11 novembre 2017

Cas de conscience

Une récente publication scientifique suscite par ses étranges constats, de nouvelles interrogations sur l’épineux problème de la conscience.
Après 15 ans d’état de “coma chronique”, suite à un traumatisme crânien, un patient a retrouvé une ébauche de réactivité grâce à la stimulation prolongée du nerf vague, aussi appelé nerf pneumogastrique, ou encore dixième paire crânienne.
Alors qu’il ne réagissait à rien et que seules ses fonctions végétatives le retenaient à la vie, il a pu répondre à des demandes simples, comme suivre un objet avec les yeux ou tourner la tête, témoignant ainsi de la récupération d’un certain niveau de conscience.
Ce petit miracle serait dû paraît-il, à la restauration de l'activité  thalamo-corticale et à l'amélioration des connexions  fronto-pariétales.
Pour surprenante qu’elle soit, cette expérience soulève évidemment une foule de questions : Qu’est-ce que la conscience et que devient-elle lorsque nous sommes plongés dans ces limbes, en apparence plus ou moins réversibles, que sont le sommeil profond, le coma, ou bien dans cet état étrange qu’on appelle végétatif ?
Il est certain que durant le sommeil, le contact avec le monde s’interrompt. Nous ne sommes plus en prise avec ce dernier que par des fonctions physiologiques de base. Nous n’existons plus que par ces fonctions et par les rêves, dont nous ne gardons en général que peu de souvenirs, et dont la signification reste nébuleuse en dépit de belles théories à leur sujet. Un fait est sûr, le réveil n’est jamais très loin et la moindre stimulation peut le provoquer : bruit, contact physique, changement de température par exemple.
Durant le coma, la conscience est enfouie plus profondément. Les rêves sont abolis, et il faut des stimuli beaucoup plus intenses pour provoquer ne serait-ce qu’un mouvement. Ainsi durant le coma médicamenteux provoqué par exemple par une anesthésie générale, on peut ouvrir le ventre d’un patient, ou l’amputer d’un membre sans déclencher la moindre réaction et sans le moindre appel à la conscience puisqu’au réveil, il n’a aucun souvenir de l'évènement.
Comme après le sommeil, il retrouve pourtant l’intégralité de ce qui fait sa personnalité psychique et intellectuelle.  Lorsque son aspect physique a changé, il lui faut s’adapter à sa nouvelle condition ce qui n’est pas toujours simple, et il peut garder parfois longtemps l’impression désagréable d’un membre fantôme...

On évalue cliniquement la profondeur d’un trouble de la conscience à l’aide d’une échelle quantitative, le score de Glasgow, évaluant la capacité d’une personne à ouvrir les yeux, à répondre verbalement et enfin à bouger ses membres, spontanément, à la commande, ou en réponse à des stimulations douloureuses.
De fait, on analyse ainsi l’expression de la conscience, mais nullement la conscience “en soi.”
Nous faisons à chaque instant l’expérience intime de notre propre conscience, mais nous ne pouvons appréhender celle des autres que par l’expression qu’ils en donnent. C’est très réducteur et cela peut prêter à confusion. Que se passe-t-il dans la tête d’autrui, nous n’en savons rien, et il est probable que nous n’en saurons pas davantage avant un bon bout de temps !
L’essence de la conscience, le fameux cogito de Descartes, reste un mystère et les liens qu’elle entretient avec le corps ne nous en disent pas beaucoup plus. Lorsque ce dernier manifeste des défaillances dans l’expression de la conscience, nous avons tendance à considérer que c’est celle-ci, c’est à dire l’être lui-même, qui est affecté, un peu comme l’imbécile qui regarde le doigt du sage lorsqu’il montre le ciel étoilé.
Qu’en est-il au fond ?
Lorsque l’on démonte un poste de radio, on peut toujours chercher, on ne trouvera jamais les personnes dont les voix en sortent habituellement, ni les instruments de musique qui égaient nos oreilles : il n’y a que des composants électroniques, des câbles, du métal et du plastique. “L’essentiel est invisible pour les yeux”, comme disait Saint-Exupéry.
Et lorsque le poste dysfonctionne, il s’agit en règle de problèmes bassement matériels, touchant soit l’émetteur, soit le récepteur des émissions, mais non l’origine de celles-ci qui obéit à une logique supérieure, d’une tout autre nature.

En somme, la conscience humaine apparaît comme une problématique quasi inaccessible, et plus l’analyse de son expression s’affine, plus les questions restant à résoudre sont nombreuses. Sans doute parce qu’à l’instar des miroirs qui ne font que réfléchir à l’infini des images, lorsque l’homme se penche sur sa cervelle, il ne fait que s’examiner lui-même de manière superficielle. Il reste à la surface de l’eau en quelque sorte puisqu’il ne peut s’extraire de sa condition matérielle bornée. Un peu comme si on demandait à un poisson rouge d’expliquer le monde extérieur sans sortir de son bocal...
Gödel avait exprimé en son temps l’impossibilité logique à l’intérieur d’un système formel, de démontrer que sa description soit complète et correcte. Il reste toujours au moins une proposition indécidable...
Le paradoxe de Bonini explique quant à lui les difficultés qu’il y a de construire des modèles ou de mettre au point des simulations, afin de comprendre le fonctionnement de systèmes complexes, tels que le cerveau humain. Plus les outils se compliquent, moins ils sont exploitables tant ils génèrent de nouvelles interrogations. 
Ainsi une carte routière n’apporte un vrai service que si elle simplifie ce qu’elle représente. A l’échelle 1:1, parfaitement fidèle au modèle, elle serait totalement inexploitable. 
On cite souvent Paul Valéry qui affirmait : “Ce qui est simple est toujours faux, ce qui ne l'est pas est inutilisable” (Mauvaises pensées et autres), ce qui revient au même...

Illustration : Coupe de cerveau fait de rouages. 123RF

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