09 novembre 2016

Turner en pleine lumière

La grâce artistique prend parfois des détours inattendus ou improbables pour s’exprimer. De la plus épaisse vulgarité naît parfois le talent, et de la trivialité la plus ordinaire s’élève parfois l’inspiration dans ce qu’elle a de plus ineffable.


Ainsi, au travers d’un film du cinéaste Mike Leigh retraçant la vie de Joseph Mallord William Turner (1775-1851), on peut découvrir derrière le fameux peintre britannique un personnage étonnant, fait de rudesse et d’âpre rusticité, peu gâté physiquement par la nature, sans allure, petit, bedonnant, le cou gras, la bouche lippue.
Et bien, c’est cet homme sans panache, d’humeur souvent chafouine, qui fut l’auteur de toiles, aux perspectives vastes et vaporeuses, inondées d’une lumière extatique noyant comme une pluie dorée les horizons évanescents.


Ce bonhomme à la face de gargouille comme il le disait lui-même, cette silhouette de péquenot parcourant infatigablement et par tous les temps, tel un géomètre, les paysages d’Europe, avec sa besace remplie de carnets de dessins, c’est ce bonhomme bien banal qui produisit une oeuvre comptant plus de 20.000 pièces dont on dit qu’elles ont ouvert la porte à toutes les folies impressionnistes, expressionnistes, symbolistes et autres abstractions lyriques qui constituent la peinture moderne !

Le personnage, tel qu’il apparaît au cinéma, n’est pas sans rappeler celui de Mozart vu par Milos Forman dans son film Amadeus, où il invitait le spectateur à se pencher sur le mystère de la création, en montrant un artiste déconcertant de paradoxes, grossier dans ses manières et si inspiré, si élevé dans sa musique.

On ne peut s’empêcher d’éprouver une étrange sympathie pour ces êtres dont le génie paraît par moments si vulgaire et par d’autres si coruscant. Ils vous touchent par leur simplicité, si proche de celle du commun des mortels, et vous fascinent par leur art tellement inaccessible.



Pour illustrer cette mystérieuse aporie, rien ne vaut dans le film sur Mr. Turner, ces scènes montrant les amateurs et éventuels acheteurs, venus rendre visite au peintre, lorsqu’ils passent émerveillés, de l’intérieur plutôt modeste et sombre de sa maison, à la clarté éblouissante de la salle dans laquelle il exposait ses oeuvres, sous une verrière laissant entrer à pleins flots la lumière à travers un dais de tissu tendu. On passe littéralement de la pénombre à la clarté. Tout à coup la misère du quotidien s’illumine, et tout devient subitement incandescent.


Pour comprendre la fulgurance du génie, on ne peut oublier non plus l’épisode de l’exposition à la Royal Academy, lorsque Turner humilia gentiment Constable, dont les hasards de l’exposition avaient placé un tableau à côté du sien. Voyant ce dernier peaufiner un magnifique paysage en rehaussant de touches carminées quelques détails du premier plan, voici Turner qui se met à barbouiller le sien, un marine élégant, en écrasant au beau milieu de la mer une grosse tache de peinture rouge vif.

  Étonnement si ce n’est stupéfaction des visiteurs devant un tel gâchis apparent, puis exclamations d’admiration lorsque après s’être absenté un instant, le peintre revient et transforme habilement avec ses ongles et son mouchoir, la tache en une bouée rouge, donnant un contraste inattendu et saisissant à la scène…



C’est cela Turner, une maîtrise extraordinaire pour donner consistance aux formes, pour suggérer sans avoir besoin de préciser, et pour faire vibrer la lumière comme jamais on ne le fit avant lui.
On dit que ses derniers mots furent pour évoquer le lien par lequel le soleil confine au divin : "The Sun is God." Tout est dit...

27 octobre 2016

Pataphysique Médicale

Sur le front de la santé publique, un débat s’est fait jour dernièrement, suite à la recommandation par les experts de la haute Autorité en Santé, d’arrêter le remboursement par la Sécurité Sociale des médicaments destinés à lutter contre la maladie d’Alzheimer.

Il apparaît en effet de plus en plus évident que ces produits s’avèrent très largement inefficaces pour enrayer la progression de cette terrible maladie, dont on ignore encore la cause précise. 
Quatre médicaments sont en cause : Ebixa, Aricept, Reminyl, Exelon.
Preuve implicite de leur action insuffisante, le taux de prise en charge par l’Assurance Maladie n’est à ce jour que de 15%. D'ailleurs, sur le nombre estimé de 850.000 malades en France, ils ne sont que 30 à 40.000 à recevoir ces traitements, ce qui coûte tout de même 130 millions d’euros à la collectivité. Et on estime à plus d’un milliard d’euros les dépenses remboursées depuis l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de ces molécules !

Pis que tout, outre les nombreux effets indésirables induits par ces médicaments, une étude menée à grande échelle sur 10 000 personnes, objective que les patients qui les prennent auraient même un plus mauvais pronostic que les autres.


Croyez-vous que ces données édifiantes soient de nature à influencer les Pouvoirs Publics, au moins aussi soucieux de ne pas déplaire que d’être efficace ? Evidemment, non.
Aujourd’hui même, madame Touraine annonce « qu’Il n'y aura pas de déremboursement dans l'état actuel des choses. »
Fidèle à la détestable habitude des politiciens de botter en touche, surtout en période pré-électorale, elle explique qu’elle souhaite d'abord que soit mis en place «un protocole de soins élaboré par les scientifiques en lien avec les associations de patients... »


Est-ce pour répondre aux récriminations des associations de malades ou de certains médecins, tels le Dr Christophe Trivalle, gériatre à l’hôpital Paul Brousse de Villejuif, qui réclamait en 2011 le statu quo au motif que “Le danger de dérembourser est d’ignorer que ce qui est fait pour ces malades repose avant tout sur la mise en route d’un traitement spécifique. Supprimer le traitement, c’est courir le risque de voir disparaître les effets positifs des trois plans Alzheimer !”

Face à des évidences scientifiques criantes on patauge donc une fois encore dans la subjectivité qu’on peut résumer par cette remarque de dépit d’un chercheur en pharmacologie, au sujet du déremboursement des traitements inefficaces : « Ce serait une bonne décision, mais dure pour les patients qui auront un sentiment d'abandon. »

On peut également se demander à quoi servent toutes ces hautes autorités, et agences que l’Etat érige à grands frais comme des murailles destinées à empêcher les dérives, puisque lui-même se plaît à y creuser des brèches par ses atermoiements… Comme on l’a vu récemment avec l’affaire Biotrial, il impose aux autres de se référer au moindre problème et sans délai à ces succursales, tandis qu’il se plaît à les ridiculiser par son attitude inconséquente.


Pendant ce temps les hôpitaux se trouvent dépourvus pour financer certaines thérapeutiques innovantes, dont l’Etat et ses innombrables filiales tarde a reconnaître le bien fondé. Ainsi une pléïade d’anticorps monoclonaux, représentant une alternative immunologique prometteuse aux chimiothérapies classiques en cancérologie attendent leur AMM, ce qui interdit tout simplement leur prise en charge par l’Assurance maladie !
Parallèlement, l’Etat manifeste une mesquinerie incompréhensible en pénalisant les établissements dispensant à leurs patients des médicaments novateurs, d’efficacité prouvée, et dûment autorisés, mais hélas onéreux, en taxant chaque prescription d’une “réfaction”
arbitraire de 40 euros…

Il semble ainsi plus que jamais difficile dans notre pays d’aborder sans artifice idéologique la problématique pourtant incontournable du ratio coût-efficacité en santé publique.
Nous vivons décidément une époque formidable où le progrès fait rage mais où les mentalités restent crispées sur des a priori moyen-âgeux !

24 octobre 2016

La deuxième mort de Schiaparelli


L’échec de la mission martienne Schiaparelli, pilotée par l’Agence Spatiale Européenne (ESA) en lien avec son homologue russe Roscosmos, montre deux choses : le retard de l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis d’une part, et la difficulté pour le vieux continent de reconnaitre la réalité, aussi désagréable soit-elle, d’autre part…
Rappelons que le premier engin ayant pleinement réussi son atterrissage sur la planète rouge date de 1976 et portait la bannière étoilée (Viking). Rappelons également que le premier rover américain, le petit Sojourner de la mission Pathfinder, y roula dès 1997. Depuis, de nombreux voyages  interplanétaires ont été planifiés, et à l’instant présent, deux véhicules sillonnent Mars, l’un d'eux depuis 4 ans (Curiosity) et l'autre depuis 12 ans (Opportunity) !

Qualifié de "succès à 96%" par ses promoteurs, le programme ExoMars est certes parvenu à mettre en orbite une petite station baptisée TGO (Trace Gas Orbiter). Mais il s’est hélas soldé par l’écrasement de son module, portant le nom de l’astronome italien Giovanni Schiaparelli (1835-1910), qui était destiné à se poser « en douceur ». C’était le but emblématique, et aussi un objectif essentiel, puisqu’il préparait le débarquement envisagé d’un rover en 2020.
Pour évaluer la mission, les responsables de l’Agence se sont livrés à un savant calcul. Ils ont considéré que la première partie (la mise sur orbite de la station TGO) représentait 80% des objectifs de la mission et qu’elle fut remplie à 100%. La seconde, qui selon eux ne comptait que pour 20%, fut qualifiée de « réussie » à 80%, car pendant toute sa descente, l’atterrisseur envoya des signaux et le point d’impact fut à peu de chose près celui qui était prévu… Au final: un succès à 96% !

Il s’agit d’une curieuse manière de se satisfaire, pour une mission qui coûta aux contribuables près de 1,2 milliards d’euros. On ose espérer que les critères eussent été un peu plus stricts s’il s’était agi d’une sonde habitée…

Lorsqu’un dysfonctionnement empêche une mission d’atteindre son but, la stratégie outre atlantique n’est pas de calculer un taux de succès relatif, mais de se mettre sans délai et sans concession au travail pour en trouver la ou les causes.

Cette curieuse incapacité à voir les choses de manière pragmatique explique sans doute, au moins en partie, les atermoiements, les reculades, les faiblesses de l’Union Européenne sur le théâtre international. L’Europe est forte de la grandeur passée de ses nations et des richesses qu’elles ont accumulées, mais elle ne parvient pas à s’inscrire dans l’avenir comme une fédération cohérente, avec un dessein partagé, une détermination forte et de vraies convictions.  

Au surplus, elle manifeste une défiance parfois incompréhensible vis à vis du monde qui l'entoure, tournant parfois à l'anti-mondialisation idéologique, d'essence suicidaire. On sait le sort qui fut réservé au projet hélas avorté de traité de facilitation des échanges commerciaux avec les Etats-Unis, dit TAFTA (pour lequel, le Premier Ministre français affirma "qu'il n'allait pas dans le bon sens...")
Peut-être est-ce aussi un peu à cause de cette indécision chronique et de ces hésitations pusillanimes qu’elle est en passe, en ce moment même, de décourager le Canada de signer l’accord prometteur de libre-échange, dit CETA...

Compte tenu des coûts exorbitants de la conquête spatiale, il est permis de s’interroger sur la multiplication des programmes, conduisant à disperser les efforts. Il y a bien ça et là quelques fructueuses collaborations, dont la station orbitale internationale ISS témoigne. Mais aujourd’hui, dans cette folle course, outre l’Amérique, la Russie, l’Europe, l’Inde, la Chine et le Japon se font un devoir de se positionner individuellement, au prix fort.
Il est difficile par exemple de comprendre pourquoi l’ESA doive faire l’apprentissage de toutes les étapes du processus d’atterrissage martien, alors qu’il semble bien maitrisé par la NASA. L’émulation est un excellent stimulant, sauf lorsqu’elle se transforme en une vaine compétition dans laquelle les forces de chacun s’épuisent. C’est à ce moment que la complémentarité devrait s’exercer…

Pour parler chic, ne serait-il pas temps de mettre en place une gouvernance mondiale dont l’exploration spatiale pourrait représenter un des premiers volets ?

15 octobre 2016

Last American Hero

A l'heure où plus rien ne semble émerger dans nos sociétés fatiguées par le bien-être matériel, hormis de sombres inquiétudes; où des masses informes de citoyens grégaires et désabusés s'abandonnent avec une béate veulerie à l'Etat Providence; où l'esprit critique bat en retraite un peu partout devant le flot des idées reçues et des a priori ronflants; il en reste au moins un qui continue de tracer sa route en toute indépendance et liberté.
Most likely you go your way and I'll go mine... Va ton chemin, j'irai le mien disait la chanson de Bob Dylan...

Indifférent en apparence, au tumulte vain de l'époque, à la gloire, à la fatigue, aux médias, aux discours, aux médailles, aux récompenses, aux louanges aussi bien qu'aux insultes, il sillonne sereinement le monde en semant dans le vent ses ritournelles.
Aujourd'hui le prix Nobel de littérature lui tombe dessus, sans crier gare, et sans qu'il fasse mine de s'en émouvoir. Tel est le personnage... Il boude aussi bien les embaumements que les offuscations.

Certains croient intéressant de polémiquer en invoquant l'incapacité qu'aurait un chanteur à mériter un tel prix. Ils s'arrogent le droit de remettre en cause la décision du jury, et tentent de ramener au niveau du caniveau les chansons célestes du beatnik errant. Ils n'ont rien compris les bougres !
C'est pour ça que Bob Dylan est grand.

C'est parce que son chant part du ras-des-pâquerettes qu'il peut s’élever si haut. C'est parce qu'il est léger et impalpable qu'il vous pénètre aussi profondément. C'est parce qu'il n'est fait que de mots anodins et de quelques notes de musique qui n’ont l’air de rien, qu’il reste en vous définitivement dès lors qu’il vous touche. C'est parce qu'il est inspiré, tout simplement...

Ils disent que ce n'est « pas un écrivain puisqu’il n’a pas de livre à son actif ». Comme si la littérature s’évaluait au poids des volumes produits ! Une telle cuistrerie quantitative rappelle la remarque d’un prétendu maître de musique, cherchant à disqualifier à l’oreille du roi une symphonie de Mozart, en affirmant qu’il y avait trop de notes…

Il est probable toutefois que cette “nobélisation” comme on dit, embarrasse plutôt notre homme. A dire vrai, il n’en a que faire pour sa gloire, et peut craindre qu’il s’agisse d’un boulet doré qu’on tente de lui attacher au pied, pour le faire rentrer dans le rang du conformisme. Depuis si longtemps, tant de vils flatteurs qui l’encensent attendent qu’il leur fasse un signe de sympathie, ou bien qu’il s’engage pour leurs causes plus ou moins foireuses.


Pour l’heure il manifeste sa joie par un silence imperturbable, qui semble dire : “I’m not there…
Il n’en reste pas moins vrai que s’agissant du choix du jury Nobel, on en connut de plus discutables…
Sans doute involontairement hélas, il signifie qu’en matière artistique, seule compte l’émotion. Tout le reste est littérature...

06 octobre 2016

Alep comme Carthage sera détruite...

“Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur, vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre…”


Cette sentence célèbre émanant de la bouche de Churchill après la accords de Munich en 1938 revient sinistrement en mémoire à l’évocation du désastre syrien et de l’agonie de la ville d’Alep, qui s’effondre sous les bombardements conjoints des Russes et de l’armée de Bachar El Assad.

Les Etats-Unis, et derrière eux, la Communauté Internationale porteront une lourde part de responsabilité dans cet atroce gâchis, dû en grande partie à leur irrésolution durant cet interminable conflit.
Cette incapacité à agir offre évidemment un contraste saisissant avec l’interventionnisme des années Bush.
En dépit des montagnes de critiques et des tonneaux d'insultes déversés sur l'ancien président, il faut espérer que l’histoire lui rende un jour justice. Lopération internationale menée sous l’égide des Américains à partir de 2003 en Irak était en passe d’ouvrir une vraie perspective de progrès au Proche Orient. La chute du tyran Saddam Hussein et l’installation d’un régime démocratique furent des acquis incontestables, quoique contestés par une foule d’ani-américains primaires. L’union sans faille de toutes les nations libres aurait probablement permis de conforter ce résultat et de lui donner des développements ultérieurs dans d’autres pays dont précisément la Syrie. La théorie des dominos était en l’occurrence applicable dans cette région .


Hélas, faute d’unanimité et la faute notamment à la France qui se désolidarisa lâchement et bruyamment de ses alliés, c’est le contraire qui se passa. La mauvaise conscience mina les esprits jusqu’à finir par transformer les acquis en échecs.
Résultat, avec l’avènement du lénifiant Obama, et la complaisance du jury du prix Nobel de la Paix, tout partit en capilotade. Comme à l’époque du Vietnam et du Cambodge, et avec les meilleures intentions du monde, les populations furent abandonnées à leur triste sort, c'est à dire livrées en toute conscience, à une atroce barbarie.


Dès lors, tous ces pays qui pouvaient entrevoir leur libération retombèrent dans le chaos. Pire, on assista à une poussée sans précédent d’un islamisme des plus rétrogrades dont le terrorisme constitue le fer de lance abominable.
Ainsi, force est de constater que l’histoire se répète. La faiblesse des uns profite à d’autres et dans la déconfiture générale les peuples sacrifiés sur l'autel du pharisaïsme, sont contraintes à l’exode. 


A côté de la barbarie du prétendu Etat Islamique dont la sauvagerie contribuera probablement à causer la perte, s’organise un contre-pouvoir à celui défaillant du monde occidental. Dans cet imbroglio stratégique la Russie est en train de tirer les marrons du feu, sans état d’âme, et avec une implacable détermination.
Nul ne sait jusqu’où la faillite des valeurs démocratiques va entraîner le monde et de quelle nature sera l’emprise des nouveaux maîtres du jeu. Une chose est certaine : au delà du drame humain qui s’étale chaque jour sous les caméras de télévision, c’est une vraie menace qui pèse sur l’avenir de la liberté...

30 septembre 2016

De Bygmalion en Absurdie

Elise Lucet, fervente fan de Nicolas Sarkozy comme chacun sait, s’est attachée pour sa première initiative à la tête de l’émission Envoyé Spécial (France 2, le 29/09/16), à remonter le cours de l’affaire dite Bygmalion
Avec ses collaborateurs zélés, elle démontre dans cette enquête édifiante, qu’il n’y eut en somme aucune malhonnêteté caractérisée, mais une simple dérive comptable comme seule l'ineffable bureaucratie française avec sa montagne de règles plus idiotes les unes que les autres, sait en générer.


Au départ, il faut se rappeler que le législateur, dans sa grande folie régulatrice, a jugé opportun de plafonner le montant des dépenses de campagne. On ne sait trop pour quelle raison cette disposition fut entérinée; sans doute pour répondre à un obscur principe de transparence et d’égalité... 
Dans le même temps, comme pour plomber un peu plus le budget de l'Etat, il fut décidé que ces dépenses seraient prises en charge pour moitié par l’Etat, tout dépassement constaté par le Conseil Constitutionnel, étant sanctionné par un versement du même montant au Trésor Public.

La campagne 2012 de Nicolas Sarkozy fut brillante, à l’image des meetings enthousiastes et grandioses que l’on revoit au cours de l’émission. Le point d’orgue des festivités fut le gigantesque meeting de Villepinte, 2 mois avant le scrutin, et à quelques jours de ce dernier, l'apothéose fut le grand show du Trocadéro réunissant 200.000 personnes sous une nuée de drapeaux tricolores. Mais en dépit de l’euphorie communicative portant ces kermesses, l’ancien président de la République échoua, quoique de justesse, à se faire réélire.
En plus de tourner en eau de boudin, l'aventure coûta fort cher, et creva largement le plafond des débours autorisés.

Pour pallier ces débordements et même les anticiper, “on” imagina à l'époque, un système de double facturation, faisant porter l’excédent des frais sur le Parti lui-même, de manière à ne déclarer officiellement au titre de la campagne que les dépenses autorisées. Ce n’est certes pas légal, mais ce n’est pas, stricto sensu, malhonnête. Les factures étaient dédoublées mais couvraient des prestations bien réelles. Les Pouvoirs Publics, donc les contribuables, ne devaient pas être impliqués au delà de leurs obligations, et l’UMP payait le reste. De fait, aucun fournisseur de fut lésé et aucun enrichissement personnel illicite ne fut constaté. 
Malgré le stratagème, le dépassement "officiel" ne put toutefois être évité et le comble fut atteint car Nicolas Sarkozy se retrouva en fin de compte privé de toute subvention publique. Sa campagne comme il se plaît à le dire, ne coûta donc pas un centime aux contribuables ! Elle faillit ruiner l’UMP, mais c’est une autre histoire….

En France, on raffole des absurdités, mais aussi des scandales. D’où le déchaînement médiatique et justicier auquel on assiste, alors qu’une nouvelle campagne électorale majeure se profile.
C’est la curée, et ce n’est pas très reluisant. Chacun se débine ou tente de faire porter le chapeau à l’autre. A écouter les différents protagonistes de l'affaire, personne ou bien tout le monde était informé de ces méthodes peu orthodoxes, y compris le secrétaire général de l'UMP !
Probablement n’y aura-t-il aucune conséquence au bout du compte hormis le remboursement déjà effectué du dépassement, mais les électeurs infligeront peut-être une sanction dans les urnes, but évidemment recherché avant tout par beaucoup d'anti-sarkozystes...

A y regarder de près, ce système est pourtant d’une grande banalité un peu partout dans la fonction publique : combien de fois voit-on détournées tout ou partie des dotations budgétaires allouées aux diverses administrations, pour financer des missions ciblées ? C’est monnaie courante pourrait-on dire.. On appelle ça pudiquement la fongibilité des enveloppes ! 
Combien d’artifices comptables et de jeux d’écritures la Cour des Comptes a-t-elle pointé de son doigt accusateur sans que cela fasse broncher le moindre haut dignitaire du régime ?

En vérité, plus il y a de règles et de lois, plus on cherche à les contourner. Montaigne l’avait déjà constaté et aurait préféré qu’il n’y eut pas de loi du tout plutôt que la pléthore qu’il déplorait déjà à son époque….



28 septembre 2016

All That Jazz


Ce coffret de cinq disques* de jazz ressortis opportunément par la marque Verve, du grenier des années cinquante, procure un petit vent de fraîcheur qui vient subtilement caresser les oreilles en ce début langoureux d'automne.

A l'écoute de ces véritables bijoux musicaux on ne peut s'empêcher d'éprouver une indicible nostalgie pour la merveilleuse époque, pleine d'insouciance et de légèreté qui se met tout à coup à revivre.

Stan Getz y déploie évidemment toute la tendresse saxophonique dont il était capable.
La grâce de ses improvisations vous saisit dès les premières notes du East of the sun qui entame l'album West Coast Jazz. Les pieds en éventail comme sur la pochette au graphisme délicieusement daté, on se détend sans aucune arrière pensée ni remord. Ça s'écoule tranquillement et c'est bon comme l'eau d'une fontaine. Autour de notre homme, s'épanouit la fine fleur de la cool attitude : Shelly Manne ou Stan Levey (batterie), Leroy Vinnegar (contrebasse), Conte Candoli (trompette), Lou Levy (piano).
Et puis, ça défile sans qu'on fasse attention au temps qui passe : Four, Suddenly it's spring, Night in Tunisia, Summertime, Shine...


Autant le dire, tout est du même cru d'exception dans ces albums dont les millésimes s'étendent de 1955 à 1958. Entre autres pépites, on a droit à une petite virée à Stockholm où Stan fait le bœuf avec des musiciens qui, bien que venant du froid, ne dédaignent pas le réchauffement climatique (Bengt Hallberg, piano, Gunnar Johnson, bass, Anders Burman, drums), et une fin en forme de petite apothéose avec Chet Baker, qui se laisse aller à de pulpeuses ballades dans lesquels le rythme des saisons se calque sur celui de ce doux bop, qui vous fait voyager à l'instar des errances de Jack Kerouac entre beat, blues et swing...

*Stan Getz : 5 originals Albums. Verve 2016

23 septembre 2016

Gauloiseries


La dernière sortie de Nicolas Sarkozy n’a pas laissé indifférent l’aréopage des consciences éclairées qui réglementent la pensée et se font un devoir de guider l’Opinion Publique sur le chemin de la morale et de la vertu.

En affirmant que pour toute personne d’origine étrangère, l’assimilation à la France passait par la reconnaissance des Gaulois en tant qu’ancêtres, on peut dire que l’ancien président de la république a fait son petit effet. Même si, pour enfoncer le clou, il précisa qu’il avait fait sienne cette règle et que, bien qu’étant de père hongrois, il n’avait jamais appris l’histoire de la Hongrie et que petit fils d’un Grec, on ne lui avait jamais enseigné l’histoire grecque…
Tollé dans les chaumières de la bien-pensance où l’on cultive avec amour la différence, le métissage, la diversité, l’altérité et autres fadaises bien intentionnées ! La France est une terre d'accueil répètent en choeur ces docteurs en médecine douce, et chacun peut garder ses racines, sa culture et ses bagages religieux, tribaux ou je ne sais quoi. On connaît la chanson…

Nicolas Sarkozy n’a pas son pareil pour déclencher l’opprobre des ligues de vertu et des dames patronnesses, et c’est pur plaisir de les voir s’étrangler à la moindre de ses paroles, ou de ses faits et gestes. Cela dit, en toute chose, il y a la forme et le fond, et si le chef des Républicains est loin d’avoir toujours tort sur ce dernier, il a l’art de l’exprimer avec un tel manque de tact et de subtilité, qu’il en vient à dresser un peu inutilement contre lui les meutes.
Beaucoup de Français, même de souche, comme on ne doit surtout pas dire, sont sans doute assez éloignés de ce que représente la Gaule en terme culturel. Il faut bien dire qu’en la matière, l’héritage de Vercingétorix et de ses contemporains est assez pauvre, en dehors d’avoir inspiré la bande dessinée uchronique d’Astérix… L’exemple semble donc assez mal choisi. L’Esprit français, c’est sans doute autre chose et bien plus que les Gaulois.

Pourtant, sur le fond, le fait de faire siens l’esprit, la culture et les traditions du pays par lequel on prétend se faire adopter paraît assez évidente. S’installer quelque part avec l’idée d’y imposer ses propres us et coutumes, c’est se comporter en conquérant, non en immigrant.
L’histoire des Etats-Unis d’Amérique a bien montré que la force de cette nation fut sans doute de réussir ce fabuleux melting pot dans lequel chacun abandonna son histoire, ses souvenirs, au profit d’un grand dessein commun. Le pays était neuf, tout était à construire, on pourra donc dire que c’était plus facile. Mais rien n’est plus faux en réalité car tout fut difficile et la tentation fut sans doute grande dans ces espaces vierges, de recréer des communautés individualisées, et de cultiver l’égoïsme.
Les autorités ont toujours veillé à ce que les émigrants désirant s’installer sur le sol américain, déclarent pleinement adopter le pays, ses règles et ses lois, dont ils avaient choisi de faire leur patrie. Le plus gros problème, qui faillit d’ailleurs faire sauter l’Union, fut celui des Noirs, qui très majoritairement n’avaient pas décidé librement de s’y installer, et qui ne furent pas traités comme des citoyens à part entière.

Dans l’histoire de notre vieux continent, nombre d’étrangers ont choisi de devenir français, pour des raisons diverses et variées, mais le plus souvent parce qu’ils se trouvaient malheureux de la situation dans laquelle ils étaient. En règle générale, ils se plièrent si bien au mode de vie de leur pays d’adoption, qu’il devenait rapidement impossible de les distinguer des autochtones, hormis quelques subtiles réminiscences de leur passé ou de leurs origines, qui faisaient en quelque sorte le sel de la nation. 


Aujourd’hui l’affaire est toute autre. Les nouveaux « migrants » fuient certes comme autrefois des conditions de vie désastreuses, mais ils n’entreprennent plus leur grand voyage pour devenir français, ils échouent chez nous au terme d’un parcours erratique.
Lorsqu’ils arrivent, ils sont confrontés à un pays en pleine dérive spirituelle, qui ne croit plus en ses valeurs et qui est hanté par une mauvaise conscience historique et un sentiment de culpabilité maladif. Résultat, le télescopage des populations se passe mal et l’intégration se révèle aléatoire voire quasi impossible. Les tensions s’exacerbent, le communautarisme et l’esprit de clan montent en puissance, les dissensions religieuses également, et la faiblesse des uns nourrit l’arrogance des autres. Plus personne ne se respecte, et le spectre de la guerre civile se dresse au loin, menaçant.

C’est ce drame que souligne Nicolas Sarkozy en rappelant de manière un peu caricaturale les règles de l’assimilation. Mais peut-il être compris à une époque où tant de vessies sont prises pour des lanternes ? Est-il encore temps d’endiguer ce mouvement catastrophique ? En aura-t-il vraiment la volonté, s’il est à nouveau élu ? Et dans le cas contraire, y a-t-il quelqu’un qui soit en mesure de prendre enfin le taureau par les cornes, sans tabou ni œillères idéologiques ?
On peut craindre hélas qu’à toutes ces questions, il faille répondre par la négative…

31 août 2016

Déconfiture de roses

La fausse surprise, savamment orchestrée, de la démission d'Emmanuel Macron s'incrit dans l'actualité comme un épisode de l'interminable agonie du socialisme à la française.
Le nouvel acte (pas le dernier hélas sans doute....) du ballet grotesque offert en spectacle aux Français désabusés par un Pouvoir décadent, à bout de souffle, déconfit par ses propres échecs et ses ratages.

Après la désertion des plus-tout-à-fait jeunes loups de la Nouvelle Gauche (auto-proclamés « Nouveau Parti Socialiste », voire « Nouveau Monde », en toute simplicité), c'est au tour de l'aile bourgeoise néo-libérale de faire défection en la personne du sémillant ministre de l'Economie (de l'Industrie et du Numérique...).

Pendant ce temps, le Président de la République danse au bord du gouffre. Il continue de jouer la comédie, quasi comme si de rien n’était. Comme si tout était normal. Rien là d'étonnant pour un président tellement normal qu’il lui faut un coiffeur à temps plein pour gonfler et calamistrer les quelques tifs qu’il a sur le crâne !
Cela donne la mesure de l’inconsistance dans laquelle le pays est plongé, à force de se confier à des bouffons de la politique. Sous leur molle férule, la bureaucratie ne s’est jamais si bien portée et l’état de droit se noie dans un fatras législatif insensé. Tandis qu’on voit s’accumuler les périls au dessus de la Nation, que le tissu social se déchire de partout, on en est réduit à recourir à la plus haute juridiction pour statuer sur les tenues de bains portées sur les plages !

Peu importe en somme que M. Macron nous joue à son tour sa sérénade en tentant de faire croire au peuple qu’il est le meilleur. Il fut certes l’artisan de la libéralisation des autocars, mais pour le reste, cela reste bien incertain…
On ne saurait dire l’état de l’Opinion, tant on entend tout et son contraire, et tant on sent monter une incommensurable indifférence, masquant peut-être le sourd mugissement de tempêtes à venir…

Descartes en été 2

Un des ponts aux ânes les plus sujets à controverses reste bien sûr cette fameuse séparation de l'âme et du corps. Kambouchner épingle deux saillies illustrant cette question: “l'âme n'a pas besoin du corps pour penser”, et “le corps est pure machine.”
Dans le souci de justifier la position de Descartes, M. Kambouchner s’attache à la pondérer, en posant qu’affirmer la différence de nature entre le corps et la pensée ne revient pas à considérer nécessairement que l'âme puisse exister en dehors du corps. Cette proposition pose problème, car alors on se demande bien pourquoi Descartes aurait jugé primordial d’établir cette distinction, qui relève, il faut bien le dire, de l'évidence ?

Le cerveau est sans doute le siège de la pensée mais on ne peut pas dire qu'il la sécrète comme le fait le pancréas de l'insuline. Et donc, après tout, puisqu'il n'y a pas de substratum physique à la pensée, rien n'interdit d'imaginer qu’elle puisse s'extraire de cette machine dans laquelle elle paraît incarcérée et par les organes sensoriels de laquelle elle communique avec le monde matériel.

Plutôt que d’approfondir cette hypothèse, M. Kambouchner se sort du dilemme en adoptant une position mitigée qui affadit le propos du philosophe. Celle-ci consiste à admettre de manière un peu elliptique que la pensée soit en mesure de s’affranchir des contingences du corps sans se détacher toutefois de lui. Mais on retombe, de fait, dans une quasi évidence.... Nous en faisons tous l'expérience à l'instant où la sérénité et la quiétude nous envahissent, lorsque notre carcasse charnelle ne ressent ni douleur ni tracas, et qu'elle se trouve à l'abri des stimuli perturbateurs. Ce n’est jamais que l'illustration du vieux diction mens sana in corpore sano. Evidemment, cela n’autorise pas à confirmer pour autant que notre pensée puisse exister en dehors de notre corps puisque nous ne pouvons pas prolonger plus avant l'expérience, sauf à être mort…

Ce type d'arguments, n'est donc pas vraiment contributif, ni même de nature à servir la cause de Descartes. Cela en montrerait plutôt une des faiblesses en confirmant que la simple raison est insuffisante pour conclure sur les questions d'ordre métaphysique auxquelles il s’attaque.

Il est certain, comme tente de le démontrer M. Kambouchner qu'une pensée désincarnée n’aurait pas grand chose à voir avec celle siège en nous et qui par la force des choses se trouve en contact étroit avec le monde physique, ressent des émotions tirées du réel, et s’exprime dans un langage fait de conventions formelles artificielles. Mais en quoi cela interdit d’imaginer cette éventualité quand même ? De l'au delà, personne ici bas ne peut rien dire, c'est bien là où le bât blesse.

Ni Descartes, ni Damasio, ni Kambouchner ne nous apportent de vraie réponse. Sur ce coup Pascal est plus convaincant car sa foi lui permet de transcender les raisonnements, et le conduit à des certitudes intangibles, reposant sur une expérience indiscutable: son vécu de Dieu…


Autre écueil auquel est confronté M. Kambouchner : au fil de sa plaidoirie, il se heurte à beaucoup d'archaïsmes devenus criants au regard de l'évolution scientifique et plus encore sans doute, de l'évolution des idées. Puisqu'il s'est donné pour but de restaurer la pureté originelle de son modèle, il se voit donc contraint de contourner quantité de concepts surannés et pire parfois, d'en dévoyer le sens pour essayer de les intégrer dans la modernité.

On sait par exemple que Descartes ne nourrissait guère de sentiments pour les animaux qu’il considérait comme des êtres inférieurs, sans âme ni conscience. Est-ce pour autant nécessaire de nous convaincre qu’il n’a pas affirmé comme la rumeur tendrait à le faire croire, que sur ces derniers l'homme a tous les droits?

M. Kambouchner cherche à combattre naturellement cette idée reçue mais peu importe en définitive car même si c’était vrai, on est prêt à parier spontanément que cela n’impliquait pas dans l’esprit du philosophe le droit de les maltraiter. Même si Descartes se moquait des “rêveries d’un Pythagore” prônant la réincarnation et le végétarisme, il eut certainement désapprouvé les brutalités inutiles constatées dans certains abattoirs. Ici encore, l'apologie à laquelle se livre l'avocat manque de pertinence, à force de vouloir faire rentrer la pensée cartésienne dans le moule de la correction politique.

Pourquoi ne pas en rester à ce que Descartes a exprimé et privilégier l’esprit plutôt que la lettre ? Descartes voyait une différence fondamentale entre l’être humain et l’animal, quoi de choquant ? Sans doute n’eut-il pas désavoué Kant qui s'émerveillait du spectacle de la voûte céleste étoilée au dessus de sa tête, et de la loi morale qu'il portait en lui. Sans doute aurait-il estimé dans le même temps qu’aucun animal jamais ne pourrait avoir de tels sentiments. Cette position reste aujourdhui tout à fait défendable, même si certains voudraient nous faire croire le contraire au nom de l’antispécisme ou du véganisme. Non seulement la position de Descartes reste défendable mais elle pourrait également faire son actualité car le même raisonnement est susceptible de s'appliquer aux formes variées d’intelligence dite artificielles dont on nous rebat les oreilles. Jamais une machine aussi perfectionnée soit elle ne pourra faire sien le double émerveillement de Kant qui définit si bien le mystère de l’être humain et qui caractérise tout ce qu’il y a de sublime et d’unique dans sa conscience. Aucun animal, aucun végétal, aucune machine, aucune chose ne peut atteindre cette plénitude énigmatique.



Cela dit, même si l’on peut considérer ici que Descartes a anticipé Kant, il reste loin toutefois de l'élévation de pensée du sage de Königsberg. Les principes sur lesquels il fonde sa méthode sont trop tranchés, trop mécaniques, trop universalistes. Le ciseau et le burin de la raison ne peuvent s’attaquer à la matière métaphysique et dans l’illusion de tout pouvoir expliquer, Descartes dresse un édifice massif et imposant, mais chimérique. Comme il ne s’inscrit pas non plus dans l’empirisme, ses raisonnements tiennent du mirage. De loin, ils paraissent solides, mais en y regardant à deux fois, tout s’évanouit hormis quelques tautologies assez vaines.

A force trop vouloir la défendre, M. Kambouchner ne parvient qu’à pervertir la pensée de Descartes. Il voudrait lui retirer la gangue dogmatique qui l’alourdit et lui donne son aspect archaïque, mais il en dénature l’essence, car il ne s’attaque pas tant à la forme qu’au fond.C’est aussi sans doute le problème de Descartes, de n’être pas parvenu à hisser la philosophie à ce niveau de transcendance. Descartes n’est pas Kant...

30 août 2016

Descartes en été 1

Peu d’écrivains jouissent en France d’une aura telle que celle de René Descartes (1596-1650). Il est un de nos philosophes les plus connus, les plus enseignés, le plus référencés. Quantité de lycées et d’universités portent son nom. Son cogito ergo sum reste une des citations les plus connues des étudiants.
Même son village natal en Touraine, autrefois La Haye, fut rebaptisé de son patronyme en 1967. Hommage sans doute mérité aux yeux de ceux qui voient en lui le fondateur de la philosophie moderne, ni plus ni moins.

Il a pourtant des détracteurs et on pourrait même se demander à notre époque qui peut encore être intéressé par la lecture d’un écrivain qui naquit il y a plus de 400 cents ans et dont une bonne partie de l’œuvre fut rédigée en latin.
Il faut dire que le classicisme à la française qu’il incarne si bien, au point qu’on le confond parfois avec l’esprit cartésien, ne s’accommode pas vraiment avec la modernité, si prompte à s’enticher de fadaises, et pas davantage avec le règne de l’internet où se colportent si facilement croyances et rumeurs.
Quant aux théories révolutionnaires dont notre pays est si friand, elles pourraient sembler accréditer le principe de « tabula rasa » auquel on réduit parfois la méthode cartésienne. Mais leur asservissement habituel à des principes immanents relevant du fanatisme et de l’intolérance, s’oppose frontalement à la recommandation princeps : « de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle… » Rien de moins révolutionnaire en somme que le doute, pour peu qu’il ne cède pas place aux certitudes !

Dans un essai assassin dans lequel il paraphrasa Blaise Pascal en qualifiant le vénérable Descartes « d’inutile et incertain », Jean-François Revel, tout bien pesé, considérait pour sa part qu’avec sa rigueur dogmatique, il tenait plus d’un penseur scolastique que d’un philosophe moderne.
Depuis Pascal, lui-même plus que dubitatif sur son contemporain, les savants pourtant portés par nature au rationalisme, furent et restent très critiques à l'égard des distinctions à l’emporte-pièce dont son discours est émaillé, notamment celle concernant la fameuse dualité âme-corps dont il fit deux concepts de nature différente, donc potentiellement indépendants.
A ce sujet, il y a quelques années, le neurologue américain Antonio Damasio avait consacré un ouvrage à ce qu'il avait appelé « l’erreur de Descartes », attestée selon lui par des cas cliniques révélateurs de l’indissociabilité de la pensée et du corps, et du conditionnement de la première par le second. Cette vision très matérialiste n’était pas sans évoquer la fameuse exclamation qu’on prête à Claude Bernard : « l’âme humaine, je ne l’ai jamais trouvée au bout de mon bistouri… »
Par un paradoxe troublant on voit donc Descartes rejeté tantôt par des savants pétris de foi religieuse comme Pascal, mais qui jugent sa “raison raisonnante”, trop approximative, et trop ancrée dans le marais de la métaphysique, et tantôt par des athées revendiqués comme Damasio, qui font fi de sa conception éthérée de l’âme…

Je n’aurais sans doute pas été amené à revenir sur Descartes si un petit ouvrage ne m’était tombé sous la main récemment, prenant courageusement sa défense - en 2015 ! - en déniant ce qu’on voudrait parfois faire dire au philosophe.

Son auteur, Denis Kambouchner, s’était déjà signalé par son attachement idéologique au père du Discours de la Méthode et par de savantes exégèses de son oeuvre. Son initiative m’a paru intéressante quoique sujette à caution puisqu’elle se fonde sur l’interprétation rétrospective des écrits d’un auteur, pire, de ses non-dits L’exercice est particulièrement périlleux en philosophie et s’avère ici quelque peu contradictoire avec les principes même de la pensée cartésienne qui s’est attachée à s’exprimer sans détour ni ambiguïtés.
Vingt et une affirmations caractérisant, ou plutôt caricaturant dans l’opinion publique la pensée de Descartes sont ainsi passées au crible dans le souci de débattre de leur signification et in fine de contester leur attribution abusive.Le but n'est pas de les énumérer mais à partir d'une ou deux, parmi les plus emblématiques, de méditer sur l'actualité des problématiques qu'elles sous-tendent… (à suivre)

15 août 2016

Escapade exotique à Bordeaux


Pour quelques bonnes raisons, dont une affinité particulière avec cette ville, je reviens souvent à Bordeaux.
Au bout des élégantes arches de briques du Pont de Pierre qui enjambent la Garonne, la cité s'offre tout d'un coup, en dévoilant son long alignement des quais, dit des Chartrons. C'est incontestablement sous cet angle que le spectacle a le plus de majesté.

Bordeaux est taillée dans de vastes proportions qui lui confèrent une classe particulière, rehaussée de manière éblouissante, par la belle pierre blanche dont sont faits les immeubles bordant les larges avenues.
Nichée dans une des plus fertiles terres à vignes qui soit, Bordeaux, comme son nom l'indique, n'en est pas moins attachée à l'élément liquide. Située à la confluence de deux fleuves majeurs, elle fait face à l'Océan Atlantique sur lequel s'ouvre le large estuaire de la Gironde. Ici la liberté, portée par les grands vents d'Ouest, est en quelque sorte domptée par les eaux limoneuses, et devient en mourant, un délicieux art de vivre.

Ancrée dans le terroir, Bordeaux est aussi une ville ouverte, qu'on pourrait même qualifier de cosmopolite.
Sitôt franchi le fleuve, on se trouve immergé dans une ambiance moyen-orientale. Le quartier centré par la place Bir Hakeim a un air de Bosphore. Anciennement investi par une communauté majoritairement Turque, il a conservé nombre d'échoppes d'allure levantine : boucheries hallal, marchands d’encens, d’étoffes et de plats à tajine, épiceries 7/7, troquets exclusivement fréquentés par les hommes…
Autour de la basilique Saint-Michel flanquée de sa flèche, se tient souvent un marché très méridional, peuplé d'étals de fruits et légumes, dans un festival de couleurs et d’exubérance.

Ce quartier est dit-on en voie de boboïsation.. On y ressent le choc des cultures. Les voiles, les barbes de prophètes côtoient les hipsters à vélo, d'inspiration baba cool… 
Nombre d'appartements sont en voie de rénovation, attestant qu'une bonne partie du patrimoine immobilier est en train de changer de mains.
Au fond de la place, nous aimons passer un bon moment à savourer les petits plats et tapas que la Meson la Venta cuisine, à la mode espagnole. Un vrai régal !
L'après-midi, on se livre à une flânerie dans le jardin botanique. Pour cela, il faut retraverser le fleuve. Cette immensité herbeuse n’offre hélas pas la grande variété de plantes, de fleurs et d’essences qu’on aurait pu attendre. De plus, elles sont assez pauvrement indiquées pour le néophyte. Il y a bien une belle serre aux cactées et aux arbres tropicaux, et une exposition sur le plancton, mais on reste un peu sur sa faim.
Tout de même, en sortant du parc, on s’arrête devant un plan d’eau tapissé de plantes aquatiques. Parmi elles, une fleur de lotus se dresse d’un rose délicat, qui se détache sur le vert intense des larges feuilles. A elle seule, elle ne fait pas regretter cette promenade, offrant sa beauté limpide et simple comme un poème taoïste…
Le soir, on revient sur la rive gauche, de l'autre côté du cours Victor Hugo, au détour d'une de ces petites places typiques du vieux Bordeaux. On se retrouve attablés pour manger à la grecque au restaurant Aphrodite.
Ambiance bleu et blanc, le cadre est simple mais très suggestif. En goûtant les olives charnues, le caviar d'aubergines onctueux, la salade de poulpe mariné, et la pita aux saveurs d'ail et d'huile d'olives, on a vraiment l'impression de voyager. Quitter Montaigne pour Homère, le Médoc pour le mont Olympe ou pour un rendez-vous à Patmos...
Même le vin, capiteux, parfumé, gorgé de soleil, pourrait faire oublier le vignoble bordelais...