18 août 2012

Marine

Lorsqu'au dessus de la mer
Une brise illuminée
Fait étinceler dans l'air
Une nouvelle journée

Et que le bleu d'outremer
Pâlit dans la matinée
Comme une teinte au ton clair
Laissant juste une traînée.

Lorsque des bateaux joyeux
Sortent du port à la voile
Tels des oiseaux vers les cieux

Le Monde alors se dévoile
Sous un jour inattendu
Plein d'un désir éperdu.

08 août 2012

Nuit de Juillet

Par une nuit d'été calme et vertigineuse
J'entrevis un halo flottant sur les cyprès
Dont l'image semblait si lointaine et si près
Qu'on eut dit une fleur posée sur Betelgeuse

J'avais l'âme alanguie et l'humeur voyageuse
En tous sens mes pensées s'égaraient dans l'air frais,
Et je m'élevais libre, au delà des forêts
Guidé par la Lune et sa clarté nébuleuse.

J'étais débarrassé de mes chaînes de chairs
Faisant désormais corps dans les espaces clairs
Avec cette unité qui anime le monde.

Je cheminais au bord aigu de l'univers
Dont je voyais l'envers, aussi bien que l'avers
Et durant un moment j'eus une joie profonde.

24 juillet 2012

Body And Soul


A l'origine de la conception dualiste dont Henri Bergson (1859-1941) s'est fait l'ardent défenseur, il y a la ferme conviction que ce qu'on nomme l'âme n'a pas plus de raison objective d'être consubstantielle à la chair que de relever d'une autre nature. Vieux débat. Certes, à l'évidence dans l'être humain, l'esprit et la matière sont liés. Mais sont-ils indissociables au point d'être anéantis ensemble, lorsque la vie s'en va ?

Pour tenter de répondre à la question, Bergson commence par prendre l'exemple d'un vêtement accroché à un clou : « il est solidaire du clou auquel il est accroché ; il tombe si l'on arrache le clou ; il oscille si le clou remue ; il se troue, il se déchire, si la tête du clou est trop pointue ; il ne s'ensuit pas que chaque détail du clou corresponde à un détail du vêtement, ni que le clou soit l'équivalent du vêtement ; encore moins s'ensuit-il que le clou et le vêtement soient la même chose... »
Autre argument mis en avant par l'auteur de l’Évolution Créatrice : le constat que « la vie mentale déborde la vie cérébrale », et qu'en matière d'activité, « le cerveau se borne à traduire en mouvements une petite partie de ce qui se passe dans la conscience... »
Pour étayer cette assertion Bergson, encore une fois fournit un exemple : « l'activité cérébrale est à l'activité mentale ce que les mouvements du bâton du chef d'orchestre sont à la symphonie. La symphonie dépasse de tous côtés les mouvements qui la scandent ; la vie de l'esprit débordent de même la vie cérébrale... »
En définitive, « le rôle du cerveau serait simplement de mimer la vie de l'esprit, de mimer aussi les situations extérieures auxquelles l'esprit doit s'adapter. »

Dans ces conditions, il devient logique pour le philosophe de considérer que la survivance de l'âme est si vraisemblable, que « l'obligation de la preuve incombe à celui qui nie, bien plutôt qu'à celui qui affirme... »
Loin de définir une position dogmatique, ce qui importe pour Bergson, c'est surtout de réfuter la conception matérialiste, selon laquelle il y aurait équivalence entre le mental et le cérébral. Il juge en effet cette hypothèse contradictoire avec elle même, et l'attribue à un « cartésianisme étriqué ».

L'approche bergsonienne n'apporte évidement aucune preuve à l'existence d'un prolongement spirituel à la vie terrestre. Elle propose toutefois un champ de réflexion très ouvert, dont l'essence reste envers et contre tout, pragmatique. L'exemple du clou et du vêtement paraît simpliste, mais invite à dépasser les simples apparences. Sans rien connaître de la nature des ondes électromagnétiques, que pourrait imaginer une personne en face d'un émetteur-récepteur radiophonique ? Sans doute aurait-elle du mal à accepter l'idée que la voix entendue par le haut parleur soit émise à des centaines ou à des millions de kilomètres, et puisse être transmise aussi parfaitement, même en traversant le vide. Sans doute cette personne aurait autant de difficulté à comprendre devant le même poste cassé, que la voix puisse continuer à parler quelque part …

L'idée que le cerveau puisse n'être qu'un intermédiaire entre la réalité sensible et une autre immatérielle n'a en définitive rien de saugrenu, même si depuis Descartes on sait qu'on ne peut penser la relation qui lie les deux, mais seulement la vivre. 
Bergson fait remarquer que bon nombre de dysfonctionnements cérébraux se traduisent par une incapacité à mettre en cohérence la pensée avec la réalité. Le tort d'un cerveau dérangé « n'est pas nécessairement de raisonner mal mais de raisonner à côté de la réalité, en dehors de la réalité, comme un homme qui rêve... » Si l'art de raisonner doit nécessairement tenir compte du monde dans lequel il s'applique, pourquoi en déduire que la pensée se réduise exclusivement à ce mécanisme, sous tendu avant tout par l'expérience, les sensations et la logique ? A contrario, un ordinateur, véritable machine à raisonner, n'est pas pour autant capable de penser.
Autrement dit, dans nombre de perturbations mentales « est-ce l'esprit même qui est dérangé, ou ne serait-ce pas plutôt le mécanisme de l'insertion de l'esprit dans les choses ? »
La question mérite d'être posée, car elle invite à bien distinguer dans l'activité humaine et dans chaque action, dans chaque comportement, ce qui relève du choix, de ce qui relève de la mise en œuvre du choix. Ainsi un dément est incapable de mettre en cohérence sa pensée, avec le monde qui l'entoure. Une personne frappée d'accident vasculaire cérébral est dans l'impossibilité de faire bouger son bras en dépit de sa volonté. Dans les deux cas la pensée pure est sans doute intacte mais l'effecteur est lésé. Un chef de gare verra de la même manière sa volonté contrecarrée par une grève des aiguilleurs ou bien par un dysfonctionnement dans le mécanisme faisant fonctionner les aiguillages...

A titre d'exercice, je me suis amusé à tenter d'imaginer les relations entre l'esprit et la matière comme si elles résultaient de l'interaction étroite d'un substrat immatériel et d'une substance palpable : une sorte de main invisible à l'intérieur d'un gant palpable et préhensile. Ce dernier, véritable interface entre ce qu'il contient et ce qu'il appréhende physiquement, pourrait représenter de manière simpliste l'être humain. A la lisière entre l'indicible et le réel...
Cette image rend compte du fait qu'il est indispensable pour la main de s'insérer dans le gant pour avoir prise sur la réalité physique. Elle rend également compte du fait que les mouvements de la main sont d'autant plus fidèlement et efficacement transmis que le gant est souple et léger, capable de se faire le vecteur de la moindre pulsation. Elle n'interdit pas de penser que le contenu puisse souffrir des imperfections et des vicissitudes propres au contenant. Et si elle suppose une étroite association des deux entités, elle n'est pas incompatible enfin avec l'idée que la main puisse avoir une existence indépendante de celle de l'enveloppe artificielle qui la recouvre. La fin du corps ne serait pas la fin de tout. A l'instar de la chrysalide libérant l'imago, l'enveloppe charnelle serait le support d'un rite de passage entre deux états...

Dans un tel schéma, l'intrication subtile entre l'esprit et le corps, entre le contenu et le contenant, qualifie l'essence de l'être humain. Elle peut être parfois si profonde, qu'elle permet l'expression des émotions indicibles qui constituent l'art. A l'inverse, la perversion diabolique de cette relation peut aboutir aux pires horreurs, en toute conscience.
Par ce média, représenté par un gant, l'esprit ne fait que s'adapter et faire corps avec la réalité. Et l'être humain est bien ce point où convergent cette dernière et la conscience.

Ainsi la réalité tangible serait animée au delà des simples conjonctures relevant des lois physiques. En l'occurrence, le mouvement de l'esprit n'a évidemment rien à voir avec celui du vent qui fait bruisser les feuilles dans les arbres, avec les séismes ou les éruptions volcaniques qui font craindre la fin du monde, ou simplement avec la respiration de l'être vivant. En l'occurrence, la ligne de partage ne passe pas entre le vivant et l'inanimé, mais entre le conscient et le non conscient, sachant que rien n'interdit une continuité, une progressivité, entre ces deux états. Il y a quelque chose qui au travers des êtres, est peut-être l'expression plus ou moins achevée, de l'Être. "Il faut que la Nature soit l'Esprit visible, l'Esprit la Nature invisible" écrivait Schelling...
La métaphysique kantienne s'inscrit étonnamment bien dans cette métaphore ontologique. Situé à l'interface de deux mondes qui s'effleurent, le philosophe et plus généralement l'être humain, est enclin à s'émerveiller autant de la beauté sublime de la voûte céleste au dessus de sa tête, que de la force ineffable de la loi morale qui réside à l'intérieur...

L'âme et le corps. Henri Bergson. PUF 2011

21 juillet 2012

Fifty Years With Their Satanic Majesties


Il y a quelque chose d'assurément majestueux dans le parcours tonitruant des Rolling Stones. Ses ruptures, ses dévoiements, ses débordements insensés ne ternissent en rien la marque éblouissante qu'il a imprimée au sein de la constellation du Rock 'N Roll. 
 
Force est de reconnaître que ce qui ne devait durer qu'un instant, n'avoir pas plus d'importance dans la vie de la société que le mouvement zazou, ou bien je ne sais quelle mode éphémère, est devenu une véritable épopée. Une sorte d'effervescence versicolore devenue consubstantielle à l'univers dans lequel nous vivons, et ce depuis déjà un demi siècle !
Comme un cavalier fait corps avec sa monture, le monde contemporain chevauche une série d’événements qui l’entraînent irrésistiblement dans leur course tumultueuse et indécise. Et la musique rythme en quelque sorte cette cavalcade. Nés dans le grand capharnaüm de l'après guerre, le Blues, le Jazz, le Rock 'N Roll ont déboulé à toute allure dans le cours du monde dit moderne, voire post-moderne. Décadence diront certains, vertige poétique prétendront d'autres... 
Pour ma part j'aime à m'enivrer de ce continuum d'émotions, de rêveries et de vagabondages, que je vois éclore quelque part entre Novalis, Shelley, ou Hölderlin, passer par Poe, Baudelaire, Verlaine, ou Kerouac et se magnifier, entre autres, par l'apport des Stones. Oserais-je dire que j'éprouve parfois les mêmes frissons à l'écoute de ces derniers que de Bach, ou de Schuman ?
Allons, c'est évident, cet océan de sensations n'a pas de limite et n'a d'horizon que l'espoir et les chimères, les illusions et l'ivresse. De ce point de vue, les Stones n'ont pas peu contribué à abolir les frontières, au moins dans les esprits, tout en ébauchant les prémices d'un langage universel, indissociable de l'esprit de liberté.
Avec leurs riffs acides et leurs mélodies rustiques mais envoûtantes ils ont été l'un des moteurs d'une folle et improbable aventure, entraînant la dérisoire machine humaine jusqu'aux lisières de l'indicible. Lorsqu'une rengaine aussi simpliste que "I Can't Get No Satisfaction" fait le tour de la planète en ensorcelant invariablement et définitivement des nuées innombrables de jeunes gens, il faut se poser des questions. La rythmique au marteau pilon de cette antienne incontournable, assène en même temps que ses pulsations lascives, les effluves enfiévrés du bon vieux spleen romantique. Dans ces trépidations insatiables, il y a l'éternelle rébellion juvénile, l'impatience devant l'absurdité apparente et les mystères de l'existence...
Brian Jones (1942-1969) s'est noyé dans ce tourbillon qu'il avait voulu boire à pleins poumons. Le fou, l'intrépide aura frôlé les cimes de l'extase avant de s'abîmer dans le gouffre de la solitude . Les « Glimmer Twins », Mick Jagger et Keith Richards, en dépit de hauts et de bas, ont résisté à l'épreuve. Ils ont signé la quasi totalité des compositions qui paveront le chemin de Damas de ce groupe, des délires épicuriens d'enfants nés dans la partie prospère d'un siècle vertigineux, jusqu'à la sagesse et la résignation de vieux bonzes du blues...
S'il est un fait assuré dans cette alchimie parfois aléatoire, c'est que soutenue par les piliers bourdonnants du Rock, la musique étire en tous sens ses harmonies capiteuses et ses divagations incantatoires sur le fil ténu de ce Blues si bouleversant, si universel.
Dans une discographie foisonnante, j'ai tendance à retenir avant tout cette manière si originale d'interpréter ce questionnement récurrent sur le sens de la vie.
Ce sont bien sûr quelques perles tirées avec bonheur du répertoire classique (Love In Vain de Robert Johnson, Shake Your Hips de Slim Harpo, Prodigal Son du Rev. Wilkins, Confessin The Blues de Little Walter, You Gotta Move de F. McDowell...)
Il y a également les rocks vénéneux aux roulements lourds et entêtants dont les fameux déhanchements de Jagger décuplaient la force suggestive: Under my thumb, Rocks off, It's all Over Now, Brown Sugar, Let It Bleed, Jumping Jack Flash, Honky Tonk Woman, The Last Time, Happy, Tumbling Dice, Street Fighting Man, Dead Flowers, Can't You Hear Me Knocking, Mother Little Helper, Get Off Of My Cloud, Let Spend The Night Together...
Il y a les ballades langoureuses : As Tears Go By, Angie, Lady Jane, Ruby Tuesday...
Mais plus que nulle part ailleurs, le feeling stonien a trouvé sa plénitude expressive dans les digressions erratiques, d'où émane un spleen languide au parfum luxurieux : Wild Horses, Paint It Black, Sympathy For The Devil, Salt of the Earth, Gimme Shelter, Midnight Rambler, Sister Morphine, Heart Of Stone, No Expectations, I'm Going Home, Jigsaw Puzzle, Beast of Burden, You Can't Always Get What You Want, Let It Loose... 
Feel like a Rolling Stone !

09 juillet 2012

Obamacare : un dilemme cornélien


En France où l'on s'enorgueillit d'avoir le meilleur système de protection sociale du monde, la récente décision de la Cour Suprême américaine (29/06/12), consistant à avaliser une des mesures clés du projet de loi proposé par l'administration Obama, dit « Affordable Care Act », en réjouit plus d'un.
Rappelons brièvement qu'il s'agit d'obliger par la Loi, tous les citoyens à contracter une assurance maladie (individual mandate), de manière à faire diminuer subséquemment le pourcentage de la population ne bénéficiant pas d'une couverture ad hoc. 
L'épineux problème en la circonstance, était de déterminer si cette contrainte était compatible avec l'esprit de la Constitution, lequel protège plus que tout les libertés individuelles. La décision de la Cour, prise de justesse (5 voix contre 4), semble donc aller contre un des principes fondamentaux de la république américaine.
Comme l'ont fait remarquer certains commentateurs, il s'agit sans doute d'un choix dicté plus par le contexte politique, que par le souci de respecter la stricte constitutionnalité de la loi. Peut-être pour ne pas risquer de paraître agir sous l'effet de considérations idéologiques, le président conservateur de la Cour, le juge John Roberts a ainsi rejoint dans leur choix ses quatre collègues libéraux (au sens américain c'est à dire progressistes, c'est à dire plutôt de gauche). La Loi peut ainsi entrer en vigueur et les Etats-Unis pourront donc afficher prochainement, à l'instar de nombre de pays développés, un taux proche de 100% d'assurés sociaux...
Peut-être pourrait-on avancer une autre explication plus machiavélique, en considérant la décision de la Cour comme un cadeau empoisonné fait au président en exercice, à quelques mois d'un enjeu électoral majeur. Cette victoire est en effet à double tranchant pour le président Obama puisqu'elle va conduire à alourdir la fiscalité (sanctionnant notamment les récalcitrants). Le risque est également d'obérer la croissance puisque la réforme pèsera sur les entreprises, surtout petites et moyennes, qui seront de fait mises à contribution pour aider leurs salariés à s'assurer. Enfin elle plombera encore un peu plus le déficit fédéral puisque les évaluations les plus réservées, font état de quelques 1000 milliards de dépenses supplémentaires. Autant d'arguments que sauront sans doute utiliser les Républicains dans la campagne qui commence...
Sur le fond de la mesure, et ses conséquences en terme philosophique, il y a beaucoup à dire. Car même si l'on est encore loin du système français, régi par une obligation et un monopole, c'est un pas de plus vers le contrôle étatique de la protection sociale et un accroissement significatif de l'emprise étatique sur l'organisation de la société.
Partant d’une conception libérale, cette réforme apparaît comme démagogique, dispendieuse, mais pire encore, constitue globalement un recul sur le chemin qui mène à la société ouverte et responsable (« Le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui » affirmait Alexis de Tocqueville).
Naturellement, il est souhaitable que tous les citoyens disposent d’une assurance maladie (et qu’ils en comprennent bien le principe afin de ne pas en dégrader le fonctionnement…) Pour être fair play, il faut tout de même reconnaître au moins une vertu à l'obligation faite de s'assurer : celle d'éviter la fâcheuse propension des gens à ne souscrire un contrat d'assurance, que le jour où ils ont besoin d'en toucher les prestations...

Mais le système proposé par le président Obama, agit par la contrainte et la déresponsabilisation, alors que le meilleur moyen de progresser vers une société adulte serait plutôt de convaincre. Dans un pays libre et éclairé, l’assurance maladie relève à l’évidence de la responsabilité individuelle et non de celle de l’Etat. L’étatisation de l’assurance maladie s’inscrit dans le mythe si bien décrit en une seule phrase, par Frédéric Bastiat : « L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde… » D'un point de vue libéral, on pourrait même proposer de juger le degré d'évolution d'une société et d'éclairement de ses citoyens, sur le poids de la tutelle étatique. La relation entre les deux étant inversement proportionnelle...
Même si à la faveur de la mystification du New Deal, le pouvoir de l’État n'a cessé d'enfler outre-atlantique, les Américains restent envers et contre tout, très largement attachés au principe de la liberté individuelle. En Europe, où nous avons depuis longtemps cédé aux sirènes de l’Etat-Providence, et où nous attendons tout de son pouvoir « absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux », nous peinons à comprendre cet idéal de société ouverte construit de bas en haut, tendant in fine, vers le self-government. Hélas notre modèle, qui pouvait faire illusion en période d’abondance, est aujourd’hui en grande et durable difficulté. Est-il encore temps de le revoir avant l’infantilisation et la faillite générales ?

06 juillet 2012

Des bosons et de la politique


Le changement, c'est pour un autre jour...
Où va-t-on, personne n'en sait plus vraiment rien. Mais peu importe car pour l'heure, une sorte de molle indifférence s'est emparée de l'opinion. Rien ne va plus pourtant. Chaque jour amène son lot de mauvaises nouvelles, notamment sur l'emploi.
Face à la déferlante qui se profile à l'horizon, le ministre du « redressement productif » a perdu de sa superbe. C'est à peine si on entend ses admonestations dans le brouillard qui plombe le climat politique. Quant au premier ministre il anone péniblement un discours de politique intérieure bourré de poncifs, de truismes et de bonnes intentions. Le gargarisme à base de mots tente de pallier l'extinction de l'inspiration. Exemple tiré de l'actualité de ce jour : ils veulent « refonder l'école ». Vaste programme pour Vincent Peillon, (auteur faut-il le rappeler, d'un opuscule ineffable prétendant que « la révolution française n'est pas terminée »).
Refonder, la belle affaire... Avec une pointe inattendue de bon sens, le ministre s'interroge quand même sur la nature de l'ambition : "l'expression est forte, elle peut même paraître excessive". Un peu, mon neveu...

A ce jour, hormis les savantes tergiversations sur les hausses d'impôts et les taxes destinées « aux plus aisés », l'imagination des dirigeants est au plus bas.
A titre personnel, si je n'appréciais guère la politique erratique de Nicolas Sarkozy, je déteste bien davantage celle de François Hollande, bourrée de béates certitudes, et imprégnée d'une morale à la fois arrogante et lâche (dure pour les autres, tendre pour soi).
Pendant que madame Merkel caracole dans les sondages, le président de la république et ses ministres, à peine entrés en fonction, s'effondrent. Parti de soixante, il y a deux mois, c'est tout juste si le nouveau chef de l'état parvient à rassembler plus de 50% d'opinions favorables !
Bien qu'il bénéficie encore d'une certaine indulgence en provenance du « peuple de gauche », même les plus ardents défenseurs de l'Etat-Providence ne semblent plus beaucoup croire aux théories qui le sous-tendent. Beaucoup ont dores et déjà pris conscience que les ressorts de la relance étaient morts. Que le moteur de la croissance s'étouffe à force d'avoir trop tiré sur le starter étatique (tout en gardant le pied crispé sur le frein...)

Reste qu'on peine encore à accepter le retour au pragmatisme et au réalisme. Les récentes avancées scientifiques à propos du mystérieux boson de Higgs devraient pourtant aider à cette conversion. En physique des particules comme ailleurs, la théorie n'a de valeur que lorsqu'elle peut être vérifiée expérimentalement, et qu'on est prêt à en revoir les fondements si quelque chose ne se passe pas comme prévu. « Une expérience qui réussit dans l'air ne réussit pas toujours dans le vide » écrivait avec sagesse David Hume. Plus généralement, « est vrai ce qui réussit », affirmait de son côté William James....

22 juin 2012

Chronique d'une présidence normale


Il y a quelques jours le camarade Hollande, actuellement président de la République Française rencontrait le chef du gouvernement italien Mario Monti à Rome, pour évoquer gravement cette crise qui fait si mal aux peuples.
A cette occasion, on a pu constater que le nouveau dirigeant français fasait preuve d'une conception assez élastique et plutôt confortable de l'humilité à laquelle il était prétendument si attaché. Il a débarqué tranquillement d'une superbe Maserati Quattroporte...
On alléguera qu'il n'y pouvait rien, que c'était son hôte qui avait mis ce superbe carrosse à sa disposition. N'empêche... Les images sont là ! Par les temps qui courent, quand on se veut parangon de vertu, et qu'on dit "ne pas aimer les riches", ça fait un peu désordre, n'est-il pas...

Allez encore un peu, rien que pour le plaisir des yeux... 

20 juin 2012

Tomber de rideau


Lorsque le président Obama donne des leçons d'économie, à l'Europe, ce sont tous les poncifs keynésiens qui ressortent. Est-ce vraiment encore crédible ? N'aurait-il pas mieux à faire à l'heure où la dépense publique ronge plus que jamais son pays, où le chômage galope durablement au dessus de 8%, où les agences de notation envisagent une nouvelle dégradation de leur note, et où l'on apprend qu'en Amérique, le revenu net médian des citoyens a chuté de 7,7% en 3 ans.
Loin de tirer leçon de son incapacité à changer le destin de son peuple, il persévère à vouloir lui administrer le même traitement, et réclame un nouveau plan de relance par l'Etat, toujours plus d'impôts... on croirait entendre François Hollande !

A l'instar de nombre d'aficionados un peu désabusés, l'acteur Donald Sutherland récemment interrogé sur les atermoiements du gouvernement américain, y va de son petit couplet : « Les démocrates ne sont pas parfaits, mais ils sont moins menteurs que les Républicains.. » Il a tout compris, le bougre !
Artiste engagé : est-ce donc devenu synonyme de mouton de Panurge ?

En France, la chape socialiste est en passe de vitrifier les esprits. On dirait qu'une brume épaisse est en train de se répandre sur le pays. Un rideau tombant lourdement après la fin d'un spectacle. A part deux ou trois histoires de tweet et quelques anecdotes politiques dérisoires, complaisamment amplifiées par les médias à bout d'inspiration, il n'y a plus ni débat, ni perspective, rien qui vaille...
Le nouveau gouvernement a du mal à passer des mots à l'action. Déjà les promesses emblématiques commencent à s'évanouir : taxe sur les transactions financières, euro-bonds, recrutements de fonctionnaires, tout ça est ajourné, reporté aux calendes ou amendé. Mais en réalité tout le monde s'en moque, y compris les tartarins de l'insurrection, sonnés par leurs défaites électorales. Pendant ce temps, l'Europe continue de s'effriter lentement en dépit de beaucoup de gesticulations, de vœux pieux, mais plus que jamais sans projet politique, sans dessein, sans aspiration.
Sévèrement remis en place par madame Merkel, méprisé par Poutine, raillé par David Cameron, poliment désavoué par le G20, emprunté par l'avalanche de pouvoirs que lui confère une démocratie cacochyme, et par tant de responsabilités pesant sur ses épaules, le président de la république semble déjà se dégonfler. La morgue devient guimauve et les ambitions se mettent à rétrécir. L'été qui arrive à peine sous le tintamarre informe de la musique en fête, s'annonce lourd et maussade, quand au quinquennat, il risque de paraître bien long...

13 juin 2012

Avé Jules ! Suite...

Un commentateur me fait observer à l'occasion de mon billet sur Jules Ferry, que ce n'est pas l'école qui a été rendue obligatoire au nom des grands principes républicains, mais l'instruction. Il a évidemment raison et je m'empresse de faire amende honorable. Pour ma défense je suis toutefois tenté d'invoquer le Président de la République lui-même qui dans son discours du 15/05/12, entretenant plus ou moins la confusion, rendait hommage à « la loi du 28 mars 1882 relative au caractère laïc et obligatoire de l'école ».
C'est dire que dans l'esprit de François Hollande, et de ses disciples, l'éducation ne peut se concevoir autrement que publique, donc sous la tutelle de l'Etat. « Nous devons tant à l'instruction publique » a-t-il martelé ce même jour.
En l'occurrence, la doctrine socialiste doit effectivement beaucoup à cette politique centralisatrice et monopolistique instituée par le lénifiant Jules Ferry. Le paradigme social dit « de gauche » a en effet pu prospérer dans ce bouillon de culture idéologique, ainsi que tous les leurres de la pensée égalitaire. Résultat, loin de booster l'ascenseur social comme le souhaitaient tant de gens bien intentionnés, loin de développer « la liberté souveraine de l'esprit » à laquelle aspirait Jaurès, elle a abouti à un nivellement des esprits assez désespérant.
Contrairement à une opinion répandue, les Etats-Unis ont bien mieux réussi dans cette entreprise... en faisant à peu près le contraire de nous, tout en poursuivant le même dessein : offrir à tout citoyen l'instruction. Mais ils se sont bien gardés de centraliser ou de nationaliser leur système éducatif, et ont laissé s'exprimer et s'organiser chaque fois que possible sur le terrain, les initiatives privées, tout en garantissant une liberté quasi totale en matière de programme scolaire. Pour le coup, le système américain, fondé vraiment sur la méritocratie laisse beaucoup moins d'élèves nécessiteux sur le carreau, ou tout simplement à la dérive. C'est sans doute difficile financièrement pour certains, mais chacun peut s'en sortir s'il en a la volonté. Le self-made-man n'est pas un vain mot.

En France, on est pétri de grands sentiments. A l'instar du nouveau chef de l'Etat, on ne saurait « accepter qu'un enfant ait plus de chances de réussir s'il a grandi ici plutôt que là ». Pourtant à force de s'en remettre à l'Etat pour tout, et de tout vouloir réglementer dans l'intérêt du peuple, on est parvenu à dénaturer le grand rêve de l'éducation pour tous.
L'Education Nationale est en passe de devenir un grand vaisseau fantôme sur lequel errent, sous la conduite hasardeuse d'un capitaine sans âme, des légions de professeurs désabusés, et d'élèves abouliques. Ceux qui en ont encore la force cherchent à fuir cet endroit de perdition. De plus en plus de parents inscrivent leurs enfants dans les écoles privées, si honnies, si vilipendées. Et pendant que le temple laïque de l'instruction républicaine perd peu à peu sa substance, on y injecte toujours plus de moyens...

09 juin 2012

Avé Jules !


Le mélange de dévotion et de répulsion avec lequel les politiciens tournicotent autour de la figure emblématique de Jules Ferry (1832-1893) a quelque chose de pathétique. Les simagrées et contorsions auxquelles ils se livrent pour tenter de séparer le bon grain de l'ivraie, au sein de l'héritage intellectuel du grand homme, est un signe des temps.
C'est en effet devenu un poncif que de distinguer, à l'instar de la fable évoquant le Dr Jekyll & Mr Hyde, deux hommes bien différents en un seul. L'un serait admirable, l'autre méprisable. Le premier s'élève aux cieux pour avoir paraît-il inventé le concept d'« école gratuite, laïque et obligatoire ». Le second doit être voué aux gémonies pour avoir exhorté « les races supérieures » à « civiliser les races inférieures » et chanté les mérites de la colonisation.
Faut-il que la pensée contemporaine soit formolée pour ne pas voir qu'il s'agit des deux facettes d'un même idéal, boursouflé de prétention et de paternalisme ! D'une sorte de don-quichottisme républicain, dont l'intrépidité centralisatrice n'a d'égale que l'inconséquence normative.

Avec ses grotesques favoris en forme d'aubergine, appendus à ses tempes molles de hobereau condescendant, Jules Ferry incarne trop bien la suffisance des grands principes et la calamité des certitudes idéologiques. Quelque soit le côté par lequel on aborde le personnage et son action, le même constat s'impose. Et si le zèle colonisateur est vilipendé par les Bouvard et Pécuchet du conformisme angélique contemporain, l'ambition éducative ne vaut guère mieux. Car les deux sont puisés à la même source.
Et dans les deux cas, les bonnes intentions se révèlent désastreuses : si la pitoyable déconfiture de l'aventure coloniale française relève de nos jours de l'évidence, la lente déroute de l'Education Nationale n'en est pas moins édifiante, et irrémédiable. Sans doute, parce qu'à l'instar de la colonisation, elle est fondée sur une série de leurres. 
Elle n'a de gratuite que le nom, puisqu'elle coûte chaque année plus de 4,2% du PIB (soit en moyenne 8150€ par élève), et affiche, sauf pour ceux qui ne veulent pas le voir, un rapport coût/efficacité des plus médiocres.
Sa prétendue laïcité n'est qu'un vain mot dont on se gargarise en France, au mépris de réalités criantes. Fondée initialement sur un anticléricalisme rétrograde et borné, elle s'avère incapable d'enrayer la montée des communautarismes qui gangrènent la société.
Enfin, son caractère obligatoire n'empêche en rien la dégradation régulière du niveau général des élèves, faute de souplesse, de pragmatisme, et à force de cultiver l'indépendance vis à vis du monde du travail, voire un mépris absurde pour celui des entreprises.
Le plus grave est l'instauration, au nom de l'égalité, de programmes nationaux d'origine gouvernementale, qui exposent par nature, au risque d'endoctrinement et rentrent en contradiction flagrante avec le souci de toute démocratie de développer l'émulation intellectuelle et l'esprit critique. Le morne consensus gauchisant et anti-libéral qui règne dans notre pays, l'attrait de la jeunesse pour la condition de fonctionnaire, tout cela s'explique probablement en grande partie par cet abêtissement généralisé, d'inspiration étatique.
La profession de foi du nouveau président de la république, qui avec onction et componction a inscrit d'emblée son action dans ce moule foireux, en invoquant la « réussite éducative » comme d'autres la méthode Coué, n'augure évidemment rien de bon...

Illustration : Jules Ferry par Georges Lafosse