30 septembre 2016

De Bygmalion en Absurdie

Elise Lucet, fervente fan de Nicolas Sarkozy comme chacun sait, s’est attachée pour sa première initiative à la tête de l’émission Envoyé Spécial (France 2, le 29/09/16), à remonter le cours de l’affaire dite Bygmalion
Avec ses collaborateurs zélés, elle démontre dans cette enquête édifiante, qu’il n’y eut en somme aucune malhonnêteté caractérisée, mais une simple dérive comptable comme seule l'ineffable bureaucratie française avec sa montagne de règles plus idiotes les unes que les autres, sait en générer.


Au départ, il faut se rappeler que le législateur, dans sa grande folie régulatrice, a jugé opportun de plafonner le montant des dépenses de campagne. On ne sait trop pour quelle raison cette disposition fut entérinée; sans doute pour répondre à un obscur principe de transparence et d’égalité... 
Dans le même temps, comme pour plomber un peu plus le budget de l'Etat, il fut décidé que ces dépenses seraient prises en charge pour moitié par l’Etat, tout dépassement constaté par le Conseil Constitutionnel, étant sanctionné par un versement du même montant au Trésor Public.

La campagne 2012 de Nicolas Sarkozy fut brillante, à l’image des meetings enthousiastes et grandioses que l’on revoit au cours de l’émission. Le point d’orgue des festivités fut le gigantesque meeting de Villepinte, 2 mois avant le scrutin, et à quelques jours de ce dernier, l'apothéose fut le grand show du Trocadéro réunissant 200.000 personnes sous une nuée de drapeaux tricolores. Mais en dépit de l’euphorie communicative portant ces kermesses, l’ancien président de la République échoua, quoique de justesse, à se faire réélire.
En plus de tourner en eau de boudin, l'aventure coûta fort cher, et creva largement le plafond des débours autorisés.

Pour pallier ces débordements et même les anticiper, “on” imagina à l'époque, un système de double facturation, faisant porter l’excédent des frais sur le Parti lui-même, de manière à ne déclarer officiellement au titre de la campagne que les dépenses autorisées. Ce n’est certes pas légal, mais ce n’est pas, stricto sensu, malhonnête. Les factures étaient dédoublées mais couvraient des prestations bien réelles. Les Pouvoirs Publics, donc les contribuables, ne devaient pas être impliqués au delà de leurs obligations, et l’UMP payait le reste. De fait, aucun fournisseur de fut lésé et aucun enrichissement personnel illicite ne fut constaté. 
Malgré le stratagème, le dépassement "officiel" ne put toutefois être évité et le comble fut atteint car Nicolas Sarkozy se retrouva en fin de compte privé de toute subvention publique. Sa campagne comme il se plaît à le dire, ne coûta donc pas un centime aux contribuables ! Elle faillit ruiner l’UMP, mais c’est une autre histoire….

En France, on raffole des absurdités, mais aussi des scandales. D’où le déchaînement médiatique et justicier auquel on assiste, alors qu’une nouvelle campagne électorale majeure se profile.
C’est la curée, et ce n’est pas très reluisant. Chacun se débine ou tente de faire porter le chapeau à l’autre. A écouter les différents protagonistes de l'affaire, personne ou bien tout le monde était informé de ces méthodes peu orthodoxes, y compris le secrétaire général de l'UMP !
Probablement n’y aura-t-il aucune conséquence au bout du compte hormis le remboursement déjà effectué du dépassement, mais les électeurs infligeront peut-être une sanction dans les urnes, but évidemment recherché avant tout par beaucoup d'anti-sarkozystes...

A y regarder de près, ce système est pourtant d’une grande banalité un peu partout dans la fonction publique : combien de fois voit-on détournées tout ou partie des dotations budgétaires allouées aux diverses administrations, pour financer des missions ciblées ? C’est monnaie courante pourrait-on dire.. On appelle ça pudiquement la fongibilité des enveloppes ! 
Combien d’artifices comptables et de jeux d’écritures la Cour des Comptes a-t-elle pointé de son doigt accusateur sans que cela fasse broncher le moindre haut dignitaire du régime ?

En vérité, plus il y a de règles et de lois, plus on cherche à les contourner. Montaigne l’avait déjà constaté et aurait préféré qu’il n’y eut pas de loi du tout plutôt que la pléthore qu’il déplorait déjà à son époque….



28 septembre 2016

All That Jazz


Ce coffret de cinq disques* de jazz ressortis opportunément par la marque Verve, du grenier des années cinquante, procure un petit vent de fraîcheur qui vient subtilement caresser les oreilles en ce début langoureux d'automne.

A l'écoute de ces véritables bijoux musicaux on ne peut s'empêcher d'éprouver une indicible nostalgie pour la merveilleuse époque, pleine d'insouciance et de légèreté qui se met tout à coup à revivre.

Stan Getz y déploie évidemment toute la tendresse saxophonique dont il était capable.
La grâce de ses improvisations vous saisit dès les premières notes du East of the sun qui entame l'album West Coast Jazz. Les pieds en éventail comme sur la pochette au graphisme délicieusement daté, on se détend sans aucune arrière pensée ni remord. Ça s'écoule tranquillement et c'est bon comme l'eau d'une fontaine. Autour de notre homme, s'épanouit la fine fleur de la cool attitude : Shelly Manne ou Stan Levey (batterie), Leroy Vinnegar (contrebasse), Conte Candoli (trompette), Lou Levy (piano).
Et puis, ça défile sans qu'on fasse attention au temps qui passe : Four, Suddenly it's spring, Night in Tunisia, Summertime, Shine...


Autant le dire, tout est du même cru d'exception dans ces albums dont les millésimes s'étendent de 1955 à 1958. Entre autres pépites, on a droit à une petite virée à Stockholm où Stan fait le bœuf avec des musiciens qui, bien que venant du froid, ne dédaignent pas le réchauffement climatique (Bengt Hallberg, piano, Gunnar Johnson, bass, Anders Burman, drums), et une fin en forme de petite apothéose avec Chet Baker, qui se laisse aller à de pulpeuses ballades dans lesquels le rythme des saisons se calque sur celui de ce doux bop, qui vous fait voyager à l'instar des errances de Jack Kerouac entre beat, blues et swing...

*Stan Getz : 5 originals Albums. Verve 2016

23 septembre 2016

Gauloiseries


La dernière sortie de Nicolas Sarkozy n’a pas laissé indifférent l’aréopage des consciences éclairées qui réglementent la pensée et se font un devoir de guider l’Opinion Publique sur le chemin de la morale et de la vertu.

En affirmant que pour toute personne d’origine étrangère, l’assimilation à la France passait par la reconnaissance des Gaulois en tant qu’ancêtres, on peut dire que l’ancien président de la république a fait son petit effet. Même si, pour enfoncer le clou, il précisa qu’il avait fait sienne cette règle et que, bien qu’étant de père hongrois, il n’avait jamais appris l’histoire de la Hongrie et que petit fils d’un Grec, on ne lui avait jamais enseigné l’histoire grecque…
Tollé dans les chaumières de la bien-pensance où l’on cultive avec amour la différence, le métissage, la diversité, l’altérité et autres fadaises bien intentionnées ! La France est une terre d'accueil répètent en choeur ces docteurs en médecine douce, et chacun peut garder ses racines, sa culture et ses bagages religieux, tribaux ou je ne sais quoi. On connaît la chanson…

Nicolas Sarkozy n’a pas son pareil pour déclencher l’opprobre des ligues de vertu et des dames patronnesses, et c’est pur plaisir de les voir s’étrangler à la moindre de ses paroles, ou de ses faits et gestes. Cela dit, en toute chose, il y a la forme et le fond, et si le chef des Républicains est loin d’avoir toujours tort sur ce dernier, il a l’art de l’exprimer avec un tel manque de tact et de subtilité, qu’il en vient à dresser un peu inutilement contre lui les meutes.
Beaucoup de Français, même de souche, comme on ne doit surtout pas dire, sont sans doute assez éloignés de ce que représente la Gaule en terme culturel. Il faut bien dire qu’en la matière, l’héritage de Vercingétorix et de ses contemporains est assez pauvre, en dehors d’avoir inspiré la bande dessinée uchronique d’Astérix… L’exemple semble donc assez mal choisi. L’Esprit français, c’est sans doute autre chose et bien plus que les Gaulois.

Pourtant, sur le fond, le fait de faire siens l’esprit, la culture et les traditions du pays par lequel on prétend se faire adopter paraît assez évidente. S’installer quelque part avec l’idée d’y imposer ses propres us et coutumes, c’est se comporter en conquérant, non en immigrant.
L’histoire des Etats-Unis d’Amérique a bien montré que la force de cette nation fut sans doute de réussir ce fabuleux melting pot dans lequel chacun abandonna son histoire, ses souvenirs, au profit d’un grand dessein commun. Le pays était neuf, tout était à construire, on pourra donc dire que c’était plus facile. Mais rien n’est plus faux en réalité car tout fut difficile et la tentation fut sans doute grande dans ces espaces vierges, de recréer des communautés individualisées, et de cultiver l’égoïsme.
Les autorités ont toujours veillé à ce que les émigrants désirant s’installer sur le sol américain, déclarent pleinement adopter le pays, ses règles et ses lois, dont ils avaient choisi de faire leur patrie. Le plus gros problème, qui faillit d’ailleurs faire sauter l’Union, fut celui des Noirs, qui très majoritairement n’avaient pas décidé librement de s’y installer, et qui ne furent pas traités comme des citoyens à part entière.

Dans l’histoire de notre vieux continent, nombre d’étrangers ont choisi de devenir français, pour des raisons diverses et variées, mais le plus souvent parce qu’ils se trouvaient malheureux de la situation dans laquelle ils étaient. En règle générale, ils se plièrent si bien au mode de vie de leur pays d’adoption, qu’il devenait rapidement impossible de les distinguer des autochtones, hormis quelques subtiles réminiscences de leur passé ou de leurs origines, qui faisaient en quelque sorte le sel de la nation. 


Aujourd’hui l’affaire est toute autre. Les nouveaux « migrants » fuient certes comme autrefois des conditions de vie désastreuses, mais ils n’entreprennent plus leur grand voyage pour devenir français, ils échouent chez nous au terme d’un parcours erratique.
Lorsqu’ils arrivent, ils sont confrontés à un pays en pleine dérive spirituelle, qui ne croit plus en ses valeurs et qui est hanté par une mauvaise conscience historique et un sentiment de culpabilité maladif. Résultat, le télescopage des populations se passe mal et l’intégration se révèle aléatoire voire quasi impossible. Les tensions s’exacerbent, le communautarisme et l’esprit de clan montent en puissance, les dissensions religieuses également, et la faiblesse des uns nourrit l’arrogance des autres. Plus personne ne se respecte, et le spectre de la guerre civile se dresse au loin, menaçant.

C’est ce drame que souligne Nicolas Sarkozy en rappelant de manière un peu caricaturale les règles de l’assimilation. Mais peut-il être compris à une époque où tant de vessies sont prises pour des lanternes ? Est-il encore temps d’endiguer ce mouvement catastrophique ? En aura-t-il vraiment la volonté, s’il est à nouveau élu ? Et dans le cas contraire, y a-t-il quelqu’un qui soit en mesure de prendre enfin le taureau par les cornes, sans tabou ni œillères idéologiques ?
On peut craindre hélas qu’à toutes ces questions, il faille répondre par la négative…

31 août 2016

Déconfiture de roses

La fausse surprise, savamment orchestrée, de la démission d'Emmanuel Macron s'incrit dans l'actualité comme un épisode de l'interminable agonie du socialisme à la française.
Le nouvel acte (pas le dernier hélas sans doute....) du ballet grotesque offert en spectacle aux Français désabusés par un Pouvoir décadent, à bout de souffle, déconfit par ses propres échecs et ses ratages.

Après la désertion des plus-tout-à-fait jeunes loups de la Nouvelle Gauche (auto-proclamés « Nouveau Parti Socialiste », voire « Nouveau Monde », en toute simplicité), c'est au tour de l'aile bourgeoise néo-libérale de faire défection en la personne du sémillant ministre de l'Economie (de l'Industrie et du Numérique...).

Pendant ce temps, le Président de la République danse au bord du gouffre. Il continue de jouer la comédie, quasi comme si de rien n’était. Comme si tout était normal. Rien là d'étonnant pour un président tellement normal qu’il lui faut un coiffeur à temps plein pour gonfler et calamistrer les quelques tifs qu’il a sur le crâne !
Cela donne la mesure de l’inconsistance dans laquelle le pays est plongé, à force de se confier à des bouffons de la politique. Sous leur molle férule, la bureaucratie ne s’est jamais si bien portée et l’état de droit se noie dans un fatras législatif insensé. Tandis qu’on voit s’accumuler les périls au dessus de la Nation, que le tissu social se déchire de partout, on en est réduit à recourir à la plus haute juridiction pour statuer sur les tenues de bains portées sur les plages !

Peu importe en somme que M. Macron nous joue à son tour sa sérénade en tentant de faire croire au peuple qu’il est le meilleur. Il fut certes l’artisan de la libéralisation des autocars, mais pour le reste, cela reste bien incertain…
On ne saurait dire l’état de l’Opinion, tant on entend tout et son contraire, et tant on sent monter une incommensurable indifférence, masquant peut-être le sourd mugissement de tempêtes à venir…

Descartes en été 2

Un des ponts aux ânes les plus sujets à controverses reste bien sûr cette fameuse séparation de l'âme et du corps. Kambouchner épingle deux saillies illustrant cette question: “l'âme n'a pas besoin du corps pour penser”, et “le corps est pure machine.”
Dans le souci de justifier la position de Descartes, M. Kambouchner s’attache à la pondérer, en posant qu’affirmer la différence de nature entre le corps et la pensée ne revient pas à considérer nécessairement que l'âme puisse exister en dehors du corps. Cette proposition pose problème, car alors on se demande bien pourquoi Descartes aurait jugé primordial d’établir cette distinction, qui relève, il faut bien le dire, de l'évidence ?

Le cerveau est sans doute le siège de la pensée mais on ne peut pas dire qu'il la sécrète comme le fait le pancréas de l'insuline. Et donc, après tout, puisqu'il n'y a pas de substratum physique à la pensée, rien n'interdit d'imaginer qu’elle puisse s'extraire de cette machine dans laquelle elle paraît incarcérée et par les organes sensoriels de laquelle elle communique avec le monde matériel.

Plutôt que d’approfondir cette hypothèse, M. Kambouchner se sort du dilemme en adoptant une position mitigée qui affadit le propos du philosophe. Celle-ci consiste à admettre de manière un peu elliptique que la pensée soit en mesure de s’affranchir des contingences du corps sans se détacher toutefois de lui. Mais on retombe, de fait, dans une quasi évidence.... Nous en faisons tous l'expérience à l'instant où la sérénité et la quiétude nous envahissent, lorsque notre carcasse charnelle ne ressent ni douleur ni tracas, et qu'elle se trouve à l'abri des stimuli perturbateurs. Ce n’est jamais que l'illustration du vieux diction mens sana in corpore sano. Evidemment, cela n’autorise pas à confirmer pour autant que notre pensée puisse exister en dehors de notre corps puisque nous ne pouvons pas prolonger plus avant l'expérience, sauf à être mort…

Ce type d'arguments, n'est donc pas vraiment contributif, ni même de nature à servir la cause de Descartes. Cela en montrerait plutôt une des faiblesses en confirmant que la simple raison est insuffisante pour conclure sur les questions d'ordre métaphysique auxquelles il s’attaque.

Il est certain, comme tente de le démontrer M. Kambouchner qu'une pensée désincarnée n’aurait pas grand chose à voir avec celle siège en nous et qui par la force des choses se trouve en contact étroit avec le monde physique, ressent des émotions tirées du réel, et s’exprime dans un langage fait de conventions formelles artificielles. Mais en quoi cela interdit d’imaginer cette éventualité quand même ? De l'au delà, personne ici bas ne peut rien dire, c'est bien là où le bât blesse.

Ni Descartes, ni Damasio, ni Kambouchner ne nous apportent de vraie réponse. Sur ce coup Pascal est plus convaincant car sa foi lui permet de transcender les raisonnements, et le conduit à des certitudes intangibles, reposant sur une expérience indiscutable: son vécu de Dieu…


Autre écueil auquel est confronté M. Kambouchner : au fil de sa plaidoirie, il se heurte à beaucoup d'archaïsmes devenus criants au regard de l'évolution scientifique et plus encore sans doute, de l'évolution des idées. Puisqu'il s'est donné pour but de restaurer la pureté originelle de son modèle, il se voit donc contraint de contourner quantité de concepts surannés et pire parfois, d'en dévoyer le sens pour essayer de les intégrer dans la modernité.

On sait par exemple que Descartes ne nourrissait guère de sentiments pour les animaux qu’il considérait comme des êtres inférieurs, sans âme ni conscience. Est-ce pour autant nécessaire de nous convaincre qu’il n’a pas affirmé comme la rumeur tendrait à le faire croire, que sur ces derniers l'homme a tous les droits?

M. Kambouchner cherche à combattre naturellement cette idée reçue mais peu importe en définitive car même si c’était vrai, on est prêt à parier spontanément que cela n’impliquait pas dans l’esprit du philosophe le droit de les maltraiter. Même si Descartes se moquait des “rêveries d’un Pythagore” prônant la réincarnation et le végétarisme, il eut certainement désapprouvé les brutalités inutiles constatées dans certains abattoirs. Ici encore, l'apologie à laquelle se livre l'avocat manque de pertinence, à force de vouloir faire rentrer la pensée cartésienne dans le moule de la correction politique.

Pourquoi ne pas en rester à ce que Descartes a exprimé et privilégier l’esprit plutôt que la lettre ? Descartes voyait une différence fondamentale entre l’être humain et l’animal, quoi de choquant ? Sans doute n’eut-il pas désavoué Kant qui s'émerveillait du spectacle de la voûte céleste étoilée au dessus de sa tête, et de la loi morale qu'il portait en lui. Sans doute aurait-il estimé dans le même temps qu’aucun animal jamais ne pourrait avoir de tels sentiments. Cette position reste aujourdhui tout à fait défendable, même si certains voudraient nous faire croire le contraire au nom de l’antispécisme ou du véganisme. Non seulement la position de Descartes reste défendable mais elle pourrait également faire son actualité car le même raisonnement est susceptible de s'appliquer aux formes variées d’intelligence dite artificielles dont on nous rebat les oreilles. Jamais une machine aussi perfectionnée soit elle ne pourra faire sien le double émerveillement de Kant qui définit si bien le mystère de l’être humain et qui caractérise tout ce qu’il y a de sublime et d’unique dans sa conscience. Aucun animal, aucun végétal, aucune machine, aucune chose ne peut atteindre cette plénitude énigmatique.



Cela dit, même si l’on peut considérer ici que Descartes a anticipé Kant, il reste loin toutefois de l'élévation de pensée du sage de Königsberg. Les principes sur lesquels il fonde sa méthode sont trop tranchés, trop mécaniques, trop universalistes. Le ciseau et le burin de la raison ne peuvent s’attaquer à la matière métaphysique et dans l’illusion de tout pouvoir expliquer, Descartes dresse un édifice massif et imposant, mais chimérique. Comme il ne s’inscrit pas non plus dans l’empirisme, ses raisonnements tiennent du mirage. De loin, ils paraissent solides, mais en y regardant à deux fois, tout s’évanouit hormis quelques tautologies assez vaines.

A force trop vouloir la défendre, M. Kambouchner ne parvient qu’à pervertir la pensée de Descartes. Il voudrait lui retirer la gangue dogmatique qui l’alourdit et lui donne son aspect archaïque, mais il en dénature l’essence, car il ne s’attaque pas tant à la forme qu’au fond.C’est aussi sans doute le problème de Descartes, de n’être pas parvenu à hisser la philosophie à ce niveau de transcendance. Descartes n’est pas Kant...

30 août 2016

Descartes en été 1

Peu d’écrivains jouissent en France d’une aura telle que celle de René Descartes (1596-1650). Il est un de nos philosophes les plus connus, les plus enseignés, le plus référencés. Quantité de lycées et d’universités portent son nom. Son cogito ergo sum reste une des citations les plus connues des étudiants.
Même son village natal en Touraine, autrefois La Haye, fut rebaptisé de son patronyme en 1967. Hommage sans doute mérité aux yeux de ceux qui voient en lui le fondateur de la philosophie moderne, ni plus ni moins.

Il a pourtant des détracteurs et on pourrait même se demander à notre époque qui peut encore être intéressé par la lecture d’un écrivain qui naquit il y a plus de 400 cents ans et dont une bonne partie de l’œuvre fut rédigée en latin.
Il faut dire que le classicisme à la française qu’il incarne si bien, au point qu’on le confond parfois avec l’esprit cartésien, ne s’accommode pas vraiment avec la modernité, si prompte à s’enticher de fadaises, et pas davantage avec le règne de l’internet où se colportent si facilement croyances et rumeurs.
Quant aux théories révolutionnaires dont notre pays est si friand, elles pourraient sembler accréditer le principe de « tabula rasa » auquel on réduit parfois la méthode cartésienne. Mais leur asservissement habituel à des principes immanents relevant du fanatisme et de l’intolérance, s’oppose frontalement à la recommandation princeps : « de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle… » Rien de moins révolutionnaire en somme que le doute, pour peu qu’il ne cède pas place aux certitudes !

Dans un essai assassin dans lequel il paraphrasa Blaise Pascal en qualifiant le vénérable Descartes « d’inutile et incertain », Jean-François Revel, tout bien pesé, considérait pour sa part qu’avec sa rigueur dogmatique, il tenait plus d’un penseur scolastique que d’un philosophe moderne.
Depuis Pascal, lui-même plus que dubitatif sur son contemporain, les savants pourtant portés par nature au rationalisme, furent et restent très critiques à l'égard des distinctions à l’emporte-pièce dont son discours est émaillé, notamment celle concernant la fameuse dualité âme-corps dont il fit deux concepts de nature différente, donc potentiellement indépendants.
A ce sujet, il y a quelques années, le neurologue américain Antonio Damasio avait consacré un ouvrage à ce qu'il avait appelé « l’erreur de Descartes », attestée selon lui par des cas cliniques révélateurs de l’indissociabilité de la pensée et du corps, et du conditionnement de la première par le second. Cette vision très matérialiste n’était pas sans évoquer la fameuse exclamation qu’on prête à Claude Bernard : « l’âme humaine, je ne l’ai jamais trouvée au bout de mon bistouri… »
Par un paradoxe troublant on voit donc Descartes rejeté tantôt par des savants pétris de foi religieuse comme Pascal, mais qui jugent sa “raison raisonnante”, trop approximative, et trop ancrée dans le marais de la métaphysique, et tantôt par des athées revendiqués comme Damasio, qui font fi de sa conception éthérée de l’âme…

Je n’aurais sans doute pas été amené à revenir sur Descartes si un petit ouvrage ne m’était tombé sous la main récemment, prenant courageusement sa défense - en 2015 ! - en déniant ce qu’on voudrait parfois faire dire au philosophe.

Son auteur, Denis Kambouchner, s’était déjà signalé par son attachement idéologique au père du Discours de la Méthode et par de savantes exégèses de son oeuvre. Son initiative m’a paru intéressante quoique sujette à caution puisqu’elle se fonde sur l’interprétation rétrospective des écrits d’un auteur, pire, de ses non-dits L’exercice est particulièrement périlleux en philosophie et s’avère ici quelque peu contradictoire avec les principes même de la pensée cartésienne qui s’est attachée à s’exprimer sans détour ni ambiguïtés.
Vingt et une affirmations caractérisant, ou plutôt caricaturant dans l’opinion publique la pensée de Descartes sont ainsi passées au crible dans le souci de débattre de leur signification et in fine de contester leur attribution abusive.Le but n'est pas de les énumérer mais à partir d'une ou deux, parmi les plus emblématiques, de méditer sur l'actualité des problématiques qu'elles sous-tendent… (à suivre)

15 août 2016

Escapade exotique à Bordeaux


Pour quelques bonnes raisons, dont une affinité particulière avec cette ville, je reviens souvent à Bordeaux.
Au bout des élégantes arches de briques du Pont de Pierre qui enjambent la Garonne, la cité s'offre tout d'un coup, en dévoilant son long alignement des quais, dit des Chartrons. C'est incontestablement sous cet angle que le spectacle a le plus de majesté.

Bordeaux est taillée dans de vastes proportions qui lui confèrent une classe particulière, rehaussée de manière éblouissante, par la belle pierre blanche dont sont faits les immeubles bordant les larges avenues.
Nichée dans une des plus fertiles terres à vignes qui soit, Bordeaux, comme son nom l'indique, n'en est pas moins attachée à l'élément liquide. Située à la confluence de deux fleuves majeurs, elle fait face à l'Océan Atlantique sur lequel s'ouvre le large estuaire de la Gironde. Ici la liberté, portée par les grands vents d'Ouest, est en quelque sorte domptée par les eaux limoneuses, et devient en mourant, un délicieux art de vivre.

Ancrée dans le terroir, Bordeaux est aussi une ville ouverte, qu'on pourrait même qualifier de cosmopolite.
Sitôt franchi le fleuve, on se trouve immergé dans une ambiance moyen-orientale. Le quartier centré par la place Bir Hakeim a un air de Bosphore. Anciennement investi par une communauté majoritairement Turque, il a conservé nombre d'échoppes d'allure levantine : boucheries hallal, marchands d’encens, d’étoffes et de plats à tajine, épiceries 7/7, troquets exclusivement fréquentés par les hommes…
Autour de la basilique Saint-Michel flanquée de sa flèche, se tient souvent un marché très méridional, peuplé d'étals de fruits et légumes, dans un festival de couleurs et d’exubérance.

Ce quartier est dit-on en voie de boboïsation.. On y ressent le choc des cultures. Les voiles, les barbes de prophètes côtoient les hipsters à vélo, d'inspiration baba cool… 
Nombre d'appartements sont en voie de rénovation, attestant qu'une bonne partie du patrimoine immobilier est en train de changer de mains.
Au fond de la place, nous aimons passer un bon moment à savourer les petits plats et tapas que la Meson la Venta cuisine, à la mode espagnole. Un vrai régal !
L'après-midi, on se livre à une flânerie dans le jardin botanique. Pour cela, il faut retraverser le fleuve. Cette immensité herbeuse n’offre hélas pas la grande variété de plantes, de fleurs et d’essences qu’on aurait pu attendre. De plus, elles sont assez pauvrement indiquées pour le néophyte. Il y a bien une belle serre aux cactées et aux arbres tropicaux, et une exposition sur le plancton, mais on reste un peu sur sa faim.
Tout de même, en sortant du parc, on s’arrête devant un plan d’eau tapissé de plantes aquatiques. Parmi elles, une fleur de lotus se dresse d’un rose délicat, qui se détache sur le vert intense des larges feuilles. A elle seule, elle ne fait pas regretter cette promenade, offrant sa beauté limpide et simple comme un poème taoïste…
Le soir, on revient sur la rive gauche, de l'autre côté du cours Victor Hugo, au détour d'une de ces petites places typiques du vieux Bordeaux. On se retrouve attablés pour manger à la grecque au restaurant Aphrodite.
Ambiance bleu et blanc, le cadre est simple mais très suggestif. En goûtant les olives charnues, le caviar d'aubergines onctueux, la salade de poulpe mariné, et la pita aux saveurs d'ail et d'huile d'olives, on a vraiment l'impression de voyager. Quitter Montaigne pour Homère, le Médoc pour le mont Olympe ou pour un rendez-vous à Patmos...
Même le vin, capiteux, parfumé, gorgé de soleil, pourrait faire oublier le vignoble bordelais...


31 juillet 2016

Le Folklore Américain

L’élection présidentielle américaine reste une énigme pour beaucoup d’Européens et notamment de Français. La démocratie est une notion finalement assez mal comprise dans notre pays, et la grande liberté de ton qui accompagne les campagnes électorales outre-atlantique choque nos esprits confits dans les combines politiciennes et la langue de bois caractérisant nombre de débats.
Certes tout n’est pas irréprochable là bas et les magouilles ou les coups bas sont probablement légions. Mais les choses sont dites sans détour, même si cela passe parfois par l’usage de provocations caricaturales, et d’excès de langage assez grossiers.
Au moins peut-on dire qu’on ne s’ennuie pas…

Le cas Donald Trump cristallise toute l’incompréhension qui subsiste entre le vieux et le Nouveau Monde, entre la politique politicienne et la politique spectacle. Est-ce à dire que M. Trump soit le clown que nombre d’observateurs, soi-disant avertis, présentent dans les médias ? M’est avis que non...

A partir de bouts tronqués de ses discours, de petites phrases extraites de leur contexte, ou même de son apparence physique, on se plaît à caricaturer le personnage, en méprisant au passage l’opinion de millions d’Américains qu’on assimile à des imbéciles.
On connaît le procédé et on a si souvent fait le coup, qu’aujourd’hui ce genre d’approche devrait être complètement décrédibilisé.

Hélas, le parti pris et les idées reçues sont tenaces. Tous les candidats du Parti Républicain ont depuis des décennies subi le même sort. Tous furent qualifiés de rustres, de ploucs bornés aux idées simplistes, par une intelligentsia très snob, acquise par principe au clan démocrate.

Expliquer ces jugements à l’emporte pièce où la partialité le dispute au mépris de classe, serait totalement vain. C’est un des mystères du grégarisme, qui met des oeillières aux yeux et des éteignoirs à l’esprit critique.

Pour l’heure, qu'il soit permis de s'amuser à voir Donald Trump, qui n’en a cure, se faire traiter de misogyne, de raciste, de vil capitaliste, de sale milliardaire !
Amusons-nous à voir les artistes politiquement corrects, comme des chochottes de patronage, prier le candidat de ne pas diffuser “leurs” oeuvres pendant ses meetings. C’est particulièrement jouissif lorsqu’il s’agit non pas des artistes eux-mêmes, mais de leur famille. Comme celle de L. Pavarotti s'offusquant que le candidat républicain utilise l'interprétation donnée par leur parent du fameux air de Nessun Dorma... Ou bien comme celle de George Harrison faisant de même avec une chanson des Beatles. Ils touchent sans vergogne les royalties rapportées par la commercialisation de ces oeuvres, mais voudraient en plus avoir un droit de regard sur qui les écoute. Jusqu’où faudrait-il remonter pour satsfaire ces lubies puritaines ? Faut-il interroger les descendants de Puccini ? Où donc se situent les limites de l'intolérance ?

On a beaucoup glosé sur la convention républicaine qui s’est récemment tenue à Cleveland, aboutissant bon gré mal gré à l’investiture de Trump. Certes il n’a pas fait l’unanimité. Encore heureux que quelques voix cherchent à s'opposer à l'ascension fulgurante d’un homme totalement neuf en politique, qui a bousculé en quelques mois tous les autres prétendants, issus de l’establishment. Certains n’ont pas digéré, on peut les comprendre…

On s’est gravement interrogé sur l’absence lors de cette convention des Bush, Mc Caine, Romney. Mais qu’aurait-on dit s’ils y avaient assisté ? Pire encore s’ils avaient eu la mauvaise idée de soutenir le Donald ?


Pendant ce temps, les culs bénis et tous les bien pensants ne trouvaient bizarrement rien à redire sur les fausses retrouvailles d’Hillary Clinton, l'intrigante assoiffée de pouvoiret de Bernie Sanders, son rival malheureux, vieux socialiste marinant dans l'aigreur, qui l’insulta copieusement durant la campagne des Primaires. Tout au plus signala-t-on quelques fuites (20.000 mails quand même) prouvant que le Parti avait tout fait pour tenter de saboter la campagne de ce dernier, obligeant discrètement la présidente Debbie Wasserman Schultz à démissionner…

On s’émut de la fraternité de façade entre Barack et Hillary, oubliant le combat féroce qu’ils se livrèrent il y a quelques années pour obtenir l’investiture de leur parti. On trouva brillant et touchant le discours de Bill Clinton, vantant les mérites d’une épouse, qu’il ne se gêna pas d'humilier publiquement par un comportement indigne, lorsqu’il était président de la république...


Tout ça est de bonne guerre. On peut en rire en somme, car personne n’est au dessus du ridicule. Le monde se fait au gré d’alliances et de mésalliances, de chances et de malchances, de succès et d’échecs…

On pourrait également rire de la dernière sortie de Donald Trump invitant la Russie, que certains accusent de comploter contre la candidate démocrate, à trouver et rendre publics les 30.000 mails compromettants qu’elle aurait fait disparaître avant l’enquête du FBI dont elle fait l’objet.

Mais je crains que les Intellectuels dits "progressistes" soient assez étanches à cette sorte d’humour...
Pendant ce temps Donald décape avec jubilation le champ politique. Il dynamite, il disperse, il ventile, façon puzzle….

30 juillet 2016

La République Chrysanthème

Il est évidemment naturel que s'épanche l'émotion provoquée par les drames qui ponctuent l’actualité.
Ils déchirent si soudainement et si atrocement la quiétude de l'ordre public, tout particulièrement lorsqu'il s'agit d'actes terroristes insensés !

Parmi les nombreuses menaces qui planent sur nos têtes, celles qui mettent en cause la folie humaine sont les plus effrayantes, les plus bouleversantes et les plus révoltantes.
Pourtant leur répétition devient lancinante. Pire encore est la lassitude qui naît du spectacle sans cesse recommencé des services funèbres rythmant ces tragédies. Les gouvernants passent désormais le plus clair de leur temps à honorer de leur présence affligée ces commémorations, soulignant ainsi leur tragique impuissance. Leurs mines compassées, leurs larmoyants discours ne sont pas loin d’être insupportables tant ils semblent dérisoires.

Les discours martiaux qui viennent après les larmes semblent tout aussi vains. La surenchère dans la fermeté est quasi risible. Les politiciens de tous bords n’ont jamais autant entonné la Marseillaise. Mais la France guerrière et sanguinaire qu’elle exalte n’a pas grand chose à voir avec le pays amolli, pétri de bonnes intentions et de voeux pieux, qui fait mine de se dresser contre ses nouveaux ennemis.

Face aux périls on s’interroge gravement sur la nécessité de nouvelles lois. C’est dire la faillite de l’action…

Après avoir interminablement tergiversé sur la déchéance de nationalité comme punition applicable aux terroristes bi-nationaux, on tourne sans fin autour de la problématique de la double peine consistant à expulser les étrangers après qu’ils aient purgé leur peine de prison. Toujours enclin aux contradictions, Nicolas Sarkozy qui avait tout fait pour en limiter l’application, prêche désormais pour qu’on en fasse la règle…
On se gargarise de l’état d'urgence, que de mois en mois on pérennise en dépit de son inefficacité, douloureusement démontrée lors de l’effroyable tuerie du 14 juillet à Nice.
Faisant fi des lacunes évidentes dans le dispositif de sécurité mis en place ce jour là, le gouvernement par IGPN interposé, affirme que l’effectif des forces de police n’était pas sous-dimensionné.

Imagine-t-on rassurer le peuple avec de telles rodomontades ?


Non contents d’objectiver leur impuissance, les Pouvoirs Publics dénient toute responsabilité et s’exonèrent de toute faute…

Pour couronner le tout, on débat très sérieusement pour savoir s’il faut révéler l’identité des assassins ou bien les anonymiser lorsqu’ils commettent leurs crimes. A-t-on oublié le célèbre avertissement d’Albert Camus : “Mal nommer les choses, c’est aggraver le malheur du monde. Ne pas nommer les choses, c’est nier notre humanité.


Une chose est sûre toutefois. Les nouveaux barbares, à cause de l’extrême sauvagerie de leurs actes, ont obligé les vertueux politiciens à renier certains de leurs engagements, qu’ils croyaient pourtant avoir gravés dans le marbre de la Constitution : la peine de mort a de fait, été rétablie, sans procès ni appel...

24 juillet 2016

Le Diable Au Corps


Les actes de folie qui ensanglantent de plus en plus souvent l’actualité interrogent à plus d’un titre.
L’apparente irrationalité et la gratuité des motifs qui les sous-tendent constituent une énigme pour nos sociétés matérialistes, guidées par une logique qui se veut assujettie à la raison, quoique souvent empreinte d’idéologie voire d’ignorance.
On cherche une explication, mais on n’en trouve pas… Cette folie est purement destructrice et la haine ôte tout état d’âme aux fanatiques qui se comportent comme des machines incontrôlées.

Puisqu’il s’agit d’êtres humains dotés par nature d’un sens moral et d’une responsabilité, on pourrait dire, à les voir exprimer une telle violence, qu’ils ont le diable au corps. Curieux paradoxe pour ceux qui agissent prétendument au nom de Dieu !
Mais peu importe Dieu après tout. Le fanatisme n’en a cure pour commettre ses atrocités. N’importe quelle cause peut faire l’affaire, et lorsqu’on est à court, on prend celle qu’on a sous la main. 

De toute manière, si Dieu existe, il n’y a aucune chance qu’il reconnaisse comme siens ces fous qui se servent de lui pour commettre leurs horreurs ici-bas. En l’occurrence, eux-mêmes n’y croient sûrement pas pour s’exposer de manière aussi certaine à son châtiment… 

Il y a pourtant peut-être plus grave encore que ces actes de terreur, et plus terrible que ces massacres spectaculaires commis sur des foules insouciantes.
Derrière les trois attentats majeurs commis sur le sol français depuis 18 mois, combien de meurtres ponctuels ou d’agressions, tous marqués par la même barbarie indicible, la même haine irrépressible ?

Et derrière ces forfaits, comment ne pas voir le spectre inquiétant d’une religion dont l’expression se fait de plus en plus arrogante, ostentatoire et intolérante, revendiquant un dogme rétrograde et une rigueur desséchante ?  Comment  occulter enfin le fait que ce sont souvent nos propres pays qui servent de viviers à ces têtes brûlées, dressées pour tuer ?

Face à cette lame de fond, les Pouvoirs Publics et la société dans son ensemble paraissent bien démunis. Par angélisme, mauvaise conscience, et couardise, ils ont laissé monter cette marée nauséabonde que tout oppose aux principes du modèle démocratique, soi-disant laïque. Les digues sont peut-être sur le point d’être submergées par ce déferlement dont les attentats ne seraient que les vagues de tête. 


Que vaut le fameux état d’urgence dans un tel contexte ? Il a pour vocation de renforcer les barrières mais il prête à sourire tant il paraît lâche et permissif en termes de manifestations publiques. Le carnage niçois, démontre son inefficacité, même pour empêcher l’attaque d’un homme seul
C’est peu de dire qu’il y a eu des failles de sécurité : pour protéger une enfilade aussi vulnérable que la promenade des Anglais, il n’y avait aucun obstacle physique sérieux. Que dire de l’incapacité des forces de police à stopper ce camion fou, alors qu’elles étaient selon le ministre de l’intérieur, très présentes et sur le qui-vive ? Quelle est l’utilité des caméras de surveillance dont la ville est truffée ? Non seulement elles n’ont pas permis de repérer le manège du poids lourd peu avant le massacre, mais on apprend que la Justice voudrait après coup détruire leur témoignage au motif saugrenu qu’il pourrait servir à la propagande des terroristes ? On croit rêver…

Il y aurait beaucoup à dire également sur l’analyse de la personnalité de l’assassin. On commença par nous dire comme trop souvent qu’il n’avait aucun passé répréhensible et notamment aucune accointance avec les milieux islamiques, avant de reconnaître qu’il avait froidement planifié durant des mois son exaction, non sans bénéficier de complicités multiples… 

On nous fit le coup de l’être instable et déprimé, avant de révéler qu’il était surtout irascible et violent, ce qui lui valut une condamnation pour agression sur la voie publique et la séparation d’avec sa femme et ses enfants. 
On nous le présenta comme bénéficiant de la double nationalité franco-tunisienne avant de publier sa carte de séjour attestant de son statut d’étranger… Tous ces errements des pouvoirs Publics et des médias, tant de déni et d’irresponsabilité face à une spirale nihiliste de plus en plus menaçante, ne sont pas de nature à rassurer.
Au surplus, ils contribuent à jeter le trouble dans les esprits et à favoriser les amalgames et les raccourcis dévastateurs qu’ils ont justement pour mission d’éviter. Les propos du premier ministre au lendemain de l’attentat de Nice, affirmant « qu’il y aura de nouveaux attentats et que d’autres vies seront fauchées …/… que d’autres innocents vont perdre la vie», sont eux-mêmes plutôt désespérants par leur fatalisme.
L’impuissance chronique des politiciens sur tous les fronts sur lesquels on attend une action efficace, en rapport avec leurs promesses ronflantes, conduit à un écœurement grandissant quoique silencieux du peuple. Combien de temps encore le pays supportera-t-il cette atmosphère pestilentielle ? Que se passera-t-il lorsque le plafond de la tolérance sera atteint ?