08 décembre 2009

Retour de boomerang


L'actualité dans ses fantaisies et sa versatilité renvoie parfois de drôles de hoquets au visage des adeptes de l'Histoire à sens unique.

Alors que s'ouvre le sommet international de Copenhague, le débat sur le climat prend un tour nouveau. Hormis la voix isolée de Claude Allègre, on n'entendait en France depuis quelques années qu'un seul son de cloche, véhiculé par le biais de personnalités très médiatisées ou par la bouche des politiciens, tous plus ou moins enclins au suivisme démagogique. Une cloche quant à elle alarmiste, puisqu'elle sonne tous azimuts le tocsin de la fin du monde prochaine, en l'attribuant aux méfaits du progrès scientifique et économique.
Et puis tout à coup, à l'occasion de fuites en provenance du site internet d'une université influente, on prend conscience que ce discours reposait en partie sur un gigantesque bluff. Première révélation, le fameux GIEC qui soi disant s'inspirait des travaux convergents de l'immense majorité des scientifiques mondiaux, prenait en pratique ses informations à une source quasi exclusive, celle du Centre de Recherche sur le Climat de l'université britannique d'East Anglia !
Et quelle source ! Peu scrupuleuse sur l'objectivité, elle « arrangeait » manifestement les constats scientifiques pour qu'ils puissent coller au mieux à la thèse dominante. Les chercheurs convertis à la nouvelle religion écologique, mettaient en somme de côté les évidences scientifiques qui les dérangeaient, à la manière de ceux qui opposaient aux découvertes de Pasteur, le credo de la génération spontanée. De fait, l'argument massue mille fois lu et entendu, ressemblait étrangement à celui des docteurs d'autrefois, faisant foi scientifique d'un consensus, qui dit en substance : « Plusieurs milliers de chercheurs pensent la même chose, à savoir qu'il y a un réchauffement climatique, qu'il est forcément néfaste et qu'il a 9 chances sur dix d'être lié à l'activité humaine. » CQFD.
Coïncidence,
un sondage réalisé avant cet épisode, et publié par le magazine The Economist, révèle que les mentalités sont justement en train de changer. La question posée était : "Faut-il privilégier la protection de l'environnement au prix d'une baisse de la croissance économique, ou bien donner la priorité à cette dernière au risque de dégrader l'environnement". Depuis 1999 la première option de l'alternative était préférée par la majorité des sondés, en 2009 les proportions s'inversent (Gallup).
Évidemment, faut-il le préciser, la réponse qui s'impose, et qui n'est pas proposée au choix, se situe au milieu, consistant à trouver un compromis entre la croissance et le respect de l'environnement...
Certes la Crise qui est une réalité tangible, a tendance à influencer les avis, pourtant, il n'était pas vraiment besoin de cette affaire de mails détournés pour douter de la véracité du nouveau diktat malthusien, prônant la décroissance. Avec force arguments, certains pointaient déjà depuis quelque temps, les
méthodes peu rigoureuses des tenants du réchauffement climatique. Il n'est d'ailleurs que de voir le comportement outrancier et sectaire des militants de Greenpeace, qui encore dernièrement n'ont pas hésité à prendre d'assaut l'Assemblée nationale, pour mesurer le degré de fanatisme atteint par certains écologistes. Ils discréditent leur cause bien plus qu'ils ne la défendent.
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La votation suisse sur les minarets, envoie dans les gencives des tartufes de la démocratie, le verdict de l'opinion publique. Du coup, ceux qui il y a peu, brandissaient victorieusement les résultats du référendum européen à l'appui de leur philosophie, se mettent tout à coup à douter du bien fondé du scrutin populaire et nient purement et simplement ses enseignements. Vérité en deçà des Alpes, erreur au delà...
Il est bien connu que chez nous, où le bon sens prévaut, « la question ne se pose même pas », pour reprendre les termes de M. Colombani sur France Inter le 4 décembre. Et de citer à l'appui de sa démonstration le débat escamoté sur la peine de mort. Sur un vrai sujet de société, la question n'a effectivement pas été posée, au simple motif qu'on redoutait que la réponse ne soit pas politiquement correcte. On a donc préféré imposer le principe de l'abolition par la force des godillots des « élus de la république », et pour être à peu près certain qu'il ne puisse jamais être rediscuté, le graver dans le marbre de la Constitution. Curieuse conception de la démocratie...
Évidemment, la radicalisation du débat religieux est inquiétante. Mais en l'occurrence, qui a peur de qui et qui rejette qui ? La vraie question est sans doute de savoir pourquoi et comment on en est arrivé là. Plutôt que de jeter l'opprobre sur le peuple, plutôt que de s'insurger contre le poujadisme de certains politiciens, il conviendrait d'affronter la réalité sans tabou ni a priori. Aux yeux d'une quantité croissante de gens, l'islam apparaît sous un jour de plus en plus intolérant, dogmatique et conquérant. La plupart des pays à dominance musulmane affichent sans vergogne leur mépris pour les autres croyances et veulent ériger les leurs comme lois de gouvernement. Il y a de quoi s'alarmer. Il est plus que temps pour les Musulmans raisonnables de parler clairement et de montrer leur ouverture d'esprit qui conduira à chasser ces craintes dignes du Moyen Age.
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Enfin, la problématique de l'Afghanistan revient elle aussi en boomerang. Les défaitistes et pacifistes qui exigeaient de la coalition internationale qu'elle quitte au plus vite ce pays, et qui déclaraient que cette guerre « n'était pas la leur », sont brutalement désavoués par celui en qui ils voyaient le chantre universel de la paix.
Avec la décision d'y envoyer un contingent de 30.000 hommes supplémentaires, c'est un triplement des effectifs que le nouveau président américain aura ordonné depuis son élection ! Ils étaient 35.000 il y a un an, ils seront près de 100.000 soldats sous peu.
On pourrait s'amuser de la modération des réactions en provenance de ceux qui auraient agoni d'injures George W. Bush s'il avait fait la moitié de ce que met en oeuvre son successeur. On pourrait être dubitatif devant la stratégie qui consiste à accroitre très progressivement la présence militaire, et les hésitations à prendre les décisions en les accompagnant de moultes précautions de langage, qui pourrait
rappeler le Vietnam sous Johnson. On pourrait s'interroger sur le besoin éprouvé par M. Obama de préciser à l'avance la date de repli de ces troupes. S'il s'agit comme il le soutient, d'un objectif vital, comment peut-il être certain de pouvoir si rapidement s'en désengager ?
On pourrait enfin savourer à sa juste valeur l'appel pressant des USA à l'Europe pour envoyer conjointement un renfort d'au moins 7000 hommes. Comment va réagir la France qui adule tant le président américain ?
Objectivement, l'Afghanistan ne peut être abandonné après tous les efforts consentis pour le libérer de l'oppression des Talibans. Et à l'évidence, plus le nombre de nations engagées sera grand, plus forte sera la légitimité de la présence militaire. Le choix de M. Obama est donc logique et pas trop surprenant, sauf pour les gogos prompts à s'enticher de n'importe quelle faribole pour peu qu'elles soit couverte d'effets de style clinquants...
En définitive, il est assez clair que toutes ces problématiques tireraient meilleur profit d'une approche raisonnable, modérée, réfléchie, plutôt que des excès partisans, des a priori et des certitudes erronées, inhérentes aux idées reçues, qu'on entend trop souvent...

01 décembre 2009

L'introuvable réforme de la santé


En France, on s'extasie volontiers et par avance, sur les vertus supposées du projet de réforme du système de santé proposé par le président Obama. Pensez-donc ! Il va enfin offrir une couverture maladie à 46 millions d'Américains qui en sont à ce jour scandaleusement dépourvus.
Et il est de bon ton de fustiger au passage l'abominable système ultra-libéral en vigueur là bas, qui empêche paraît-il les pauvres gens de se soigner, et de condamner vigoureusement le lobbying forcené et forcément très « réactionnaire » qui s'oppose au noble dessein présidentiel.
UN DEBAT SOUVENT TRONQUE
Il n'est pourtant pas besoin de parcourir très longtemps la presse américaine, pour se rendre compte qu'en réalité le débat est beaucoup plus complexe qu'on ne le présente habituellement, et surtout moins imprégné des clichés idéologiques dans lesquels certains tentent plus ou moins consciemment de l'enfermer.
Je ne me souviens plus comment j'ai échoué dans mes pérégrinations à travers le Web, sur un article du Pr Jeffrey Flier, doyen médical de la prestigieuse Harvard School. J'ignore en tout cas totalement de quel côté politique il penche, et le Journal of Clinical Investigation dans lequel il s'exprime, n'est pas connu pour le caractère partisan de ses prises de position. Mais le fait est qu'il donne en la circonstance, un point de vue plutôt décapant sur la question.
A partir de ce fil conducteur, j'ai découvert et pas par les traditionnels canaux néo-conservateurs si honnis, que nombre de voix s'élevaient pour dénoncer sans tabou, et avec force argumentation, les tares du système de santé actuel en proposant des solutions assez éloignées du projet « obamanien »,.
Je serai sans doute accusé de prendre un parti sectaire puisque mon propos, à la lumière de ces derniers, s'inscrit dans la réticence vis à vis de cette initiative louée presque unanimement dans l'Hexagone, et pour laquelle le Sénat US après beaucoup de tergiversations, vient d'ouvrir le débat. Tant pis.
UN CONSTAT CONSENSUEL
S'agissant des défis auxquels sont confrontés les pays développés, tout le monde est pourtant à peu près d'accord. Il faut dire qu'ils relèvent de l'évidence et n'épargnent aucune nation. Ils se concentrent schématiquement autour de trois constats : l'inflation vertigineuses des dépenses de santé, les difficultés croissantes pour pérenniser des systèmes d'assurances abordables pour tous, et les disparités de plus en plus flagrantes entre le coût et la qualité des soins.
Aux USA, les dépenses de santé, qui représentaient 5% du PIB en 1960, ont atteint 16% en 2007 selon l'OCDE, et les projections les fixent à 37% pour 2040. La part des fonds publics dans ces dépenses ne cesse de croitre. Les deux grands programmes Medicaid et Medicare, pour les personnes les plus démunies d'une part et âgées de l'autre, auxquels le gouvernement fédéral consacrait 1% de son budget en 1966, en absorbent désormais plus de 20.
La France est dans la même logique. Avec 11% du PIB, elle s'inscrit désormais dans les statistiques de l'OCDE, en deuxième position des nations les plus dépensières au monde.
DERIVES ASSURANTIELLES
Parallèlement, les systèmes d'assurance maladie sont de plus en plus dépassés par l'inflation de la demande de soins. Comme chacun sait, aux Etats-Unis, une frange croissante de la population vit plus ou moins durablement sans vraie couverture. Il faut toutefois préciser qu'elle n'est pas obligatoire et qu'un bon tiers des personnes concernées, souvent jeunes et en bonne santé, auraient les moyens de s'offrir cette protection mais font le choix d'y surseoir.
En France, le régime de l'Assurance Maladie obligatoire, couvre la majeure partie des frais de santé, mais son périmètre a tendance à se restreindre, en laissant un pan grandissant aux Assurances Privées, auxquelles il n'est pas non plus obligatoire d'adhérer. Pourtant, en dépit de la hausse régulière des cotisations et du désengagement ou du déremboursement d'un nombre croissant de prestations et de médicaments, la Sécurité Sociale patine de plus en plus dans les déficits.
Pour tenter d'endiguer ces dérives, l'Etat un peu partout, croit bon de s'immiscer toujours davantage, dans l'organisation et la prise en charge des soins. La composante publique dans les dépenses de santé représentait déjà 60,5% en moyenne pour les pays de l'OCDE en 1960. En 2007, elle s'établissait à près de 72% (passant de 23,2 à 45,4% pour les USA, de 62,4 à 79% pour la France). En France, avec la dernière réforme dite HPST, c'est un réseau quasi soviétique, que l'Etat met sur pied pour quadriller sous sa tutelle, le secteur de la santé. Les réglementations pleuvent et la bureaucratie est devenue pléthorique. Même si cette tendance est moindre aux Etats-Unis, la régulation gouvernementale n'a jamais cessé de s'accentuer depuis le New Deal de Roosevelt. Un récent article paru dans le magazine The Atlantic Monthly révélait que l'administration de la santé employait à ce jour une personne pour deux médecins !
DES RISQUES NON REEVALUES
Parmi les principales causes identifiées par les quelques observateurs dont j'ai lu les analyses, figure avant tout le caractère pervers de l'organisation du système d'assurance maladie.
Tout d'abord, on assiste à un dévoiement pur et simple du principe même, de l'assurance. Celle-ci pour bien fonctionner, doit couvrir un risque dont la probabilité de réalisation pour l'individu est faible mais dont le coût de réparation est très élevé. La mutualisation raisonnée de ce risque permet à l'assureur de ne demander à tous ses clients que des cotisations modestes, pour couvrir les frais énormes, destinés à indemniser les quelques victimes de sinistres.
Hélas, en matière de santé, la définition du risque a considérablement évolué au fil des ans. L'extension par l'OMS du domaine caractérisant la « bonne santé », à celui du « bien être total et permanent », et le consumérisme galopant, conduisent à recourir de plus en plus facilement aux services des prestataires de santé.
Chacun estimant de son bon droit de se faire rembourser les frais liés à des soins, en règle courants, et qu'il aurait le plus souvent les moyens de payer, le système confine à l'absurde. Les assurances n'ont pas d'autre choix que d'augmenter drastiquement les cotisations ou bien de devenir déficitaires. Imaginez, écrit David Goldhill, que nous demandions à notre assurance auto de prendre en charge l'entretien courant du véhicule et le carburant qu'on met dedans !
TROP D'INTERMEDIAIRES
Le principe, habituel aux USA comme en France, qui consiste à interposer l'employeur entre l'assureur et l'assuré aggrave encore cet effet. Puisque le salarié ne paie, quoi qu'il arrive, qu'une faible partie de la cotisation, il ignore bien souvent le prix réel de la protection dont il bénéficie (au point parfois de croire qu'elle est gratuite...). Par voie de conséquence, il ne mesure pas vraiment l'ampleur des dépenses qu'elle couvre. Au surplus, il n'a en réalité pas le libre choix de son assureur, ce qui nuit à l'émulation et à la maitrise des coûts. On sait qu'entre les entreprises et les compagnies d'assurances la concurrence est assez limitée, particulièrement en France où la Sécurité Sociale jouit d'un quasi monopole.
Dernier avatar de ce système, il est susceptible de laisser des vides dangereux lorsque un salarié est amené à changer d'emploi, et se volatilise en cas de chômage.
Le fait de disposer d'une assurance couvrant la presque totalité des frais de santé, entraine une conséquence souvent fâcheuse. Puisque les débours occasionnés par les soins sont pris en charge par l'assurance, le client face aux prestataires de soins, n'est pas le patient lui-même, mais son assureur. La négociation du prix des soins est donc quasi inexistante ou bien très indirecte. Jamais un médecin ne s'entend dire par son malade : « Docteur soignez-moi bien, mais au meilleur compte ».
Les Assurances ont la tentation naturelle de réagir à cet état de fait en instituant un contrôle a priori des prix des prestations, qui se révèle à l'usage très contraignant et assez inefficace. Par exemple, en diminuant le remboursement de certains médicaments, elles poussent en effet mécaniquement les médecins, sous la pression conjointe des patients, et souvent des publicités de l'industrie pharmaceutique, non pas à diminuer les prescriptions mais à proposer les mieux remboursées donc les plus onéreuses... La promotion de génériques, s'avère quant à elle souvent un frein à l'innovation et à la concurrence.
D'une manière générale, on constate sans surprise aux Etats-unis, que pour des soins courants, les patients non assurés ou assurés à titre individuel (souvent avec une franchise), dépensent significativement moins que les autres. En France on observe que les patients sans mutuelle complémentaire dépensent moins que ceux qui en disposent et qu'à l'inverse, les patients pris en charge à 100%, notamment les bénéficiaires de la CMU, dépensent plus que les autres. Ces observations peuvent faire sourire car elles suggèrent qu'il est plus économique de ne pas être soigné, tant on a tendance à confondre absence d'assurance avec absence de soins. Elles objectivent pourtant l'intérêt qu'il y aurait de responsabiliser aussi bien les patients que les prestataires de soins, dans la démarche de maitrise des coûts de santé.
UNE REFORME EN SURFACE
Le projet de loi de Barack Obama, qui étend le champ de la couverture maladie sans en réformer en profondeur l'organisation, pour bien intentionné qu'il soit, ne peut pour nombre d'observateurs, qu'aggraver les maux dont le système souffre aujourd'hui.
Premier d'entre eux, la bureaucratie est condamnée à enfler encore. Rien que le texte préparatoire fait à ce jour 2074 pages !
Son application va mécaniquement augmenter les dépenses pesant sur l'Etat Fédéral, puisque le nouveau plan sera en très grande partie à sa charge. Mille milliards de dollars constituent le surcoût annoncé par les promoteurs de la loi eux-mêmes. Nul doute qu'il sera supérieur si l'on se souvient des prévisions largement dépassées des programmes Medicare et Medicaid. Selon David Goldhill, étendre la couverture tout en contraignant les remboursements, équivaut à gonfler un ballon tout en le comprimant tant bien que mal : il grossit quand même mais avec une forme de plus plus biscornue...
Parallèlement, même si tout le monde ou presque sera assuré, rien ne permet d'affirmer objectivement que la qualité des soins sera meilleure. L'absence de corrélation entre les dépenses de santé et la plupart des indicateurs de « bonne santé » est assez bien établie.
Plus inquiétant encore, ce projet a déjà été expérimenté sous une forme très proche, dans le Massachusetts en 2006. A cette époque, environ un demi million de personnes étaient sans assurance maladie. La nouvelle loi a entériné le principe de l'obligation, sous peine d'amende, et institué des subventions pour permettre aux personnes les plus démunies, de souscrire un contrat, le plus souvent privé.
Or selon un article du Boston Globe, ce plan est un échec. Trois ans après son application, il reste encore plus de 200.000 personnes non assurées. Les dépenses de l'état affectées à la santé ont fait un bond, passant de 1,4 milliards de dollars en 2006 à plus de 2 milliards prévus en 2009. En moyenne le coût moyen des cotisations pour une famille à augmenté de 12% entre 2006 et 2008. Un certain nombre de personnes, pas assez pauvres pour bénéficier de subventions, peinent à s'affranchir du coût élevé des contrats proposés. Il en est de même pour les petites entreprises qui doivent supporter cette charge nouvelle.
Au total, si l'inflation des dépenses de santé s'avère un défi commun à toutes les nations développées, les solutions achoppent peu ou prou sur les mêmes obstacles. Peut-être en partie, pour reprendre l'argumentation du Pr Flier, parce qu'elles s'attaquent prioritairement aux symptômes plutôt qu'à la cause du problème.
Le paradigme de l'assurance « de papa » a vécu, dans le domaine de la santé. La préoccupation n'est donc pas tant d'élargir la couverture que de la responsabiliser et de l'adapter au nouveau contexte. De ce simple changement de cap, devrait s'ensuivre une réduction raisonnée de la demande de prise en charge financière, et une limitation des soins, basée sur une vraie réflexion coût-efficacité. Aujourd'hui on peut certes encore mourir faute de soins, mais aussi sans nul doute d'excès.
Exiger comme on l'entend souvent que la santé soit gratuite, est plus que jamais irresponsable, et fait courir le danger de terribles désillusions. Les acquis sociaux soi-disant garantis par l'Etat semblent solides mais ils cachent de grandes failles et s'ils venaient à péricliter, la chute serait plus cruelle que tout. Il ne resterait plus de toute manière qu'une solution, qu'on veut pourtant éviter à tout prix : la maitrise comptable pure et dure...
REFERENCES
Health care reform: without a correct diagnosis, there is no cure. Jeffrey S. Flier. Journal Of Clinical Investigation. Vol 119, no10, 1/10/09
Health Reform Gets a Failing Grade . Jeffrey Flier Wall Street Journal 17/11/2009
How american health care killed my father. David Goldhill. The Atlantic. September 2009
Obama's unhealthy reform. Robert J. Samuelson. Newsweek. 15/06/2009
Insurance required Laurie Rubiner The Atlantic Janvier 2004
OCDE Eco-Santé 2009, Données fréquemment demandées
Massachusetts health care reform is failing us. Suzanne L. King. Boston Globe 02/03/2009
Massachusetts plan vs Obama plan New York Times. 29/03/09
Commonwealth Care Program guide Guide du nouveau programme santé du Massachusets
Massachusetts Health Care Reform — Near-Universal Coverage at What Cost? Joel S. Weissman, Judy Ann Bigby. New England Journal of medicine 21/10/09

22 novembre 2009

Contes de la folie ordinaire


Le Foot, est devenu comparable aux jeux du cirque. Le déluge médiatique autour de la main de Thierry Henry (aussi soudain qu'éphémère), est à la mesure de la déraison qui touche ce microcosme, et d'une manière générale, le monde contemporain. La débilité des médias et des journalistes apparaît en de telles circonstances assez colossale, qui vont jusqu'à interroger le Président de la République sur la portée de l'évènement ! N'étaient ce délire verbal et les excès financiers vertigineux qu'elle sous-tend, cette main, qui n'a vraiment rien de celle d'Adam Smith, ne me ferait ni chaud ni froid. Mais grâce à ce petit but qui ouvre à l'équipe de France la perspective de disputer la Coupe du Monde, l'entraineur va toucher un jackpot de près d'un million d'euros. Quant aux joueurs, même ceux qui ne faisaient jusque là que de la figuration sur le banc de touche, empocheront paraît-il plus de 250.000 euros chacun ! Tout cela n'est pas la faute à une main, et pas davantage au libéralisme. C'est juste insensé.
Ailleurs, mais dans le même théâtre dénué de bon sens, on flétrit une entreprise qui n'avait rien trouvé de plus original que de distribuer de l'argent dans la rue, au motif que l'ordre public s'en est trouvé altéré. Tout en minimisant l'extrême violence dont se sont rendues coupables les brutes imbéciles accourues pour tout casser, à l'annonce de cette manne. Pour stupide que fut l'idée de départ, rien ne justifie les dégradations et le déchainement de barbarie, vus ce jour là. Affligeant et inquiétant spectacle, évoquant des mœurs vraiment primitives... Quel est donc l'intérêt d'un débat sur l'identité nationale, lorsque le quotidien est à ce niveau d'abjection ?
Pendant ce temps, le verdict de l'affaire AZF tombe enfin. Huit ans après le drame qui coûta la vie à 30 personnes, et fit des centaines de blessés. Problème : en dépit d'une très longue enquête, on ne sait toujours pas bien ce qui s'est passé ! Le tribunal en a tenu compte, mais la colère populaire se déchaine. Peu importe que la firme pétrolière ait déjà versé plus de 2 milliards d'euros pour dédommager les victimes, peu importe qu'on ne soit pas parvenu à élucider les causes de la catastrophe. Cela ne peut être un aléas, c'est forcément un crime. Il faut un coupable et TOTAL a le profil idéal. Le monstre, désigné dès le jour même des faits, doit être condamné.
On avait déjà vu cette soif de vengeance, ce parti-pris aveugle vis à vis d'entreprises incarnant semble-t-il par axiome, le mal. Les laboratoires pharmaceutiques endossent régulièrement ce rôle. Ils furent par exemple condamnés pour avoir provoqué la sclérose en plaques, par le biais du vaccin contre l'hépatite B. Tout portait à croire pourtant, qu'il n'y avait aucun lien entre les deux, mais en vertu d'un principe de précaution poussé à l'extrême, leur culpabilité fut tout de même prononcée, discréditant dans le même temps, un traitement essentiel dans une maladie grave. Il ne faut pas trop s'étonner que le doute se saisisse des foules, au moment où on leur demande de se faire vacciner en masse contre le virus H1N1, responsable d'une simple grippe, par un produit qui peut paraît-il provoquer la neuropathie de Guillain-Barré,...
Au terme de deux mois de cavale, Jean-Pierre Treiber est capturé. La réaction de Roland Giraud le père d'une des victimes plus que probables de ce sinistre individu, est hautement significative : « j'ai très mal vécu ce qu'ont fait les médias, tous les médias qui ont transformé en pantalonnade cette horreur et je me réjouis que les services de police aient enfin réussi ».
La tendance a faire des brigands des héros romantiques est ancienne et s'inscrit dans ce qu'on pourrait appeler la « fascination du pire » (pour reprendre le beau titre d'un mauvais livre de Florian Zeller). C'est assez niais en général, mais lorsque s'ajoute la complaisance manifestée ces dernières semaines à propos de Treiber, cela devient effectivement obscène.
Image : Masque Grotesque en grès émaillé, par Jean Carriès (1855-1894)

20 novembre 2009

Drôle de bilan (2)

SARKOZY, ULTRA-LIBERAL ?

Nicolas Sarkozy est rituellement taxé d'ultra-libéral. Non seulement cette critique est inopportune, mais elle relève le plus souvent de la mauvaise foi.
Que fait-il donc de si libéral ? Certes il tente de contenir un peu la pression fiscale énorme qui pèse sur le pays, mais pour le reste, on le voit surtout pratiquer le bon vieux culte du centralisme étatique si en vogue chez nous depuis Louis XIV.
Pour s'attaquer à la Crise, c'est on ne peut plus clair : il utilise en la circonstance des recettes beaucoup plus proches de celles de la social-démocratie que des théories de Hayek, Mises ou Friedman.

La vérité est que sur une voie étroite, le Président cherche à l'évidence à naviguer sans casse entre les écueils de l'actualité, avec la hantise d'une crise sociale de grande ampleur. De ce point de vue, prétendre comme on l'entend si fréquemment, qu'il a des dogmes apparaît particulièrement exagéré. Il montre tous les jours qu'il est capable d'adapter sa politique aux faits. Cela ne contribue d'ailleurs pas peu à altérer la lisibilité de sa stratégie.
S'agissant par exemple du "paquet fiscal", qu'on agite comme un épouvantail, mais qui figurait dans le programme sur lequel il fut élu, il s'agit d'un ensemble de mesures loin d'être destinées uniquement aux "plus riches". Détaxer un peu le travail par le biais des heures supplémentaires, réduire les droits de succession, et protéger les contribuables contre l'appétit illimité du fisc semblent des mesures de salubrité publique, même si le recours par l'Etat à un "bouclier", destiné à protéger ses victimes de sa propre avidité, peut paraître surréaliste (il faut rappeler cependant, que l'inventeur du concept fut Dominique de Villepin). En réalité, pour les classes les plus aisées, Nicolas Sarkozy s'est contenté de pondérer quelque peu l'ISF tout en le compliquant encore un peu plus, alors que tous les autres pays l'ont purement et simplement supprimé...
La diminution de la TVA sur les restaurants, qui était une promesse électorale, relève du simple bon sens et avait été réclamée à corps et à cris par nombre de gens peu suspects d'être liés à je ne sais quel lobby ultra-libéral.
La suppression de la taxe professionnelle se heurte quant à elle à un vrai tir de barrage des élus locaux, y compris au sein de l'UMP. Pourtant chacun sait l'impact désastreux de cette ponction sur le chiffre d'affaires des entreprises, qui freine leur dynamisme et leurs investissements, tandis qu'elle encourage le gaspillage au niveau des Collectivités Territoriales. Un récent reportage du magazine télévisé Capital (15/11/09) objectivait clairement les excès, et les redondances qui caractérisent la gestion prodigue de ces assemblées. Dans un des derniers numéros du Point, on rappelait que La France avec son fameux mille-feuilles géographico-administratif entretient plus de 6000 conseillers régionaux et généraux aux fonctions mal définies, et recrute plus de 36.000 nouveaux fonctionnaires par an ! Enfin, chacun peut constater la surenchère parfois délirante à laquelle se livrent villes et villages en matière de voirie ou d'installations socio-culturelles dont l'utilité paraît le plus souvent, rien moins qu'évidente.
Les Collectivités Territoriales ont hérité certes de quelques tâches autrefois dévolues au Gouvernement mais, outre l'accroissement parfois sidérant de la fiscalité locale, les dotations de l'Etat sont elles-mêmes en augmentation constante : plus de 51% entre 2004 et 2008 pour les régions, et plus 12,3% pour les départements.
La simplification proposée est susceptible d'améliorer le fonctionnement de cette formidable machine, tout en produisant de substantielles économies. Mais s'il faut "compenser" la disparition de la taxe professionnelle, comme certains le réclament, une bonne partie de l'effet escompté s'envolera, et il faudra trouver d'autres cochons de payeurs pour éponger cette gabegie.

Au plan de la stratégie générale, notamment vis à vis de la Crise financière, Nicolas Sarkozy insiste depuis plusieurs mois sur le rôle bienfaiteur de l'Etat et la nécessité de renforcer les régulations. La logique voudrait sur ce point, qu'il trouve au moins un début d'approbation du côté des Socio-Démocrates et un certain désaccord de la part des Libéraux dignes de ce nom. Paradoxalement, il semble que cela soit quasi l'inverse !
Pour un Libéral, rien ne prouve que la crise soit l'effet d'un manque de régulations. Vu leur nombre ahurissant, en croissance perpétuelle, on serait tenté d'affirmer le contraire, tout en déplorant qu'elles sont de toute manière à l'évidence fort mal faites, et cela, même aux Etats-Unis. Comment se fait-il notamment que les organismes mis en place à grands frais pour contrôler les marchés (SEC, COB..) aient été bernés si longtemps par Madoff and Co ?
Quant au rôle bénéfique de l'Etat, il est permis d'en douter lorsqu'on mesure sans a priori l'ampleur vertigineuse des déficits de tous les budgets dont il a la charge en France. Il est d'ailleurs cocasse de constater que ceux-là mêmes qui attribuent l'essentiel de la Crise à l'excès de crédit et à l'endettement incontrôlé, encouragent résolument l'Etat à s'engager toujours plus loin sur cette pente scabreuse. Soulignons enfin que si la plupart des systèmes sous responsabilité étatique sont profondément déficitaires, leur fonctionnement n'a rien de modèles. Justice, Education, Recherche, Protection Sociale, Prisons et même Hôpitaux, le malaise est partout, depuis maintenant des années, en dépit (ou à cause) de la folie réformatrice qui les ensevelit chaque années sous de nouvelles lois et réglementations.

En réalité, un certain nombre de mesures proposées par le Gouvernement actuel pourraient être susceptibles d'apporter une bouffée d'air frais (au moins pour un Libéral), mais elles sont noyées dans des schémas législatifs très complexes, et souvent pondérées pour faire bonne mesure par des contre-feux « socialement corrects ». Leur impact s'en trouve ainsi émoussé avant même leur application. Au point qu'on se demande parfois si elles ont bien été entérinées...
On évalue mal pour l'heure, l'incidence pratique de prétendues ruptures, qu'on agite comme des chiffons rouges :
-Service minimum dans la réforme de la Fonction Publique,
-Ouverture des commerces le dimanche dans celle du Code du Travail
-Suppression de la carte scolaire et autonomie des Universités dans celle de l'Enseignement
-Simplification du système ANPE/ASSEDIC au sein du Pôle Emploi
-Suppression du juge d'Instruction dans la réforme de la Justice
-Taxe carbone dans la politique fiscale et le nébuleux Grenelle de l'environnement
-Rôle accru du Parlement dans la réforme de la Constitution
-Suppression de la publicité sur la TV d'Etat, dans le cadre de la modernisation de l'audio-visuel...

Sont-ce les balises d'une vraie révolution, ou bien des leurres dispersés dans un océan sans vrai horizon ?
D'une manière générale les projets de lois de l'ère Sarkozy peinent à s'extraire de la logique bureaucratique qui prévaut dans l'Administration française. Plusieurs « paquets » législatifs restent d'une grande opacité et font la part belle à la centralisation et à la tutelle de l'Etat-Providence si honnies par les Libéraux, notamment d'inspiration jeffersonienne ou tocquevillienne. Il en est ainsi de la loi HADOPI qui met en place une sorte de soviet mou censé réguler les téléchargements sur l'internet. Et plus encore de la loi HPST en matière de santé publique qui transforme les Agences Régionales de l'Hospitalisation du funeste Plan Juppé, en Agences Régionales de Santé, mastodontes administratifs encore plus pléthoriques, tout en pérennisant le règne des calamiteux plans quinquennaux (Schémas Régionaux d'Organisation Sanitaire) !

Au total, du point de vue libéral, la présidence de Nicolas Sarkozy se révèle à ce jour assez largement à côté de la plaque. A mesure que le temps passe, elle paraît même s'inscrire de plus en plus dans le médiocre conformisme socialisant auquel nous ont habitué ses prédécesseurs. Rien de bien significatif en matière fiscale, impuissance face au poids démesuré des Services Publics, conservatisme en matière d'organisation de la protection sociale, pérennisation du centralisme bureaucratique, généralisation du principe de précaution...
En matière d'identité nationale enfin, dernier "débat" à la mode, l'alternative reste envers et contre tout désespérante, n'offrant en pratique au pays que le nationalisme borné d'une part, ou la dissolution dans le communautarisme de l'autre...

De timides espérances persistent quand même, fondées sur un discours qui reste volontariste même s'il a été édulcoré, et quelques principes d'action dénués de tabou.
Le plus étonnant demeure la nature et la violence de la plupart des critiques dont le Président est la cible. Même si chacun a sa vérité, les outrances qui s'adressent à sa personne et à sa politique sont vraiment indignes de gens se réclamant de la démocratie.
Car enfin, quoiqu'on en dise il n'a pas démérité de cette dernière, et ne peut être considéré à l'évidence, ni comme ultra-libéral, ni comme dictatorial, ni comme aucun des qualificatifs insultants et contradictoires dont on le gratifie à longueur de jours...

18 novembre 2009

Drôle de bilan (1)


Aux Etats-Unis à mi mandat, la légitimité du Président de la République est soumise à l'épreuve des élections du mid-term, qui conduisent à renouveler rien moins que l'ensemble de la Chambre des Représentants (435 députés) et un tiers du Sénat (33 des 100 sièges).
Rien de tel en France. Pour jauger l'opinion publique, il faut se contenter des sondages dont on connait la fiabilité assez médiocre.
Si l'on en croit l'étude LH2 récemment publiée par le Nouvel Observateur, 58% des Français seraient déçus par l'action du Président.

L'idée me vient de tenter une petite rétrospective personnelle, que certains trouveront sans doute subjective mais qui veut s'inspirer de faits tangibles. Le débat en France est si souvent passionnel ou idéologique qu'il néglige souvent la réalité ou bien au contraire l'exagère, ce qui confine au manichéisme. La moindre petite phrase devient sujet de polémique stérile. Et en matière de réflexion, il est difficile d'y trouver quelque substance, autant dans les rangs de la majorité présidentielle, que dans ceux de l'Opposition. Exemple, le Chef de l'Etat parvient à maintenir une assez forte cohésion dans les rangs de sa propre majorité, ce qui s'apparente parfois à une sorte de navrant monolithisme. Mais lorsqu'un sujet fait question, c'est au détour de mésaventures foireuses qu'on apprend les dissidences (votes sur la loi Hadopi, sur la taxation des banques, coups de gueule stériles d'Alain Juppé, de Rama Yade... ) Pendant ce temps dans l'opposition, on se répand en controverses qui tiennent davantage de l'a priori ou de l'invective que de la critique constructive.

Il est difficile de nier que le Président soit un homme actif. En deux ans et demi c'est même un peu l'impression de tournis qui domine. Peut-être est-ce du à la multiplicité des chantiers entrepris, mais aussi probablement à la ligne stratégique un peu confuse qui les sous-tend, et à certains revirements ou reculades.

SUR LA FORME
La présidence de Nicolas Sarkozy est marquée par une vraie rupture avec les manières de ses prédécesseurs. La gestuelle débridée et dénuée de protocole, l'expression directe et sans fioriture, particulièrement en début de mandat, n'était pas personnellement pour me déplaire, même si elle révélait une tendance hâbleuse voire parfois un certain mauvais goût. On avait tant vu par le passé, d'hypocrisies, de lâchetés, d'incurie dissimulées derrière le rite amidonné du Pouvoir !
Hélas, l'incompréhension et la violence des réactions manifestées par celles et ceux qu'il faut bien qualifier de vieilles cocottes républicaines, a eu raison de cette liberté de ton. On a vu à cette occasion avec effarement, comment la plupart des médias, des partis politiques, de l'opinion publique, et même des humoristes, restaient en définitive très largement attachés aux traditions compassées de l'ancien régime...

S'agissant de l'action elle-même, sa caractéristique principale et assez inattendue, fut d'emblée de s'inscrire dans une franche et large ouverture à des anciens adversaires politiques. Elle surprit par son ampleur, surtout qu'on avait catalogué un peu vite sans doute, Nicolas Sarkozy comme l'homme d'un clan. Loin d'être réduite à une médiocre manœuvre politicienne sans lendemain, l'ouverture révéla une indéniable largesse d'esprit en même temps qu'une belle habileté politique. La voie de la réforme étant en France tellement étroite et pavée de chausses-trappes, c'était en somme une nécessité que de faire appel à des bonnes volontés d'horizons divers. Encore fallait-il oser, et l'intelligence du Chef de l'Etat a consisté à ne pas lésiner, et à confier aux personnes sollicitées, de vraies responsabilités. Rien à voir avec les éphémères combines de Mitterand dans les années 80 (Tapie, Soisson, Schwartzenberg...), ni avec la simagrée des « juppettes » de Chirac.
En la matière, l'option la plus culottée fut l'appel à Eric Besson. Cet homme qui faisait figure d'obscur apparatchik, partisan jusqu'à la caricature, s'est mué en un vrai homme d'Etat, s'attelant à des tâches ingrates avec détermination et apparente conviction.

Pour autant, l'ouverture aussi audacieuse soit-elle, ne suffit pas à faire une vraie politique. Aussi faut-il juger aux actes concrets. Il n'en manque pas assurément depuis deux ans et demi, même s'ils n'emportent pas tous la conviction. On peut voir de vraies avancées, mais on peut également s'interroger sur le bien fondé ou la logique de certaines mesures. Le principal reproche d'ensemble qu'on pourrait faire à Nicolas Sarkozy, est de pratiquer une stratégie plus velléitaire et ambitieuse que déterminée et pragmatique.

POLITIQUE ETRANGERE
Une des meilleures initiatives fut sans conteste à mon sens, de relancer la dynamique européenne. On peut certes émettre de sérieuses réserves sur la nature du traité de Lisbonne, guère moins absconse que celle du Projet de Constitution, mais le fait est là : on est sorti de l'impasse. L'Europe reste à l'évidence encore bien floue et beaucoup trop technocratique mais elle se remet à bouger, c'est là l'essentiel.
Dans le même ordre d'idées, le rapprochement avec les Etats-Unis fut une saine décision. Là encore, eu égard à l'ahurissant consensus hostile qui sévissait en France, Nicolas Sarkozy a fait preuve d'un certain courage dès le début de son mandat, et notamment sans attendre le changement de président aux Etats-Unis.
Le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN relève de la même politique et il faut vraiment avoir une idée étroite et artificielle de notre pays pour regretter le superbe et tragique isolement dans lequel Jacques Chirac et ses prédécesseurs le maintenaient. Cette alliance n'empêche pas l'actuel président de dire sans détour son fait à son homologue américain, à propos de l'Iran par exemple. Sans acrimonie, sans mépris, mais avec sincérité.
Les gesticulations sarkoziennes lors de l'intervention russe en Georgie, furent moins convaincantes, même s'il faut bien reconnaître qu'il était difficile d'opposer davantage que des mots à la force de frappe de Moscou.
Enfin, le projet d'Union de la Méditerranée, pour intéressant qu'il soit, révèle bien des lacunes, et une bonne dose de naïveté. S'agissant du Proche Orient, l'attitude du chef de l'Etat reste ambiguë. Il cherche astucieusement à resserrer les liens avec certains pays (Arabie, Emirats) mais reste farouchement opposé à le faire avec la Turquie. Dans le conflit israelo-palestinien, il reste prudent ce qui est sans doute sage. Enfin son discours fort vis à vis de l'Iran est assez convaincant, mais sa portée paraît affaiblie par l'indulgence qu'il manifeste à l'égard de la Libye, voire de la Syrie..


A suivre...

11 novembre 2009

In memoriam Victor Kravchenko

J'ai choisi la Liberté (suite du billet précédent)
UNE JEUNESSE ROUGE
Fils d'un révolutionnaire de la première heure, en lutte dès 1905 contre le Pouvoir Tsariste, Victor Kravchenko (1905-1966) fut littéralement envoûté par son père, qu'il voyait comme un « héros de légende ». De ce dernier, il n'eut pourtant qu'une image assez parcellaire, tant il fut absent du foyer familial, occupé qu'il était à courir les grèves, les manifestations et se retrouvant souvent en prison. Mais pour son fils, à travers sa vie trépidante et ses aventures de rebelle au grand cœur, la première révolution russe (celle de 1905) « s'auréola de toutes les couleurs du roman, et son échec même [lui] parut encore éblouissant et grandiose ».
Il n'est donc pas étonnant qu'imprégné dès son plus jeune âge par ce vent de révolte, il fisse le choix d'adhérer aux komsomols.

En s'enrôlant dans les jeunesses communistes, il se sent comme investi d'une mission : « Ma vie avait maintenant un nouveau but, une nouvelle orientation, une nouvelle et puissante raison d'être : j'allais me dévouer à une grande cause. J'appartenais à cette élite, choisie par l'Histoire, qui devait tirer de l'obscurité le pays et le monde tout entiers pour les éclairer des lumières socialistes. »
Aucun sacrifice ne lui semble alors excessif : « En ma qualité de membre de l'élite, j'avais le devoir de travailler plus dur que les autres, de dédaigner l'argent et de ne poursuivre aucune ambition égoïste. »
En 1924, Kravchenko a 19 ans lorsque Lénine meurt, au moment même où la Nouvelle politique Economique (NEP) instillant un peu de liberté commence à produire quelques effets favorables, hélas bien éphémères : « En faisant entrer le commerce libre dans la légalité, [elle] nous avait valu des centaines de nouvelles boutiques : restaurants, cafés, etc... Avec de l'argent dans sa poche, on pouvait maintenant se procurer tout ce qu'on voulait. »
Son engagement dans l'action amène Victor à être assez rapidement témoin direct de brutalités, commises notamment sur les Basmatchis, ces musulmans d'Asie Centrale que le Tsar avait tenté de soumettre, et qui furent impitoyablement pourchassés et massacrés comme « bandits », par les Bolchéviques. Mais il ne s'en formalise guère, et tandis qu'il est en garnison à Bakou, il observe non sans dédain, certaines coutumes islamiques : « Dans les rues étroites et odorantes des quartiers musulmans, je vis pour la première fois des femmes en paranjas, espèces de linceuls qui les enveloppe de la tête aux pieds, avec un petit voile de crin triangulaire à la hauteur du visage. Ainsi affublées, les femmes n'ont plus de forme : on dirait des sacs qui marchent. »
Pendant ce temps à Moscou, la succession à la tête du Parti est terrible. Staline entreprend d'évincer un par un, tous ses soi-disant camarades. Il se montre sous un jour modéré pour éliminer Trotski, le plus extrémiste, celui qui plaidait pour la radicalisation, la militarisation à outrance et qui prônait l'exportation rapide de la Révolution au monde entier.
Mais sitôt Trotski hors jeu, Staline, totalement dénué de scrupules, fait sienne la politique radicale de son ex-adversaire et parvient à écarter sans peine Boukharine et ses amis, qui peuplaient "l'aile droite" du Parti.
Dès lors la voie est libre pour la réalisation de l'absolu communiste dans sa forme la plus pure, la plus folle, consistant ni plus ni moins, à déraciner « les vestiges de l'économie et de l'état tout entier », et surtout, les vestiges de l'état d'esprit capitaliste, « afin de pouvoir enfin diriger la Russie vers l'industrialisation et le collectivisme agricole ».
 


UN CHAUD PARTISAN
En 1929, Kravchenko, n'a pas vraiment conscience de l'horreur à venir. De son propre aveu, il est « l'un de ces enthousiastes enflammés par les belles idées de liberté et les plans grandioses .»
C'est à cette époque qu'il adhère au Parti Communiste, contre l'avis de son père. Bien que ce dernier eut plusieurs fois l'occasion d'y entrer, il s'y était toujours refusé, comme s'il avait eu quelque sombre pressentiment : « Il ne se sentait aucun goût pour la dictature et la terreur » avoua-t-il tout crûment à son fils, « même enveloppée dans les plis d'un drapeau rouge. »
Le père de Victor fait état de ses craintes, hélas justifiées: « Quels que soient les programmes de chaque parti, ce sera une mauvaise affaire si un seul d'entre eux l'emporte nous aurons alors troqué nos anciens maîtres pour de nouveaux, voilà tout : nous aurons un gouvernement imposé par la force au lieu d'en avoir un qui ait été choisi par la libre volonté. Ce n'est pas pour en arriver là que les vrais révolutionnaires sacrifiaient leur vie. »
Qu'importe les conseils paternels, l'ardent Komsomol y croit encore : « A cette époque, écrit-il, je menais une vie de travail, de luttes et de privations et je m'irritais de voir les Libéraux à la mode d'autrefois critiquer nos efforts sans y participer... »
Cette « rupture avec le passé » qu'il appelle de ses vœux, Victor décide de la vivre pleinement, au service de son pays et de ses nouveaux maîtres. Son zèle est d'ailleurs récompensé, et il va bénéficier de bourses avantageuses pour faire des études d'ingénieur d'abord à Karkhov, puis dans sa ville natale Dniepropetrovsk (même si le Parti contrarie ses aspirations en l'orientant vers la métallurgie plutôt que l'aviation).

PREMIERS DOUTES
Durant ces années, tandis qu'il étudie d'arrache-pied, et que sa vie personnelle s'émaille de quelques liaisons amoureuses sans lendemain, il découvre progressivement la mécanique perverse du régime soviétique. L'industrialisation tout d'abord, qui consacre de manière délirante le règne de la machine et du productivisme : « La machine était devenue une divinité redoutable. Elle avait acquis dans notre pays une espèce de puissance mystique qui s'insinuait dans la vie de tous les jours. »
Paradoxalement
Staline y sacrifie bon nombre de valeurs égalitaristes et transforme sans vergogne la condition ouvrière, déjà peu reluisante, en véritable aliénation : « En juin 1931 il fait un discours qui bouleverse profondément l'industrie soviétique et qui va modifier de fond en comble la vie des ouvriers et des employés d'usines. Ce discours renfermait les fameux six points destinés à augmenter le rendement et dont les plus importants étaient les suivants : calcul au plus serré des prix de revient, direction plus centralisée des entreprises, accroissement des responsabilités en cas d'échec et augmentation de l'écart existant entre les diverses catégories de salaire. »
De fait, les nouveaux nantis deviennent bientôt plus privilégiés que l'ancienne bourgeoisie, tandis que la classe ouvrière se voit totalement méprisée et ravalée ni plus ni moins au rang d'esclaves. Les rythmes de travail sont de plus en plus ahurissants, et tout écart ou tout retard, est sanctionné avec la plus extrême sévérité. Quant au principe de responsabilité, il prend des allures de tragi-comédie : « Une erreur de jugement commise en toute bonne foi ou une expérience technique dont l'application se révélait malheureuse pouvait fort bien être considérées comme des actes de sabotage est sanctionnées par l'exil ou la prison.../.. voilà pourquoi l'horreur des responsabilités paralyse complètement notre gigantesque effort de développement économique. » Souvent ce sont d'ailleurs les lampistes qui endossent les erreurs faites par leurs supérieurs, bien en cour.
Parallèlement tout un système de falsification est mis en place pour galvaniser le peuple et leurrer tous les observateurs de l'expérience socialiste. Le Stakhanovisme constitue une illustration édifiante de cette perversion de la réalité : « Dans toute l'histoire contemporaine de notre pays, il est peu d'événements qui aient déchaîné des applaudissements aussi frénétiques, aussi enthousiastes et aussi soutenus. Il s'agissait là, pourtant, d'un miracle plutôt profane et passablement suspect. Pour tout ingénieur, la fraude sautait aux yeux : Stakhanov avait certainement profité de conditions de travail exceptionnelles et on lui avait sûrement donné des outils spéciaux et des facilités de toutes sortes pour qu'il put établir ce record sans précédent. C'était un miracle fabriqué sur commande pour complaire au Kremlin et lui permettre de lancer sa nouvelle religion : celle de la célérité. »

HOLODOMOR
Pour industrialiser et « moderniser » l'Union Soviétique, le Parti a un besoin impérieux de machines outils. N'ayant d'autre alternative, dans un pays ruiné, que de les acheter à l'étranger, il lui faut trouver des ressources à troquer. Il va les tirer par la force, du monde agricole qu'il va pressurer tout en le collectivisant.
C'est un vrai génocide que Kravchenko va découvrir effaré, alors qu'il est dépêché comme tant d'autres jeunes Communistes dans les campagnes pour "encadrer" cette sinistre opération : « Pour s'assurer que les récoltes seraient dûment moissonnées, pour empêcher les fermiers désespérés de manger leur blé vert, pour que les kolkhozes ne sombrent pas sous une mauvaise gestion, et pour lutter contre les ennemis de la collectivisation, les sections politiques spéciales furent créées dans les villages et placées sous l'autorité d'hommes de confiance du parti : membres de l'armée et des professions libérales, fonctionnaires, étudiants ou membres du NKVD. le comité central du parti réunit ainsi une véritable armée de plus de 100 000 hommes décidés, qu'elle répandit dans les territoires soumis au collectivisme pour veiller à la sauvegarde de la nouvelle récolte. J'ai été parmi ces soldats d'un nouveau genre. »
Tout de suite Kravchenko devine le drame qui commence à se nouer: « On colportait de bouche à oreille des histoires de cruauté incroyable, commises dans les villages à l'occasion de la liquidation des koulaks. De longs trains formés de wagons à bestiaux remplis de paysans traversaient Kharkov, se dirigeant vraisemblablement vers les toundras du Nord : c'était la, encore, une conséquence de la liquidation. »
Sur place il verra que c'est pire que tout. La quasi totalité de la production est rançonnée sans pitié par les émissaires du gouvernement. Non seulement on vole aux paysans le fruit de leur labeur mais on exige qu'ils augmentent le rendement ! La moindre rébellion ou même faiblesse devant tant d'injustice, est qualifiée de sabotage. L'ignoble « loi des épis » permet de condamner à dix ans de camp ou à la peine de mort « tout vol ou dilapidation de la propriété socialiste » !
Soit qu'on les exécute sur place, soit qu'on les déporte, soit qu'ils meurent de faim, c'est un massacre de plus de 6 millions de malheureux que le pouvoir soviétique planifie méthodiquement en Ukraine et dans le Caucase du Nord. A ce jour, beaucoup de pays ont reconnu cet effroyable génocide, connu sous le nom d'Holodomor, mais toujours pas la France...
Kravchenko est abasourdi par cette expérience calamiteuse. Il cherche à aider les malheureux paysans à produire plus, tout en se battant pour qu'on leur laisse de quoi subsister, mais il se sent impuissant, désemparé par tant de cruauté et de mensonges : « Où était la réalité, où était l'illusion ? Était-ce la faim et la peur qui règne dans les villages, les enfants abandonnés – ou bien les statistiques triomphales ? »
Il constate avec dépit que l'objectif de l'égalité universelle promise est bien loin et voit avec rage s'installer la nouvelle Nomenklatura : « la corruption de l'esprit, chez ces privilégiés, avait atteint un degré incroyable ; ces gens qui quelques années plus tôt n'étaient eux-mêmes que de pauvres paysans, avaient déjà perdu tout souvenir de leur condition d'origine. Ils formaient maintenant une caste à part, une clique nettement scindée du reste de la population où chacun s'épaulait l'un l'autre; pratiquement, ils formaient une véritable bande de complices, ligués contre la communauté. »
Il s'étonne déjà de la naïveté avec laquelle le monde extérieur considère l'Union Soviétique : « Des délégations envoyées par des pays étrangers – souvent fort éloignés, telle l'Amérique ou l'Australie – venaient contempler les merveilles du Plan Quinquennal et saluaient les triomphes soviétiques avec un enthousiasme voisin de la frénésie. Comment ces visiteurs étrangers pouvaient-ils bien faire leur compte pour ne voir jamais qu'un seul côté du tableau ? Il y avait là un mystère que nous autres Russes, ne pûmes jamais résoudre. »

SOVIETISATION PAR LA PURGE
A mesure qu'il avance en âge, il découvre l'engrenage monstrueux qui s'est mis en branle au nom de la Révolution, notamment le culte du secret et le quadrillage infernal de la société par un réseau diabolique de délation à tous les niveaux : « La Division Spéciale entretenait des agents secrets dans tous les services de l'Institut et jusque dans les cellules du parti ; le comité du parti, de son côté, possédait dans les cellules ses propres agents de renseignement, dont l'identité était inconnue des chefs de la division spéciale il y avait ainsi des espions qui espionnaient les espions et tout cela formait un inextricable réseau de filets aux mailles enchevêtrées qui se déployaient toujours plus loin et qui engendrait une terreur amplement motivée..../... Nous vivions dans un monde trop rempli d'oreilles et d'yeux invisibles.../... Au sein du parti, il avait un nom, ce mécanisme secret de surveillance et de délation qui supprimait à tout jamais le vieux mur de la vie privée ; on l'appelait la démocratie. »
En dépit de compétences appréciées par les autorités, qui lui vaudront d'être nommé ingénieur dans plusieurs combinats métallurgiques, Kravchenko va payer les doutes qu'il manifeste à certaines occasions, et probablement son trop grand souci de vouloir améliorer la condition de ses compatriotes. De 1936 à 1938, la vague infâme des purges va le concerner de très près et il devient comme des millions d'autres une cible pour les fonctionnaires de la Police du Parti.
Cette période terrible fut annoncée sans détour par les Commissaires du Peuple : après la « réussite » de la collectivisation des campagnes et le « succès » du premier Plan Quinquennal, il fallait désormais liquider les « éléments étrangers », les « ennemis du peuple », les « réactionnaires », qui selon eux, pullulaient encore un peu partout et risquaient de freiner « la marche vers le socialisme intégral et la vie heureuse pour tous. »
Il est difficile de comptabiliser le nombre de fois où Victor, comme tant d'autres, dut se justifier, à toute heure du jour et de la nuit, sans aucune considération pour ses lourdes obligations professionnelles. Dans les sombres bureaux du NKVD, au cours de vraies séances de torture psychique et d'humiliation, il lui fallut se plier à un rituel bien établi : « La première condition à remplir pour conserver sa carte du parti consistait naturellement à fournir la preuve d'une fidélité inébranlable aux directives de sa ligne générale et surtout, un attachement indiscutable au camarade Staline. Que l'on vous soupçonne, si peu que ce fut, d'avoir jamais manifesté la plus légère tendance de déviation, et c'en était fait de vous.
Lorsque le candidat à la « purge » avait victorieusement subi cette première épreuve, on en venait à l'examen de sa vie privée et de ses opinions les plus intimes sur toute chose, ce qui fournissait d'innombrables occasions de l'attaquer publiquement. »
A partir de cette époque Kravchenko perd ses dernières illusions en même temps qu'apparaît en lui une envie de plus en plus irrépressible de fuir l'enfer dans lequel il est contraint de faire bonne figure, ne serait-ce que pour sauver sa peau.
Du reste, il affirme que personne ne prenait au sérieux le spectacle sinistre des grands procès staliniens qui déciment alors les quelques élites qui avait échappé aux précédents massacres : « Je puis certifier que personne, parmi les gens que j'eus l'occasion de rencontrer à Moscou, n'attachait la moindre valeur aux prétendus « aveux ». On comprenait parfaitement que ces malheureux n'étaient que des marionnettes obligées de tenir leur rôle dans une sinistre farce politique, entièrement dépourvue de vraisemblance. Poursuivant l'extermination de ses adversaires personnels, Staline avait réussi à les acculer au suicide. »
La folie exterminatrice n'eut aucune limite. Même les amis les plus proches, ceux sans lesquels la Révolution n'aurait pu s'accomplir, firent les frais de cette défiance monstrueuse. Staline et ses acolytes ne manifestèrent aucun sentiment humain, n'hésitant pas à passer d'abominables marchés de dupes avec leurs infortunées victimes, leur faisant croire qu'ils seraient épargnés s'ils avouaient les crimes imaginaires dont on les accusait : « Pour leur part, les victimes ont respecté les modalités de l'arrangement conclu, mais Staline n'en a rien fait ; de toute évidence, d'ailleurs, il n'en avait jamais eu l'intention. Les exécutions eurent lieu quelques heures seulement après les procès. Boukharine et Rykov moururent debout, en accablant Staline d'injures ; Zinoviev et Kamenev au contraire, s'était traînés en pleurant aux genoux de leurs bourreaux pour implorer leur grâce. »
L'ampleur de ce nouveau génocide dépasse l'entendement : « En 1938 les camps de concentration et les colonies de travail forcé étaient plus florissants que jamais. Parmi les Communistes qui fréquentaient les milieux du Kremlin, on chuchotait que le nombre des condamnés aux travaux forcés dépassait 15 millions, et peu d'années après on l'estimait voisin de 20 millions. »
La clique des complices du tyran se réduisit elle-même comme peau de chagrin : « Au conseil des commissaires du peuple, il ne restait plus que Molotov ; tous les autres avaient été exécutés, emprisonnés ou privés de leurs fonctions. Le Comité Central du parti, qui constitue, théoriquement, le cœur et le cerveau du pouvoir, comprend 138 membres ; quand la super purge eut achevé son œuvre, il ne comptait plus guère qu'une vingtaine de personnes. Des 757 membres du Tzik, qui est le comité central exécutif – on le représente parfois à l'étranger comme le « parlement » de la Russie – quelques douzaines à peine survécurent à la tourmente. »
« Dans toute l'histoire de l'humanité, je ne connais rien de comparable, s'exclame Karvchenko, ne fût-ce que par son ampleur, à cette impitoyable persécution volontaire que l'on fit subir, directement ou par ricochet, à des dizaines de millions de Russes. À côté de Staline, Genghis-Khan lui-même n'était qu'un apprenti, un amateur... C'est une guerre sauvage contre son propre pays et son propre peuple que la clique du Kremlin a mené jusqu'au bout. »
Une fois encore Victor se demande comment le reste du monde peut ignorer ces ignominies : « L'horreur de cette abomination n'a jamais été bien comprise du monde extérieur. Peut-être d'ailleurs est-elle trop énorme pour qu'on arrive jamais à la comprendre. La Russie n'était plus qu'un champ de bataille jonchée de cadavres, parsemé de gigantesques enclos de barbelés ou des millions de misérables prisonniers de guerre peinaient, souffraient et mourraient... Comment l'imagination pourrait-elle concevoir un tableau d'horreur aussi vaste ? »

L'HISTOIRE REECRITE
Plus que jamais, le mensonge devient la règle dans ce royaume de la terreur. Après les crimes de masse, tout est maquillé, travesti, réécrit à la lumière des diktats du Politburo. Même l'Histoire est revisitée de fond en comble : « Staline vient de constituer une commission chargée d'écrire une nouvelle Histoire du Parti. Naturellement, l'histoire va être revue et corrigée ; on aura soin de déformer les faits authentiques afin de les faire cadrer avec les fantasmagories du procès .../... Je ne veux pas dire seulement par là que l'on y falsifiait les évènements ou qu'on y donnait des faits une interprétation nouvelle ; j'entends qu'on y faisait délibérément table rase de l'Histoire proprement dite. Certains évènements étaient purement et simplement supprimés, tandis que d'autres étaient inventés de toutes pièces.. »
Parallèlement à cette gigantesque entreprise de falsification, l'endoctrinement des jeunes générations par l'Etat fonctionne à plein régime : « Comme pour graver plus profondément dans nos esprits la honte de cette imposture, tous les membres du Parti assumant des responsabilités quelconques furent obligés « d'étudier » la nouvelle version qu'on venait de leur offrir. Presque chaque soir, il y avait « cours d'histoire » ; des conférenciers de Sverdlovsk venaient aider leurs collègues de Pervouralsk à enfoncer ces mensonges dans nos crânes. La plupart d'entre nous bouillaient intérieurement, blessés dans ce qui leur restait de dignité humaine. Pourtant, le plus grossier mensonge, à force d'être répété, finit par « prendre » ; Staline le savait bien avant que Hitler ne le découvrit. »
Les derniers restes de liberté sont piétinés, même pour les plus dévoués esclaves de l'Ogre : « Tout communiste désireux de quitter une ville ou une région pour aller se fixer dans une autre, même si son changement de résidence résultait d'un ordre supérieur, devrait attendre désormais une décision formelle de son comité urbain, l'autorisant à se déplacer. Le Parti devenait donc une espèce de prison ; il est vrai qu'on y jouissait d'agréments et de privilèges refusés aux autres occupants de cette prison plus vaste appelée Russie, mais ce n'en était pas moins une prison. »
Cette cage, même dorée pour les plus privilégiés, pouvait toutefois se transformer du jour au lendemain en disgrâce sans appel, et de toute manière avilissait toute dignité : « Comment aurait-on pu conserver la moindre dignité humaine quand le caprice de quelques mandarins moscovites ou le zèle de quelques fonctionnaires du parti ou du NKVD pouvait, à tout instant et sans que rien ne fit prévoir, consommer notre perte ? Comment conserver la moindre trace de respect humain sous l'incessant espionnage de mouchards vulgaires et trop souvent malveillants ? »
Bien qu'il soit parvenu à sauver sa tête, et même à être réhabilité après avoir été suspecté de trahison, Victor se trouve dans un désespoir noir : « Si les années me semblaient si vides, en dépit des événements dramatiques qui les remplissaient, c'est que je vivais dans un néant spirituel absolu. Ayant perdu la foi en la grande expérience, je ne pouvais plus me raccrocher à rien – à rien sinon à mon travail et à l'espoir d'une évasion improbable. »

ALLIANCE ET GUERRE DES EXTREMES
Pourtant il n'avait pas encore tout vu. Une des dernières épreuves et non des moindres qu'il eut à subir, ainsi que tout le peuple Russe martyrisé, fut l'horrible humiliation du rapprochement avec l'Allemagne nazie, organisé sans aucun scrupule par Staline, puis l'atroce guerre qui s'ensuivit.
Sur ce sujet, Kravchenko est catégorique, l'accord Germano-Soviétique n'était en aucune manière une ruse destinée à gagner du temps. Staline, "de bonne foi", crut bon de se rallier à Hitler, de peur qu'un pacte soit conclu entre ce dernier et les pays occidentaux, à l'encontre de l'URSS. La meilleure preuve est qu'il négligea totalement l'hypothèse d'un retournement de situation : « De tous les mensonges répandus par la propagande communiste, le plus honteux, parce que le plus faux, et celui qui voudrait faire croire que Staline mit à profit les 22 mois que lui valut son pacte avec les nazis pour se préparer à leur faire la guerre. Ce mensonge constitue une injure pour des millions de Russes qui souffrirent et moururent précisément parce que ce laps de temps avait été gaspillé. »
En réalité « cette théorie faisait bon marché de l'aspect le plus significatif de l'arrangement conclu entre Staline et Hitler, à savoir l'aide économique considérable apportée à l'Allemagne par la Russie, aide qui priva cette dernière des produits, des matériaux et de la capacité productive nécessaire à ses propres préparatifs de défense. »
En contrepartie de cette pseudo-alliance très chèrement payée, puisqu'elle aggrava la pauvreté des populations déjà privées de tout, il y avait la perspective de pouvoir annexer à bon compte quantité de voisins : Pologne, pays baltes, Finlande, Bessarabie roumaine, Moldavie, tout en rejetant vers l'Allemagne des hordes de communistes qui avaient fui le régime de Hitler et qu'on renvoyait ainsi à une mort certaine, parce qu'ils étaient jugés trop peu fiables par Staline.
En dépit de ces conquêtes faciles, l'armée rouge était en piteux état, dénuée d'armement moderne et sans encadrement digne de ce nom, et Staline ne fit rien pendant le répit qu'il avait obtenu, pour réparer ses forces. Il se consacra à persécuter les régions annexées de la pire manière en y installant sans ménagement le carcan communiste. A cette époque s'inscrit l'affreux massacre de Katyn en Pologne où
sur ordre écrit du Comté Central, périrent, assassinés froidement d'une balle dans la nuque au bord de gigantesques fosses communes, plus de 14.000 officiers et civils au seul motif qu'ils avaient été jugés par principe, anti-communistes.
Lorsque Hilter mit fin à cette comédie grinçante en envahissant brutalement l'URSS en 1941, peu ne fallut qu'il fit main basse sur le pays entier, se livrant au passage au massacre des populations envahies, considérées avec le même type d'a priori hideux, comme communistes, juives ou métèques : « Si notre pays n'avait pas été plus grand que la France, l'ennemi aurait pu nous écraser quatre fois pendant les quatre premiers mois de la guerre. Si notre pays échappa finalement à l'extermination, il ne le dut qu'à l'immensité de son territoire, à ses ressources illimitées en hommes, à l'héroïsme et à l'esprit de sacrifice incroyable du peuple russe, à l'arrière comme au front, et à la possibilité de transférer ailleurs les usines évacuées. »
Staline fut totalement pris au dépourvu par la trahison allemande, et ne finit par remporter la victoire, qu'aidé par les conditions météo qui avaient déjà fait reculer Napoléon, par l'aide occidentale qui afflua massivement après ce revirement, et surtout en transformant une fois encore son peuple en chair à canon : « Malgré notre victoire finale, l'histoire retiendra à la charge du régime stalinien qu'il fut incapable de préparer le pays à l'épreuve qui l'attendait. Ce régime porte la responsabilité de millions de vies humaines sacrifiées sans nécessité et de souffrances inimaginables. Pourquoi la population de Stalingrad ne fut-elle pas évacuée ? Cette négligence de Staline est passée sous silence par ses admirateurs. Pourtant à la date du 1er mai 1943 1.300.000 habitants de cette ville avait succombé à la faim et au froid et ceux qui survécurent porteront jusqu'à la fin de leurs jours les stigmates de souffrances effroyables qu'ils endurèrent pour un siège qui dura trois hivers consécutifs. »
Les dirigeants soviétiques comme à leur habitude pratiquèrent lors de leur retraite initiale, la politique de la terre brûlée : « Staline avait ordonné que tous les biens qu'on ne pouvait emporter au cours de la retraite devaient être « détruits sans exception ». Ce n'est pas un secret aujourd'hui que nombre de paysans et de citadins se refusèrent à exécuter cet ordre et s'y opposèrent parfois par la force et dans le sang. Les destructions furent effectuées surtout par les forces armées, et non par les civils. »
Dans le même temps, il dépêcha sur le front des unités spéciales du NKVD chargées d'éliminer sans pitié tout défaitiste et naturellement tout déserteur : « Que de fois nous vîmes des camions de déserteurs sortir des prisons, escortés par des Tchekistes ! Il est probable qu'on les conduisait dans quelque endroit écarté où l'on procédât à leur exécution en masse. Ils avaient les cheveux coupés ras, les visages d'un gris terreux ; c'étaient des misérables, hâves et tremblant dans leurs uniformes déchirés. Je sais de source sûre que la proportion des désertions chez nous était extrêmement élevée. »
Il est quasi impossible de chiffrer précisément les pertes occasionnées par la guerre, à cause avant tout des erreurs, des manigances, et de la poursuite infernale de l'épuration, ordonnées par les dirigeants soviétiques. Plusieurs dizaines de millions de personnes assurément.
En tout cas Kravchenko est formel : « J'affirme, une fois de plus, que la justification que l'on se plaisait à fournir du pacte conclu avec les nazis, à savoir la possibilité de gagner du temps, ne fut pas autre chose qu'un conte de fées, un mensonge pur et simple, accrédité par une propagande cynique. »


EPILOGUE
Là s'arrête le récit. En 1943, alors que la guerre fait rage, Kravchenko, qui était devenu haut fonctionnaire au Snovarkom, c'est à dire quelque chose comme le conseil des ministres, reçut un jour, l'ordre de se rendre aux USA, en « voyage d'affaires », tous frais payés par le Commissariat au Commerce Extérieur.
Pendant de longs mois il n'osa y croire, tant les formalités furent laborieuses pour concrétiser ce rêve. A nouveau il dut répondre à des multitudes d'interrogatoires et d'enquêtes fouillant son passé, à des tombereaux de consignes et de recommandations à propos de l'abîme de "pourriture capitaliste" où le Parti l'envoyait. Naturellement, à l'objectif officiel de négocier les fructueux prêts-bails que l'Amérique consentait un peu naïvement à l'URSS, s'ajoutait peu ou prou la tâche d'espionner le faux ami : « Apprenez donc tout ce que vous pouvez apprendre, observez toutes choses – et ne donnez rien en échange. »
Victor Kravchenko au moment de quitter son pays, sait qu'il ne le reverra jamais. Il sait qu'à la suite de son évasion, sa famille, ses amis, son entourage professionnel risquent de faire l'objet de persécutions. il sait aussi que même passé à l'Ouest, il sera poursuivi, traqué sans relâche par les sbires du NKVD. Il sait enfin qu'il aura peut-être du mal à convaincre les Occidentaux du bien fondé de son témoignage. Mais il sait aussi que la chance ne se présentera pas deux fois. Sa décision est prise, irrévocable. Il ne peut supporter davantage la comédie qu'il est par la force des choses, obligé de jouer pour subsister, et il est trop conscient que d'un jour à l'autre, à la moindre faute, il peut être déchu. Il faut enfin qu'il révèle l'atroce vérité, ne serait-ce que par respect pour son peuple meurtri, et pour servir un peu, la mémoire des millions de victimes.
Son livre, publié aux Etats-Unis en 1946, va être un best-seller. Pourtant, comme il le craignait, il fit l'objet d'une certaine incrédulité, voire d'une franche hostilité. Tristement la France est le pays qui lui réserva le plus mauvais accueil. Le Parti Communiste qualifia de tissu de mensonges le récit, insinua qu'il n'était pas de lui mais qu'il émanait d'une cellule de propagande américaine ! Non contents de ces ignobles accusations, de nombreux intellectuels trainèrent dans la boue l'auteur disant tour à tour qu'il était ivrogne, violent, menteur, traitre à sa patrie, déserteur, pour conclure qu'il ne savait de toute manière pas écrire ! Le procès que leur intenta Kravchenko en 1949, donna lieu à un déluge de mauvaise foi. Bien qu'il le gagna, il n'obtint pas de réparation significative et l'intelligentsia d'inspiration marxiste-léniniste put continuer à parader dans les médias en ânonnant à tous vents sa funeste dialectique. En 1953, ces mêmes intellectuels se répandirent en louanges au sujet du "Petit Père des Peuples" qui venait de passer enfin, et vraiment, l'arme à gauche... Et d'une manière générale, bien qu'il céda peu à peu du terrain, le Socialisme put continuer d'asservir quantité de peuples à travers le monde...
Aujourd'hui encore ce destin incroyable est sous-estimé et la leçon largement occultée. Le livre n'a jamais été réédité ce qui est un vrai scandale compte tenu de son apport historique majeur. C'est bien le moins, au moment où l'on commémore la fin de cette insondable monstruosité qu'est le Communisme, que de rendre hommage à ce héros qui lui porta tout seul, avec une audace inouïe, la première vraie attaque.
On sait désormais que tout ce qu'il a raconté est vrai, même si la réalité est sans doute plus noire encore que le tableau qu'il en fit. Et puis sa lecture est facile, car contrairement aux calomnies, Kravchenko qui manifesta d'ailleurs ce talent très tôt, savait parfaitement écrire. Même traduit deux fois (
en anglais d'abord, puis en français par Jean de Kerdéland) son propos est d'une puissance descriptive rare.
Pour achever cette analyse, il paraît important de lui donner une dernière fois la parole sur un point essentiel. Bien que cette aventure concerne l'époque stalinienne de « l'édification du Socialisme », il serait vain de faire peser l'entière responsabilité du sanglant désastre sur celui qui se fit appeler « l'Homme d'Acier ». En réalité, il incarna la version la plus pure, la plus aboutie, la plus déterminée de l'Homo Communistus. Derrière son ombre maléfique c'est bien sûr celle d'un système qui se profile. Puisse un jour le bon sens et l'esprit de liberté, enterrer définitivement ces abominables constructions de l'esprit, au nom desquelles par principe, on se croit autorisé à martyriser les êtres humains :
« En Russie même, j'avais souvent remarqué cette tendance à rejeter sur un seul homme la responsabilité de tant de morts, mais cet état d'esprit était encore plus répandu aux États-Unis. Le malheur, c'est que ces horreurs sont inhérentes au système soviétique lui-même et que ce système, bien certainement, ne mourra pas en même temps que Staline. Un autre dictateur lui succédera – une nouvelle clique de dictateur... »
***
Il ne croyait pas si bien dire. La liste est longue des applications calamiteuses de cette idéologie meurtrière. En 1949 précisément, était proclamée l'horrible République Populaire de Chine, le rideau de fer s'étendait en isolant toute l'Europe de l'Est, puis la Corée du Nord. En 1959 c'était la révolution cubaine, puis le tour du Vietnam, du Cambodge... La plupart des dictatures africaines soi-disant socialistes laïques s'inspirèrent des mêmes principes et méthodes : Algérie, Libye, Syrie, Irak, Zimbabwé... On oublie enfin un peu facilement que le régime nazi lui-même, ne revendiquait rien d'autre que le national-socialisme...
Par un curieux paradoxe enfin, les rares fois où à l'occasion d'évènements sanglants l'expérience socialiste avorta (Espagne, Chili), les pleureuses bien-pensantes,
affreusement myopes et partisanes, mais tranquillement à l'abri dans les démocraties occidentales, prirent sans nuance, fait et cause pour ceux qui prônaient le marxisme-léninisme...

09 novembre 2009

Celui qui le premier, troua le mur

Au moment où l'on commémore les vingt ans de la chute du Mur de Berlin, je termine la lecture de l'ouvrage de Victor Kravchenko : « J'ai choisi la liberté ».
Sous titré « Vie publique et privée d'un haut fonctionnaire soviétique », il raconte l'épopée hallucinante du premier dissident à passer à l'Ouest en 1943, en pleine guerre mondiale. A 38 ans sans arme ni bagage mais avec au fond de lui un terrible et définitif dégoût pour le prétendu Paradis Socialiste.
Cette aventure est fascinante car elle émane de quelqu'un qui vécut la Révolution de 1917 avec enthousiasme; qui crut de toutes ses fibres au monde meilleur, plus juste et plus libre, promis par les Bolchéviques. Il se rendit certes rapidement compte des nombreuses exactions qui entachaient dès le début le bel idéal, mais il voulut croire un temps, qu'il s'agissait d'inévitables excès d'une transition climatérique. Hélas, par un paradoxe cruel, à mesure qu'il progressait dans la Nomenklatura, grâce à ses talents personnels, il prenait douloureusement conscience des horreurs commises au nom de la Justice Sociale. Devenu ingénieur métallurgiste, et gratifié pourtant de fonctions enviables, il perdit peu à peu la foi. Bien qu'il ne ménagea pas sa peine pour contribuer à l'édification du nouveau monde communiste, et en dépit d'une attitude irréprochable vis à vis du Parti, il éprouva lui-même à plusieurs reprises le zèle inquisiteur du NKVD. Pourtant, mu par l'énergie du désespoir, il parvint à se hisser jusqu'au saint des saints de la hiérarchie bureaucratique, à savoir le SovnarKom. C'est précisément grâce à cette promotion qu'il put enfin s'échapper, à l'occasion d'un voyage aux Etats-Unis, organisé par le Commissariat au Commerce Exterieur.

Avant d'en arriver là, le parcours fut semé de désillusions, de frustrations, d'embûches, de pièges mortels, de peurs vertigineuses, de cauchemars horribles dont il réussit à s'affranchir comme si le destin lui avait donné une bonne étoile, afin qu'il racontât l'un des plus dantesques enfers créés par l'Homme.

A suivre...