31 juillet 2015

La Liberté de Penser

Pour clore en forme de triptyque les commentaires au sujet des ouvrages consacrés à la liberté par les éditions Berg International, voici, après ceux consacrés à Edmond About et Victor Cousin, quelques mots au sujet d’un texte de Paul Janet (1823-1899), intitulé “La Liberté de Penser”, et réédition d’un article paru en 1866 dans la Revue des Deux Mondes.

Bien qu’il soit difficile de porter un ouvrage majeur au crédit de ce philosophe, qui fut l’élève puis le secrétaire de Victor Cousin, on peut lui reconnaître une manière de penser plutôt sensée et pragmatique, digne d’intérêt.
L’originalité de ce texte est sans doute de présenter la liberté intellectuelle sous un jour relativiste, assez novateur pour l’époque.

Janet commence notamment par écarter soigneusement toute conception excessive de la liberté qui pourrait la rapprocher de l’anarchisme ou d’une sorte de nihilisme intellectuel. Ainsi il rejette l’idée selon laquelle “la libre pensée serait synonyme de scepticisme et d’incrédulité”, qui selon l’auteur conduit à considérer comme libre penseur “quiconque ne croit à rien”, et conclure que “moins l’on croit, plus on est réputé capable de penser librement…”, ou pareillement affirmer que “celui qui nie tout principe en politique sera plus libre penseur que celui qui en reconnaît quelques uns, par exemple la liberté et la justice…”
Il pondère également le fameux principe cartésien qui recommande de “ne reconnaître pour vrai que ce qui paraît évidemment être tel, c’est à dire ce que l’esprit aperçoit si clairement et si distinctement qu’il est impossible de le révoquer en doute.”
Car selon lui, c’est une application trop zélée de ce principe qui a “ouvert la voie à toutes sortes d’interprétations hasardeuses laissant la liberté à chacun d’apprécier où se trouvait la vérité. Or si chacun ne peut juger qu’avec son jugement, s’il ne peut que penser avec sa pensée, il ne s’ensuit pas que la vérité soit individuelle et qu’il n’y a pas en soi une vérité absolue que chacun atteint dans la mesure où il le peut, et qu’il transmet aux autres dans la mesure où ils sont capables de la recevoir…”
C’est aussi cette conception qui conduit à l’étrange paradoxe qui fait “qu’en matière de philosophie, de politique et de religion, on puisse continuer de prétendre tout et son contraire, tandis qu’en matière scientifique il ne viendrait à l’idée de personne de combattre un calcul ou une expérience par un nom, par un texte, par une autorité…” En d’autres termes, “On ne serait guère accueilli à l’Académie des Sciences en invoquant l’autorité d’Aristote ou de Saint Thomas contre une démonstration de Laplace ou d’Ampère…”
En somme, “ce n’est pas parce qu’on admet le principe cartésien, qu’on en déduit que l’homme ait le droit de penser, selon sa fantaisie et selon son caprice, tout ce qui peut lui passer par la tête, et que je puis volontairement et à mon gré déclarer vrai ce qui est faux et faux ce qui est vrai.”

Si la liberté ne doit donc pas mener au laisser-aller en matière de pensée, elle ne doit pas davantage être le moyen de promouvoir des croyances ou des principes ne reposant sur aucune preuve tirée du réel.
S’il ne rejette pas totalement l’existence de vérités surnaturelles ou inexplicables, Janet met toutefois en garde contre celles qu’on prétend révélées, c’est à dire “lorsque la pensée rencontre la parole divine, l’autorité de la révélation”. Trop souvent pour les dévots en effet, la foi s’apparente à l’ignorance et lorsqu’ils évoquent Dieu, “s’il s’agit d’une fausse religion, ils prennent pour vérité surnaturelle ce qui n’en est pas; leur foi n’est que superstition, leurs espérances ne sont qu’illusions, leur culte n’est qu’idolâtrie…”

Cette remise en cause des a priori irrationnels et de l’absolu des principes n’est pas franchement nouvelle puisqu’elle est l’essence même de la pensée des Lumières, mais elle annonce le concept du “trial and error” développé par certains penseurs libéraux modernes comme Karl Popper, notamment lorsqu’on lit sous la plume de Janet que “L’erreur n’est souvent qu’un moyen d’arriver à la vérité : ce n’est que par des erreurs successives, chaque jour amoindries, que se font le progrès des lumières et le perfectionnement des esprits…”
C’est également une manière de réaffirmer la prééminence de la raison :”Combien donc faudra-t-il de temps jusqu’à ce que cet instrument des instruments, j’entends la raison, soit assez cultivé et perfectionné pour être manié par tous les hommes !”
Associée à la raison, la liberté de penser constitue le meilleur rempart contre les fanatismes, les totalitarismes et d’une manière générale l’obscurantisme : “Dans ce va-et-vient des puissances de ce monde, dans ces oscillations de principes qui se renversent l’un l’autre et viennent successivement se déclarer principes absolus, il n’y a qu’une garantie pour tous, c’est la liberté réciproque.”
Et dans cet ordre d’idées, si la liberté de penser est un droit, elle ne peut occulter la nécessité du devoir, car “Tout droit suppose un devoir, le devoir d’écarter toutes les causes d’erreur et d’illusion qui nous captivent et nous égarent...”

Pour achever son discours de manière résolument libérale, Janet s’en prend enfin directement à l’Etat, notamment lorsque ses représentants manifestent la volonté d’imposer au peuple ce qu’ils croient vrai, oubliant “qu’une vérité dont on n’a pas douté est une vérité problématique…” Il se désole également “qu’il se trouve encore des esprits qui, même dans l’ordre de la foi, voudraient que l’Etat intervint pour fixer ce qu’il faut croire et ce qu’il est permis de ne pas croire...”
On pourrait donc avec Damien Theillier, soutenir comme il le fait en guise de postface à l’ouvrage, qu’il découle des idées défendues par Paul Janet, “que l’Etat n’est pas juge du vrai ni du faux, et qu’il est seulement garant des droits de chacun, la liberté de penser n’étant donc susceptible de répression qu’en tant qu’elle porte atteinte aux droits des individus…”

28 juillet 2015

La Société Idéale

La liberté semble si galvaudée de nos jours, elle a tellement perdu de son sens, tout particulièrement en France, que le retour aux textes du passé apparaît comme un réconfort, faute hélas de pouvoir servir à l’édification des esprits.
Aussi, il faut saluer l’initiative des éditions Berg International, patronnée par Damien Theillier, de rééditer les écrits de penseurs quelque peu oubliés.
Après Edmond About, dont j’ai relaté il y a quelque temps la vision de La Liberté , voici “la Société Idéale” selon Victor Cousin (1792-1867).

Étrangement, c’est par un impératif quasi moral que l’auteur choisit de commencer son propos, affirmant d’emblée pour tout système de pensée, toute déclaration des droits et des devoirs du citoyen, la nécessité de reposer sur deux piliers : la justice et la charité.
C'est en effet selon lui, à partir de cette indissociable dualité que se pose la problématique de la liberté de la condition humaine, et de la volonté de toujours progresser.

Certes l’Homme est faible. Très faible même face à la nature qui l’entoure. 

Mais sa force est ailleurs.
Victor Cousin rappelle cette fameuse citation de Blaise Pascal : “L’homme n’est qu’un roseau, mais c’est un roseau pensant. Quand l’Univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue : car l’avantage que l’Univers a sur lui, l’univers n’en sait rien...”
Complétant la pensée de Pascal, Cousin ajoute que si l’Univers ne connaît pas sa puissance, il n’en dispose pas non plus, il suit en esclave des lois irrésistibles.
A contrario, l’Homme est conscient et libre d’agir : “Le peu que je fais, je le fais parce que je le veux !”

Pour Victor Cousin, c’est précisément ce qui confère une position unique à l’être humain : “La liberté qui élève l’homme au dessus des choses, l’oblige par rapport à lui-même.”
La contrepartie de cette liberté l’oblige cependant à se soumettre à la hiérarchie des droits et devoirs, que Victor Cousin énonce de la manière suivante : “Envers les choses, je n’ai que des droits; je n’ai que des devoirs envers moi-même; envers vous j’ai des droits et des devoirs qui dérivent du même principe..”
Autrement dire et pour résumer : “Le devoir et le droit sont frères. leur mère commune est la liberté. Ils naissent le même jour, ils se développent et ils périssent ensemble...”

A la lumière de ces principes qu’il juge cardinaux, Victor Cousin définit en quelque sorte sa conception du libéralisme et se livre à toutes sortes de constats roboratifs.
S’agissant par exemple de l’égalité, il affirme que la seule qui vaille est celle d’être libre (“Nul homme n’est plus libre qu’un autre”).
En revanche, s’agissant de l’égalité des conditions telle que l’a prêchée Rousseau, il considère qu’elle relève du leurre : “il n’est pas vrai que les hommes aient le droit d’être également riches, beaux, robustes, de jouir également, en un mot d’être également heureux.../… Rêver une telle égalité est une méprise étrange, un égarement déplorable…”

S’agissant de la propriété, il rejoint peu ou prou la pensée des pères fondateurs du libéralisme anglo-saxon tels Locke ou Hume, en s’exclamant que “la propriété est sacrée car elle représente le droit de la personne elle-même. Le premier acte de pensée libre et personnelle est déjà un acte de propriété. Notre première propriété c’est nous mêmes…”
En évoquant la légitimité de la propriété privée, Cousin n’est pas non plus très éloigné de Turgot, notamment lorsqu’il réaffirme après lui le fondement du capitalisme : “la propriété préexiste à la production.../… Je ne produis qu’à l’aide de quelque chose que je possède déjà…”

Quant à la justice, il considère “qu’elle confère à chacun le droit de faire tout ce qu’il veut, sous cette réserve que l’exercice de ce droit ne porte aucune atteinte à l’exercice du droit d’autrui.”
Toutefois, il ne faut pas comprendre qu’il s’agisse là d’une fin en soi mais plutôt d’un pré-requis. Lorsqu’un individu satisfait au devoir de respecter la liberté des autres, “nul n’a rien à lui demander”, mais a-t-il pour autant accompli toute sa destinée ?
Evidemment non. Il reste un champ très vaste dans lequel peuvent se conjuguer beaucoup d’aspirations plus ou moins élevées, plus ou moins altruistes. Au delà de la leur, certains voudront défendre la liberté des autres. D’autres voudront faire régner davantage de justice. Certains feront preuve de dévouement, de charité…
Au sujet de cette dernière, Cousin met toutefois en garde contre les effets pervers d’un trop grand zèle, car il est facile en la matière de prendre des vessies pour des lanternes, tant sont sujettes à cautions les définitions et les conceptions des uns et des autres. En l’occurrence, “le désintéressement et le dévouement sont des vertus d’un ordre différent; l’un se définit avec rigueur, l’autre échappe à toute définition”, et “la charité est souvent le commencement et l’excuse, et toujours le prétexte des grandes usurpations…”
Avec une perception plutôt prémonitoire des choses, Cousin vitupère contre les gens qui voudraient faire de la solidarité et de la charité des vertus d’essence étatique, c’est à dire obligatoire. Pareillement il peste contre ceux qui, abusant le peuple, proclament dans l’absolu des droits imaginaires. Aux premiers, il s’écrie : “Si vous m’arrachez une obole, vous commettez une injustice…”. Aux seconds, il fait observer “qu’il est faux que l’ouvrier ait droit au travail, car tout droit vrai emporte l’idée qu’on peut l’assurer par la force.../… proclamer des droits mensongers, c’est mettre en péril les droits certains” (on pense à Montesquieu condamnant les lois inutiles, qui affaiblissent les lois nécessaires...)
D’une manière générale, si “l’Etat doit aux citoyens que le malheur accable, aide et protection pour la conservation et pour le développement de leur vie physique”, et si on peut sans doute affirmer “l’utilité, et la nécessité même des institutions de bienfaisance”, il est important qu’elles dépendent d’initiatives “le plus possible volontaires et privées.”

S’agissant des religions enfin, il considère qu’elles contiennent plus ou moins de vérité, comme les philosophies (bien que de son aveu, l’une d’entre elles “surpasse incomparablement les autres...”). A ce titre il juge nécessaire que “toutes aient un droit égal à leur libre exercice”, sous réserve qu’elles se tolèrent mutuellement, car “un culte qui, en recommandant à ses fidèles d’observer entre eux la bonne foi et la sincérité, les en dispenserait envers les fidèles des autres cultes, devrait être interdit.”

En somme, ce texte n’est pas dénué d’actualité. Il n’est sans doute pas d’une originalité fracassante, et le portrait de la société idéale n’y est qu’à peine ébauché. Son ton peut être jugé un peu doctoral voire condescendant, mais le raisonnement s’avère simple simple et cohérent.
En postface Damien Theillier rappelle qu’il fut publié en 1848, au moment où s’effondra la monarchie de Juillet et où selon Tocqueville, naquit l’idée du socialisme. Il rappelle à cet effet l’observation pertinente que ce dernier fit au moment de cette nouvelle révolution française, porteuse de folies et de chimères dont nous subissons toujours les conséquences désastreuses : “mille systèmes sortirent impétueusement de l’esprit des novateurs et se répandirent dans l’esprit troublé des foules : l’un prétendait réduire l’inégalité des fortunes, l’autre l’inégalité des lumières, le troisième entreprenait de niveler la plus ancienne des inégalités, celle de l’homme et de la femme; on indiquait des spécifiques contre la pauvreté et des remèdes à ce mal de travail, qui tourmente l’humanité depuis qu’elle existe . Ces théories étaient fort diverses entre elles, souvent contraires, quelquefois ennemies… prirent le nom commun de socialisme (Souvenirs de 1848)

25 juillet 2015

Vincent, François, Paul et les autres



Par une curieuse coïncidence, et une quasi homonymie, l'affaire qui secoue les médias depuis quelques mois rappelle celle qui fit également grand bruit en 2003, à propos de l'infortuné Vincent Humbert.
Aujourd'hui c'est de Vincent Lambert dont tout le monde parle, mais derrière ces deux tragiques histoires, se profilent les mêmes terribles problèmes éthiques et chaque fois le spectre de l'euthanasie apparaît en filigrane.

A chaque épisode en effet, un petit pas est fait en direction de cette extrémité, dont on nous rebat les oreilles et au sujet de laquelle les médias raffolent de sonder l'opinion publique.
De son côté, le législateur, toujours prompt à pondre de la paperasse réglementaire, peaufine sans cesse les textes en forme d'usine à gaz juridique, d'où sortira tôt ou tard The Big One...
Après la loi Leonetti et ses multiples et savantes retouches tournant autour du pot, il ne reste en effet plus grand chemin à parcourir pour parvenir comme certains pays l'ont déjà fait, à un texte légalisant la mise à mort des malades en situation qualifiée de désespérée.

Pourtant, la complexité du problème plaide à l'évidence pour la grande humilité en la matière.
A l'époque de Vincent Humbert, on excipait de la volonté exprimée par le patient, pour légitimer les mesures médicales conduisant au décès. Même si vu le contexte, la réalité de ce choix et la liberté dans laquelle il a pu s'effectuer étaient plus que discutables, dans l'absolu, c'était un argument de poids.
Vincent Lambert lui, plongé dans un état pauci-relationnel, n'est pas en état d'exprimer sans ambiguïté une telle décision et n'a pas eu l'occasion de le faire tant qu'il le pouvait. Seul l'entourage familial le plus proche pourrait donner une indication. Or c'est peu dire qu'il est partagé sur la question : il se déchire littéralement ! 
Une partie de la famille, jugeant la situation absurde, souhaite l'abréger au plus vite , l'autre s'accrochant à la vie, est arc-boutée sur le maintien des soins.
Mais au fond personne ne parvient à imposer son point de vue. Après tout, la conviction des uns vaut bien celle des autres, et en l'occurrence, même la justice est mise en défaut. Ce n'est pas faute pourtant de l'avoir sollicitée. Tribunal Administratif, Comité d'Ethique, Conseil d'Etat et même Cour Européenne ont été saisis du problème sans parvenir à le résoudre à ce jour !

On voit bien ici les limites de la raison raisonnante. Aucune argutie juridique, aucun fait scientifique ne peut apporter une contribution à un débat qui se situe à la lisière de la foi et de la métaphysique. La morale, qu'on appelle désormais éthique et pour laquelle on fait de pompeux comités, résiste à la logique matérialiste. Comme le faisait remarquer Kant pour évoquer la faillite du raisonnement en matière de métaphysique : dans le vide, l'oiseau, même doté des plus belles ailes, tombe comme une pierre...

Dans cette situation ambiguë où un patient se trouve à mi chemin entre la vie et la mort, tout est possible. Comment définir un repère intangible dans le continuum qui relie l'absence totale de conscience et sa plénitude ? Et dans le doute, comment refuser un minimum de soins à quelqu'un qui fut et qui reste une personne humaine, même si elle est considérablement diminuée et en situation de grande vulnérabilité ?
S'il apparaîtrait à l'évidence stupide de promouvoir pour Vincent un acharnement thérapeutique sans objet, faut-il pour autant proposer de le laisser mourir de faim et de soif comme cela fut proposé « éthiquement » et « collégialement » puis validé « juridiquement » ? Et comme on l'a vu mener jusqu'au bout pour Terry Schiavo aux Etats-Unis en 2005.
Est-ce cela, l'aboutissement de la médecine et de la morale modernes ?

Toute considération religieuse mise à part, cette perspective ne manque pas d'effrayer. Pour ce malheureux patient avant tout, mais aussi pour tous ceux qui sont derrière lui, et qui seraient d'après ce qu'on nous dit, pas moins de 1700 en France.

Ce qui frappe de nos jours, c'est ce grand vide moral autour duquel nous tournons désespérément. Face aux enjeux considérables auxquels nos sociétés sont confrontées, force est de faire le constat que l'opinion végète entre lieux-communs moutonniers, contradictions et hypocrisie.
Parmi les paradoxes étonnants figure par exemple celui où l'on voit une société fière d'avoir aboli la peine de mort pour les criminels les plus odieux, promouvoir dans le même temps pour les citoyens malades, le suicide assisté et l'euthanasie légale, et recommander pour ceux qui risquent de le devenir, les directives anticipées d'arrêt ou de limitations de soins...

18 juillet 2015

Canicule


La ville écrasée fond avec mille soupirs
Dont l'haleine brûlante emplit les avenues
Tandis qu'un parfum lourd d'extases éperdues
Semble abolir le temps et tous les souvenirs

Dans cette léthargie mûrissent les désirs
Avec la sensation de voir enfin venues
Les heures tant rêvées, si longtemps attendues
Lorsque vie et chaleur se muent en purs plaisirs

L'abandon signifie ne plus faire aucun geste
Et boire avidement cet instant de bonheur
Versé par le hasard, en oubliant le reste.

Déjà l'ombre allongée d'un vieux saule pleureur
Annonce que le jour incline sa lumière

Au seuil d’une nuit tiède autant qu’hospitalière...

11 juillet 2015

La farce de Maître Tsipras

Il est toujours assez jouissif de voir un Socialiste manger son chapeau idéologique et revenir par la force des choses, tout penaud, au bon sens. En matière économique ça consiste à se résigner à verser un peu de libéralisme et de saine comptabilité dans les doux délires redistributifs du collectivisme communiste, source d'inspiration inextinguible quoique de moins en moins revendiquée...
Ainsi la crise grecque donne l'occasion de voir M. Tsipras, entériner de fait, les austères injonctions des autorités européennes qui sont pour l'heure, les principaux créanciers de la cigale athénienne. 
Lui le tribun désinvolte,  lui l'histrion arrogant, dopé au philtre empoisonné de la dialectique marxiste, lui qui avait annoncé à son malheureux peuple des lendemains qui chantent, il en est réduit aujourd'hui à lui demander d'ingurgiter la potion amère.
Sinistre comédie qui consiste à faire voter le peuple sur des chimères, et quelques jours plus tard à solliciter le parlement pour faire approuver l'inverse! De l'art d'avoir toujours raison comme dirait Schopenhauer. Et de dire tout et son contraire et surtout n'importe quoi.
Comment le camarade Mélenchon va-t-il nous présenter ce tour de passe-passe, qui corrompt joyeusement la démocratie et prend les gens pour des billes ?
Faut-il rire ou pleurer de ces simagrées ? Qui rira le dernier en l'occurrence ?
Pour l'heure on peut considérer comme hilarantes les circonlocutions, périphrases et litotes en tous genres de notre Monsieur Prudhomme national, j'ai nommé le Président de la République en personne !
Le voir donner des leçons de rigueur, et  recommander à son ami de la vieille Internationale, la docilité vis à vis des institutions européennes et des grands financiers ne manque pas de sel !
Hélas il y a fort à craindre que tout cela ne soit qu'une mascarade. Connaissant la filouterie de ces gens, il est vain de croire à leurs promesses. Dans ce theâtre de l'illusion chacun feint de faire confiance à l'autre. Chacun fait semblant de s'engager. Mais au bout du compte, le plus probable est qu'on ne trouve que les épines du rosier et les queues des cerises...
Même en admettant que M. Tsipras soit sincère, les mesures qu'il propose restent très insuffisantes ou inadaptées. Hormis 2 ou 3 privatisations amusantes, elles se bornent en effet à augmenter les impôts et les taxes, ce qui ne constitue pas en soi ce qu'on peut appeler des économies.
Plus dure sera la chute...
Les peuples seront-ils dupes encore longtemps de cette farce ? Et combien de temps faudra-t-il encore pour que les rêves se fracassent vraiment sur la dureté de la réalité ? That is the question....

30 juin 2015

Sur une urne grecque...

Le titre d'un beau poème de John Keats (1795-1821), me suggère quelques réflexions acides sur l'actualité...

Moins de six mois après l'élection qui a porté au pouvoir en Grèce le parti d'extrême gauche Syriza, le constat est accablant.
On allait voir « ce qu'on allait voir » annonçaient certains fiers à bras qui se faisaient fort de mettre au pas la Finance Internationale, les vilains créanciers, le FMI, la BCE, la Commission de Bruxelles, la Troïka et tutti...
Allez-donc savoir pourquoi ce malheureux pays qui commençait tout juste à se relever, a brusquement cédé aux sirènes démagogiques d'irresponsables idéologues, bardés de certitudes et d'arrogance, et si ignorants des lois économiques élémentaires !
La versatilité et la crédulité du Peuple sont parfois stupéfiantes, surtout à une époque où il est pourtant facile de disposer d'informations et de les croiser pour se faire une idée aussi objective que possible.

Hélas, lorsqu'on est au bord de la ruine, drogué aux emprunts et à toutes sortes d'artifices comptables, il est certes bien difficile d'accepter la réalité qui impose évidemment l'austérité, autrement dit de se serrer la ceinture et de remonter ses manches. Il est en revanche tentant de croire les conseillers assassins qui vous dorent la pilule et vous assurent qu'il est possible d'effacer les dettes contractées auprès des autres, et qui vous chantent l'air lénifiant de la croissance ex nihilo en vous encourageant à creuser de nouveaux trous pour boucher la béance des précédents...

Le spectacle auquel on assiste depuis des mois faisant alterner chantage, manœuvres dilatoires, palinodies, et fausses promesses est des plus désespérants. Aujourd'hui plus personne n'est dupe. La Grèce ne remboursera pas l'essentiel de son endettement actuel. On ne sait pas encore trop qui paiera les pots cassés de cette gabegie mais il est à craindre que les contribuables et les épargnants soient une fois encore sollicités. Le pire est qu'à ce jour, il est plus que probable que cette fuite se reproduise sitôt épongée, car le gouvernement actuel, à condition qu'il parvienne à rester encore longtemps en place, n'a donné aucun espoir d'infléchir sa politique désastreuse.

Le risque, derrière cette affaire, est de voir se déliter rapidement ce qu'il reste du beau mais fragile rêve européen.
Avec la Grèce, l'Europe danse en effet sur un volcan. On apprend aujourd'hui même que la dette de la France a fait un nouveau bond depuis le début de l'année pour désormais frôler les 2100 milliards d'euros (soit près de 32.000 € par Français, nouveaux-nés inclus). Or avec leurs credo socialistes archaïques vaguement teintés de social-démocratie, nos dirigeants partagent peu ou prou les doux délires économiques de ceux qui sévissent à Athènes. Où cela nous mènera-t-il ? Jusqu'à quand les pays qui ont su redresser la barre, accepteront-ils de ramasser les morceaux de ces urnes insensées ? Un referendum improvisé va-t-il changer le destin ?

27 juin 2015

Tendre est la nuit

Il n'avait d'yeux que pour la nuit
Qui ouvre la porte des rêves
Et laisse de paisibles trêves
A l'esprit rongé par l'ennui

Sous l'obscurité qui luit
Il sentait la montée des sèves
Et la moiteur d'heures trop brèves
Au parfum de fleur et de fruit

Et son être était ivre et libre
La tête levée vers le ciel
Au bord de perdre l'équilibre

Tandis que du noir essentiel
Tombaient doucement les lumières
Ténues d'étoiles familières

26 juin 2015

Une France vraiment moisie

Le déchaînement de violence dont l'actualité nous donne le navrant spectacle, à l'occasion du conflit opposant les taxis aux VTC (voitures de transport avec chauffeurs), fait resurgir l'expression de « France moisie », trouvée il y a quelques années pour un de ses éditoriaux sulfureux par Philippe Sollers.

Si le propos s'apparentait comme souvent, à un fatras dans lequel le meilleur côtoyait le pire, le titre était bon, il faut bien le reconnaître, et parfaitement adapté à la situation actuelle...
Elle est là dans toute sa réalité, cette France qui sent le vieux, l'archaïque, le renfermé.
Quoi de plus méprisable en effet que cette déferlante de haine qui anime une corporation s'estimant lésée dans ses acquis par de nouveaux opérateurs qualifiés de " délinquants sans carte pro ni assurance", venus piétiner leurs plates-bandes ? On se croirait transporté au pays des castes ou bien revenu au temps des privilèges.

Certes les chauffeurs de taxi ont payé cher leur rente de situation, leur asservissement protecteur au consortium étatisé qui réglemente depuis la nuit des temps leur profession. Les fameuses « licences » délivrées au compte-goutte par les Préfectures peuvent leur coûter jusqu'à 200.000€, tant est féroce la spéculation alimentée par la rareté absurde du sésame.

Là est d'ailleurs le vrai problème : on touche une fois encore du doigt les effets dévastateurs des régulations et des réglementions auxquelles les Français pourtant frondeurs par nature sont si attachés.
Et plus que jamais, le gouvernement se trouve pris à contre-pied par l'évolution des techniques, et de fait, est empêtré dans ses contradictions idéologiques.
Il y a un an à peine le premier ministre déplorait une « France bloquée ». Elle l'est assurément, mais à qui la faute si ce n'est à lui et à tous les gens qui partagent avec lui les mêmes idées obsolètes et doctrinaires, voire contradictoires ou incohérentes ?
Par un paradoxe bien de chez nous, alors que les taxis se livrent à des violences inacceptables, c'est la société UBER qui est mis au ban par le sinistre ministre de l'Intérieur Cazeneuve !

Le vieux mythe de l'Etat-Providence montre une fois encore toute la perversité de ses bonnes intentions. Cet épisode qui fait honte à notre pays sur la scène internationale permet de vérifier que L'Etat étouffe ceux qu'ils prétend protéger et organise la pénurie. Ce schéma est reproductible mille fois. On l'a vu avec les lois insanes dites Duflot du nom de la calamiteuse et éphémère ministresse du logement. On le voit avec l'hôtellerie,
le commerce en ligne, l'ouverture réglementée des magasins, le pléthorique code du travail...
En l'occurrence, les taxis n'ont pas tort de récriminer contre une « concurrence déloyale ». Mais ils se trompent de cible en s'attaquant à des challengers jugés trop libres. La solution n'est-elle pas de libérer un peu ceux sur lesquels pèsent des contraintes excessives plutôt que de contraindre les autres ?

Pour finir sur une note humoristique, qu'il soit permis de pointer l'inanité des prétendues bonnes actions gouvernementales, avec les récentes et grotesques initiatives de l'inénarrable Ségolène Royal, se faisant fort d'interdire au bon peuple l'usage du Nutella ou du RoundUp ! Devant tant de candeur ubuesque Alfred Jarry doit être transformé en turbine dans sa tombe...
En définitive, pour paraphraser les slogans libertaires de la fin des années soixante qui voyaient « sous les pavés la plage », on pourrait percevoir sous ceux, de plus en plus usés du socialisme, la liberté qui pousse, et rappeler plus que jamais « qu'Il est interdit d'interdire... »

21 juin 2015

Un bonheur suisse

Une brève incursion en Suisse vient de me donner l'occasion de vérifier que ce charmant petit pays (où par le plus grand des hasards je naquis), a vraiment presque tout du paradis sur terre !
Évidemment, ses paysages romantiques de lacs et de montagnes y sont pour quelque chose. Par une belle journée de Juin, une impression de tranquillité radieuse se dégage de Genève. Le panache du grand jet d'eau s'inscrit au loin comme un repère majestueux, offrant un splendide contraste aux bateaux à vapeur qui glissent avec une élégance nonchalante sur la sereine horizontalité du lac Léman.

Mais si la Suisse a des charmes géographiques indéniables, ses institutions n'en sont pas moins remarquables.
Organisée en confédération depuis le Moyen-Age, elle a évolué vers une démocratie parlementaire décentralisée, conférant l'essentiel du pouvoir et des initiatives à l'échelon local. Aujourd'hui, elle illustre de manière admirable les vertus du modèle fédératif et la démocratie participative n'y est pas un vain mot...
Dans ce système original, il faut bien chercher l'Etat pour le trouver. Pas de Président de la République, pas de premier ministre, et quasi pas de gouvernement central. Juste une collégialité de 7 personnes réunies en Conseil Fédéral. Elles se partagent la charge des grands départements correspondant, mais en moins grand nombre, à nos ministères. Le Pouvoir législatif est entre les mains d'un Parlement bi-caméral constitué d'un Conseil National de 200 membres, au prorata de la populations des cantons, et d'un Conseil des Etats de 46 membres, en règle 2 par canton (et 1 par demi-canton).
Cette organisation laisse la part belle aux initiatives populaires via des referendums - ou votations - pour se prononcer au plus près du terrain sur toutes les problématiques qui se posent au quotidien.
Résultat, la Suisse, enchâssée au coeur de l'Europe, vit avec elle et à mille lieues d'elle en même temps. Sa neutralité proverbiale la tient à l'écart de nombre de situations conflictuelles agitant le monde autour d'elle ce qui ne l'empêche pas d'héberger nombre d'instances internationales : ONU, Croix Rouge, Comité Olympique, OMS, Association Européenne de Libre Echange...

Un petit tour d'horizon de ses principaux indicateurs a de quoi en rendre jaloux plus d'un : elle dispose d'un des plus forts PIB par habitant au monde et sa croissance est régulière. Son taux de chômage est durablement au plus bas (autour de 3%). L'espérance de vie des habitants est l'une des 2 meilleures au monde. Le système de santé est excellent et s’il oblige les citoyens à contracter une couverture maladie, il leur laisse le libre choix de l’assureur. La Suisse est paraît-il, le pays où les retraités sont les plus heureux, grâce à une organisation fondée sur “3 piliers”,  faisant peser la prévoyance sur plusieurs systèmes, tantôt répartition tantôt capitalisation. Pour couronner le tout, elle se caractérise par un très haut niveau d’éducation et de culture, de bonnes performances sportives,  et elle attire nombre d’entreprises à haute valeur ajoutée technologique, qui pallient le peu de ressources naturelles. La stabilité de ses réglementations, notamment fiscales, et son excellent classement en matière de lutte contre la corruption sont sans nul doute des éléments clés de son attractivité....

Au total, cette organisation fédérale décentralisée qui a si bien réussi à l'échelle gigantesque des Etats-Unis, se révèle parfaitement adaptée à un pays de 8 millions d'âmes, répartis en 26 cantons, parlant 4 langues différentes ! Un bel exemple, qui malheureusement a peu de chance d'être suivi en France, où l'on se complaît dans le centralisme bureaucratique, les rentes de situations et la pompe oligarchique...

12 juin 2015

Loti japonisant

Le style de Pierre loti, élégant et laqué, empreint de grâce hautaine, sied très bien à l'exotisme qui caractérise sa vie et sa littérature.
En racontant ses souvenirs glanés pendant les quelques mois qu'il passa au Japon à la toute fin du XIXè siècle, cette faconde fait souvent merveille.
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De fait, le récit promène avec jubilation le lecteur au sein de ces palais silencieux et déserts, figés dans une beauté hiératique. Dans ces grands espaces, où "il n'y a pas de meuble, mais seule la précieuse laque d'or qui s'étale uniformément partout..."
Loti s'extasie par exemple devant "la nécropole des vieux empereurs japonais au pied du mont Nikko, au milieu des cascades qui font à l'ombre des cèdres un bruit éternel, parcourant une série de temples enchantés, en bronze, en laque aux toits d'or, ayant l'air d'être venus là à l'appel d'une baguette magique.../... personne alentour hormis quelques bonzes gardiens qui psalmodient, quelques prêtresses vêtues de blanc qui font des danses sacrées en agitant des éventails.../... La Mecque du Japon, le cœur encore inviolé de ce pays qui s'effondre à présent dans le grand courant occidental."

L'écrivain est impressionné par les manières pleines de distinction et de raffinement du "peuple le plus poli de la Terre". Il est sous le charme de ces adorables jeunes filles au charme mutin qu'on appelle mousmés.
Il s'amuse des djin (djin-richi-cha), ces tireurs de pousse pousse secs et musclés qui trimballent à toute allure leurs passagers, en gesticulant "comme des diablotins", "en poussant des cris de bêtes" pour se donner du courage et écarter les passants.
A Kyoto, il s'amuse également au spectacle plein de préciosité de la prostitution à la mode nipponne. De "l'exposition des femmes, alignées en devanture, derrière de petites barrières en bois ; assises, très parées, très éclairées par des lampes ; blanches comme du linge blanc, à force de poudre de riz mise à paquets sur les joues ; les yeux agrandis de noir et avant, sous la lèvre d'en bas, un rond de peinture rouge qui leur fait comme l'exagération de ce qu'on appelle chez nous la bouche en cœur.."

Au sein des paysages d'extrême orient, il est ébloui par la splendeur du Fuji Yama : "le géant des monts japonais, le grand cône régulier, solitaire, unique, dont on a vu l'image reproduite sur tous les écrans et sur tous les plateaux de laque ; il est là dessiné en traits d'une netteté profonde, surprenante – avec sa pointe blanche trempée dans la neige."
D'une manière générale, il est fasciné par la nature sauvage et fleurie qui sert d'écrin aux temples chargés d'histoire qu'il visite avec une admiration teintée de nostalgie. Il évoque ces tapis de chrysanthèmes aux douces couleurs qui ornent à perte de vue les jardins sacrés à la manière de fleurs  héraldiques qui au Japon, équivalent à nos fleurs de lys.
En plein mois de novembre, il remarque les kakis, arrivés à maturité, "seul fruit qui au Japon mûrisse en abondance, semblable à une orange un peu allongée, mais d'une couleur plus belle encore, lisse et brillant comme une boule en or bruni."

Mais le point d'orgue de ce voyage, c'est assurément la réception donnée par l'impératrice, à laquelle il a la chance d'être invité. Il n'aurait voulu rater ça pour rien au monde : "Tant que je vivrai, je reverrai cela... dans le recul profond de ces jardins, cette lente apparition, si longtemps attendue ; tout le reste de la fantasmagorie japonaise s'effacera de ma mémoire, mais cette scène, jamais..." 
Après un long moment d'attente qui lui semble une éternité, la souveraine enfin apparaît entourée de nombreuses dames de compagnie. "Elles sont très loin, très loin ; il leur faudra plusieurs minutes pour arriver jusqu'à nous ; vues de la colline où nous sommes, elles paraissent encore toutes petites comme des poupées – des poupées très larges par la base, tant sont rigides et bouffantes leurs étoffes précieuses qui ne font du haut en bas qu'un seul plis. Elles semblent avoir des espèces d'ailes noires de chaque côté du visage – et ce sont leurs chevelures gommées, éployées suivant l'ancienne étiquette de cour. Elles s'abritent sous des ombrelles de toutes couleurs, qui miroitent et chatoient comme leurs vêtements. Celle qui marche en tête en porte une violette, ornée de bouquets blancs qui doivent être des chrysanthèmes : c'est elle évidemment, l'impératrice !..."

Pourtant au fil des pages s'installe un sentiment curieux, mélange de fascination et de satiété devant cette profusion de trésors, de dédain et d'incompréhension pour ce peuple qui vit sous ses yeux, mais dont il ne parvient à percer l'âme. Il l'avoue d'ailleurs dés le début du récit : "J'ai l'impression de pénétrer dans le silence d'un passé incompréhensible, dans la splendeur morte d'une civilisation dont l'architecture, le dessin, l'esthétique me sont tout à fait étrangers et inconnus."
D'ailleurs, lorsqu'il rencontre des autochtones au cours des cérémonies et nombreuses réceptions qui émaillent son parcours, "Nous nous dévisageons les uns les autres avec ces curiosités froides et profondes de gens appartenant à des mondes absolument différents, incapables de jamais se mêler ni se comprendre...."
On songe d'abord à Stendhal devant les merveilles de Florence : "à la longue, on éprouve une lassitude à voir tant d'or, tant de laque, tant d'étonnant travail accumulé ; c'est comme un enchantement qui durerait trop..."
Mais au fond, c'est plus grave, car si Loti éprouve un profond respect pour le Japon d'hier, il raille celui de son temps, déja perverti selon lui, par les moeurs occidentales. Une phrase parmi cent, suffit pour s'en convaincre "c'est dimanche aujourd'hui – et on s'en aperçoit parfaitement : ils commencent à singer nos allures et notre ennui de ce jour là, ces païens. C'est surtout la mauvaise manière qui leur a servi de modèle, à ce qu'il semble, car beaucoup de boutiques sont fermées et beaucoup de gens sont ivres..."
Plus terrible encore, ce commentaire un tantinet réducteur et franchement méprisant dans lequel il se dit "agacé pas ces sourires , ces saluts à quatre pattes, cette politesse fausse et excessive. Comme je comprends de plus en plus cette horreur du Japonais chez les Européens, qui les ont longtemps pratiqués en plein Japon ! Et puis la laideur de ce peuple m'exaspère, ses petits yeux surtout, ses petits yeux louches, bien rapprochés, bien dans le coin du nez, pour ne pas troubler les deux solitudes flasques de joues.."

On se demande ce qu'il aurait pensé du Japon qui peu de temps après ce témoignage, se lança dans une politique brutale de colonisation, et provoqua des conflits insensés ? Qu'aurait-il dit en voyant à la suite de cette folie expansionniste, ce pays vaincu, détruit, ruiné, renaître tout de même de ses cendres, accéder à la démocratie et devenir un phare du progrès technique ?
Aurait-il pensé que ce peuple avait définitivement perdu son âme, ou bien serait-il parvenu à l'idée qu'il avait en définitive réussi à surmonter ses vieux démons en restant lui-même, au terme des terribles mutations et des mésaventures qu'il endura, beaucoup par sa faute ?

Pour rester sur une impression moins défavorable, qu'il soit permis de terminer en évoquant un petit souvenir, microscopique mais touchant. Alors qu'il se promène aux alentours de Nikko, il croise un enfant déguenillé d'une huitaine d'années. Ce dernier vient vers lui. "Il porte attaché sur son dos, un petit frère naissant, emmailloté et endormi. Il me fait une grande révérence de cérémonie, si inattendue, si comique, et si mignonne en même temps, que je lui donne des sous. 
Plus tard dans la journée, il le rencontre à nouveau, et l'enfant lui tend avec un sourire craquant,  un bouquet de campanules pour le remercier : "c'est le seul témoignage de cœur et de souvenir qui m'ait été donné au Japon, depuis tantôt six mois que je m'y promène.../... seul souvenir désintéressé qui me restera de ce pays."


Pierre Loti. Japoneries d'automne. La Découvrance éditeur. 2014.

31 mai 2015

The Sound Of Jazz

Ce cliché crépusculaire, débordant d'émotion, pris dans un studio de la maison CBS à la fin de l'automne 1957, est tout simplement dévastateur...
On y retrouve nonchalamment installés dans un troublant clair obscur si propice à la révélation du blues, Bille Holiday, Lester Young, Coleman Hawkins et Gerry Mulligan, réunis pour une sublime session.
Fine and Mellow comme dit la chanson de Lady Day. Moment d'intense communion s'il en fut. Regards complices, sourires déchirants, tendresse et suavité… Si émouvant lorsqu’on songe que Billie et Lester, ces deux fragiles et merveilleux génies de la constellation black and blue, ne se retrouveront jamais plus pour faire de la musique ensemble, avant leur disparition prématurée deux ans plus tard, à quelques mois d'intervalle.
Ce moment de grâce absolue, n'est qu'un des joyaux qui sont rassemblés sur ce bluray magique intitulé fort opportunément The Sound of Jazz.

Une bonne vingtaine de standards tous plus juteux les uns que les autres se succèdent au cours de cinq séquences magiques. Quant aux artistes, ils sont si nombreux et tous si intensément liés au coeur du jazz qu’on serait bien en peine de distinguer les uns comme plus glorieux que les autres. Il en manque certes, et non des moindres, mais ceux qui sont ici parlent pour les absents. Quelle pléiade mon Dieu !
Laissons nous aller à évoquer tout de même le swing si inimitable de l’orchestre de Count Basie au grand complet, qui fait merveille sur The Count Blues, Dickie’s dream, I left my baby...
Ou bien Henry “Red” Allen qui anime tantôt à la trompette tantôt au chant, une version vitaminée de Rosetta, avec autour de lui Vic Dickenson au trombone, Pee Wee Russel à la clarinette et une section rythmique de compétition (Danny Barker guitare, Nat Pierce piano, Milt Hinton basse et Osie Johnson batterie.
Mentionnons également l’intervention courte mais qui ne peut laisser indifférent du si subtil Thelonious Monk en trio. Il nous livre un Blue Monk tout en dérapages contrôlés...

Remontons encore un peu dans le temps, pour nous retrouver en 1944 avec The Prez au meilleur de sa forme. Avec son chapeau plat, son petit air penché qui contribue sans doute à donner aux émanations mélodiques issues de son sax, une saveur empreinte de délicieuse mélancolie. On retient notamment le fameux On The Sunny Side Of The Street avec la charmante chanteuse Mary Bryant. Avec eux, Illinois Jacquet, quasi alter ego de Lester, Harry Sweet Edison à la trompette, Barney Kessel à la guitare, Big Syd Catlett à la batterie, Marlowe Morris au piano, et Red Callender à la basse. Quel velouté, quelle légereté !

Viennent ensuite quelques petits trésors qui permettent de voir ou de revoir des artistes inoubliables dans une atmosphère parfaite, où les cuivres et les bois jouent dans une pénombre feutrée par les fumées de cigarettes. Par exemple, au cours d’une session particulièrement excitante, de Miles Davis avec le soutien superbe mais trop bref de John Coltrane (So what).
Ou bien encore Charlie Parker, Dizzie Gillespie, Roy Eldridge, Coleman Hawkins, Ben Webster, Vick Dickenson, Dicky Wells, Benny Morton, Pee Wee Russel, Jimmie Giuffre, Mal Waldron, Ahmad jamal, Hank Jones, Buck Clayton, Wyton Kelly, Paul Chambers, Gil Evans et j’en passe !
Oh, bien sûr il ne faut pas attendre de miracle. Les images capturées il y a plus d'un demi-siècle sont empreintes à jamais du flou originel et la musique restera pour toujours étouffée par les insuffisances techniques de l'époque.N'empêche, qu'il est doux de revoir et d'entendre une fois encore la fine fleur du jazz réunie sur ce disque absolument indispensable...

20 mai 2015

The Blues Fades Away...

Juste une rivière noire
s'écoule sans fin l'eau
Comme un obscur tombereau
De langueur et de mémoire.

Dans les replis de sa moire
Le mystère du berceau
Rejoint celui du tombeau
Indifférent à la gloire.

Avec pour seul bruit, le chant
Qui s'élève humble et touchant
Léguant des notes moelleuses

Et la guitare en douceur
Qui confère à la douleur
Des inflexions bienheureuses...





In memoriam B. B. King 1925-2015

12 mai 2015

Trois ans au pays bas

Ce pays bas c'est évidemment la France de M. Hollande, le si bien nommé ! 
Et les trois années sont celles pendant lesquelles la nation a été consciencieusement aplatie sous le rouleau compresseur de sa politique inepte.
Le bilan est vite fait tant il est calamiteux.
Tout est raté à commencer bien sûr par la lutte contre le chômage dont il avait fait soi-disant une priorité absolue. Aujourd'hui, il semble s'en moquer éperdument et c'est désormais avec indifférence et condescendance qu'il contemple le désastre chronique qui grossit chaque mois d'une nouvelle charrette la triste foule des demandeurs d'emplois.
Comme toutes ses vaines et ronflantes promesses, il a oublié qu'il avait par avance affirmé qu'il ne mériterait que la honte s'il ne parvenait à obtenir l'inversion de cette fameuse courbe dont il a nourri la crédulité de l'opinion publique.

Ce petit bonhomme aux rondeurs bourgeoises, n'aime rien comme inaugurer les chrysanthèmes... Il porte les gerbes et les couronnes avec une sorte de jubilation, teintée de componction, à la manière de ces notables d'autrefois, confits dans la roublardise.
Il faut dire qu'en la matière, il ne rate aucune occasion. A chaque catastrophe, il accourt pour verser ses larmes de crocodile. De toute manière, son mandat n'est qu'un cimetière d'illusions pour ceux qui ont commis la fatale imprudence de voter pour lui !
Rien ne l'arrête. Aujourd'hui encore il se répandait en hommages glauques au chevet du tyran cacochyme de Cuba, en tentant rituellement de faire porter la responsabilité des malheurs du peuple qu'il a ignoblement opprimé, au blocus américain ! Qui peut encore croire ces fadaises épouvantables ?

Triste bilan donc, sur lequel il est inutile d'épiloguer. Mensonges, inconstance, incompétence, népotisme, muflerie, malversations, démagogie, tout s'inscrit à l'encontre de sa fameuse litanie du « moi je » arrogant avec laquelle il a enfumé les électeurs.
La France asphyxiée dans une idéologie lénifiante, s'enfonce dans le marasme, à l'inverse de tant de nations en train de sortir de la crise.
Après celle d'Angela Merkel en Allemagne il y a quelques mois, la victoire électorale éclatante au Royaume Uni, de David Cameron, est comme une colossale gifle donnée à ces bonimenteurs qui promettent le changement et les lendemains qui chantent comme certains barbiers filous annoncent que "demain on rase gratis..
." Comme le constatait récemment le jeune économiste Nicolas Bouzou (C dans l'air), la politique mise en œuvre à Londres pourrait être opposée point par point à celle concoctée à Paris. Et comme par hasard, les résultats outre-Manche suivent une tendance exactement contraire à celle qu'on observe en France...
Mais dans ce pays étonnant, peu importe que le président de la république soit, assez logiquement et durablement, discrédité par 80% des Français. Lui croit toujours qu'il parviendra envers et contre tout, par le jeu de stratagèmes et de manipulations, à se faire réélire !
Comme dirait Père Ubu : « Merdre ! »

08 mai 2015

Spiritualité

Voyageant dans l’espace au bleu phosphorescent
L'esprit se laisse aller sous de longues caresses
Prodiguées par les mains d'impalpables déesses
Au regard plein d’amour et très compatissant.

L'Art, la Science et la Grâce arrivent en dansant
Moquant d’un air mutin les charnelles faiblesses
Tandis qu'au loin, très haut, de joyeuses kermesses
D’oiseaux illuminés égaient le firmament.

Tout ça vit et se meut sans peine matérielle,
D'une manière en somme un peu surnaturelle,
Le sensible n'étant qu'un pesant supplément.

Mais quoi ? L'âme n'aurait donc pas de vraie substance
Et le temps qui s'enfuit pas la moindre existence ?
Ce serait sans ce cœur qui bat fidèlement...

23 avril 2015

Dernières nouvelles du royaume d'Ubu

Avec la nouvelle loi de santé, qui rituellement portera le nom dérisoire de sa ministre « de tutelle », une fois encore, le dinosaure sans foi ni âme de l’Etat-Providence continue d’avancer de son pas lourd et maladroit.

Chaque point voté par ces diaphanes fantômes de la liberté que sont devenus les Députés, chaque point, chaque article trahit cette propension à l’infantilisation du peuple contre laquelle Tocqueville tenta, hélas vainement, de mettre en garde ses compatriotes.

Passons en revue le catalogue très décousu des mesures proposées :
En premier lieu, le gouvernement donne un nouveau coup de pouce à l’interruption de grossesse pour convenance personnelle. Non content de l’avoir fait prendre en charge intégralement par la Sécurité Sociale comme une maladie, voilà qu’il presse les femmes d’y recourir davantage en supprimant le délai de réflexion de 7 jours. A une époque où l'on continue de compter une IVG pour 4 accouchements, quoique jamais la contraception ne fut plus efficace et d'un accès facile, « c'est un scandale », comme dirait feu Marchais... Et cela, toute considération morale ou religieuse mise à part naturellement (qui peut décréter en toute certitude à quel moment le foetus devient un être humain ?).

La République n'a que faire de délais, et ne s’embarrasse pas d'explications, de concertation. Foin de tous ces artifices risquant de gripper la mécanique sociale.
Ainsi pour faciliter les prélèvements d’organes, on supprime avec le même état d'esprit, tout dialogue avec la famille. Tant pis pour le drame qui se joue dans ces circonstances, l'urgence semble avant tout de produire des pièces détachées, coûte que coûte. Puisque personne ne s'enquerra des sentiments non formalisés, que vous auriez pu exprimer de votre vivant, il ne reste qu'une seule alternative pour freiner cette folie matérialiste, si vous avez un doute, demander son inscription au registre national du refus du don d'organe ! A moins qu'une loi ne change d'ici là les règles, il en sera peut-être tenu compte par les Autorités Compétentes le moment venu...

A côté de cet assèchement en règle des relations humaines, le nouveau texte contient nombre de pis allers contraignants ou au contraire permissifs sensés mieux réguler le champ de la Santé Publique. Mais rien à coup sûr, qui soit de nature à qualifier ce fatras de mesurettes sulpiciennes de « grande loi » comme certains vantards le prétendent. Aucun souffle, aucune inspiration, mais surtout des préoccupations de boutiquiers de la santé

On pourrait rire des gesticulations autour de la nouvelle présentation imposée des paquets de cigarettes. Qu'ils soient neutres, qu'ils portent des inscriptions macabres ou d'horrifiques illustrations, qui espère-t-on vraiment convaincre par ces procédés débilitants ? Peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse en somme, et ne doutons pas que d'ingénieux commerçants auront tôt fait de proposer des étuis plus attrayants !
D'ailleurs cette mesure rentre en contradiction flagrante avec l'expérimentation annoncée des fameuses salles de shoot où les toxicomanes invétérés pourront s'adonner à leur doux vice en toute quiétude et hygiène, après avoir acheté leur came sur le trottoir d'en face ! Ah qu'elles étaient belles en comparaison, les fumeries d'opium qui envoûtèrent Baudelaire, De Quincey, Loti ou Huxley !

Rien n'arrête le zèle législatif. On va faire passer désormais les mannequins de mode sur la balance à bestiaux pour s'assurer que leur indice de masse corporelle est bien dans les normes ! Jusqu'où faudra-t-il aller dans le ridicule ? Imagine-t-on vraiment pouvoir ainsi diminuer le nombre d'anorexiques ? Croit-on vraiment que ce soit avec de tels artifices qu'on amènera le peuple à se montrer plus responsable ?
Du même tonneau, si l'on peut dire, il faut évidemment citer les sanctions pour ceux qui inciteraient les jeunes et notamment les mineurs au binge drinking (beuverie express), qui fait de plus en plus de ravages dès la fin de semaine (c'est à dire désormais à peu près tous les jours). Ainsi, le plus sérieusement du monde la ministre au regard illuminé, annonçait récemment sur Europe 1 «qu'il sera désormais interdit de vendre des produits qui rendent sympathique l'alcool », et que pour «protéger les jeunes contre les intérêts mercantiles», seront sous peu interdits à la vente «des protections pour les téléphones portables ou des tee-shirts avec des scènes un peu amusantes autour de l'ivresse !»

Pendant ce temps, la consommation d'alcool s'affiche totalement impunément sur la voie publique. Que dire par exemple de l'emblématique « fête de la Musique » de M. Lang, qui se termine invariablement pour tant de ces jeunes, sur un brancard dans les services d'Urgences des hôpitaux...
Ne s'agit-il pas d'une évidente incitation à l'ivresse festive ?

PS : s'agissant des mesures plus consistantes, mais pas moins insensées de la loi, je renvoie à de précédents billets :