l'américaine ne mérite le torrent d'imprécations qui s'abat tout à coup sur elles. Le péquin moyen, fut-il ministre de la culture en France, ne peut prétendre connaître tous les tenants et les aboutissants de cette lamentable affaire. C'est devenu une manie de remettre en cause toute décision de justice et d'en débattre sur la foi de rumeurs sur la place publique, et c'est prodigieusement énervant.
Le plus détestable est l'hypocrisie de certaines arguties commises à cette occasion. La manière notamment d'user d'artifices sémantiques oiseux pour justifier certains agissements. M. Polanski a reconnu avoir eu des relations sexuelles avec une jeune fille de 13 ans. On a beau dire qu'elle en faisait davantage, que le milieu d'Hollywood est spécial, qu'il ne l'a pas brutalisée, le fait est là : avoir des relations avec une enfant de 13 ans lorsqu'on en a 42 relève a priori du viol et de la pédophilie réunis. M. Polanski s'est soustrait à la justice qui aurait pu lui trouver des circonstances atténuantes. Il a pris ses risques. On a vu ce qu'a enduré de son côté Michael Jackson pour quelques prétendus attouchements dont il a été finalement blanchi. Peu de gens se sont émus du drame qu'il a du vivre suite à de fausses accusations.
Quant à M. Mitterrand, il a sans doute oublié qu'il représentait l'Etat français. Il était très mal placé pour s'élever contre la procédure judiciaire qui touche aujourd'hui Roman Polanski. Au surplus son bouquin, ressorti cruellement pour la circonstance, aggrave effectivement les choses. Le titre à lui seul « La Mauvaise Vie » distille un parfum de canaille. Quant aux faits qui y sont décrits, chacun les jugera à l'aune de sa propre morale, il paraît néanmoins un peu jésuite lorsqu'on en a fait un étalage aussi complaisant, de se prétendre farouchement opposé au tourisme sexuel, tout comme il est un peu culotté de suggérer pour sa défense, que les prostitué(e)s sont par hypothèse forcément consentant(e)s, notamment en Thaïlande...
En matière de justice, le grand déballage qu'est devenu depuis plusieurs mois l'affaire Clearstream, n'est pas moins ridicule. Confusion, rumeurs, accusations précipitées, renversement des rôles, tout cela est méprisable. D'autant que l'affaire risque fort de se terminer comme souvent en eau de boudin...
Enfin le nouveau M. Prudhomme de l'Ecologie, à savoir Nicolas Hulot y va lui aussi de son petit film. Après les superproductions d'Al Gore et de Yann Arthus Bertrand ça sent un peu le réchauffé (si l'on peut dire). Il est vraiment dommage que cet amoureux de la nature qui sait faire de si belles images se discrédite en montrant de manière aussi solennelle, qu'il est assez sot pour prendre ses désirs d'enfant pour des réalités. C'est toujours une épreuve que de voir de gentils niais se transformer progressivement en sévères doctrinaires à mesure qu'on augmente l'attention qu'on porte à leurs enfantillages. Ils s'enhardissent, se prennent au sérieux, transforment leur doux délire en théorie et finissent pas y croire si fort qu'ils voudraient y soumettre l'univers entier. Les idéologies commencent hélas souvent comme ça. Au début il s'agit de belles idées, puis elles s'accompagnent d'exhortations à un monde meilleur, lesquelles prennent une tournure de plus en plus radicale. Au bout du compte tout cela envahit le champ du politique et débouche sur des contraintes, des taxes, des impôts, des lois, et après ?
Juste un mot pour finir sur Valery Giscard d'Estaing et son inénarrable nouveau roman « La Princesse et le président ». Le sujet est certes plus léger, mais tout de même, un ancien Président de la République ! A son âge ! Avec son bel habit d'Académicien ! Se commettre dans une littérature aussi imbibée d'eau de rose. Il y a des limites... Et pourquoi donc tout ce foin autour de ce gargouillis sénile ? On ne sait s'il faut prendre tout ça au premier degré, mais au second c'est encore plus difficile...

10 octobre 2009

Un Moghol très libéral


Je ne connaissais pas bien l'histoire de l'Inde. J'avais vaguement entendu parler de la dynastie des Moghols mais j'étais loin de réaliser qu'ils étaient les artisans de l'unification en un seul gigantesque pays, de la multitude de petits royaumes belliqueux qui s'étendaient jusqu'au XVè siècle d'Ouest en Est, entre le Sind et le Bengale et du Nord au Sud entre le Cachemire et le Dekkan. Je n'imaginais pas non plus que l'islam avait très largement inspiré tous ces conquérants.

J'ai découvert une partie de cette aventure fortuitement, grâce à un film indien récent prêté par un bon ami.
Issus des studios de Bombay (communément désignés du nom de Bollywood), ce long métrage, de plus de 3 heures, est une excellente surprise. Réalisé par Ashutosh Gowariker il démontre la grande maitrise acquise dans le 7è art par l'Inde et la puissance narrative impressionnante de certaines réalisations, quasi impensable désormais en Occident.
La magnificence des images est absolument époustouflante et colle littéralement le spectateur à son siège. La mise en scène au cordeau déroule de spectaculaires scènes de bataille à dos d'éléphants, et montre un univers chatoyant, fait de foules colorées, de costumes chamarrés et de palais rutilants. Les décors sont évidemment très chargés, mais ils gardent toujours une esthétique de bon goût et de très grande classe.

Le récit, épique et passionnant, relate le règne d'un monarque surprenant, Jalaluddin Muhammad Akbar (1542-1605). Septième descendant de Tamerlan, musulman comme ses prédécesseurs, et grand conquérant, il fut surtout un puissant rassembleur et un souverain très éclairé. Il manifesta notamment une ouverture d'esprit assez extraordinaire pour l'époque. Après la régence brutale de Bairam Khân, il accéda au pouvoir à 18 ans après s'être débarrassé de son encombrant et rétif mentor. Dès lors, il entreprit une œuvre fabuleuse, faisant en quelque sorte écho à la Renaissance qui éclatait à la même époque en Europe.
Il commença par réduire les rébellions permanentes des tyranneaux alentour (Bihar, Bengale, Goujerat, Balouchisthan, Sind, Orissa), scella une forte unité avec les autres plus sensés (Rajasthan), et institua un gouvernement fort mais décentralisé. Avec l'aide de conseillers judicieusement choisis, il créa des institutions solides, mit sur pied une brillante politique économique qui amena la prospérité à son royaume. Surtout, il fut attentif à la diversité des populations qui constituaient son empire. En matière religieuse tout particulièrement, il institua la liberté de culte, interdit les conversions forcées, les circoncisions rituelles avant que l'enfant n'ait atteint un âge lui permettant de donner son avis (12 ans), et mit fin aux impôts qui frappait les pèlerinages non musulmans. Il proposa même une sorte d'incroyable syncrétisme spirituel autour des valeurs de plusieurs religions : islam, hindouisme, christianisme, Jainisme, boudhisme, Zoroastrisme, resté sous le nom de
Din-I-Ilahi.
Se heurtant à la rigidité des traditions il fut confronté comme dans tout grand drame historique, à des trahisons au sein de sa propre famille et dut affronter vers la fin de sa vie les révoltes de son propre fils, qui allait lui succéder à sa mort.

Le réalisateur choisit de faire de l'union - très politique - d'Akbar avec la princesse Jodhaa, hindoue d'origine rajput, le centre de l'intrigue. Il en fait une belle histoire d'amour associant avec bonheur, tact, pudeur et noblesse des sentiments. Les acteurs de cette fresque étonnante sont très bons, et les deux héros sont au surplus d'une beauté radieuse. Leur jeu n'a rien d'outrancier ou de stéréotypé, bien au contraire. A voir absolument pour la splendeur du spectacle et une vision originale et très réconfortante de l'islam.

04 octobre 2009

Les mystères de l'islam


Monsieur Tarik Ramadan a de l'éloquence. Une éloquence si policée qu'elle lui vaut d'être régulièrement invité sur les plateaux télés où l'on évoque ce dont tout le monde se doit de parler et d'une manière générale tout ce que la marmite médiatique fait bouillonner. L'Islam étant devenu depuis un certain nombre d'années un sujet d'actualité brûlant, Tarik Ramadan est désormais quasi chez lui à la télévision. Bien qu'il soit citoyen suisse, il n'est pas de Talk-Show qu'il n'ait fréquenté en France. Il y jouit d'une aura étrange. Alors qu'il se présente comme Professeur en Etudes Islamiques, ce qu'il serait tentant de traduire par théologien ennuyeux dans notre société portée à la jouissance matérielle immédiate, il fascine les auditoires par un indéniable charisme. Il est brillant, si brillant qu'on peine parfois à connaître le fond de sa pensée, nichée derrière l'éclat d'une dialectique bien huilée mais un tantinet alambiquée.
Régulièrement accusé de manier un double langage, il déboute le plus souvent ses détracteurs avec un mélange d'aisance et de naturel confondants, ayant pratiquement réponse à tout, sans jamais une once d'énervement. C'est assurément une qualité, et la pondération de ses propos tranche avec le radicalisme arrogant derrière lequel l'islam se manifeste trop souvent de nos jours. Mais le débat très civilisé auquel il invite est-il en prise avec la réalité ?
En d'autres termes s'agit-il de louables intentions au service d'un objectif pragmatique ou bien d'une casuistique lénifiante destinée à faire écran de fumée pour de plus troubles desseins ?
On peut certes gloser sur la nature des religions, sur leurs aspirations morales, philosophiques ou mieux encore métaphysiques. Entre gens de bonne éducation c'est toujours passionnant. Mais cet aspect des choses constitue-t-il la vraie problématique religieuse dans le monde contemporain ?
Personnellement j'en doute, constatant avec tristesse un durcissement croissant dans les attitudes et une intolérance qui grandit dans les esprits.
L'islam s'affiche de plus en plus par des signes extérieurs arrogants et provocateurs, révélant une emprise dogmatique étroite et rigide. Pour un peu on pourrait confondre cette religion toute entière avec ces burqua, niqab, hijab dont l'actualité nous abreuve jusqu'à la nausée.
Cette tendance ne laisse pas d'inquiéter. Il n'est jamais bon qu'une croyance se radicalise autour de pratiques rituelles où l'exhibitionnisme tient lieu de conduite. Il n'est pas bon qu'au nom de principes immanents nébuleux s'imposent de manière autoritaire des contraintes irrationnelles. Et le port du voile islamique qui fait partie de ces sujétions gagne du terrain, devenant quasi emblématique de l'islam.
Même avec beaucoup de bonne volonté, il est difficile d'y voir l'expression d'un épanouissement des personnes qui le revêtent. Lorsqu'il se limite à un simple foulard il peut être considéré comme une marque de pudeur, ou une réaction à certaines outrances et indécences du laisser aller occidental. Mais dans sa version intégrale, il transforme les femmes en silhouettes sans personnalité, il efface toute identité et suggère aux tiers un sentiment qui hésite entre tristesse et peur. Derrière les meurtrières de tissu noir, ces yeux sont-ils ceux d'êtres qui n'osent affronter le monde à visage découvert, qui le méprisent au point de s'en isoler, ou qui doivent y renoncer sous quelque obscure pression ? La question ne peut être éludée, car le rapport avec Dieu est plus que douteux. Rien dans les textes sacrés n'impose paraît-il un tel asservissement et d'ailleurs quel Dieu serait assez inconséquent pour ordonner de se cacher à des créatures auxquelles il aurait donné la pensée et l'autonomie ?
De toute manière la politesse, l'amabilité et souvent le simple bon sens, veulent qu'on retire son chapeau, ses gants ou ses lunettes noires lorsqu'on rencontre quelqu'un. Comment pourrait-il en être autrement du voile dans mille occasions de la vie quotidienne ?
Sur ce point devenu désormais essentiel tant il a pris d'importance médiatique, Tarik Ramadan s'exprime de manière très ambiguë. Il concède du bout des lèvres que rien dans le Coran n'oblige à porter le voile, et dans le même temps il s'oppose à toute loi l'interdisant. Si sa volonté est vraiment de donner à l'islam une image d'ouverture aux autres, il ne peut rester dans cet atermoiement. Et s'il veut éviter les lois, le mieux serait sans doute qu'il soit plus clair lorsqu'il incite à la modération.
Ce n'est pas le seul exemple où le discours du professeur fait preuve d'une duplicité probable. En même temps qu'il propose le fameux moratoire sur la lapidation des femmes infidèles, il demande le recours à l'expertise des « savants » quant à l'interprétation des textes fondamentaux. Ce faisant il fait mine d'introduire un peu d'objectivité dans le débat. En réalité les dits savants étant des théologiens ayant déjà dans leur majorité tranché sur le sujet, il est peu probable qu'une réponse rationnelle nouvelle puisse être apportée. D'ailleurs lui même dans son célèbre et très controversé article sur les nouveaux intellectuels communautaires avait critiqué ce type d'argumentation à propos des écrits de Pierre-André Taguieff qu'il qualifiait de prototype d’une réflexion « savante » faisant fi des critères scientifiques.
Au passage il manifeste une indéniable mauvaise foi en prétendant que la lapidation est plutôt une problématique chrétienne que musulmane. C'est évidemment un contresens flagrant, faisant référence implicite à l'épisode du Christ face à la femme adultère. Car en l'occurrence, Jésus rejeta on ne peut plus clairement ce châtiment. Il n'y a donc jamais eu de questionnement pour les Chrétiens.
Autre point litigieux, celui des conversions. Si Mr Ramadan encourage bien évidemment toutes celles qui s'engagent vers l'islam, sa position paraît beaucoup moins consistante dans l'autre sens, alors que les prêtres musulmans considèrent le crime d'apostasie comme passible de la peine de mort. Tarik Ramadan pondère habilement ce terrible oukase en assurant que selon lui un Musulman « peut » changer de religion "selon l'interprétation musulmane" et notamment selon l'opinion de quelques théologiens datant du VIIIè siècle ! On aurait espéré des arguments plus convaincants sur un sujet aussi grave...
Sur d'autres thèmes plus politiques, Mr Ramadan n'est guère moins contradictoire.
Il ne cesse de fustiger le passé colonial de la France mais s'exonère de toute vraie critique sur celui du monde musulman dont les conquêtes furent souvent obtenues par le sabre.
Sur le sujet de l'Irak et sur Saddam Hussein, il répète à l'envi l'argument vaseux sans cesse colporté par les obsédés de l'Anti-Américanisme, à savoir qu'il s'agissait certes d'un tyran abominable, d'un despote ignoble et d'un envahisseur sanguinaire qui menaçait tous ses voisins musulmans ou pas, mais que le renverser fut une monumentale erreur (chez Taddei en 2007)...
Il se déclare étranger à la confrérie des Frères Musulmans, fondée par son grand-père et dont son père créa la branche palestinienne, qui a pour but affiché la fin d'Israël et l'instauration de républiques islamiques dans tout le Moyen-Orient, pourtant il soutient sans réserve le Hamas qui s'en réclame et répond aux mêmes principes et objectifs.
En réalité, on pourrait multiplier les points où Mr Ramadan évite de répondre sans détour et où il refuse de donner une opinion et à plus forte raison des recommandations claires. Même si à certains moments il donne l'impression de s'exprimer enfin clairement (cf ci-dessous), à d'autres il entretient le doute à force de circonlocutions.
Au total, il est à craindre qu'avec son sourire avenant et son discours onctueux et subtilement contourné, Tarik Ramadan ressemble davantage à un Tartufe de salon qu'à un penseur guidé par la raison et la sagesse. La raison n'est d'ailleurs pas sa priorité si l'on en croit ses propres aveux lors d'une interview à BEUR FM (2003 citée par Wikipedia) : « Il y a la tendance réformiste rationaliste et la tendance salafie au sens où le salafisme essaie de rester fidèle aux fondements. Je suis de cette tendance-là, c'est-à-dire qu'il y a un certain nombre de principes qui sont pour moi fondamentaux, que je ne veux pas trahir en tant que musulman.»
En tant que musulman attaché aux fondements de sa religion, il pense sans doute avoir intérêt à adopter un profil empreint de modération qui le distingue des intégristes, mais qui apporte hélas indirectement de l'eau à leur moulin. Et s'il est animé d'un vrai désir d'ouverture et de progrès, il prend le risque en parlant a demi-mots, d'être réduit au rôle de décorateur de la vitrine légale d'une idéologie inquiétante.
D'une manière générale, les gens qui parlent en référence à Dieu ou bien à de grands principes immanents ont toujours une emprise sur les foules supérieure à ceux qui ne parlent humblement qu'en leur nom, en engageant leur responsabilité. Or il y a grand danger à écouter ceux qui parlent au nom de Dieu, surtout s'ils tentent d'exciper de sa supposée volonté le droit d'imposer des diktats trop stupidement humains. Aucune religion digne de ce nom, et aucune personne se réclamant spirituellement et philosophiquement de l'une d'elles, ne devrait revendiquer pour des principes religieux le statut de lois et à plus forte raison vouloir les ériger au rang de Constitution.
Cela dit, même avec des réserves sur ses intentions véritables, Mr Ramadan jusqu'à présent doit être considéré comme un homme respectable qui ne mérite ni opprobre ni mépris. Rien que pour ça je me dois de relever sans parti pris certaines de ses réponses piochées sur le forum de son site, sur lesquelles je termine au titre de morceaux choisis. A chacun de juger...
"Ma position est simple : on ne doit jamais imposer à une femme de porter un foulard, on ne doit pas lui imposer non plus de l’enlever."
"Je n’ai jamais dit, sur aucune cassette, jamais, que j’étais pour la lapidation. Réécoutez, svp, le débat avec Sarkozy et vous l’entendrez. Je répète ici que j’ai condamné la lapidation au Nigéria, en Arabie Saoudite et ailleurs. Je suis contre son application. Il y a des textes auxquels les musulmans se réfèrent pour la justifier et justifier les peines corporelles et la peine de mort. J’appelle à un moratoire pour que ces condamnations cessent tout de suite."
"On ne peut pas vouloir la liberté et l’égalité ici, en tant que musulmans, et refuser ces droits fondamentaux pour les juifs, les chrétiens, les bouddhistes, etc. dans les pays majoritairement musulmans."
"C’est mon principe. Respect des constitutions, de la loi et opposition à toutes demandes de législations spécifiques."
A propos de son grand père, fondateur de l'organisation des Frères Musulmans :" Il y a des choses qu’il a faite et que je respecte (résister à la colonisation politique et culturelle), créer des écoles, des coopératives de développement, et promouvoir l’éducation des femmes. Il en est d’autres que je place dans leur contexte et/ou que je critique : la nature de l’organisation des Frères Musulmans qui a fini par étouffer certaines pensées, la référence aux slogans (toujours dangereuse), la paternité pas toujours assumée avec des groupements qui se sont radicalisés, etc."
"On finira bien par entendre, en France, qu’on ne change pas les mentalités à coup de slogans qui condamnent mais par un long et continue travail de pédagogie et de dialogue."
"J’ai souvent écrit en condamnant dans la presse publique en Suisse, en France et dans de nombreux journaux à travers le monde : le terrorisme, la violence, l’antisémitisme, les châtiments corporels, l’excision, les exécutions, l’esclavage, la lapidation, les mariages forcés, la violence conjugal."
"Il est de la responsabilité des musulmans qui vivent dans les démocraties de critiquer les mauvais traitements auxquels sont soumis les minorités en terres musulmanes."
"Sur le plan philosophique (le sens de ma vie et de ma mort) je suis musulman. Sur le plan de mon engagement social, politique et quotidien c’est ma nationalité qui prime."
"Celle ou celui qui change de religion pour soi, en conscience, doit demeurer libre et on doit respecter ce choix. La clef des cœurs et des jugements ne nous appartient pas."

"J’ai lu Voltaire et je l’apprécie. Ses idées sur la tolérance sont plutôt celles de Locke. Je trouve leur apport très important mais je vous dirais que je veux plus que la tolérance, j’aspire au respect mutuel."

24 septembre 2009

Vita Nova


1969, année magique. Fin des sixties, achèvement d'une époque, début d'une nostalgie indicible... Abbey Road, le sublime point d'orgue des Beatles revient tout neuf quarante ans après sa création !
Même si cette remastérisation n'apporte qu'un assez modeste progrès technique, c'est tout de même l'occasion de se remettre dans les oreilles cette féérie musicale dans toute sa splendeur, et dans toute sa fraicheur. Bon Dieu, ça n'a pas pris une ride. Les subtils arrangements emplissent l'atmosphère suavement avec une acuité merveilleuse. Les voix sont belles et parfaitement posées. Les mélodies sont plus pimpantes et ensorcelantes que jamais, j'en ai des frissons...
Si le coffret intégral paraît un peu fou, les CD sortent isolément à un prix raisonnable. C'est l'occasion pour les plus jeunes de découvrir un passé qui approcha de si près le bonheur, et pour les vieux de la vieille, de repartir d'un nouveau pied. Dehors le ciel est bleu comme la joie, illuminé par le soleil qui vibre du feu de l'espérance. La vie est belle !

11 septembre 2009

Ici bas, seul le doute est une certitude


En son temps Socrate avait bien résumé la situation : « la seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien ».

Un peu plus de deux millénaires plus tard, les connaissances ont quelque peu progressé mais il serait vain de prétendre avoir acquis beaucoup de certitudes. La Terre est ronde sans doute, mais pour le reste il paraît bien téméraire de s'avancer. Au contraire l'euphorie déterministe a laissé la place à un doute envahissant. La mécanique quantique se heurte au principe d'incertitude d'Heisenberg et la logique semble bornée par le théorème d'indécidabilité de Gödel. Quant à l'univers il est plus infini que jamais et son expansion s'accélère...


Pourtant, à l'image de Charybde et Scylla, l'esprit humain navigue toujours entre deux écueils : le scientisme et la superstition. En ce 11 septembre on peut méditer sur les méfaits de l'un et de l'autre. La crise économique a déjoué les prévisions des experts, la vigilance des organismes de contrôle et toutes les lois et régulations dans lesquelles est empêtrée la bureaucratie moderne. La grippe nargue ceux qui croient pouvoir réglementer, et anticiper son génie évolutif. Tantôt qualifiée de grippette, tantôt de calamité mondiale, elle se joue des gigantesques et vaines manoeuvres et incantations destinées à enrayer sa progression. Le climat s'amuse des simulations informatiques en vertu desquelles les docteurs Diafoirus de la prévision météo nous bassinent avec leurs visions d'apocalypse, et qui leur permet d'imposer une ineffable taxe « à la tonne de carbone », dont les subtilités échappent à l'entendement du commun des mortels et probablement à eux-mêmes. Et dans la douceur de la fin d'été, reviennent en mémoire les affreuses images du World Trade Center pris dans un feu infernal que personne n'avait vu venir , mais qui prouve une fois encore que l'Homme est passé maitre dans l'art de faire du mal au nom du bien...

Face à ce mélange étrange de rationnalisme étriqué et de fanatisme bien intentionné, face à ces légions de pseudo-savants qui agitent sans fin leurs assourdissantes crécelles, il est encore heureusement des gens pour penser avec simplicité, et sans trop d'a priori ni de principe intangible. Il y a quelques jours, la chaine anglaise BBC interrogeait Alan Greenspan ancien Président de la Federal Reserve, à propos de la crise économique qu'il résumait avec un flegme désarmant : « c'est dans la nature humaine. A moins de changer cette dernière, il y aura encore d'autres crises et elles n'auront rien de commun avec celle-ci, si ce n'est la nature humaine...».
Car selon son opinion, «c'est une capacité inextinguible de l'être humain, lorsqu'il est face à de longues périodes de prospérité, de présumer qu'elles dureront toujours... et donc de se livrer à toutes les spéculations...» .
Et il termine avec cette recommandation frappée au coin du bon sens au sujet de l'excès de régulations : «le problème est qu'on ne peut pas faire coexister un commerce mondial libre avec des marchés intérieurs régulés de manière très restrictive»

Puisse-t-il être entendu...

04 septembre 2009

Taxez taxez, il en restera toujours quelque chose...


Les contorsions intellectuelles des politiciens au sujet de l'ineffable taxe carbone pourraient prêter à rire si elles ne donnaient pas plutôt envie de pleurer. Comment dire une chose et son contraire tout en gardant son sérieux, voilà l'exercice auquel se livrent ministres, élus et hauts fonctionnaires depuis quelques semaines. Ou comment mettre en place un nouveau prélèvement que rien ne justifie vraiment en dehors de vagues considérations démagogiques, tout en assurant qu'on s'efforce avant tout de contenir la pression fiscale.
Rien de plus simple en fait. Car en politique, tout est possible tant l'oxymoron est devenu habituel en matière de langue de bois. On peut donc déclarer en toute quiétude comme Alain Juppé : "Oui à la taxe carbone, non à un impôt de plus" (Figaro 1/9/09). Ou bien comme le premier ministre, annoncer le montant "définitif" de la taxe tout en assénant "qu'il n'y aura pas de hausse des prélèvements obligatoires"...
Stricto sensu, un esprit simple pourrait évidemment s'interroger sur l'intérêt de créer une taxe dont le montant sera c'est promis, "déduit de la feuille d'impôt" (dixit le ministre du budget Mr Woerth). Est-ce une lumineuse application du principe des vases communicants mise au service de la pédagogie écologique ? Ou bien du foutage de gueule pur et simple ?
Certes la protection de l'environnement exige bien quelques sacrifices. Mais 7 ou 8 centimes de plus en moyenne par litre d'essence est-ce bien raisonnable quand on sait que l'Etat prélève déjà plus 150% du prix de ce litre tel qu'il sort de la pompe, soit environ 80 centimes de taxes pour 50 de produit ( le calcul est simple et effrayant : TVA de 19,6% sur le prix de base, plus environ 60 centimes de TIPP, additionnée elle-même de 19,6% de TVA...).
Surtout comment croire une seule seconde à la neutralité d'un système fiscal de prélèvement-redistribution ? Comme le déplorait déjà en son temps l'économiste Frédéric Bastiat, la machine fiscale n'a rien d'une « rosée fécondante », redistribuant équitablement et intégralement ce qu'elle prélève. Si le prélèvement est certain, la restitution est beaucoup plus aléatoire et il est aisé de constater dans tous les cas, que l'engin « pompe » bien davantage qu’il ne redistribue en raison des lourdeurs de la bureaucratie qui lui est attachée.
La logique des gouvernants est souvent difficile à suivre. Il faut à chaque instant donner le sentiment qu'on agit, quitte à nager dans les contradictions et les incohérences. Exemple, un jour, pour doper la consommation, on promeut la vente des automobiles en instituant un « prime à la casse », le lendemain on multiplie les dispositions destinées à pénaliser leur utilisation... Comprenne qui pourra.

01 septembre 2009

Le gros oeil de l'Etat


Il y a quelques jours, le magazine Le Point s'interrogeait gravement sur sa couverture : « Sarkozy est-il de gauche ? » A part quelques banalités que chacun connaît déjà au sujet de l'entourage du président, de ses initiatives « sociales », et de l'ambiguïté de certaines déclarations publiques, on n'apprend toutefois pas grand chose à la lecture de l'article. Il faut dire que la question n'appelle pas vraiment de réponse dans un pays où les hommes politiques n'ont généralement guère de convictions. Sitôt parvenus à leurs fins c'est à dire au pouvoir, ils semblent n'avoir rien de mieux à faire que de démolir l'idée qu'ils s'étaient évertués à donner d'eux avant d'être élus.
La stratégie de Nicolas Sarkozy de ce point de vue n'échappe pas à la règle tant elle est fluctuante et parfois contradictoire. On dit souvent qu'elle témoigne d'un esprit pragmatique. Même avec un projet clair et la légitimité des urnes, il est si difficile en France d'appliquer un programme face à la pression de la rue et à la versatilité de l'opinion...
Tout de même, ce scoop des 3000 évadés fiscaux en Suisse dont Bercy serait parvenu à se procurer les noms a de quoi inquiéter. Derrière l'effet d'annonce dont sont si friands les Pouvoirs Publics, on prend conscience tout à coup que l'Etat de plus en plus omniprésent, et omnipotent est en passe de collecter désormais des informations de plus en plus précises sur un nombre de plus en plus grands de gens.
Sous on égide s'organise avec les meilleures intentions du monde la centralisation des fichiers et des identifiants. On sait que le Fisc et l'Assurance Maladie sont déjà en mesure de faire communiquer leurs bases de données nominatives. Avec la Loi HADOPI, les internautes seront traqués avec la complicité forcée des fournisseurs d'accès au Web. Tout ça avec la bénédiction de la CNIL, totalement débordée et de toute manière elle-même assujettie à l'Etat.
Certains s'inquiètent de la possibilité d'être espionnés par des organismes privés comme le fameux Google, mais ce n'est rien en comparaison de l'oeil de l'Etat. Une entreprise privée risque en effet gros à galvauder le secret de ses clients, l'Etat jouit quant à lui d'une totale impunité, et pour cause : c'est lui qui fait la Loi et sa clientèle est par définition captive. S'agissant de l'utilisation des données, si l'entreprise privée n'a guère d'autre objectif que celui bassement mercantile de cibler des campagnes publicitaires, on n'arrête en revanche difficilement le lourd char étatique. Le but vertueux affiché, en démocratie, consiste à chasser les contrevenants, mais en réalité comme on l'a vu si souvent par le passé, il n'est pas de limite au zèle purificateur du Pouvoir.

Cette histoire est édifiante. On peut comprendre que pour les besoins d'une enquête motivée par des délits ou des crimes avérés, les Pouvoirs Publics demandent à des prestataires commerciaux certaines informations concernant un ou plusieurs de leurs clients. Mais le recours à la dénonciation massive et prospective de toute une population a seule fin d'éplucher leurs faits et gestes pour tenter de débusquer d'éventuels fraudeurs, est plus que discutable et inquiétant (bientôt selon les déclarations de Mr Woerth ce matin sur BFM les banques devront dévoiler les identités de tous leurs clients dont les comptes enregistrent des transactions avec l'étranger...) On est d'autant plus étonné par ce ramdam que le Président de la République a tout lieu d'être échaudé, après s'être lui-même retrouvé à tort sur un listing de personnes suspectes de malversation dans le cadre de la fumeuse affaire Clearstream. A-t-il voulu donner l'impression au bon peuple qu'il agissait contre les puissances honnies de l'argent ? A-t-il voulu donner raison au Point en agissant comme pourrait le faire un homme de gauche?
Il a sans doute au moins en partie manqué son coup car Benoît Hamon avec son sens inimitable de la répartie l'accuse ni plus ni moins de vouloir protéger ses amis en les amnistiant. Quant à l'opinion publique, BFM en donnait un aperçu en publiant un sondage révélant que les deux tiers des Français comprennent qu'on cherche à échapper à la pression du fisc (une des plus élevées du monde faut-il le rappeler)...

31 août 2009

Espoir et liberté


J'aspire au bleu des étendues
Amarrées à la nuit des temps
Qui sèment dans d'obscurs néants
Des espérances éperdues
Et j'aspire aux libertés nues
Qui déroulent aux quatre vents
Comme de grands pavillons blancs
Leurs évidences ingénues.
Être libre et riche d'espoir
Voilà qui rend fort dans le noir
Des fatalités minérales
Par delà les rouges enfers
J'aspire et crois dur comme fer
Aux fraternités sidérales.

29 août 2009

Flânerie bordelaise



Il y a quelques jours je passais par Bordeaux. Arrivée par le Pont de Pierre qui étend ses arches aux couleurs roses de vin entre les rives de la Garonne. Appuyés sur des piliers trappus les grands bras de briques tendres semblent embrasser les eaux brunes du fleuve qui se trainent nonchalamment dans la tiédeur estivale. Au dessus, les noirs réverbères coiffés d'élégants chapeaux pointus défilent en formant une procession altière. Comment entrer plus noblement dans cette belle cité ?
Depuis le quasi achèvement des opérations de rénovation, Bordeaux a retrouvé sa classe et son charme de grande bourgeoise. En débouchant sur le cours Victor Hugo on se croirait un moment sur le Bosphore tant sont présentes les références à la Turquie : bars aux noms exotiques frappés du croissant levantin, restaurants typiques, épiceries et boucheries hallal, femmes quasi inexistantes...
Mais à côté de la ville méridionale s'allongent impassiblement à perte de vue les quais emblématiques des Chartrons. Souvenir de temps où le temps s'écoulait comme les eaux tranquilles du fleuve, et où l'on pouvait voir de ces nobles fenêtres, les gabarres défiler sur ce cours fluide comme autant de repères rassurants d'une industrie paisible, immémoriale, attachée toute entière à l'art de la vie.
Bordeaux avec ses rues piétonnières, ses petites places tranquilles et ses belles esplanades n'est pas trop affectée par les turbulences futiles et les urgences inutiles du monde moderne.
Dans la rue Porte-Dijeaux, la vénérable librairie Mollat continue d'entretenir avec soin ses belles vitrines dont l'encadrement bleu, tout simple, est à lui tout seul déjà apaisant. Quand on songe que Montesquieu habita l'endroit,on est traversé par un frisson indicible. A l'intérieur, de belles grandes salles peuplées de milliers d'ouvrages, sont organisées et rangées impeccablement. Au hasard de mes déambulations, je trouve présentés pour attirer l'oeil du chaland, les inévitables piles des derniers livres prétendument à la mode. Cette accumulation racoleuse a le don de m'énerver prodigieusement et me rebute.
Plus intéressant, un livre invitant aux lectures de Hume, deux titres de Ralph Waldo Emerson, les poèmes de Malcolm Lowry, le Quartet of Alexandria en version originale...
En dépit du plaisir que j'éprouve a y flâner, comme souvent je m'interroge sur l'avenir de tels magasins. Contrairement à la musique qui est désormais très largement véhiculée sous forme de fichiers informatiques, les bouquins restent encore synonymes de papier pour nombre de gens. Il est vrai que les écrans des ordinateurs s'avèrent à ce jour incapables d'offrir les mêmes conditions de lecture, notamment au grand jour, et plus encore au soleil, sur une chaise longue.
Je suis persuadé qu'il ne s'agit que d'un répit. Quoi de plus immatériel que la littérature ? Pourquoi accumuler toute cette paperasse si laborieuse à ranger, à transporter, à déménager ? Les belles reliures sont démodées, les beaux papiers également. C'était pourtant un alibi recevable, mais qu'on ne vienne pas dire que l'odeur ou le toucher d'un livre de poche ou même d'un volume encollé industriellement soit de même nature que les divines fragrances émanant d'un vieux cuir ou du velin.
La dématérialisation a du bon. Elle incitera peut-être le monde de l'édition a plus d'humilité, chassera les marchands cupides et vendeurs de niaiseries du temple de l'art et fera peut-être renaître de ses cendres la notion de mécénat. En tout cas tout est préférable à cette loi HADOPI, bourrée de bureaucratie et de bonnes intentions stériles... Ô mannes de Montesquieu, écartez ces lois inutiles qui affaiblissent les lois nécessaires...
Pour finir, s'agissant de la musique, je ne dédaigne pas le support physique du disque, lorsqu'il est d'un prix abordable. Dans une petite boutique de Saintes, j'ai trouvé deux petites perles que même sur internet j'aurais eu de la peine à me procurer : Nat King Cole chantant en espagnol, un vrai velours imprégné de soleil et de farniente et Pepper Adams dont le saxo baryton n'a rien à envier à ceux de Gerry Mulligan ou de Serge Chaloff, et qui ramène à l'oreille ravie les sonorités détendues de la West Coast, tandis que l'été qui semble vouloir s'éterniser caresse de sa douce chaleur les pêches dans les arbres...

16 août 2009

Tétralogie durrellienne

En littérature, le style c'est l'homme, paraît-il. Que dire du style de Lawrence Durrell ? Lorsque je m'en imprègne par la traduction française du Quatuor d'Alexandrie, je suis envahi par un ravissement absolu. Est-ce la magie d'une écriture tellement belle, qu'elle continue de faire effet, même par traducteur interposé ? Est-ce le talent, rare, de ce dernier, Roger Giroux (1912-1990), d'être parvenu à enjoliver l'œuvre originelle, ou tout au moins à préserver toutes ses qualités, toutes ses nuances et son ineffable fraicheur ? 
Un peu des deux sans doute, mais n'étant pas anglophone suffisamment averti, je ne saurais trancher. Le fait est qu'à chaque lecture de Justine, je suis saisi d'une sorte de vertige extatique. Ce n'est que le premier volet de la fameuse aventure alexandrine, mais il révèle une telle prégnance que les trois autres récits ne peuvent être envisagés qu'à la manière d'éclairages complémentaires. C'est d'ailleurs le but de cette tétralogie envoûtante qui multiplie sur un même continuum, les points de vue. Tout se tient, mais chaque épisode constitue un tout en soi. Tout est relatif. Après tout, sait-on tout de sa propre histoire ? Aimons-nous ceux que nous croyons aimer ?
La force du quatuor d'Alexandrie, est qu'après y avoir goûté on y revient sans cesse. Comme de toutes les grandes créations, on n'en épuise jamais la substance tant ses facettes sont nombreuses, et aussi parce qu'après avoir plongé dans cette matière si dense, on peut y nager à toute profondeur.
On dit de cette somme qu'elle est d'un abord difficile : c'est vrai et c'est probablement en partie à cause de cela qu'elle est belle. Une sorte d'universalité émane de son propos égaré dans le temps, et cheminant librement dans l'espace. Autour des personnages, on virevolte sans contrainte, tantôt comme des papillons capables d'appréhender les détails les plus infimes (les mouvements spasmodiques de l'œil de verre de Scobie), tantôt comme des aigles survolant les infinis les plus complexes (les méandres de la Kabbale). Même s'il sont étincelants, Durrell livre en morceaux son énigme. Charge au lecteur d'en faire une harmonie. Je voudrais faire un livre qui serait libre de rêver dit l'un des personnages écrivains du roman...
La ville égyptienne ne dévoile quant à elle qu'une partie de ses mystères comme une statue antique parle en son langage muet, de temps révolus. Elle se veut à la fois le lieu où se cristallise un doux espoir de syncrétisme spirituel entre les civilisations, et le point de fuite où se rejoignent dans un néant sinistre, le passé et l'avenir.
C'est un fait, ce monde éblouissant, aux couleurs d'or et d'argent, de bitume et de poussière est un monde finissant. Les grondements sourds de la guerre ébranlent ses fondations millénaires. Après avoir perdu son phare, Alexandrie la magnifique s'enfonce dans la médiocrité. Peu à peu ce qui était cosmopolite devient interlope, ce qui relevait de sortilèges se mue en vils stratagèmes. Alexandrie était riche et généreuse, elle devient mesquine et agressive.
Dans ce monde qui s'éteint tout en se radicalisant, les silhouettes altières de Justine, de Nessim, Balthazar, Pursewarden et compagnie se confondent peu à peu avec l'évanouissement général des valeurs et des repères. Au début les caractères et les sentiments semblent clairs. Chaque personnage apparaît à son tour dans la lumière crue de celui qui les crée. Les moindres traits de la personnalité de chacun sont comme disséqués par son regard pénétrant. Mais lorsque le scalpel s'éloigne, les chairs se referment et chaque figure tend à échapper à son maître, pour vivre un destin fluctuant au gré de l'humeur de celui qui les suit.
En dépit de leur caractère insaisissable ces gens sont pourtant profondément attachants, suggérant à maintes reprises les beaux vers de Verlaine :
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant. . .
Ils vivent en nous, et entrent en résonance avec une sorte de mémoire archaïque. Justine par exemple, évoque aussi bien l'éternel féminin, l'image d'une amoureuse romantique ou bien celle d'une hétaïre amorale ou encore d'une machiavélique Mata-Hari. Elle communique à toute chose sa grâce étrange et délicate, sans qu'on sache bien d'où elle la tient ni même s'il s'agit d'une entité tangible : Justine et sa ville se ressemblent en cela qu'elles ont toutes deux une forte saveur sans avoir un caractère réel...
Dans ce livre, les personnages et les lieux sont mêlés si étroitement qu'ils finissent par former un ensemble indissociable. Quatre angles d'attaque ne sont pas trop pour épuiser tous les arcanes de ce microcosme. S'il en avait eu le temps et la force, l'écrivain aurait pu les multiplier à l'infini, jusqu'à obtenir un reflet de plus en plus approchant de la vérité... Mais à quoi bon ? L'élan est donné, à chacun de trouver les prolongements indicibles à cette intrigue ensorcelante pour appréhender la mesure d'une plénitude faite de sagesse et de sérénité.
Pour toutes ces raisons, pour cette écriture limpide et tellement suggestive, pour cette capacité stupéfiante à extraire de réalités triviales des morceaux d'éternité, en un mot pour son style si merveilleux, à mon sens Le Quatuor d'Alexandrie constitue la clé de voute de la littérature moderne et un des chefs-d'œuvres de la littérature universelle
NB :
le site de la revue LIFE qui publie d'intéressantes photos de l'écrivain
Le site Paris Review sur lequel on peut lire une interview datant des années 50 peu après la publication du Quatuor.

10 août 2009

La très chère santé d'Obama




Dans un récent éditorial (3/08/09), la célèbre revue médicale britannique LANCET prend résolument position en faveur du projet de réforme du système de santé américain, que tente de promouvoir le président Obama. Pour défendre sa thèse, le texte, sans auteur, n'hésite pas à prendre des accents rappelant les slogans de campagne électorale : « Yes it can be done ! ».
Cette attitude qui relève davantage d'une démarche politicienne que scientifique est assez surprenante dans les colonnes d'un tel périodique, d'autant que l'argumentation reste théorique voire nébuleuse.
En premier lieu, l'éditorial reprend pour introduire le sujet, le thème classique de l'inflation vertigineuse des dépenses de santé (elles avoisinent en effet les 2500 milliards de dollars par an). Il est rappelé également, mais c'est devenu une vrai scie, que malgré ces provendes fantastiques, le système laisse un grand nombre de citoyens sans couverture maladie, et que sa performance globale est somme toute assez médiocre s'il on en juge par le palmarès de l'OMS (37è rang mondial).
Ce constat de départ n'est donc pas très original, même s'il n'est pas contestable stricto sensu. Une information retient toutefois l'attention : d'après la revue, le tiers des dépenses de santé outre-atlantique est à ce jour absorbé par la bureaucratie supposée gérer le monstre...
D'après le Lancet, le but de la réforme est de garantir une couverture santé universelle et de créer une assurance maladie gouvernementale destinée à « concurrencer » les plans gérés par des organismes privés, pour procurer in fine des soins mieux adaptés à la population.
Mais on voit mal comment la mise en place d'un système de « régulation » sous tutelle gouvernementale pourrait être la solution. A moins de niveler par le bas, de manière purement comptable les dépenses, à la manière du système anglais, ou bien, à la mode française, de faire enfler encore la bureaucratie et de creuser les déficits. Le programme élaboré par Mr Obama est actuellement chiffré à plus de 1000 milliards de dollars sur 10 ans, à la charge de l'Etat Fédéral, actuellement déjà en déficit de 1700 milliards de dollars !
Évidemment, aux yeux des anti-libéraux de tous poils et autres adorateurs de l'Etat Providence, taxer les riches est le moyen le plus facile et le plus « juste », de se procurer cette manne. Comme par hasard c'est celui qu'a trouvé l'administration Obama, qui propose notamment la suppression des déductions pour les dons aux œuvres.
Certaines remarques émises dans l'article ne sont toutefois pas dénuées de fondement. Il est à l'évidence regrettable qu'un aussi grand nombre de personnes soient sans assurance, même si la cause première est tout simplement l'absence d'obligation. On peut également s'insurger contre le système des plafonds de dépenses maladies, mis en œuvre par certaines compagnies d'assurance (« annual or lifetime caps »). Ils conduisent en effet à limiter le montant des remboursements annuels ou même cumulés sur une vie entière ! Ce genre de disposition peut s'avérer très pénalisant pour des patients victimes d'affections exigeant des soins tés coûteux. Si les franchises trouvent une légitimité dans une démarche raisonnée de maitrise des dépenses, de tels plafonds sont difficilement compréhensibles, sauf à définir un "panier» d'affections prises en charge à 100%.

Mais voilà l'Amérique n'est pas la France. Même dans son propre parti, le Président rencontre de sérieuses objections. Elles tiennent bien sûr avant tout à l'énormité des dépenses envisagées. Mais des élus ont également argué qu'il n'y avait pas de rapport évident entre le souci d'améliorer le système de santé et la pénalisation fiscale suggérée, et pas davantage de lien de cause à effet évident entre l'instauration d'un système étatisé et l'amélioration de la qualité des soins et de la couverture assurantielle.